Le duo de courtisanes qui passait à côté d’eux était proprement irritant. Rhys était pris d’une furieuse envie de les chasser d’un revers de la main comme on se débarrasse d’une mouche qui vrombit dans ses oreilles. Non contentes d’avoir une conversation indiscrète – il avait l’impression qu’elles parlaient déjà de Winter et lui – elles l’empêchaient d’écouter ce qui se disait entre les deux comploteurs qu’ils étaient venus espionner. C’était d’ailleurs la principale raison de son mécontentement puisqu’en temps normal il se serait réjoui d’avoir réussi à agiter les langues avec si peu d’efforts de sa part. En l’occurrence il était seulement beaucoup plus attentif au couple mal assorti qui conspirait ensemble depuis le début de la soirée – bien maladroit d’ailleurs – que par les rumeurs futiles habituelles.

Tout en suivant à tout petits pas Winter pour se rapprocher d’eux, il réfléchit à vitesse grand V pour tenter de démêler les fils de l’intrigue qu’ils étaient en train de surprendre. Il était presque certain qu’il pourrait relier ce qu’ils venaient d’apprendre à ce qu’il savait déjà, des rumeurs sans queue ni tête qu’il avait laissées de côté avant d’avoir les éléments permettant de les comprendre. Notamment, il était presque sûr de pouvoir deviner qui était ce fameux Comte, s’il avait pu réfléchir posément quelques heures et remettre à plat tout ce qu’il avait appris. Il n’avait malheureusement pas ce loisir et devait pour l’instant se laisser porter par les événements.

Il tourna son attention et sa tête sur Winter en la sentant le tirer par la manche. Il fut un peu surpris : elle était vraiment très près, la bouche presque collée à son oreille. Il ne se laissa cependant pas distraire par cette proximité inconfortable, trop surpris par ses paroles. Surpris, mais finalement pas tant que cela. Les héléos devaient bien avoir un moyen pour se reconnaître entre eux sous forme humaine, non ? Il trouvait logique, en tout cas, que sa complice le puisse. Il était un peu plus étonné en revanche qu’elle soit aussi déterminée à arrêter cet attentat. Quelque chose lui disait que ce n’était pas juste par bonté d’âme : quelque chose d’autre la motivait, et il se devrait de découvrir ce dont il s’agissait une fois que tout serait fini.

Elle s’écarta de lui et leurs regards se croisèrent. Il chassa de son esprit tout cynisme qui le poussait à ne pas la penser sincère : ses yeux ne semblaient pas mentir. Il hocha la tête, soudainement plus sérieux. Peut-être était-il temps que lui aussi cesse de prendre la situation pour un jeu. Si elle pouvait repérer rapidement un héléo, il lui faudrait un endroit dégagé et en hauteur pour avoir une vision d’ensemble de la pièce. La mezzanine qu’ils avaient quittée quelques minutes plus tôt était un point de vue idéal. Il espérait juste que Winter n’aurait pas besoin d’être proche de la personne pour la reconnaître.

Un coup d’oeil autour d’eux lui apprit cependant qu’il leur faudrait se déplacer rapidement s’ils voulaient pouvoir l‘atteindre. La porte qu’ils venaient d’emprunter était bloquée par les demoiselles ressemblant respectivement à un poussin – vraiment, quelle idée de ne porter que du jaune ! – et à une pervenche. Le chemin devant eux était impensable, les faisant passer bien trop près du couple qu’ils espionnaient et les menant droit sur la piste de danse. Il ne leur restait plus qu’une solution :

“Par là, derrière les musiciens.”

Ce n’était pas l’endroit rêvé et ils ne pourraient ôter la cape là, les artistes étant souvent admirés par leurs spectateurs ils seraient bien trop en vue. Au moins ils auraient un peu plus de place pour respirer et seraient moins à risque d’être entendus. Ils trouveraient bien un autre moyen pour se dépatouiller de cette situation.
Il guida à nouveau Winter à petits pas, prenant grand soin de ne rien toucher et ne ne pas laisser le tissu décoller du sol. Ce n’était pas le moment pour eux d’être découverts, leur position était bien trop compromettante sur tous les plans. Une fois en sécurité, Rhys se retourna pour voir le noble et la domestique se séparer, le premier traversant l’exact endroit où Winter et lui se trouvaient quelques secondes plus tôt. Ils l’avaient échappée belle !

