Le tunnel, la barque, la forêt. Tout le chemin parcouru m’a paru n’être qu’un rêve. Voilà des heures que nous courons entre les arbres, entourant la jeune femme à qui le gardien a confié la relique que nous devons protéger. Je brûle de voir de quoi il s’agit, mais elle tient l’objet fermement serré dans ses bras et ne laisse pas l’écharpe dévoiler ne serait-ce qu’un fragment de son chargement. Ce n’est de toute évidence pas le moment de se montrer curieux, mais j’essaie à tout prix de garder mon esprit occupé et tout ce qui s’éloigne de la précarité de notre situation est une distraction bienvenue. Tout plutôt que de penser au sort de mon denmuys, et mon estomac se noue de terreur à l’idée que j’ai laissé Jonas à Saona ce matin-même.

Elerinna est rapidement passée hors de ma vue, filant comme une flèche entre les arbres. Elle n’a plus rien à voir avec la couturière devenue noble que j’ai connu, et encore moins avec la jeune femme que le moindre mouvement semblait épuiser après son amputation. L’air brûle mes poumons et mes muscles crient au scandale à chaque pas mais elle continue à courir comme si de rien n’était. Je soupçonne sa prothèse d’y être pour quelque chose. La Vérité qu’elle contient doit réagir à la présence de la relique de la même manière que la mienne. Nous avons déjà franchi plusieurs kilomètres et je sens encore les portails tenir bon à l’entrée du tunnel. Avec un tel éloignement ils auraient déjà dû se fermer depuis longtemps, mais ils ne me demandent pas même la moindre concentration. J’espère qu’ils nous auront donné une bonne longueur d’avance, parce que je ne doute pas que nous fassions l’objet d’une poursuite. N’importe qui a pu nous voir entrer dans le sanctuaire, et deux Parlèms accompagnés d’un jeune homme aux cheveux turquoise et d’une rousse flamboyante ne passent pas inaperçus. Notre signalement a déjà dû faire le tour des espions Récleyès. Je m’attends à tout moment à voir des flèches siffler autour de nous ou à entendre une alerte, mais la forêt reste silencieuse. Je n’ai vu autour de nous que des ombres félines, des éclats d’yeux brillants, des reflets de fourrure dans les arbres. Je crois que toute la population de gila eggret de la région suit ce que porte l’ancienne. Je me demande si Sable est parmi eux.

Soudainement je l’aperçois, assise au sol contre un arbre. Je reprends ma course pour arriver à son niveau. À bout de souffle, je chuchote.

“Par tous les dieux, vous m’avez fait peur ! J’ai cru que vous aviez disparu.”

Je reprends mon souffle alors que nous nous rassemblons tous au pied de l’immense mirlis, quand j’entends des bruits de pas de l’autre côté, accompagnés de voix.

“Comment on va faire pour les retrouver au milieu de cette maudite forêt, on n’y voit pas à dix mètres ! “Partis vers l’ouest”, ils sont gentils, mais autant chercher une aiguille dans une botte de foin ! Et je donne pas cher de notre peau si on se pointe devant le Successeur en lui disant qu’on les a perdus.”

Des Récleyès. À notre poursuite. Ils ne nous ont pas vus et continuent leurs recherches vers l’ouest. Un soupir de soulagement m’échappe lorsqu’ils passent hors de portée de vue et d’ouïe.

“Je crois qu’il est temps que nous changions de trajectoire. Foncer droit vers Déoli ne nous apportera rien de bon.”

Eléanore Firloe

Au milieu du petit groupe, assise à même le sol, Eleanore est recroquevillée contre la relique dont elle ne se sent pas légitime. Elle n'a pas dit un mot depuis qu'ils ont quitté le sanctuaire. Elle a simplement suivi les étrangers qui l'entouraient comme une ombre sans volonté. Tout lui paraît si flou, elle ne veut surtout pas y penser.

Cette journée n'est qu'un cauchemar. Le feuillage des Mirlis n'a plus rien de protecteur. La forêt a toujours résonné de vie même avec l'arrivée de l'hiver. Pour la Gardienne, le manteau d'hiver que revêtait la forêt à cette période de l'année la sublimait. Les rayons du soleil frappant la neige éclatante au milieu de la forêt bleutée des Mirlis ont constamment créé une impression de magie féerique aux yeux d'Eleanore. Aujourd'hui, il n'en est plus rien.

