Les mains sur le comptoir, Juliette tend le cou pour interpeller le tavernier :

- Jorberg j'ai un service à te demander.

Il termine de servir l'un des clients assis au comptoir puis la rejoins. Il tend lui aussi le cou pour embrasser la jeune femme et passe rapidement une main dans son dos.

- Te revoilà déjà ici, je te prépare une chambre ?

- Oui avec plaisir. J'ai besoin de ton aide pour trouver quelqu'un de discret qui pourrait m'accompagner sur une mission ici.

Les yeux de l'homme s’écarquillent de surprise :

- Tu as trouvé un trésor à Terna ? Tu ne te serais pas reconvertie dans des affaires plus louches ?

Juliette fronce le front et prend un ton fâché qui reste très amical :

- Pour qui me prends-tu ? Bien sûr que c'est un trésor oublié ! Pourrais-tu me recommander un Liare ? J'ai pensé à aller faire un tour du côté de la rue des volcans, mais je voulais d'abord venir vers toi.

Le tavernier se gratte le menton en réfléchissant, quand un client l'interpelle.

- Laisse moi réfléchir, je te sers quelque chose ?

- De l'eau simplement.

Il lui servit un grand verre d'une eau cristalline. Selon Juliette la qualité de l'eau d'une auberge en disait long sur la qualité des lieux. Cet endroit n'avait rien de très tape à l’œil, comme tous les endroits préférés de Juliette c'était un lieu simple, mais très bien entretenu et avec des produits de qualité. Ici il n'y avait pas de vagabond, quelques piliers de bar comme dans chaque taverne, mais l'endroit avait assez bonne réputation.

Juliette prit place sur l'une des chaises hautes en attendant que le tavernier ait terminé. L'une des serveuses le prit à part et il dut partir dans la salle. Elle venait à peine d'arriver en ville, rien ne l'a pressé. Elle avait voulu rentabiliser au maximum ce voyage, c'était tellement rare d'avoir à chercher une relique au coeur d'une ville comme celle-ci. Quand elle eut terminé son verre, le tavernier revient vers elle :

- Ces jours-ci il y a deux Liares, l'un est un mercenaire qui a du mal à passer les portes, pas sûr qu'il corresponde à ce que tu recherches, l'autre est accompagné d'une enfant, un drôle de duo. C'est quoi au juste ce trésor, tu peux bien me dire ?

- C'est une statuée sculptée dans une roche incandescente. Il n'y a qu'un Liare qui peut tenir cet objet.

- Avec tout ce que tu trouves tu n'as pas un gadget pour t'aider ? Des gants de super forgerons ?

Le tavernier est fier de sa blague et la conversation prend un peu plus de volume que ne l'aurait voulu Juliette, ils étaient déjà assez peu discrets comme ça.

- Ce que je trouves c'est pour des clients.

- Tu ne gardes rien pour toi ?

- C'est très rare et cette statuette c'est une commande qui est en attente depuis des mois. Comme Terna est une ville hétéroclite, je me suis dis que j'arriverais bien à trouver quelqu'un sur place. Bon je vais aller m'installer et me rafraîchir.

- Je te tiens au courant si je pense à quelqu'un. Tu pourrais aller voir du côté de l'Alambique retourné, c'est tenue par une amie à moi du pays du feu, elle pourra peut-être te recommander quelqu'un.

Il disparaît un instant sous le comptoir pour prendre une bouteille d'eau glacée qu'il tend à Juliette avec la clé de sa chambre. La surface est humide et glisse de ses doigts quand elle la saisit.

- Merci.

La marchande ne monte qu'un instant le temps de boire la moitié de la bouteille et de poser le lourd sac en bandoulière où se trouve ses affaires de rechange. En redescendant dans la salle, Juliette prend le temps d'observer les lieux. Elle traverse lentement la pièce en cherchant du regard un Liare, L'endroit est assez vide en ce début d'après-midi, cela ne sert à rien de s'attarder davantage pense-t-elle quand elle remarque le fameux duo dont lui a parlé le tavernier.

