-Tu vas l’élever ?

-Bien sûr ! C’est ma fille !

Les mains encore pleine de sang du massacre qui venait de se dérouler dans les contrée d’Orlack, une femme aux cheveux flamboyant serrait contre elle le bébé qui venait de trouver une nouvelle mère. Miraculée de la mort qui avait frappé ses parents et son clan tout entier, le bout de chair gigotant et pleurant à cause de tout le vacarme précédent peinait à se calmer :

-Chuuuut ma toute petite, maman est là à présent.

L’interlocuteur le regarda avec un brin de dégoût, puis décida finalement qu’il était préférable pour tout le monde de se contenter d’hausser les épaules et d’aller continuer sa vie ailleurs. La gamine n’était pas son problème et il n’avait guère envie d’entendre la voix criarde de la voleuse d’enfant geindre dans ses oreilles.

C’est ainsi que fut adoptée Shana. Une appropriation forcée qui ne créa aucune réaction de la part de qui que ce soit au sein du clan et bientôt, tout à chacun admit que le bébé était la fille légitime d’Erana pour peu que quelqu’un s’intéresse à la question. Mais qui demanderait une telle chose ? Qui s’intéresserait à elle ? Ils étaient tous morts…
Le bébé grandit donc avec cette mère célibataire, suivit le clan, partagea le jeu des gamins de son âge et au fur et à mesure des années commença à comprendre certaines choses.
Elle comprit en premier qu’en ces terres régnait la loi du plus fort… et qu’il était bien peu appréciable d’être le faible, sa mère en faisant les frais régulièrement. Abandonnée, orpheline ou histoire de même acabit, Erena avait perdu père et mari il y a plusieurs années de cela, ne laissant pour cette dernière que le triste sort réservée à ceux sans protection. Car bien que Liare, la prétendue maman ne brillait pas au combat. Elle savait tenir une arme, enchaîner deux-trois parades, mais tout cela était bien moins que la normal. Aussi était-elle peu reconnue par les siens, ou simplement considérée comme un boulet que personne n’avait envie de se traîner dans les pattes. Ainsi donc nul ne la respectait, nul ne la considérait vraiment comme être vivant et le dégoût qu’inspirait la mère se reportait invariablement sur la fille. Bientôt Shana se trouva de plus en plus mise à l’écart par les enfants qui avaient naguère été ses amis, influencés par les paroles de leurs parents, ils ne souhaitaient guère traîner dans les parages de « celle qui n’est bonne qu’à défouler les hommes ». Parce que c’est tout à fait ce qui se passait au sein de son clan. Erena ne pouvait qu’être responsable de ses viols. Etait-ce la faute des hommes si elle ne savait pas se défendre correctement ?
Régulièrement donc, Shana entendait l'étoffe de la tente familiale bruisser au passage d’un guerrier et exiger de sa mère ce que sa femme (ou une autre femme) aurait refusé de faire. Et Erena, habituée à ce traitement, soumise aux conditions qui étaient les siennes se pliaient sans gré à leurs désirs :

-Tu comprends Shana, disait-elle lorsque sa fille lui somma de se défendre lors d’une nuit particulièrement douloureuse, si je n’accepte pas, ils me banniront. S’ils nous bannissent, quelle vie aurons-nous ? Non. La vie d’ici est régentée par le plus puissant. Celui qui est plus fort choisis ce que les plus faibles font. Ainsi va la vie.

Une phrase qui marqua à jamais la petite à l’innocence brisée.
Si sa mère était dans le bas de la chaîne alimentaire ici bas, Shana décida d’être au top. Loin d’elle l’idée d’accéder au pouvoir, cela ne l’intéressait d’aucune manière. Toutefois la jeune femme souhaita pouvoir forcer n’importe qui à exaucer ses désirs, à ne pas la toucher lorsqu’elle ne le désirait pas. Elle voulait se battre, combattre pour se protéger !
Ce fut le déclencheur de l’entrainement acharné qui commença alors. Ce n’était jamais assez, jamais suffisant. La future soldate ne rêvait que d’une chose, faire ravaler ces regards dédaigneux de tous ceux qui la considéraient encore comme ça mère.
Elle n’était et ne sera jamais cette loque incapable de prendre la décision de se protéger. Trop lâche pour seulement songer à dire non.

Shana grandit, passa ses années à s’entrainer et à agrandir le mépris que lui inspirait sa faible mère. Une femme esseulée qui se réfugiait souvent dans l’alcool ou dans les drogues pour oublier la réalité qui était la sienne. Une lâche !
Une lâche qui avait été incapable d’assumer sa fille, une lâche qui lui avait presque réservée le même destin qu’elle si la jeune femme n’avait pas eu autant de caractère. Qu’elle crève cette putain !
Cependant la demoiselle tournait en rond. Rien dans les limites restreintes de son clan ne la satisfaisait. Ils attaquaient trop peu souvent, préférant parfois faire des trocs entre village plutôt que des combats. Les hommes qui avaient essayé de l’approcher avait fini par la laisser tranquille après que la petite démone les ai mis plusieurs fois au tapis une fois qu’elle eu suffisamment de ressources. Oui, décidemment, elle s’ennuyait.
Ce fut de là qu’elle pris sa décision. Rien ne la retenait plus dans ce campement trop fade pour elle. Il lui fallait de l’action, montrer au monde entier qu’elle n’était pas comme ce déchet incarné par sa mère.
Elle était Shana !
Et elle apprendrait au monde que nul ne la prenait de haut !

Vagabonde pendant quelques temps, c’est tout naturellement que la jeune femme intégra les rangs du roi en tant que soldate. Les consignes y étaient limpides, les difficultés parfois grisantes et surtout, les principaux ordres consistaient à mener bataille.
Que demander de plus ?

Au jour où ces dernières lignes sont écrites, Shana se fraie lentement une place dans le respect de ses camarades depuis deux ans à présent.
Mais qui a dit que cela serait facile?