Elle ne voit que la mort et les traînées noires que laissent derrière eux les Récleyès. Son étreinte se referme encore plus contre le précieux artefact lorsqu'elle entend comme ses compagnons d'infortune la voix d'un soldat toute proche. La peur paralyse Eleanore. Enfin, elle comprend le geste de sa sœur, elle-même pourrait aujourd'hui tout lâcher et se réfugier dans le premier terrier qu'elle croiserait.

- C'est impossible de traverser la forêt avec. Ils sont partout ! Si Saona n'était pas elle aussi tombée, l'armée serait arrivée à l'Arbre de Vie depuis... On est seul...

Malgré les apparences, Eleanore ne renonce pas. Suivre les directives du gardien qui lui avait donné le coeur de Madelle lui paraissait en revanche être un plan suicidaire et impossible selon elle. Elle ne connaissait pas les personnes qui l'accompagnaient, peut-être étaient-elles de valeureux héros ou d'ignobles traîtres. La situation était désespérée. Eleanore ne pouvait qu'attendre, si l'un d'eux étaient un traître, alors il se lèverait probablement. Elle verrait alors la véritable nature de chacun.

Mais prendrait-elle le temps d'observer. S'agrippant au véritable Arbre, Eleanore gardait les bras enlacés autour d'un objet en forme de dôme allongé d'une quarantaine de centimètres. L'écharpe du Gardien empêchait à quiconque de pouvoir apercevoir la véritable forme de l'Arbre et Eleanore s'était bien gardée de la soulevait pour jeter un œil. Elle resta silencieuse, prête à suivre le groupe s'il pouvait repartir quoi que méfiante.

Elle n'avait aucune envie de se retrouver seule en pleine forêt, mais si les circonstances venaient à empirer d'avantage, Eleanore n'aurait plus qu'un seul recourt aussi désespéré soit-il. L'Arbre devait à tout prix être protégé. Elle peinait à retrouver son sang froid, mais se garda de tout autre commentaire pessimiste, car cela ne lui ressemblait pas. Cette situation la poussait dans des recoins de son âme qu'elle ignorait jusqu'alors.

Lorehan Dolve

Lorsque l’Arbre de Vie avait commencé à brûler, plusieurs Gardiens c’était précipité à l’intérieur même de la création de Mère Nature. Certainement une très mauvaise idée, pour un héléo. Mais, sans prendre le temps d’évaluer les risques, Lorehan s’élance à leur suite. S’ils peuvent faire quelque chose pour sauver l’Arbre, il faut les aider ! Ils se faufilent dans ce qui semble être un passage secret, puis, sans se préoccuper de savoir si l’Héléo les suit, dans un deuxième. Mais avant que l’érudit ai eut le temps de se faufiler lui aussi, il aperçoit une jeune femme à la chevelure flamboyante. Une Récléyès ? Mais elle n’attaque pas et Lorehan se glisse dans le second passage. Il aurait pu, il aurait dû, se soucier de son identité puisqu’il se savait vu mais il y avait trop de choses à penser. Il fallait suivre les Gardiens, il fallait sauver l’Arbre.

En sortant de l’étroit couloir, il tombe sur une Gardienne, elle porte dans ces bras un objet qui semble précieux, escortée par quelques personnes. Les yeux papillonnent, à la recherche d’ennemis, d’espions, mais rien de nocif ne semble avoir réussi à se faufiler jusqu’ici.

Mais bientôt les voilà sortis de l’Arbre, à découvert dans la forêt. D’autres gens les rejoignent, jusqu’à ce qu’ils forment ensemble un petit groupe pour le moins hétéroclite. Des voix leur parviennent et, à la réaction des autres, Lorehan comprend que c’est bien après eux que sont les Récléyès. Peut être aurait-il dû fuir pendant qu’il en est encore tant ? Mais à présent, le voilà lié par un lien invisible et incompréhensible à la Gardienne et à son fardeau. Elle doit sortir de la forêt saine et sauve. Pourquoi ? L’érudit ne le sait pas, il peut seulement voir que cela semble réellement important.