Il se passa une main sur le visage, réfléchissant à toute allure. Aucun point de la pièce n’était sûr pour se rendre visibles à nouveau, mais ils ne pouvaient rester ainsi éternellement, quelqu’un finirait forcément par leur rentrer dedans. Finalement la solution la plus simple est peut-être de nous séparer un moment. Quitte à sortir de nulle part, cela attirera moins les regards si nous sommes seuls chacun de notre côté. J’entraîne ma coéquipière un peu plus à l’abri dans le recoin de l’escalier et lui fais part de mon plan :

“Nous devrions nous séparer quelques temps pour ne pas trop éveiller les soupçons. Je vais essayer d’aller voir si je peux apprendre d’autres chose sur ce qui se prépare, rendez-vous sur la mezzanine d’ici une quinzaine de minutes.”

Joignant le geste à la parole il profita de ce que personne ne regardait dans leur direction – de ce qu’il voyait en tout cas – pour se glisser à regret hors de l’abri de la cape. Après un petit hochement de tête satisfait – Winter était bel et bien complètement invisible là-dessous, c’était une vraie merveille – il s’éloigna calmement, ayant repris son masque mondain pour se mêler à la foule.

Rhys avait l’air d’accord, il fallait découvrir qui était ce mercenaire héléo et l’arrêter avant que le mal ne soit fait. Immédiatement, je fus soulagée. Les apparences sont bien trompeuses ici et même si j’ai certainement l’air à l’aise dans ce monde, je n’oublie pas que ce n’est pas le mien. Je n’en connais ni les règles, ni les joueurs et encore moins les tenants et les aboutissants. Non, j’ai besoin de lui, comme complice et comme traducteur de cette langue que sont la noblesse et les ragots. D’autant que je n’ai que les informations que nos protagonistes nous donnent au compte-goutte, bien malgré eux. Soudainement, Rhys se met en action, me désignant les musiciens, bien en vue sur la scène. Par là ? A la moindre gaffe, tout le monde nous verra, le sait il ? J’ai un instant d’hésitation avant de me ranger à son avis. Il ne m’a jamais fait de faux pas et a sûrement à gagner, lui aussi, dans cette histoire. Il ne me fera pas faux bond. Du moins, j’ose espérer. Je me laisse donc guider, à tous petits pas, m’arrêtant en même temps que lui lorsque les invités nous frôlent, accélérant comme nous pouvons lorsqu’ils menacent de passer trop près. Qui aurait cru que ces quelques mètres seraient un pareil périple ?

Alors que nous arrivons derrière l’orchestre – la symphonie est superbe … les Parlèms arriveraient donc à créer des choses agréables aux sens ? – Rhys stoppe son avancée et semble réfléchir. Patiente, je ne dis rien et me contente de regarder autour de moi. D’abord les instruments, étranges, inconnues pour une jeune demoiselle venant de la mer, puis les musiciens. Et si le mercenaire se cachait parmi eux ? Après tout, l’illusion serait parfaite, qui l’aurait suspecté ? Mais aucun d’entre eux ne semble faire partie de mon peuple, leur peau est trop dorée, leurs veines trop peu visibles, leurs cheveux, leurs ongles et leurs yeux trop foncés. Je n’ai pas le temps de m’attarder davantage car déjà mon partenaire me tire dans un recoin, sous l’escalier montant à l’étage. « Nous devrions nous séparer quelques temps pour ne pas trop éveiller les soupçons. » Nous séparer ? Mais je n’ai pas vraiment le temps d’objecter, déjà Rhys sort de sous la cape en me glissant un rendez-vous dans 15 min, sur la mezzanine où nous nous trouvions plus tôt dans la soirée.

