Au milieu de ces paysages décharnés, mornes et inhospitaliers, les Récleyés régnaient en maitre depuis des décennies. Le jeune Aaron était le digne rejeton de Danaé et Nàthan Sihn. Les membres de cette famille vivaient aisément par rapport aux citoyens "lambdas", bien que restants affiliés comme tous les autres au Ténébreux. Malgré le grand respect que cette lignée inspirait, les mauvaises langues n'hésitaient pas à répandre des rumeurs sur le passé hautement religieux que traînaient les Sihn derrière eux depuis... ce sinistre jour.

15 ans avant la naissance du jeune garçon, Danaé avait accouché de Lydia. Cette petite fille au teint pâle et aux cheveux d'ébène avait été choyée et faisait la fierté de la famille. Elle était belle, intelligente et surtout, déterminée à faire honneur aux Sihn. Son entrée à l'académie se fit sans encombre. Une élève disciplinée, réfléchit et prometteuse sur bien des aspects. Mais cette jeune Récleyès avait un défaut extrêmement gênant : sa curiosité maladive envers la déesse mère. Pas un jour ne se passait sans qu'elle ne se pose des questions sur cette divinité qui était tue au sein de la confrérie. Lydia ne cessait de voir en cette déesse l'incarnation du destin et du sens de chaque chose créée sur madelle. Pour elle, nié une telle entité revenait à nié la vie elle-même. En outre, la jeune fille ne pouvait concevoir une telle absurdité de la part des Récleyès. Et pourtant, il fallait continuer à vivre avec cette barrière malsaine. Révélé son adoration pour la déesse mère était passible de mort. Hélas, même en connaissance de cause, Lydia ne cessait de jouer avec le feu. Si elle avait pu s'éviter énormément d'ennuis durant son enfance, elle ne pût échapper à la fatalité ce fameux soir.

Alors que le vent frappait de toute sa puissance sur les parois de la tour sombre, une chandelle demeurait allumée, malgré le couvre-feu. Un susurrement très léger résonnait dans le calme qui régnait à l'intérieur. Cette nuit-là, hormis la tempête, personne n'entendait ce qui se passait. Cependant, l'académie n'était pas totalement endormie. Un garde qui effectuait sa ronde nocturne repéra une vague lueur au détour d'un couloir. Il s'approcha de la source de lumière qui traçait un faible trait sous une porte en bois. C'est en l'ouvrant qu'il surprit Lydia, éveillée, et tenant un ouvrage dans ses mains

La jeune fille priait. Elle récitait un manuscrit sacré, recensant les préceptes de la déesse interdite. Le garde eût à peine le temps de réagir face à cette vision blasphématoire, que l'élève se rua sur lui et le poignarda sauvagement, avant qu'il n'eût le temps d'appeler des renforts. Après avoir traîné péniblement le cadavre dans la pièce où elle était, Lydia referma la porte derrière elle et disparu dans la nature.

Depuis cette nuit, personne n'a su par quel concours de circonstances la jeune fille à réussi à s'enfuir de cette tour imprenable surveillée par des soldats armés jusqu'aux dents. On a pendant longtemps supposé qu'elle était morte. Les terres inexplorées constituaient un vrai labyrinthe, et une jeune fille d'à peine 14 ans n'avait aucune chance d'y survivre. Mais les alentours avaient été passés au peigne fin, et aucun élément n'avait été trouvé concernant sa présence. A croire qu'elle avait vraiment réussi à s'enfuir pour de bon.

Bien évidemment, les Sihn ont manqué de peu la sentence de la mort à la suite d'un acte aussi odieux envers les Récleyès. Fort heureusement, ce fâcheux événement n'a pas été ébruité, et la famille conserva son image de citoyen modèle, en grande partie tout du moins. En échange de leur libération, la hiérarchie Récleyès exigea d'eux un nouvel enfant. Un enfant pur, à l'éducation stricte, et à la fidélité sans faille.



Aaron naquit un an après le drame. Son enfance ne fût pas des plus tranquille. Entraînement, respect, et rigueur. Voilà de quoi était constitué le quotidien du jeune garçon. Quand ce n'était pas les coups de bâton, c'était les brimades. Quand ce n'était pas les brimades, c'était les coups de poing, et ainsi de suite. De ce fait, le jeune Récleyés ne se posait pas la moindre question. Depuis tout petit, on lui répétait sans cesse que la confrérie désirait des hommes forts et courageux. Ce qui ne manqua pas de le marquer au fer rouge, tant par ces cicatrices physiques que sur son tempérament.