Un Liare avec une enfant doit avoir une certaine délicatesse en lui, c'est toujours mieux en tout cas qu'un mercenaire. Cela lui permettra de ne pas avoir à parcourir la ville et d'éviter d'ébruiter trop son histoire, Juliette s'avance vers eux sans aucune gêne pour tenter sa chance :

- Bonjour ! Vous venez d'arriver en ville ?

Depuis que l’auberge avait brûlée, la vie de Caleth et d’Elea avait grandement changée. Les deux avaient passé une petite semaine sur les lieux, triant les débris de l’incendie, s’occupant d’enterrer le pauvre homme qui s’était retrouvé bloqué dans la cuisine. Aucune autre personne n’avait perdue la vie mais il y avait eu quelques blessés. A son regard, Caleth avait soupçonné un incendie volontaire, et notamment le commerçant d’en face, il était cependant bien incapable de le prouver alors il s’était contenté d’un regard noir qui avait fait tressaillir l’homme sans lui adresser mot.

Ils avaient ensuite parcouru les plaines, ils avaient voyagé, rencontrés quelques menaces, quelques autres gens sympathiques, et, lors d’un incident particulièrement dangereux, Caleth avait fini par user de sa vérité, avant de tout expliquer à Elea. Bien sûr qu’elle avait trouvé le jeune Agaée un peu étrange… Elle ne s’était cependant jamais douté de sa véritable nature et l’avait acceptée comme s’il lui avait dit qu’il avait un jour volé une simple pomme, alors qu’il lui avait mentit durant plus d’une année.

A cause de leurs nombreuses péripéties parce qu’ils avaient l’air d’être des cibles faciles, le liare avait décidé de reprendre sa forme originelle pour mieux pouvoir protéger le bout de femme. Pour autant ils savaient très bien tous les deux qu’elle n’était pas faite pour vivre sur les routes comme lui en avait la capacité. Elle était une femme de ville, qui aimait la joyeuse compagnie et son travail en tant que serveuse. C’est dans cette optique que les deux s’étaient installés à Terna, pour trouver du travail à Elea… Caleth n’était pas encore bien sûr de ce qu’il allait faire après, rester ou partir, retourner en terres liares…

Dans tous les cas, à présent, lors de la saison qu’il appréciait le moins, les deux compères s’étaient installés dans une petite auberge de Terna. Assis dans la salle principale, Elea avait commandé un thé et se réchauffait alors que notre liare lui tenait la pierre de naira dans ses mains pour s’éviter d’avoir trop froid. Les deux étaient en train de discuter sur les différentes auberges qu’ils avaient croisés et lesquelles pourraient éventuellement plaire à Elea. Bizarrement, la jeune femme n’y mettait pas trop du sien, parce qu’elle savait bien évidemment que lorsqu’elle aurait trouvé chaussure à son pied, Caleth ne resterait plus bien longtemps.

Alors qu’ils parlaient, une femme vint les aborder sans aucune timidité apparente, en leur demandant simplement s’ils venaient d’arriver en ville. Quelqu’un qui voulait faire des rencontres ? Caleth l’observa. Plutôt grande, la peau pale, les cheveux noirs. Pas désagréable à regarder. Assez méfiant d’être abordé ainsi, les arnaques pouvaient être nombreuses en ville. Après, grâce à son cimeterre à la taille, en plus de sa musculature qui n'était pas très apparente mais dont on devinait aisément à travers sa cape, il n'était pas très souvent embêté...

« Oui, on est arrivés avant-hier ! Et vous ? Vous connaissez un peu la ville ? Vous voulez vous installer à côté de nous ? »

Et Elea, elle, était bien totalement différente de son acolyte qui n’avait pas décroché un mot mais qui se demandait parfois comment ce bout de femme de dix-sept ans avait pu survivre dans ce bas monde.

Juliette tira la chaise à côté d'elle en la remerciant et s'assit à côté du Liare. Plus grand qu'un homme, celui-ci devait malgré tout passer aisément les portes. Elle note qu'il n'avait pas de cornes contrairement à ceux des légendes, mais la peau grise de son visage ne laissait aucun doute quant à son appartenance au peuple du feu. Après un bref sourire de courtoisie, elle répondit à la demoiselle :

- Plutôt bien, j'y passe régulièrement pour mes affaires. Je suis arrivée aujourd'hui et je vais être directe avec vous, vous comprendrez que je n'aime pas perdre mon temps.  