Je réfléchis à toute allure, soudainement un peu perdue. Si Rhys voulait me jouer un sale coup, ce serait exactement comme ça qu’il procèderait. Puis je me permettre de douter cependant ? Je soupire. Il va falloir que je me montre moi aussi, et que je joue le jeu. Mais pour la suite de nos aventures, la méfiance sera de mise. Bien, il va me falloir reprendre mon rôle. Je suis Crystal de Faertas, riche héritière d’un marchand de tissus. Je lisse les pans de ma robe et retire la cape d’invisibilité avant de la fourrer dans la sacoche, toujours cachée dans mes jupes. Après une grande inspiration, me voilà repartie.

Je me dirige tranquillement vers le buffet, réfléchissant à ce qu’il faudrait que je récolte comme informations, attendant que l’on m’aborde. Ce qui ne tarde pas à arriver. Un homme d’un certain âge, une quarantaine d’années peut être, quoi que la barbe le vieillit peut être un peu, m’aborde rapidement. « Madame. » Un baise-main, qu’il est charmant. « Je suis le Duc de Vermeil et je suis enchanté de vous rencontrer. »  De Vermeil ? Quel drôle de nom. Mère Nature devait être à court d’idées. « Qu’est ce qui vous amène ce soir ? » La richesse ? Les opportunités ? Les hommes ? Les ragots ? Les attentats ? Les réponses sont tellement nombreuses à ta question, mon petit, et je pourrais y répondre que tu n’aurais toujours aucune idée de mes véritables motivations. « Profiter du buffet ? » Je souris et, galant ou stupide, il rit de bon cœur. « Non, en vérité je viens rencontrer les nobles gens d’Arnlo. Il y a tellement de personnes intéressantes ! Il me faudra du temps pour toutes les connaître. » Le duc me sourit et m’offre un verre de liqueur dorée à une servante qui passe près de nous « Il vaut faudra beaucoup de bals et soirées pour connaître toutes les personnalités d’Arnlo ! Mais n’avez crainte, Mademoiselle de Faertas, ici, tout le monde vous connaît déjà. » Je ris le plus naturellement possible. « Je vais vous présenter à quelques personnes si vous le voulez bien, cela me fait plaisir de vous apporter mon aide. » Alors que je pose ma main sur la sienne, je remarque tout de suite notre différence de chaleur. Note pour la prochaine fois : apporter des gants.

Alors que nous allons au milieu des convives, je regarde les visages et distribue les sourires à la recherche de l’héléo. C’est alors que je l’aperçois, magnifique, dans une robe bleu pâle représentant des écailles. Sa robe est cintrée, moulant à merveille sa taille de guêpe et ses jambes fines. Indéniablement, elle a bien comprit que sa beauté et sa sensualité lui permettrait d’avoir tout ce qu’elle veut dans ce monde d’apparence. Ses cheveux châtains sont coiffés en un chignon compliqué et son visage si maquillé que je peine à voir les reflets bleus de sa peau. Mais Aucun je n’ai plus aucun doute en apercevant ses mains délicates et pâles, aux veines apparentes, et ses yeux bleus, d’un bleu océan. Elle vient d’Hélia certainement. Je cherche Rhys du regard pour le prévenir que j’ai repéré l’Héléo lorsque le duc attire de nouveau mon attention. Il me présente, çà et là, distribuant les poignées de mains tandis que je tends ma joue jusqu’à en avoir mal au cou. Mais Rhys reste invisible. D’ailleurs, il va falloir que je songe à m’éclipser, il va m’attendre. Il faut absolument que nous évitions ce meurtre. Mais le noble qui m’accompagne à d’autres projets pour moi … et pas des moindres.

