Laissant l’aventurier passer devant, Sylhuna le suivit prudemment, quelques pas derrière lui. Si piège il devait y avoir, il serait ainsi le premier à le tester, elle espérait donc avoir le temps de l’éviter. En outre, cela lui permettait d’avoir l’inconnu dans son champ de vision, car quand bien même se prétendaient-ils du même côté, rien ne lui certifiait que c’était effectivement le cas. D’aucuns affirmeraient peut-être qu’il s’agissait là d’une inutile méfiance par trop exagérée, pourtant des lors que la jeune femme ne connaissait rien de la demeure aux multiples secrets, elle estimait ne jamais faire trop preuve de prudence.
En pénétrant dans le couloir, les mains prudemment ramenées près du corps mais prêtes à dégainer son arme au besoin, l’espionne vérifia qu’il n’y avait personne derrière la porte puis se décider à examiner rapidement celle-ci afin d’expliquer son ouverture inattendue. Aucun mécanisme n’était néanmoins visible, pas plus qu’un quelconque être vivant – à moins qu’il ne fut invisible – et, après un dernier regard suspicieux sur les battants ouverts, elle reprit son chemin dans le long couloir, estimant que quelque machinerie il pouvait y avoir, celle-ci était probablement astucieusement cachée. Parsemé de lanternes et agrémenté de lourdes tapisseries murales, le corridor lui semblait oppressant plus que chaleureux ; elle préférait de loin les murs nus et lisses, desquels se détachaient souvent plus aisément tout relief d’une cache ou d’issues secrètes. S’arrêtant devant l’une des portes qui ponctuaient leur chemin, elle actionna prudemment la poignée. En vain, puisque la pièce était verrouillée. Elle l’aurait volontiers crochetée mais n’était pas certaine que c’était le bon moment pour cela. Sur un dernier regard, elle poursuivit donc jusqu’aux battants suivants, qui, cette fois s’ouvrirent sans mal sous son action. Sans le moindre bruit, ils s’écartèrent pour permettre aux visiteurs de découvrir les mystérieux objets qui s’entassaient dans la pièce. Mue par cette même curiosité que celle ayant guidé ses pas jusqu’à la demeure, Sylhuna s’avança lentement, oubliant son camarade pour se pencher sur une vasque de laquelle sortait plusieurs tuyaux parsemés de trous réguliers. Perplexe, la jeune femme tenta en vain d’en déterminer l’usage avant de finalement poursuivre son exploration, celle-ci n’ayant pour tout objectif que celui de lui confirmer que la maison entière, et non pas seulement les évènements s’y déroulant, était particulièrement étrange.
Se décidant finalement à sortir après avoir terminé son inspection – limitée – de la pièce, elle reprit son avancée le long de la galerie, laissant parfois son regard se perdre dans quelques pièces entrebâillées. En voyant les éclats d’or et d’argent d’objets de toute évidence précieux, elle sentit les griffes de la cupidité l’effleurer ; si d’aventure la bâtisse révélait ses secrets sans qu’il n’y apparaisse de véritable danger, elle se ferait un plaisir de revenir soulager de quelques trésors les maitres des lieux. Mais en l’état actuel des choses, mieux valait commencer par comprendre ce qu’il se passait et… définir ce qu’eux-mêmes risquaient. Refrénant ses envies, l’espionne se fit violence pour se concentrer sur leur objectif, jusqu’à ce qu’une pièce en particulier ne retienne son attention : depuis le seuil, elle ressemblait à un laboratoire… La suivante ressemblait davantage à une ménagerie, sans qu’elle ne fut certaine des créatures qui s’y trouvaient. Par respect pour son compagnon, elle pivota néanmoins pour le chercher du regard :

-Un peu de chimie ou vous préférez nourrir les bêtes ?

Dans ce manoir regorgeant de lieux aux usages inconnus, mieux valait rester ensemble, d’autant plus que ni l’une ni l’autre pièce ne lui inspiraient assez confiance pour qu’elle y entre seule.