Son regard se détourna vers le Liare :

- Je recherche un Liare pour m'aider dans une affaire.  

Juliette baissa d'un ton, l'aubergiste avait été assez bruyant comme cela. Il n'y avait pas beaucoup de monde dans la salle principale, la plupart buvaient leur verre ou jouaient silencieusement :

- Connaissez-vous la statuette d'Emilie ?  

L'objet daté du début de la monarchie Liare, bien avant que la tyrannie ne s'installe. Sculptée par l'alchimiste Léonas Del Mark pour sa fiancée, il avait utilisé une solaria très puissante rendant la statuette incandescente. Il n'avait jamais pu l'offrir à sa bien aimée, car elle choisit la proposition d'un autre. Léonas parti en exil et c'est à Terna que Juliette retrouva sa trace. Il lui fallut de nombreux mois de recherche pour découvrir l'emplacement de son atelier caché dans les égouts de la ville.

Elle n'était pas sûre de ce qu'elle allait trouver. Rien n'était jamais sûr dans ce genre d'affaires, mais si elle avait vu juste et que l'atelier était toujours là, alors ce Liare lui serait nécessaire pour parvenir à ramener la relique. Il fallait qu'elle réussisse à le convaincre de l'accompagner dans un endroit pouasseux et rempli d'eau. Elle avait réussi à trouver des plans des égouts et trouver un chemin vers l'atelier assez sûr, peut-être le même qu'utilisé l'alchimiste, mais il allait falloir être convaincant.

Juliette sortit de l'intérieur de sa veste une petite bourse d'or. Elle en avait prévu plusieurs selon les circonstances, elle voulait vraiment ajouter cette relique à son tableau de chasse. Cette statuette était l'une des plus puissantes solaria restantes sur Madelle, son client lui avait promis une petite fortune pour la lui trouver. Elle n'avait pas l'intention de duper le Liare, ce n'était pas dans ses habitudes, la bourse qu'elle posa sur la table n'était qu'un premier paiement, elle la poussa vers le Liare en lui expliquant :

- J'ai besoin d'un Liare pour m'aider à la retrouver. Je sais où elle se trouve, mais la solaria dans laquelle elle a été sculptée est trop puissante pour que je puisse la tenir. Je vous parlerais bien plus en détails de l'histoire de cette statuette si vous le voulez, mais je tiens à être claire. L'atelier de l'alchimiste est dans les égouts, j'ai trouvé un chemin sûr pour ceux comme vous, mais cela reste dangereux bien qu'il ne s'agisse que d'aller chercher un objet dans un endroit oublié. Êtes-vous partant ?

Pourquoi Elea avait proposé à cette femme qu’ils ne connaissaient pas de venir s’installer ici ? Juste pour discuter ? Caleth haussa un sourcil, mais soit. C’est vrai qu’elle n’avait plus vraiment l’occasion de rencontrer beaucoup de monde depuis que l’auberge avait brûlé. Cela dit Caleth se demandait pourquoi la femme avait préféré s’asseoir à côté de lui alors qu’il ne lui avait pas adressé la parole mais il le comprit bien vite, car, comme elle venait de le dire, elle était plutôt directe comme personne, ainsi, mentionna t-elle directement qu’elle cherchait un liare et parla d’une statuette.

« Non, je ne connais pas. »

Caleth n’était pas du genre à s’intéresser trop fortement aux biens anciens de son peuple, surtout quand il n’y en avait plus vraiment de trace, c’était un tout autre savoir qu’il avait développé auprès des siens… Un savoir guerrier ou les statuettes n’avaient pas leur place.

Observant simplement la bourse d’or posée à même la table, Caleth écoutait la suite de sa demande. Ainsi, c’était un problème de température, elle savait où elle était mais ne pouvait pas la toucher. Le souci étant que l’atelier était dans les égouts et donc… Il y avait de l’eau. Le danger n’était pas quelque chose qui le dérangeait mais… Il n’avait plus fait de mission de mercenariat depuis si… Longtemps qu’il avait presque oublié cette sensation. Cela lui fit étrange. S’il avait été seul, peut-être aurait-il accepté, mais là, il ne l’était pas, son regard se dirigeait vers Elea.