Une femme s’exclame alors qu’il ne faut pas partir vers l’ouest, comme leur ennemis s’y attendent, mais dans une autre direction. Elle n’a pas tort mais ce n’est pas ce que retient l’Héléo. C’est la femme rousse qu’il avait aperçu tout à l’heure. Celle qui ne l’a pas attaqué. Elle l’a suivi, il n’y a plus qu’à espérer qu’elle soit vraiment du bon côté.

Il est un érudit, il faut bien que cela serve à quelque chose. Réfléchir. « Elle a raison, ne partons pas vers l’est non plus, si tous les Récléyès vont vers l’ouest, nous risquons d’en croiser beaucoup. Il faudrait partir vers le Nord et sortir de la Forêt. » Il se tourne alors vers les autres : « La frontière est elle loin ? » Car il a beau s'être renseigné sur le pays des Anciens, il doit reconnaître qu'ici tout lui est inconnu et il serait bien en mal de se repérer. Ici, il est dépendant du savoir des autres et il n'aura pas intérêt à les perdre.

Vous avez choisi d'avancer vers le nord, et donc de quitter la route que prennent les Récleyès... Du moins c'est ce que vous pouvez croire.

Quatre Récléyès vous ont trouvés et cernent votre groupe. Ils ne perdent pas de temps et commencent à tirer des flèches dans votre direction.

Directives:

Mon attention glisse sur la gardienne sans vraiment s’y arrêter. Elle ne pipe pas mot et semble préoccupée, serrant contre elle son fardeau dont elle n’a toujours pas dévoilé la nature. Je suppose que n’importe qui le serait avec une telle responsabilité chargée sur nos épaules aussi brutalement, cependant son manque de réactivité m’inquiète pour la sécurité de ce qu’elle transporte.

La nouvelle arrivante aux cheveux de feu, elle, paraît bien plus à l’aise. Sa voix, son flegme dans une situation critique, sa chevelure flamboyante me permettent enfin de me souvenir d’où je la connais. C’est celle qui m’avait aidé à sortir des décombres d’une auberge détruite. Comment se fait-il que je la croise à nouveau, ici et maintenant ? Je me souviens d’avoir été persuadé qu’elle était une héléo, et qu’elle n’attachait que peu d’importance au sort des humains, alors pourquoi nous a-t-elle suivi ? Sait-elle quelque chose que j’ignore sur l’objet que transporte la gardienne ? Je me promets de la surveiller de près lorsqu’elle dévoile une tenue de Récleyès sous son manteau. Une traîtresse ?! Je fais un pas de côté protecteur, me rapprochant d’Elerinna, prêt à la faire tomber de haut et loin d’ici au moindre geste suspect. Ma Vérité est en ébullition depuis que nous avons quitté l’Abre de Vie et je suis presque certain de pouvoir connecter un portail d’ici jusqu’à l’un des deux que j’ai laissé en place pour protéger l’entrée du tunnel.

Ses mains levées en signe de paix m’arrêtent et son explication est à peu près satisfaisante, même si je ne peux m’empêcher de rester méfiant. Son sang-froid m’avait déjà interpellé à l’époque, mais même ainsi j’ai presque du mal à imaginer qu’on puisse faire preuve d’une telle présence d’esprit. Je mets pourtant mes doutes de côté puisqu’elle conforte ma proposition de changer de direction, soutenue en cela par l’étrange jeune homme qui propose d’aller vers le nord. J’acquiesce, bien d’accord avec cette idée. Il semblerait que l’ennemi ait en son pouvoir toute la forêt, plus vite nous en seront sortis et mieux cela vaudra pour nous. Pour autant que je sache, la Plaine Isolée n’est pas encore passée entre leurs mains, nous y serons probablement plus en sécurité. Malheureusement je ne sais plus exactement où nous sommes. Je connais relativement bien la forêt pour y être déjà venu plusieurs fois mais le passage par le souterrain a brouillé mon orientation, seulement toutes mes cartes et instruments de navigation sont restés dans les fontes de mon denmuys. Heureusement, Elerinna est mieux équipée que moi : il ne lui faut que quelques instants pour se repérer et déterminer que nous sommes dans la bonne direction pour nous rendre à Arnlo. Le nom de ma ville dans sa bouche m’inquiète plus qu’il ne me rassure. Sûre pour la plupart d’entre nous, la cité risque d’être dangereuse pour elle, et elle le sait. Je lui rends son regard, comprenant son hésitation.