En pénétrant dans la demeure, Sylhuna ne s'était pas attendue à trouver aisément une réponse à ce mystère. Néanmoins, à mesure qu'ils avançaient dans la vaste maison, il lui semblait que tout ne semblait que plus s'embrouiller. Nulle trace d'une présence féminine en ces lieux, et elle doutait même qu'il s'agisse vraiment d'une bâtisse habitée au quotidien. Elle avait bien trouvé ce qui ressemblait à une chambre, mais elle doutait malgré tout que celle-ci soit utilisée chaque soir. Par ailleurs, c'était des vêtements masculins qu'elle avait vu joncher le sol ; nulle trace de beaux atours féminins dont elle avait pourtant imaginé être drapée la fameuse captive. Alors, quoi ? Quel était donc le but de tout ceci ? Qui était la fameuse déesse ? Qu'arrivait-il aux victimes de celle-ci ? Peut-être étaient-ils tout simplement drogués, mais elle ne comprenait pas comment une quelconque pouvait agir si longtemps. Le temps venu, ces hommes devraient pourtant reprendre leurs esprits... A moins qu'ils ne se soient fait piégés et dépouillés, mais là encore, la Récleyès ne comprenait quelle serait la raison qui les pousseraient à s'épancher dans la rue en incitant d'autres potentielles victimes à se jeter dans le piège. Perplexe, elle décida finalement de faire demi-tour, sans plus se préoccuper de savoir où pouvait se trouver l'autre visiteur qui était entré avec elle. Le jeune homme avait disparu depuis un moment déjà, sans que la rousse ne sache s'il s'était fait dévorer tout cru ou s'il avait finalement choisi de faire demi-tour, soit qu'il ait préféré finir seul son inspection de la demeure, soit qu'il ait choisi de tout simplement quitter celle-ci. C'était ennuyant, car cela signifiait qu'elle avait perdu son cobaye. Mais soit. Faisant donc demi-tour, elle hésita un moment sur l'endroit dans lequel pénétrer et que faire. Elle n'avait aucune envie de partir sans savoir la vérité derrière ces mystères et elle était bien certaine de ne plus jamais pouvoir s'endormir sereinement si elle ne comprenait pas ce qu'il se passait. Or de question, donc, d'abandonner. Mais rien pour l'heure ne lui avait permis de trouver une quelconque piste. C'était à vous rendre fou... Se souvenant qu'elle avait vu un laboratoire un peu plus tôt, lorsqu'ils avaient pénétré dans le couloir après avoir vu le jardin, elle revint donc sur ses pas jusqu'à ce que ceux-ci la mènent à sa destination. Lorsque qu'elle entra, elle s’aperçut qu'elle n'était pas seule. La créature qu'elle avait face à elle n'était pas tout à fait humaine et, c'était certain, n'était pas une belle déesse. Prudente de se trouver tout à coup face à un être vivant, Sylhuna garda les mains près des manches de ses armes et tenta d'amadouer ce qui ressemblait à un cobaye :

-Parles-tu ? Qui es-tu ? Où se trouve les propriétaires de cette demeure ?