« Ah ! Le voilà ! Très cher, venez par là que je vous présente une de nos invitées d’honneur ! » Cela me prend un instant avant de comprendre qu’il parle de moi. « Mademoiselle de Faertas, je vous présente Sir Nicholas. » Ah. Ca se complique. Devant moi,  se trouve un autre héléo. Un héléo de glace, aux yeux semblables aux miens, couleur de la banquise, si pâles que l’on les croirait blanc. Ses lèvres sont claires elles aussi, non maquillées contrairement à celles de la femme héléo que j’avais croisé un peu plus tôt. L’homme est très beau lui aussi, richement habillé d’un costume dans le style militaire mais brodé de fils d’or et de pierres. Par-dessus son épaule droite pend une cape dont le drapé léger fait penser à de la soie. En voyant son sourire charmeur, je suis aussitôt convaincue de ne pas être la seule à jouer avec les noms et les apparences. D’ailleurs, il m’adresse aussitôt une révérence et mime d’embrasser le dos de main en me glissant, la voix mielleuse : « Enchanté, ma Dame. C’est un véritable honneur de vous rencontrer, vous êtes exceptionnelle, de ce que l’on raconte. Il faut dire qu’il est toujours surprenant, dans un monde comme la Cour, de découvrir de nouvelles personnes de la Confrérie Parlèm qu’on ne connaissait pas encore. » Je reste un instant bouche bée, surprise par ses paroles. Mais je me reprends, du mieux que je peux, en ajoutant rapidement, un léger sourire aux lèvres : « J’ai profité de ma jeunesse pour voyager et vendre moi-même mes marchandises. Cela m’a permis de voir le monde mais également de mieux comprendre mon métier. » Il incline la tête, comme s’il félicitait ma prestation. « On vous a vu au bras d’un grand homme, tout à l’heure. Certains racontent qu’il s’agit de votre compagnon. » Ah ! Les rumeurs : Elles ne sont décidément jamais loin ! « Il se trouve que nous apprécions la compagnie l’un de l’autre. » je réponds simplement. J’en profite pour me dégager : « D’ailleurs, je crois qu’il serait temps que je le rejoigne. Si vous permettez. » Je m’incline légèrement, les salue poliment et rejoins la mezzanine en refusant les verres et les embrassades.

Je n’ai aucune idée de l’heure et donc de l’importance – ou de l’absence – de mon retard lorsque j’arrive sur la mezzanine. Sans trop réfléchir et sans trop regarder autour de moi, je vais m’accouder là où nous avions prit le temps de discuter en observant la salle. Deux héléos. Peut être même qu’il y en a d’autres ? Comment savoir si l’un d’entre eux est notre homme ? Spontanément, je dirais l’homme, Sir Nicholas, mais à la fois … Peut être est ce parce qu’il m’a fait une remarque ? Il est peut être simplement là comme moi pour profiter de l’argent qui coule à flot comme la liqueur au buffet. La jeune femme avait l’air si délicate et si à l’aise dans ce monde qui n’est pas le sien que c’est à se demander si elle n’a pas vécu ici toute sa vie. Je ne l’imagine pas assassiner quelqu’un … mais les apparences sont parfois trompeuses.

Il voulait découvrir si oui ou non “Monsieur le Comte” était présent. Ç’aurait pu être une tâche aisée, si le nombre de comtes qu’il avait croisé depuis le début de la soirée n’avait pas frisé la bonne dizaine. Pourquoi diable ce titre était-il si fréquent ? Il élimina d’office de Boutary et de Jouslin, trop stupides pour arriver à organiser un tel attentat et n’en rien laisser paraître. Le visage du premier était un véritable livre ouvert, et l’arbre généalogique du second comptait si peu de branches qu’il ressemblait plutôt à un buisson, si bien qu’il était de notoriété publique qu’il n’était qu’une façade et que son domaine était géré par son intendant. Rhys n’arrivait pas à décider si sa cible aurait choisi d’avoir un alibi en étant absent, ou s’il préférerait surveiller lui-même le bon déroulement des opérations.

Il papillonna de groupe en groupe, partageant un rire ici, un trait d’esprit là, serrant des mains, complimentant les mises, louant les hôtes, charmant comme à son habitude. Beaucoup de regards pétillaient en le voyant, en grande partie de part la curiosité que sa compagnie de la soirée avait pu susciter, songea-t-il. Personne ne fut suffisamment culotté pour lui poser directement de question sur le sujet, mais il sentait que nombre de ses interlocuteurs en mourraient d’envie. Les minutes défilaient et il n’avait toujours pas trouvé le moindre indice ni sur le commanditaire ni sur l’assassin. Il se demandait quelle stratégie adopter lorsqu’il entendit une voix qui le fit grincer des dents.