« C’est plutôt dangereux, non ?
- J’ai déjà fais pire. La demoiselle ne savait pas encore tout… Mais ça pourrait t’aider à t’installer ici.
- Hmm… Et je suppose que je ne viens pas…
- Non. » Il n’y avait pas plus catégorique.

Elea fit une petite moue. Elle n’aimait pas la potentialité d’être séparée mais il fallait se rendre compte que… Ce n’était pas un lieu et un mode de vie que Caleth aimait, même s’il était rassurant et tranquille…

Caleth ne considérait pas vraiment avoir besoin d’argent, alors, si ça permettait à Elea de louer une boutique ou quelque chose comme ça, cela valait le coup.

« Soit. Je suis partant. »

C'était un duo improbable, le liare semblait agir comme un grand frère pour la jeune humaine. Juliette s'estima chanceuse d'être tombée sur eux, ils n'avaient pas l'air d'être le genre de personnes prêtes à faire un coup bas. L'argent qu'elle avait déposé sur la table était assez éloquent pour comprendre que cette relique n'était pas une babiole insignifiante. Comme il n'avait pas posé de questions à son sujet, elle préféra ne pas trop en dire sur l'importance de cette statuette.

Elle les laissa discuter de la proposition et fut rassurée que la demoiselle ne soit pas de la partie, cette mission nécessitait de la discrétion, moins ils étaient, mieux ce serait. Une expression ravie se dessina sur le visage de la marchande quand le liare accepta.

- Merveilleux. Nous partirons ce soir à la faveur de la nuit pour ne pas attirer les indiscrets.

Cela avait été bien plus rapide qu'elle ne l'avait espéré, cela lui laissait amplement le temps de trouver une solution pour le transport de la statuette. Peut-être que le liare pouvait l'aider à ce sujet aussi, ça ne coûtait rien de lui demander :

- J'aurai une autre requête à vous demander, c'est une question assez personnelle, mais par hasard auriez-vous une Vérité qui pourrait m'aider à transporter la statuette ? J'ai entendu des histoires de Vérité de feu sous forme de magma solide et froid. Je vous paierais un peu plus cela va de soit.

S'il n'était pas en mesure de l'aider à ce point, elle n'aurait qu'à faire un tour dans la rue des liares, là-bas elle devrait trouver son bonheur, mais à quel prix. La solaria de la statuette était censée être très puissante, elle devrait être capable de contenir sa puissance. Il fallait qu'elle fasse attention à ne pas se faire arnaquer, or s'il y avait bien un type d'objets qu'elle ne connaissait pas trop, c'était bien ceux des liares. Si ses recherches l'avaient mené dans le pays du feu, elle n'y aurait très certainement pas donné suite.

Elle avait sauté sur l'occasion car l'objet se trouvait sur les terres des humains et même l'une des régions les plus calmes et accueillantes. Juliette hésita à sortir sa bouteille d'eau de son sac, quand le tavernier arriva avec un verre frais qu'il posa avec précaution. Elle le but d'une traite préférant éviter de laisser un tel liquide sur la table d'un liare.

- Ça ne fait rien si vous ne pouvez pas, je vais bien trouver une solution avant demain, la ville est grande. Vous venez d'arriver, mais peut-être que vous pourriez m'aider à trouver l'objet parfait pour transporter la statuette ?

La marchande glissa son regard vers la demoiselle :

- Quand pensez-vous ?  

Son avis semblait compter pour le liare, Juliette l'avait quelque peu ignoré, car elle ne lui trouvait aucun intérêt, mais si elle était importante pour le liare, alors elle se devait bien de lui montrer un minimum d'égard pour ne pas la froisser et risquer de braquer son coéquipier d'un soir.

- Je m'appelle Juliette Célian, marchande du port d'Acretis. J'aurai dû commencer par là.

Elle tendit sa main à la jeune femme en premier.

