Mélina n’eut pas assez de temps pour me répondre. Le jardinier et De Lalande pénétrèrent dans le manoir, bloquant la sortie afin que nous ne puissions pas nous enfuir. Je reculai et percutai le mur, terrorisée. Face à mon air horrifié, Mélina se retourna brusquement. Elle poussa un cri de terreur à leur vue. Je ne m’étais pas trompée : le jardinier était de mèche avec De Lalande !

Le noble nous observa de son regard froid. Il caressait d’une main son imposante barbe aux reflets bleutés, tenant dans l’autre une lame destinée à nous faire taire à jamais. Nous avions déjoué son plan, il était prêt à nous éliminer toutes les deux.

Ma respiration s’était coupée. Je restai figée, sans savoir comment réagir, attendant que quelqu’un agisse avant de pouvoir bouger à mon tour. Pourtant, nous devions fuir, et vite !

Mélina n’hésita pas. Elle se rua vers l’escalier à notre droite. Je l’imitai mais fus trop lente ; De Lalande avait lancé sa lame dans ma direction. J’ignorais si, comme moi, il était doué de dons de télékinésie, mais sa lame vint se planter directement dans mon épaule. Je poussai un cri déchirant mais ne stoppai pas ma course pour autant. Je rejoignis Mélina au premier étage où j’ôtai le poignard de mon épaule et abandonnai mes chaussures à talons.

Je jetai la lame au sol et pressai ma main contre la blessure. Elle n’était pas profonde, mais la douleur était vive et je perdais beaucoup de sang.

– Par tous les dieux ! s’exclama Mélina à ma vue.

– Ce n’est rien, cours ! répondis-je en ne pensant qu’à ma survie.

Je la suivis à toute allure jusqu’au bureau de son époux. Essoufflées, nous nous ruâmes vers la bibliothèque où elle actionna une porte dérobée qui donnait sur un escalier très étroit.

Je perdais de plus en plus de sang, la douleur se faisait de plus en plus plus vive et j’étais essoufflée par l’effort. La vue de l’escalier me terrorisa. J’ignorais si De Lalande nous suivait, mais je savais que je ne pouvais pas m’arrêter maintenant !

– Ce n’est pas le moment de défaillir ! hurla Mélina en m’agrippant sous un bras pour m’aider à monter plus rapidement.

Nous galopâmes dans l’escalier jusqu’à nous trouver face à une porte qui donnait sur la terrasse du toit. Mon inquiétude ne faiblit par pour autant. Là-haut, nous étions prises au piège ! Mélina me tira jusqu’à la terrasse et me déposa dans un coin. Elle hurla à l’aide à pleins poumons, espérant que quelqu’un l’entende.

De mon côté, la douleur me paralysait. Je ne savais pas comment stopper l’hémorragie. J’espérais que quelqu’un entende Mélina et vienne à notre secours. Sinon, De Lalande débarquerait et il en serait fini de nous. Si une telle chose se produisait, j’allais devoir me téléporter seule en bas du manoir pour avoir une chance de fuir. Je n’étais pas capable d’emporter Mélina avec moi. Après tout, je devais garantir ma survie avant tout : j’avais déjà pris suffisamment de risques ! Mon épaule pouvait en témoigner.

Mélina poussa un nouveau hurlement de terreur quand son époux nous rejoignit sur le toit, le poing serré sur la dague ensanglantée. Les traits de son visage se tordaient sous l’effet de la colère. Pour une raison qui m’échappait, il vouait visiblement à sa femme une haine viscérale.

Je me recroquevillai un peu plus dans mon coin en l’apercevant, horrifiée. Dans un élan désespéré, il se rua vers Mélina et la saisit par ses longs cheveux auburn. Il ne m’accorda même pas un regard ; il tira Mélina dans les escaliers alors qu’elle hurlait en pleurant et en se débattant.

Je ne vis pas le jardinier. Paniquée, dans un ultime effort, je me levai et me penchai à la rambarde de la terrasse : Mélina avait été entendue ! Une patrouille arrivait pour nous secourir.

Quelques minutes plus tard, des éclats de voix retentirent dans en bas de l’escalier. Je m’effondrai au sol. Encore sous le choc, j’attendis que l’on vienne me chercher, perdant toujours un peu plus de sang. Je n’osai pas bouger avant que l’un des gardes n’arrive à la terrasse. Il hurla quelque chose que je ne compris pas. Mon cœur battait à toute vitesse. Je fermai les yeux. Enfin, quelqu’un était venu nous secourir. J’étais maintenant saine et sauve…

*

Je m’éveillai en un sursaut. Je regardai autour de moi, paniquée. Après les quelques secondes qu’il me fallut pour retrouver mes esprits, je reconnus la décoration et l'odeur citronnée de ma chambre. Confortablement installé sur un fauteuil à mes côtés, Père. Il referma le livre dans lequel il était plongé et m’observa en croisant les bras.

Une vive douleur paralysa soudain mon épaule. Ma blessure ! Je portai une main à celle-ci et sentit un tissu qui l’entourait et la comprimait. Je baissai le regard pour observer mes vêtements : j’avais été changée et nettoyée. Combien de temps étais-je restée endormie ?

– Tu te réveilles enfin, soupira mon père en glissant son regard sur mon épaule. Tu as décidément le don de t’attirer des ennuis…

Je fronçai les sourcils. N’avait-il donc aucune empathie ? J’avais vécu un événement si traumatisant que j’avais encore du mal à réaliser que tout cela était bien terminé. Ses paroles m’irritèrent profondément, mais alors que je m’apprêtai à lui répondre avec véhémence, une pensée me stoppa.

– Mélina ! m’exclamai-je en me redressant brusquement sur mon lit. Comment va-t-elle ?

Père remonta ses lunettes. Il rouvrit son livre pour reprendre sa lecture. D’un ton aussi calme qu’à l’accoutumée, il enchaîna :

– Ton amie a été amenée au centre de soin. Elle s’en sortira. Le comte a été exécuté par l’un des gardes, mais personne n’a réussi à mettre la main sur le jardinier. Des recherches sont en cours dans la ville…

Bien entendu, De Lalande avait blessé Mélina en l’emportant avec lui. Je poussai un profond soupir et me laissai lourdement retomber sur le matelas. J’observai le plafond. J’irai rendre visite à Mélina une fois rétablie, pensai-je. Une chose m’inquiétait cependant : je n’étais pas tranquille à l’idée que ce jardinier se promène dans la nature. Je serrai le poing. Quelqu’un devait absolument retrouver ce meurtrier !