Plus les semaines défilaient, plus ses parents faisaient pression sur leur fils. Chaque jour le rapprochait un peut plus de l'âge pour entrer à l'académie. Etant fils unique (tout du moins, c'est ce qu'on lui faisait croire), le jeune garçon portait sur ses épaules le poids de la relève familiale à lui tout seul. Dès sa naissance, son destin était scellé. Officiellement, il rejoindrait l'armée du ténébreux et porterait l'étendard de la confrérie. Officieusement, il était de son devoir de redorer le blason souillé des Sihn. Les saisons défilaient petit à petit, et Aaron atteignit rapidement son treizième anniversaire.


Tous les éléments se présentèrent à lui : l'uniforme, l'intégration à la tour sombre, et surtout, l'initiation. Son père avait beau lui avoir parlé de cette cérémonie maintes fois, le jeune homme était loin de s'imaginer l'intensité d'un tel évènement. S'il y a bien une sensation dont  Aaron se souvient, c'est celle de la douleur. Il avait hurlé de toutes ses forces, dans l'indifférence la plus totale.

Sa vérité fût libérée. Les yeux gris du jeune homme avait progressivement changé de couleur. Même après quelques jours passés au sein de la tour sombre, le jeune Récleyés ignorait quelles étaient ses capacités, au point qu'on le soupçonna de n'avoir aucun pouvoir. Heureusement pour lui, il compris rapidement au fur et à mesure des entraînements qu'il avait la faculté de se déplacer rapidement dans l'espace. Afin qu'il puisse s'épanouir dans de bonnes conditions, les instructeurs d'Aaron firent en sorte que ce dernier ressente sa vérité naturellement, et qu'il puisse ainsi la commander par instinct.

Ils sollicitaient donc régulièrement la réactivité de cet élève en le forçant à esquiver et à parer de plus en plus vite. Aaron acquit au fur et à mesure des combats une agilité et une dextérité surprenante. En revanche, il avait d'énorme difficulté à attaquer. En effet, ses capacités offensives étaient bien trop insuffisantes. Malgré les efforts acharnés de ses enseignants pour rendre le gaillard plus fort, sa puissance physique restait clairement en dessous de ce qu'on pouvait attendre d'un soldat. Finalement, ils se focalisèrent plus en détail sur la grande réactivité et la vivacité du jeune garçon, en dépit de la force brute.



Arrivé à terme des trois années passées à l'académie, Aaron se vit confier un poste d'espion, au vu de sa vérité qui lui conférait une mobilité non-négligeable. A peine un an après la fin de son apprentissage, diverses missions d'exploration lui furent attribuées. Malgré son expérience inexistante sur le terrain, le jeune garçon apprit à aiguiser son regard ainsi que sa discrétion.  

Il réussi à plusieurs reprises à transmettre des informations précieuses à la hiérarchie Récleyés. Il se fit d'ailleurs remarqué par les supérieurs de son unité, qui ne manquaient pas de le féliciter du succès avec lequel il enchaînait les missions. Mais à trop vouloir bien faire, Aaron eût la vie de plus en plus difficile. Les endroits dans lesquels on l'envoyait étaient devenus bien trop dangereux. Terrain difficile à parcourir, créatures difformes et agressives sur le chemin, gardes ennemis à proximité, en outre, la mort rôdait sur chaque parcelle de terre.



Ce qui devait arriver, arriva. A l'aube de ses 21 ans, le jeune homme fût blessé. Alors qu'il patrouillait autour d'une forteresse non-loin de Faras, un archer lui décocha une flèche dans l'épaule. Aaron eût tout juste le temps de se replier. Fort heureusement, sa couverture n'était pas totalement tombé à l'eau. Le soldat semblait l'avoir prit pour un simple brigand. Il se dirigea péniblement en direction des terres inexplorées. Ses forces l'abandonnaient peu à peu. Le jeune Récleyés n'avais plus l'énergie nécessaire pour utiliser sa vérité. De longues minutes de marche s'écoulèrent, et le jeune homme fini par s'adosser contre un arbre, la main posée sur son épaule qui saignait abondamment.

Sa vision se troubla, puis noircit, pour enfin se plonger dans les ténèbres. Au milieu des abysses, une voix semblait lui parler. Aaron ne la reconnaissait pas.

- Qui... qui est là ?

"Aaron... Aaron."

Le jeune homme pensait alors qu'il nageait en plein délire. Peut-être que c'était vraiment la fin. Au final, cet écho n'était peut-être que le reflet d'une quelconque divinité prête à arracher sa vie. Non, il y avait autre chose. Un sentiment qu'il n'avait jamais connu avant. Celui de la solitude. Cette voix... c'est comme si elle était venue l'aider à lutter. Mais elle n'était personne, tout comme lui, perdu dans ce brouillard glacial.