Caleth avait plutôt rapidement accepté même s’il ne savait pas s’il pouvait faire confiance à cette femme. Sa première impression n’était pas mauvaise mais il savait se méfier de ce genre de sentiment. Elle préférait partir la nuit et ce n’était pas pour déranger Caleth, il hocha donc la tête à ces propos. S’il s’était attendu à se faire engager pour ce genre de travail à peine arrivé dans la ville… Enfin, c’était peut-être une bonne chose. Elle ajouta une question qui n’était pas sans cohérence, en effet, si elle ne pouvait pas toucher la statuette, elle ne pouvait pas non plus la transporter.

« Ma vérité est sous forme de feu. Cependant, il est peut-être possible que je fasse fondre des pierres pour créer un grand récipient. Du moins, si elles ne fondent pas à son contact. »

C’était la première idée qui lui était venue à l’esprit, et il ne savait pas si cela fonctionnerait. Ce n’était pas forcément dans une réelle volonté de se faire payer plus mais s’il pouvait faire gagner quelques pièces en plus à Elea, alors pourquoi pas. Il avait déjà fait des missions de mercenariat et, avoir une réputation de personne fiable était plutôt une bonne chose, même s’il n’avait pas tout à fait envie qu’on le connaisse.  

Elea, elle, ne s’attendait pas à ce qu’on lui pose une question sur le sujet. Déjà qu’elle avait encore du mal à se faire à la nouvelle apparence de son ami…

« Oh, moi je ne m’y connais pas vraiment en objets liares… »

Elle lui serra la main « Elea »

Et Caleth en fit de même en suite.

« Caleth »

La jeune femme ajouta à sa suite, histoire de ne pas dire que les prénoms.

« Nous ne sommes que des voyageurs. Enfin, même si je pense rester par ici à présent. »

La Vérité du liare semblait très intéressante, pouvoir faire fondre la pierre pouvait être si pratique lorsqu'on explorait des temples abandonnés à moitié ensevelis par le temps. En revanche, la mine dubitative qu'elle fit à peine quelques secondes laissait trahir son inquiétude. D'après la légende, la solaria de cette statuette était aussi puissante que la Vérité des liares. Elle n'avait pas envie de prendre le risque, trouver un compagnon d'infortune avait été si rapide, qu'elle avait tout le temps de trouver quelque chose en ville :

- Hm, si vous n’êtes pas certain de vous, je préfère d'en ce cas acheter quelque chose en ville.

Elle ajouta après qu'ils se soient présentés en regardant la bourse sur la table :

- Ceci n'est qu'un premier paiement. Si cela vous convient, vous obtiendrez la même somme quand la statuette sera en sécurité sur mon navire. Cela devrait vous aider à commencer votre installation en ville.

Ayant quelques minutes devant elle et aimant en connaître un minimum les gens avec qui elle travaillait, Juliette se permit d'être indiscrète :

- Terna est une ville vraiment fabuleuse, je peux vous comprendre, si je n'étais pas attachée à la mer, je me serais sûrement installée à Terna ou peut-être Deoli pour garder un pied dans l'eau. Et que comptez-vous faire dans cette grande ville ?

Instaurer une relation de confiance avec ses collaborateurs était essentielle pour la marchande afin de partir en mission plus sereine. Même si la jeune femme n'allait pas être présente lors de l'exploration des égouts, Juliette était persuadée qu'en apprendre un peu plus sur elle lui permettrait de mieux comprendre le liare. Il n'était pas très loquace, alors si elle voulait avoir un minimum d'informations sur eux elle n'avait de toute manière pas le choix. Au moins il avait bien l'air de quelqu'un de discret ce qui était rassurant pour leur mission.

Elle avait tout de même besoin d'en savoir plus sur eux, le fait d'être dépendante d'une personne rencontré au cours de la matinée ne l'enchantait pas. Après tout les meilleurs escrocs étaient les plus sympathiques. Elle comptait beaucoup sur sa Vérité de l'eau en cas de problème, mais elle restait une marchande avant tout et le liare qui était à côté d'elle en revanche avait tout l'air d'une personne sachant manier les armes. Ce duo était peut-être charmant et Juliette était obligée d'accorder sa confiance à un inconnu, mais une certaine inquiétude ne la quittait pas.

