28 Filiota 1248

Ivinea trouvait l’idée des livres génialement absurde. Pouvoir stocker tout le savoir du monde était merveilleux, en plus ça ne prenait pas beaucoup de place ! Mais ce savoir n’était accessible qu’à ceux qui avaient la chance de savoir lire, et, plus gros problème encore, le papier était inflammable. Genre, très inflammable. Tout ce savoir, patiemment écrit dans des livres aux mêmes rassemblés dans des bibliothèques. Avec des étagères en bois. Et les couvertures n’étaient même pas ignifugées. Quelle drôle d’idée !

Ça ne l’avait pas empêchée de feuilleter admirativement tout ouvrage qui avait pu finir dans ses mains, avec toujours cette petite frustration de tenir la clef du savoir, décidément inaccessible à son esprit illettré. Elle appréciait donc tout particulièrement ceux qui avaient la bonne idée de contenir des illustrations, qui lui permettait au moins de se faire une vague idée de ce dont parlait le livre.

Elle était arrivée à Helpo une semaine auparavant, et avait essuyé les cris des enfants terrorisés par la présence d’une Liare. Elle avait réussi à les ignorer royalement, avec un panache tenant de l’habitude, tout en regrettant de causer ce genre de réactions partout où elle allait. Les gens ne semblait pas comprendre que non, elle ne comptait ni incendier leur ville, ni dévorer leurs enfants avec une sauce à la menthe. La situation la désespérait un peu, parce que le manque de relation sociale la faisait un peu souffrir, à force. Elle trouvait donc d’autres moyens de noyer sa solitude. Dans la chasse, et en voyageant sans cesse. A Helpo, elle avait trouvé une nouvelle source de distraction : une bibliothèque. Il fallut plusieurs jours et autant de promesses de services rendus et d’absence de risque de combustion spontanée pour réussir à convaincre la bibliothécaire, petite femme sèche au caractère en acier trempé, de la laisser franchir le seuil de la porte. Elle savait qu’elle ne le regretterait pas, même si elle devrait contenir toute saute d’humeur pour ne pas risquer de voir partir en fumée son nouveau coffre à jouets. Elle avait un peu peur de la réaction de la bibliothécaire aussi… La dame n’était vraiment pas commode pour une Humaine.

Cela faisait donc plusieurs jours qu’elle passait dans la bibliothèque, à la lumière d’une grande fenêtre qui lui permettait de mieux supporter l’enfermement (je vous jure, ces maisons de pierre lui faisaient l’effet d’une grotte sordide…) à écumer les livres de la section Zoologie. Un mot bien compliqué pour dire « qui parle des bestioles ». Beaucoup d’entre eux avaient des dessins représentant (plus ou moins bien d’ailleurs) l’animal en train de manger, chasser, s’occuper de ses petits ou de s’adonner à des actes qui auraient fait rougir les gens bienpensants d’Helpo. Ça se voyait qu’ils ne sortaient jamais de leur ville, eux. La bibliothécaire, très méfiante et acide le premier jour, s’était légèrement adoucie en ne constatant ni catastrophe, ni mort autour de son étrange visiteuse. Il faut dire que les autres lecteurs évitaient Ivinea comme la peste. Par adoucie, entendez qu’elle avait limité le nombre de remarques acerbes à son encontre et acceptait de répondre à ses questions, pas qu’elle venait prendre le thé avec elle en lui contant les derniers ragots. Dommage, la vie sociale de la vielle femme semblait aussi sèche que les parchemins qu’elle affectionnait, un peu de thé ne lui aurait peut-être pas fait de mal.

Ivinea fut donc bien surprise de l’entendre discuter avec un homme en lui racontant ses déboires en plus de deux phrases courtes :

- Voyez-vous, j’entends souvent une voix venir des rayonnages du fond. Elle n’est jamais assez claire pour que je puisse distinguer ce qu’elle dit… Une chose est sûre, je n’ai jamais réussi à attraper les voyous qui se permettent de parler à haute voix entre les rayonnages, à des heures parfois indues ! Certains de mes visiteurs viennent même me raconter que ce sont les livres qui parlent. Ce qu’ils inventent pour se rendre intéressants me laisse parfois pantoise...

Les voix s’éloignèrent et Ivinea tenta de se replonger dans son livre d’image (ça devait être un conte parce que le peu qu’elle comprenait était absurde), mais son esprit revenait sans cesse à la conversation qu’elle avait involontairement entendue. Elle avait promis à la bibliothécaire de lui rendre service. Peut-être pourrait-elle l’aider à attraper les coupables ?