Méfiante, Sylhuna observa avec attention la créature qui lui faisait face. De quelle espèce était-elle ? Elle semblait humaine autant qu’autre. Le regard bleu et perçant la mettait mal à l’aise. Un cobaye, vraiment ? En l’entendant parler, la rousse fronça les sourcils. L’aider ? Pourquoi le devrait-elle ? Qui était-elle ? Elle n’avait pas répondu à la question posée par la Récléyès qui attendait toujours de savoir qui donc se trouvait être maître du domaine. Rien de tout cela n’était logique. Etait-ce elle, la fameuse déesse à sauver ? Pourquoi alors tous les fous s’étant aventurés dans la demeure avaient semblé perdre l’esprit ? S’appuyant tranquillement contre un mur en dévisageant silencieusement la captive qui attendait du secours, la jeune femme soupira. Rien de tout cela ne lui semblait bon pour elle. En toute logique, elle pouvait supposer que les précédents visiteurs avaient également cherchés à délivrer cette étrange prisonnière ; leur sort ne lui semblait guère enviable. Mais la laisser ainsi… elle n’aurait aucune réponse quant au rôle de cette étrange créature poilue, ni celui de l’homme dans le jardin d’entrée. Que savait-elle d’autre ? Bien peu de choses. Elle avait croisé ce qui semblait être une ménagerie, de même qu’une chambre et, le plus important, un laboratoire. Puisqu’il y avait une prisonnière, il y avait forcément un ou des geôliers. Or, elle n’avait vu âme qui vivait… C’était à se taper le crâne contre le mur. Il ne s’agissait peut-être que d’un piège : sitôt que la femme serait libérée, elle l’attaquerait d’une façon ou d’une autre. Cela en valait-il la peine ? Absolument pas. En outre, Sylhuna avait perdu dans sa visite l’autre curieux. Que lui était-il arrivé ? Egaré dans les couloirs ou captif quelque part dans cette demeure ? Voir transformé en bête quelconque rampant sur les dalles de pierre en espérant du secours ? Non, décidément, la rousse ne voyait qu’une façon de régler cela définitivement sans prendre trop de risque. Se redressant, elle soupira derechef et haussa les épaules.

- Hm, soit.  Ne bouge pas alors.

Elle attendit prudemment que se calme la captive et, dans un mouvement que l’habitude et le travail acharné avait rendu souple et rapide, lança sa dague d’un geste du bras. Visant le creux de la gorge.

Avec un bruit mat, la lame luisante se planta dans sa cible avec une facilité déconcertante. Il y eut un étrange gargouillis, qu'accompagna un flot de sang chaud à l’écœurante odeur ; bien vite, il ne resta de l'étrange créature qu'un corps sanguinolent suspendu à ses chaînes. Sans remords ni pitié, Sylhuna attendit patiemment d'être certaine que sa victime ne puisse rien faire avant de s'approcher rapidement, récupérant son arme plantée dans la chair tendre. Elle grimaça en entendant le bruit produit par ses chaussures désormais imbibées d'un visqueux liquide carmin puis s'éloigna en prenant garde de ne pas glisser. Avec un bout de tissu trouvé au hasard du laboratoire, elle essuya grossièrement ses semelles, préférant éviter d'attirer l'attention sur elle. Un bruit cependant la figea : dans cette grande demeure désormais déserte, quelqu'un venait d'entrer, elle en était pratiquement certaine. Nerveuse, la rousse décida de repousser à plus tard le moment lavage et sortit à la hâte de cette pièce macabre, sans se préoccuper davantage de la pauvre créature abandonnée sur le sol froid. Elle se glissa dans le couloir pour se réfugier à temps derrière une tenture alors qu'une silhouette se dessinait à contrejour. Mieux valait pour elle prendre la poudre d'escampette. Sans plus attendre, la Récléyès traversa à la hâte, quoi qu'avec autant de discrétion que possible, le long couloir, retrouva le beau jardin d'entrée et se glissa hors de ce funeste bâtiment. Derrière elle résonnait le cri de colère - ou d'horreur peut-être ? - de l'individu qu'elle avait entraperçu. Capuche rabattue sur son fin visage trop reconnaissable, elle retrouva la rue avec un indicible plaisir, se mêlant à la foule sans difficulté. Sa curiosité n'était pas assouvie mais les jours à venir lui diraient bien assez vite quelles étaient les conséquences de ses actions... Elle eut une vague pensée pour le lâche qui avait disparu en cours d'inspection de la maisonnée puis se fit la réflexion qu'il avait mieux valu pour lui que cela se passe ainsi : elle aurait eu du mal à lui cacher également son geste meurtrier, et lui avait vu son visage. Inspirant l'air de la ville, elle sourit aux nuages et disparue dans une petite ruelle.