"Lydia !"

Ce nom résonna dans la tête du jeune homme. Il le sentait se cogner dans chaque coin de son crâne, de plus en plus fort.

"Lydia ! Lydia !"

Aaron se boucha les oreilles. Mais cette voix était comme gravée à l'intérieur de lui. Alors il hurla de toutes ses forces pour la faire taire. Il criait, encore et encore, se tenant la tête de peur qu'elle n'explose.

- Tais-toi !!!

Aaron ouvrit les yeux. Il était chez lui, dans son lit. Son épaule le faisait toujours atrocement souffrir, mais la plaie était pansée, et la flèche avait disparu. Il avait échoué, sa mission était un fiasco sur toute la ligne. Il n'avait même plus la force de se lever. Malgré tout, le jeune homme tenta au moins de se mettre assis, mais en vain. Il fallait pourtant continuer. La guerre se préparait, et il était hors de question de se prélasser. Mais son corps refusait toujours de bouger. Alors il resta cloitré là, attendant d'être capable de bouger. La porte de sa chambre s'ouvrit dans un léger grincement, et une silhouette des plus familière se présenta à lui.

- Tu es réveillé.

- Bonjour, père...


Cela faisait presque huit ans qu'il n'avait pas donné signe de vie à ses parents. Et le voilà qui était revenu au point de départ. Pour combien de temps encore ? Il ne le savait pas. Quoi qu'il en soit, Aaron n'avait nullement envie de s'éterniser dans cet endroit emplit de souvenirs plus douloureux les uns que les autres. Nathàn lui lança son habituel regard méprisant.

- Blessé par un vulgaire archer, pitoyable...

- Ravi de te revoir également.

Le jeune Récleyés eût à peine le temps de finir sa raillerie. En un éclair, le poing de son paternelle se logea rapidement sur la petite table qui se fendit en deux dans un vacarme assourdissant.  Malgré le poids des âges, son père était resté fort, très fort. Mieux valait éviter de le provoquer.

- Tu comptais revenir un jour ?

- ... J'ai... j'ai échoué...

Le père du jeune homme soupira.

- Où est mère ?

Le silence s'installa quelques secondes. Aaron comprit et n'insista pas. Malgré la gravité de la situation dans laquelle était sa famille, le jeune homme n'arrivait pas à réaliser ce qui s'était passé. Il n'avait jamais eu la moindre proximité avec ses parents. "Parents". Voilà un terme que l'on pourrait facilement qualifié d'euphémisme. Pas une marque d'affection, jamais un sourire, rien... uniquement la douleur. Au moins, son père s'était donné corps-et-âme pour faire de son fils un membre à part de l'armée du Ténébreux. Quant à Danaé, la seule peine qu'elle s'était donnée fût celle de le mettre au monde. Il n'y avait pas plus étranger pour lui que cette famille.

Nathàn repris la parole.

- Ton idiotie t'a sauvé la mise pour cette fois. Après ton accident, l'armée a réussi à te retrouver et à localiser la position de la forteresse. En un sens, tu as quand même servi à quelque chose dans cette histoire.

Aaron se frotta machinalement la tête. La voix était partie, mais il sentait toujours sa présence, comme si quelqu'un habitait dans sa tête. Constatant le peu de réactivité de la part de son fils, Nathàn continua de parler.

- Cependant, tu dois pour l'instant rester ici. Plusieurs semaines de soins seront nécessaires pour que tu sois de nouveau sur pieds.

Le jeune homme ne répondit pas. Il était déjà bien trop occupé a trouvé un moyen de partir d'ici. Il fallait cependant se rendre à l'évidence, il n'était pas en état de faire quoi que ce soit. Le mieux à faire était encore de supporter cet endroit quelques temps et de récupérer le plus rapidement possible.

Il passa donc les mois qui suivirent à rééduquer son articulation. Un Neustro envoyé par l'armée venait lui rendre visite deux fois par semaine pour s'assurer que son épaule guérissait correctement. Le temps défilait lentement. Très lentement. Aaron ne tenait pas en place, cherchant à tout prix à repartir. Il fallait prendre son mal en patience, et surtout éviter d'aggraver la blessure.

...