Mots: 725

Les rayonnages sont infinis, la collection de cette bibliothèque n'a rien de modeste et l'entretien de ce lieu relève d'un véritable casse-tête. Les locaux sont au bord du délabrement et les courants d'air nombreux. Vous pourriez passer des heures au milieu des livres à parcourir les volumes en tentant de les déchiffrer que vous n'en entendriez pas un seul vous parler. Il n'y a ici aucun livre magique, seulement le murmure du vent.

Instructions

Il s'agit hélas d'une fausse rumeur. Tu peux clôturer le Rp.

Quand elle fut lassée de voir le preux chevalier engoncé dans la boîte de conserve qui lui servait d’armure embrocher lâchement des dragons endormis qui n’avaient certainement rien demandé, elle quitta son petit coin au soleil pour aller remettre le livre à sa place. Elle rejoignit l’accueil où se trouvait le plus souvent l’aride bibliothécaire, et après avoir vérifié qu’un enfant trouillard ne risquait pas de hurler en la voyant, se racla doucement la gorge pour attirer l’attention de la dame. Celle-ci leva les yeux de son livre et ne cacha pas son mécontentement. Ivinea ne releva pas et lui accorda son plus beau sourire (plein de dents pointues, une autre raison de faire pleurer les pauvres petits Parlems).

- Excusez-moi de vous déranger en pleine lecture. Je vous ai entendue parler tout à l’heure de gens qui s’introduisaient dans bibliothèque pendant la nuit. Vous avez besoin d’aide ?

- Encore en train d’essayer d’entrer dans mes bonnes grâces, vous ! Je fais déjà l’effort de vous accepter dans mon noble bâtiment, vous pourriez au moins faire l’effort de ne pas vous faire remarquer !

Ivinea ouvrit la bouche pour protester, elle avait franchement fait des efforts pour éviter de croiser les visiteurs (la bibliothécaire détestait qu’on vienne la déranger pour crier au monstre) et avait été des plus silencieuses ! Elle la ferma en voyant le regard de la dame se durcir, la défiant d’essayer de râler.

- Mais après tout, puisque vous proposez, j’avoue qu’un peu d’aide ne serait pas de refus. Je ne peux pas vraiment vous mettre à contribution pour classer des documents ou accueillir les visiteurs après tout, dit-elle en levant les yeux au ciel, montrant clairement ce qu’elle pensait des illettrés et des liares. On ne pouvait pas décemment leur confier une bibliothèque … Un travail de gardienne de nuit vous conviendrait mieux je pense. Ça ne demande pas de grande formation et les seuls visiteurs que vous croiserez n’auront rien à faire là.

Ivinea hocha la tête sans relever les remarques de la bibliothécaire. Elle était comme ca avec tout le monde, Liare ou pas. Elle faisait même partie des personnes qui la traitaient presque agréablement dans cette ville. Bon, elle ne connaissait pas grand monde, mais ce n’était pas évident quand la moitié des habitants la prenait pour le croque-mitaine et l’autre voulait lui jeter des pierres « pour la forme ».

- Revenez me voir au coucher du soleil et je vous montrerai ce que vous avez besoin de savoir. Ne soyez pas en retard !

Une fois de plus, Ivinea se contenta de hocher la tête. Elle avait trop de respect (et peut être une pointe de crainte ?) pour la dame pour trop délier sa langue. Et puis elle risquait de perdre les livres. Elle jeta un œil par la fenêtre et estima qu’elle avait encore quelques heures devant elle. Elle profita donc de ce temps pour s’éclipser et se trouver quelque chose à manger. La nuit promettait d’être longue.

Mots: 501

Lorsque le soleil darda ses derniers rayons au dessus des bâtiments d’Helpo, Ivinea se présenta à nouveau à la bibliothèque. Elle y retrouva son irascible érudite, qui pour une fois s’abstint de remarques désagréables.

- Le poste de gardien est vacant depuis un moment déjà. Travailler de nuit dans un bâtiment aussi grand ne plait pas à tout le monde, surtout que nous n’avons pas beaucoup de fonds pour la paye… C’est moi qui ai assuré le rôle depuis, mais il faut bien que je dorme !

Elle l’emmena dans un petit réduit situé à l’accueil et lui tendit une lanterne et un trousseau de clefs avant de reprendre.

- Vous n’aurez pas besoin de grand-chose de plus. Venez, je vais vous faire faire un tour de la bibliothèque.

Le bâtiment étant immense, la bibliothécaire se contenta de lui montrer le strict minimum. De toute façon, à part des livres et des parchemins et des étagères à perte de vies, il n’y avait pas grand-chose à voir. Enfin, si on omettait l’immense réserve qui s’étendait en labyrinthe sous la bibliothèque. Mais elle devait juste s’assurer que la porte était bien fermée. La bibliothécaire fit une remarque à propos qu’elle aurait à remplir si elle se perdait là dedans.