Nous n’avons pas le temps de débattre sur la marche à suivre que des traits sifflent entre nous. Par réflexe je me place devant Elerinna, tendant les mains. Je ressens un choc qui résonne dans mes bras et entend le bruit caractéristique d’une flèche rebondissant sur le sol. Surpris, je lève les yeux pour voir les flammes violettes qui caractérisent ma Vérité voler en éclat sous l’impact. Je ne suis pas blessé. Je reste une seconde secoué, sans comprendre ce qui vient de se passer, mais ce n’est pas le moment de se poser des questions. Je fouille mon sac, jurant contre moi-même de ne pas avoir gardé cette fiole à un endroit plus facile d’accès. Lorsque mes doigts se referment enfin sur ma potion de feu, l’un des Récleyès est déjà sur moi.

Eléanore Firloe

Eleanore reste à l'écart tandis que le petit groupe se met à discuter de la direction à prendre. Elle ne sait que faire, le nord est effectivement le chemin le plus court pour sortir, mais l'idée d'amener le coeur de Madelle dans la ville mondialement reconnu pour son avarice ne lui augurait pas un avenir très radieux. L'idée de la jeune femme rousse lui parut être une chose mesurée, même si l'idée de dépouiller des cadavres lui donne des hauts de cœur. Toute cette mort qui les entoure lui est insupportable, elle n'arrive pas à garder l'esprit clair et son attention sur les environs. Elle entends encore le cri de son maître lorsqu'il reçut le coup fatal. Elle voit son corps plonger dans ce canyon qu'ils ont dû traverser pour fuir avec le coeur de Madelle. Et les voilà maintenant au milieu d'une embuscade. Ils les ont retrouvés. Eleanore ne met pas longtemps à recouvrir ses esprits, elle sert fort l’œuf contre elle et ses yeux se lèvent vers les arbres. Il lui serait si simple pour elle de monter tout là haut puis de partir. Seule, dans les arbres, elle aurait plus de chance de s'en sortir pensa-t-elle. Dans le creux de sa main, son lasso de lumière était en train de s'allonger. Il lui suffirait de s'élancer dans les branches, de se laisser porter d'arbre en arbre pour quitter ces lieux au plus vite. Elle a toujours été d'une agilité remarquable et porter un poids ne la dérangerait pas le moins du monde. Mais en est-elle vraiment capable ? Laisser ainsi ces personnes, prêtes à l'aider, mourir pour quelques minutes d'avance. Est-elle comme sa sœur capable de tourner le dos aux personnes qui comptent sur elle et de fuir sans regret... Si elle tient fermement son lasso dans sa main gauche, et l’œuf calé dans son bras droit, contre sa poitrine, elle ne jette pas sa main vers la cime des arbres, mais sur le Récleyès qui s'est élancé vers eux. L'un, plus téméraire que ses compagnons, se jette en avant sur le Parlèms, mais Eleanore parvient à le déséquilibrer. Le lasso autour de sa cheville instable, son coup fend l'air. Mais les flèches continuent de voler vers eux. Elle ne tourne pas assez vite autour de l'arbre qu'elle voulait escalader pour éviter une flèche. La tête métallique se fige dans son bras gauche, des larmes coulent le long de sa joue tandis qu'elle se retient de crier sa douleur. Le lasso perd rapidement en intensité et finit par disparaître. Elle n'a pas pu voir combien ils étaient, mais il y a au moins deux archers restés à l'abri des feuillages. La flèche toujours plantée dans le bras, elle prend une grande inspiration avant de sortir sa tête de sa cachette pour essayer de voir l'ennemi ainsi que ses compagnons pour les rejoindre. Le Parlèms tient dans sa main une étrange fiole et il a l'air déterminer à l'utiliser. Elle n'a aucune idée de ce que cela peut bien provoquer, mais elle préfère rester à distance et attendre derrière son arbre de voir la situation évoluer.