Asmobor, Nehaïa, Kahl, ... Trois mois défilèrent. La chaleur assommante laissa progressivement sa place au froid mordant de l'hiver. La convalescence du jeune homme était enfin terminée. Son père était assis au coin du feu, l'air neutre, complètement détaché de la réalité. Son fils était prêt à partir, et ne mettrait peut-être plus jamais les pieds dans cette bâtisse. Bien que conscient de cela, il ne bougeait pas, et se contentait de piquer le feu avec son tisonnier.

Aaron s'approcha de cet homme à la silhouette pour le moins massive. La voix dans la tête du jeune Récleyés était encore présente. Même si les mois avaient défilé, elle demeurait toujours aussi audible. Il se sentait comme appelé par ce nom. Qu'est-ce que cela pouvait signifier ? Sans savoir pourquoi, le jeune homme s'adressa à son père.

- Qui est Lydia ?

Le regard de ce dernier se tourna violemment en direction de son fils. Le jeune homme le regardait droit dans les yeux, prêt à l'affronter. S'il fallait en venir aux mains une fois de plus, ce n'est pas ça qui allait l'arrêter. Aaron avait besoin de réponse. A sa grande surprise, son père n'afficha plus le moindre signe d'hostilité. Il se tourna à nouveau vers les braises rougeoyantes qui éclairaient faiblement son visage charbonneux.

- Notre famille... Les Sihn...

Nathàn hésitait à parler. Comme si le sujet était tabou. Le jeune Récleyés devait savoir. Il ne savait pas pourquoi, mais il le fallait. Après quelques secondes d'attente, il parla enfin, et raconta toute l'histoire à son fils. Le blasphème, la fuite, le meurtre, ... au fur et à mesure que les mots sortaient de la bouche du père, les éléments s'imbriquaient difficilement dans la tête du jeune homme. Le mystère semblait s'épaissir de plus en plus.

- J'ai donc.. une sœur ?

- Tout le monde est persuadé qu'elle est morte. Non... je sais qu'elle est encore là, quelque part.

- Mais qu'est-ce que...

L'homme stoppa Aaron dans son élan.

- Inutile de te poser toutes ces questions. Cependant...

Il marqua une pause.

- Tu dois la retrouver.

- Pardon ?

Nathàn se leva péniblement et alla chercher une petit boîte dans laquelle était dissimulé un pendentif. C'était celui qu'Aaron avait reçu à sa naissance. Une plaque d'acier sur laquelle étaient gravées ses initiales : A/S. L'homme lui tendit la boite. Aaron hésita longuement avant de se saisir de l'objet.

- Lydia. Elle a exactement le même. C'est la marque de notre famille. Et elle l'a trahit... Elle nous a salis...

- C'était il y a plus de 20 ans !

- Il est encore temps. Tu dois la retrouver et la livrer au Ténébreux.

Il prit la main du jeune homme et la referma sur le pendentif.

- Tu es celui qui fera honneur aux Sihn, je sais que tu en es capable !

Aaron afficha une expression de plus en plus grave. La famille, toujours la famille. Son existence n'avait pas d'autre but que celui de servir les siens. Non... toute cette mascarade était finie. Le jeune homme était las de ces ordres. Las de porter sur lui le poids des faibles que constituait les Sihn. Et surtout, las de toujours errer dans cette solitude qui lui collait à la peau.

Sans un mot, il referma la grande porte de sa maison et parti, sans se retourner, laissant derrière lui ces souvenirs écorchés dont il se serait bien passé. Il ouvrit sa main et observa brièvement le pendentif qui brillait dans la faible lueur du soir.  C'est dans l'indifférence la plus totale qu'il jeta ce bibelot par terre, tel une pierre ricochant sur les parois invisibles d'un lac.

- Vieux fou...

Aaron continua sa route, la tête haute, le regard plein de détermination. Beaucoup de questions restaient sans réponse, et il comptait bien remédier à cela. C'est ainsi que le jeune Récleyés, prit enfin son destin en main.

Il parcours à présent madelle, à la recherche de sa sœur disparue. Peu importe si elle fût considérée comme une traîtresse. A ses yeux, Elle constitue la seule personne de sa famille qui fût assez saine d'esprit pour avoir quitté ces cinglés qu'étaient les Sihn. Désormais, Lydia et Aaron représentaient la nouvelle lignée de cette famille. Il est donc crucial pour le jeune Récleyés de rencontrer celle dont l'existence a été niée pendant tout ce temps. Lorsqu'il l'a retrouvera, il espère pouvoir apprendre beaucoup d'elle.

Mais les tambours de guerre résonnent, et Aaron doit une fois de plus se montrer à la hauteur de ses engagements envers la confrérie. Pour la première fois, il leva les yeux au ciel et implora Sydilia de tout son être.