Une fois le tour terminé, elle fut abandonnée à son sort à l’accueil. La nuit était encore jeune et ne promettait pas de passer rapidement. Elle retourna donc le gros sablier qui devait lui tenir une heure et défit ses lames pour les entretenir, se laissant bercer par le doux chuintement de la pierre à affûter sur ses griffes.
Une première ronde.
Puis ce furent le tour des cuirs de recevoir un graissage bien mérité.
Deuxième ronde, la bibliothèque était toujours aussi calme.
Elle sortit un parchemin pas trop froissé et une mine de plomb et s’attela au dessin d’un Tanflamm s’attaquant à un Esifret.
La lune était haute et son griffonnage terminé quand il fut temps pour elle de partir pour sa troisième ronde.

On ne peut pas dire que l’activité était passionnante, et la Liare ne retint pas le bâillement qui lui fit craquer la mâchoire. Puis elle entendit un murmure. Elle se figea, tendant l’oreille. Peut-être se faisait-elle des idées et ce qu’elle entendait n’était que le souffle du vent entre les étagères grinçantes, peut être n’était-ce que le frottement des pages vieillissantes ? Peut-être, mais elle n’allait pas rater l’opportunité de rendre sa nuit un tant soit peu plus intéressante !

Elle éteint sa lanterne et reprit sa marche à pas de chat, faisant de son mieux pour réduire les grincements des planches sous ses pieds. A nouveau, un murmure. Elle ne l’avait pas rêvé celui-là ! L’espace d’un instant, elle se demanda si c’était les livres qui discutaient. Ca serait franchement étrange, mais après tout ce qu’elle avait vu depuis qu’elle avait traversé les montagnes, elle serait prête à admettre que les livres pouvaient parler et les fleurs chanter !

Le murmure se transforma en chuchotement. Plusieurs voix semblaient se répondre. A moins que ce ne soit quelqu’un discutant avec lui-même, mais ce serait une drôle d’idée. Ils étaient tout près maintenant. Ivinea s’accroupit pour pouvoir regarder entre les livres, cachée par l’ombre de la bibliothèque.

Haha ! Trois paires de bottes et la faible lueur d’une lampe lui révélèrent qu’elle ne les avait pas inventées ces voix ! Et la bibliothécaire non plus du coup. Certaines personnes venaient effectivement entre ces rayonnages a des heures indues. Et au vue de la pointure… Les coupables ne devaient ma être bien vieux. Ou alors ils étaient nains.
Elle tenta de se remémorer ce qu’elle devait faire en cas d’intrusion nocturne. À vrai dire, son souvenir de ce que lui avait dit la bibliothécaire était assez vague. Elle n’avait pas écouté très attentivement… Elle décida qu’elle improviserait sur le moment. Si les coupables ne faisaient rien de grave, elle les laisserait peut être filer avec un avertissement. Sinon, … Elle fit un sourire à l’idée de ligoter quelques de ces snobs de Parlems.

Toujours silencieuse comme une ombre, elle fit le tour de son étagère. Ils ne la regardaient pas, trop occupés à se battre de moins en moins discrètement des cartes à jouer. Sérieusement ? Ils jouaient aux cartes ? D’un mouvement vif, elle sortit de la couverture de l’obscurité et saisit les deux plus proches par le col. S’ensuivit un moment de confusion bientôt interrompu par le hurlement de trois gosses terrorisés par l’apparition démoniaque. Les deux mômes qu’elle tenait se déblatèrent faiblement sous sa poigne de faire tandis que le troisième, plus jeune avait fait un bond de deux mètres qui l’avait propulsé… Sur ses fesses. Là situations était assez comique. Pour une fois qu’Ivi pouvait décemment en profiter, elle ne se gêna pas. Elle les gratifia d’un grand sourire avant de les interpeler :

- Alors les mioches, on est pas dans son lit ? Vos parents vous ont jamais dit qu’il fallait pas traîner dehors la nuit ?
- Pitié madame, nous mangez pas ! couina le plus brave.

Elle leva les yeux au ciel à cette remarque. Mais qu’est-ce qu’on racontait aux enfants dans le pays pour qu’ils soient persuadés que les Liares mangeaient les gens ???

- Je mange pas les gens moi. Par contre je peux mettre des roustes aux enfants pas sages ! La bibliothèque est fermée la nuit et vous ne m’avez même pas demandé l’autorisation. Fichez moi le camp avant que je change d’avis !

Les trois gamins déguerpirent sans demander leur reste dès qu’elle les lâcha. Ils en oublièrent leur jeu de cartes. Elle soupira en les ramassant. La fin de la nuit allait être longue. Et elle venait de mettre à la porte sa seule distraction.

Mots: 960