Caleth n’était en effet pas certain que la pierre ne fondrait pas et il avait préféré le dire. Il n’était pas le genre à grapiller quelques pièces en plus s’il n’était pas sûr de pouvoir rendre le service.  Il hocha simplement la tête. Il serait bien embêté si sa façon de faire ne marcherait pas une fois l’objet en main. La discussion se centra ensuite un moment sur l’argent. Ils auraient donc le double de la somme ? Eh bien, l’objet devait être intéressant. Caleth se demanda un instant pourquoi quelqu’un qui n’était pas un liare s’intéressait aux objets de cette culture mais il garda la question. Il la poserait sans doute plus tard, il préférait, contrairement à la demoiselle, ne pas vraiment faire preuve de curiosité. Ce n’était pas pour cela qu’il était gêné face aux questions posées.

Comme l’on pouvait s’en douter, ce fut Elea qui répondit à la question. Caleth prit l’argent, histoire de ne pas laisser une telle somme sur la table. Il aurait pu la confier à Elea, mais il préférait que quelqu’un essaye de l’attaquer lui pour l’argent plutôt que la demoiselle qui ne savait rien tenir d’autre qu’un balai – et ceci n’est pas machiste, c’est la pure vérité.

« Je vais ouvrir une auberge. Du moins, j’aimerais. Nous avions une auberge a Helpo… Malheureusement, elle a brulé. Alors on a quitté la ville, voyagé un peu, et j’aimerais m’installer ici. »

La jeune femme avait dit cela sans quitter son sourire mais avec une pointe de tristesse. Après tout son père était décédé dans les flammes. Elle ne perdit cependant pas la parole et posa elle aussi une petite question.

« Et vous avez dit être marchande c’est ça ? C’est pour ça que vous désirez cette statuette ? »

C’est vrai que Caleth n’y avait pas vraiment pensé, mais peu lui importait qu’elle revende ce qu’il allait aider à récupérer. Contrairement à d’autres qui auraient pu se dire que la statuette vaudrait plus cher que le paiement et qu’il était donc plus gratifiant d’aller la chercher. Le liare avait déjà fait quelques sales coups, notamment lorsqu’il avait récupéré la pierre qui lui permettait de prendre l’apparence d’un enfant, pour autant, ce n’était pas comme ça qu’il fonctionnait en temps normal.

Le regard de Juliette se remplit de compassion lorsqu'Elea mentionna son auberge brûlée.

- Vous êtes courageuse d'être prête à tout reprendre à zéro ici.

Elle n'imaginait pas la détresse que l'on pouvait ressentir en voyant son chez-soi partir en fumée. Même si elle était une héléo, elle redoutait elle aussi de voir un jour sa toiture prendre feu. C'est pourquoi elle avait choisi une bâtisse en pierres, il lui avait fallu du temps pour récolter l'argent et plus encore pour trouver l'endroit idéal. Le fait qu'Elea et Caleth rejoignent cette mission pour espérer construire eux aussi un nouveau foyer adoucie la méfiance de la marchande. Cela lui changeait tellement des personnages avides de gloire et de fortune avec lesquels elle avait l'habitude de travailler.

Heureuse de cette rencontre, elle n'eut aucune réticence à se dévoiler quand Elea lui demanda à son tour quels étaient ses motivations :

- Tout à fait ! Je recherche des reliques perdues. Très souvent comme pour cette statuette, il s'agit d'une commande. Cela fait plus de six mois qu'on m'a contacté pour retrouver la statuette de Léonas Del Mark.

L'endroit était toujours aussi calme, quelqu'un venait même de partir. Juliette ne put s'empêcher de saisir cette occasion pour parler un peu plus de l'objet de sa convoitise. Elle avait toujours été attirée par les objets ayant une histoire plutôt qu'une réelle valeur en or ou en pierreries. Si sa boutique s'était transformée en dépôt d'objets anciens c'était bien pour cette raison. Même si la majeure partie de ses expésitions concernaient des commandes, il lui restait toujours un peu de temps pour partir à l'aventure de son côté. Dès qu'elle arrivait à mettre un peu d'argent de côté, elle s'en servait pour rechercher de précieuses reliques à ses yeux.

- Voyez-vous, même si cette statuette est particulièrement puissante, je ne vends pas d'armes ou d'objets redoutables. Ce sont avant tout des histoires que je vends à mes clients, chaque objet exposé dans ma boutique a été un jour entre les mains des grands de ce monde. Léonas Del Mark était un alchimiste reconnu de son temps. Il a sculpté lui-même une puissance solaria en une statuette de femme à l'effigie de sa fiancée pour rendre hommage à sa beauté qui enflammait les cœurs. Malheureusement la belle l'a éconduis et en a choisi un autre pour époux. L'alchimiste a conservé la statuette dans son atelier jusqu'à sa mort. C'est un jeune noble qui m'a passé cette commande.

D'ordinaire, Juliette préférait ne pas parler de ses clients. C'était une règle tacite qu'elle s'était imposée pour éviter tout problème. Elle ne révélait jamais aucun nom et encore moins la raison de cette recherche en dehors de ses employés. Et encore, même avec eux, elle se contentait bien souvent du strict nécessaire. Il n'y avait qu'avec Elsa et la capitaine qu'elle se laissait aller aux confidences. Pourtant cette fois elle fit une exception, pas sur l'anonymat, elle gardait une certaine déontologie, mais la raison de cette commande était si amusante qu'elle voulait la partager à ses nouveaux collaborateurs :

- Il souhaite l'offrir à une jeune femme déjà fiancé. Vous comprendrez son geste. Tant de romantisme et de tragédie pour un si petit objet qui au final n'est qu'un caillou brûlant. Je trouve ça véritablement charmant et j'espère bien réussir à l'aider avant que la belle ne se marie.

Elle se garda d'ajouter par principe de confidentialité que la cérémonie avait lieu dans trois semaines. Elle avait aussi suffisamment parlé, quand on la lançait sur ses histoires d'expéditions et d'objets perdus, Juliette était inarrêtable.

Lorsque Juliette lui disait qu’elle était courageuse, Elea ne pu s’empêcher de rougir un peu sans rien ajouter. Elle était plutôt humble et n’était donc pas du genre à approfondir lorsqu’on lui faisait un compliment. Au fur et à mesure de la conversation, l’ambiance avait l’air de se détendre, certainement grâce à l’amabilité d’Elea qui tranchait clairement avec le peu de conversation qu’avait Caleth, sans pourtant être désagréable, pouvait perdre rapidement ses interlocuteurs.

La marchande, à la question de la jeune humaine n’hésita pas à donner plus de détails sur son activité. C’était donc un client qui l’avait contacté pour avoir cette statuette. Ses explications avaient l’air plutôt sincères. L’amour n’était pas vraiment quelque chose qui parlait au liare, contrairement à Elea qui avait déjà des étoiles plein les yeux grâce à l’histoire qu’elle leur racontait. Le seul homme du groupe était bien plus faits. Pour autant il ne pourrait pas dire que l’histoire ne l’intéressait pas, mais il aura bien plus du mal à le manifester, ou à comprendre la logique du client.

« Ohh, c’est beau ! Haha, Cal’, fais de ton mieux pour ce monsieur, haha ! »

La jeune femme lui donna un amical coup de coude et il haussa un sourcil, elle avait parfois des réactions étranges. Et lui aussi, ça mais… Il n’était pas du genre à sourire en public mais devant la motivation de l’humaine son regard s’adoucit un peu. De toute façon il avait l’intention de faire de son mieux pour permettre à Elea de recevoir une somme d’argent pour redémarrer une auberge et une nouvelle vie.

Le tout expliqué, Caleth se leva ensuite. « Je vais aller m’occuper de Nikarê et me préparer. On est dans la chambre 12, à ce soir. »

En effet, la bêbête qui se trouvait dans la chambre devait attendre impatiemment de pouvoir sortir. Il ne préférait pas qu’il se promène tranquillement dehors, au risque d’être volé ou bien autre chose… Nikarê devait se dépenser, c’était un Tanflamm, pas un chien de compagnie alors Caleth descendait avec lui pour aller un peu plus loin et s’entraîner un peu en sa compagnie.

Une fois que cela fut fait, il pu enfin retourner à l’auberge et revoir Elea. Il allait se changer, il faisait un peu froid dehors, alors il devait s’habiller en conséquence. Cela éviterait aussi de se faire éclaboussé par l’eau.

Une fois prêt, c’est avec son arme qu’il se rendit en bas pour attendre la marchande.