“Rhys. J’ai vu que tu étais en charmante compagnie, ce soir. Je m’étonne que tu l’aies laissée, vous sembliez en si bonne entente.” Je connais bien Zaine et reconnaît son ton dégoulinant de sarcasme, mais je doute que toutes les oreilles indiscrètes qui nous entourent l’aient repéré. Je plaque mon plus faux sourire sur mes lèvres pour me retourner.
“Cher grand frère, tu sembles étonné. Est-ce que tu ne t’attendais pas à me voir avec une telle conquête ?” Il ouvrit la bouche pour parler mais Rhys l’interrompit. “N’aie aucune crainte Zaine, tu seras évidemment convié à notre mariage.”

Sur ces mots il tourna les talons et s’en fut. Il ne savait pas quelle mouche l’avait piquée pour qu’il reprenne les paroles de la pervenche, mais l’expression de son frère avait été une belle récompense. Il n’avait pas fait quatre pas qu’il s’arrêta et dut se retenir de ne pas rester bouche bée. Le comte de Servan se trouvait juste devant lui, en partie dissimulé par une plante aux larges feuilles sombres. Il ne voyait pas son interlocuteur, et le comte ne l’avait pas vu. Rhys fit un pas de côté pour être moins visible tout en ayant la possibilité de surprendre quelques mots. De Servan avait été un grand ami de Slayer avant son exil, et n’avait jamais digéré cette sentence. D’après ce qu’il avait entendu, il trempait dans un certain nombre d’affaires sordides, bien que sa culpabilité n’ait jamais pu être prouvée. Voilà un comte qui avait la subtilité nécessaire pour ourdir un assassinat et un motif pour sabrer le pouvoir de la Lady en la privant d’une icône publique. Cela valait bien de laisser traîner une oreille. Il ne fut pas déçu par les murmures qu’il surprenait.

“J’espère que je ne l’ai pas faite venir d’Helia pour rien. Si elle vaut la moitié de sa réputation, le travail sera fait et bien fait, mais j’ai appris à me méfier des bruits de couloir. Si ce que tu m’as dit est faux, tu regretteras d’avoir vu le jour ! La peste soit de tous ces gardes, ils vont nous mettre des bâtons dans les roues. La gamine ne doit pas être tranquille.”

Il aurait voulu en apprendre plus, mais prudence est mère de sûreté. Mieux valait s’éclipser avant d’être repéré, il en savait suffisamment pour l’instant – espérait-il. Il était temps de retrouver Winter qui devait l’attendre. Il n’avait pas été fichu d’être à l’heure pour le rendez-vous qu’il avait lui-même fixé. Un coup d’oeil vers la mezzanine lui apprit que la jeune femme était déjà là. Il fut tenté d’utiliser sa Vérité pour la rejoindre le plus rapidement possible, mais ç’aurait été jeter toute discrétion au feu, et de plus très mal perçu par les invités autant que les hôtes. Il chercha le chemin le plus direct mais ne put échapper à quelques saluts mondains. Il ne devait pas éveiller les soupçons maintenant. Une fois sur l’escalier il jeta un oeil derrière lui. Le comte n’avait pas bougé, il pouvait donc espérer être passé inaperçu.
L’air de rien, il vint s’installer aux côtés de sa comparse, observant la salle.

“Notre homme serait en réalité une femme, en provenance d’Hélia. Les conspirateurs en ont bien après la vie de l’Oracle. Qu’avez-vous découvert, de votre côté ?”

« Notre homme serait en réalité une femme, en provenance d’Hélia. Les conspirateurs en ont bien après la vie de l’Oracle. Qu’avez-vous découvert, de votre côté ? » Je sursaute en entendant la voix de Rhys. « Ils sont deux. Deux héléos. » Je jette un coup d'oeil en contrebas. D'ici, j'aperçois la jeune femme délicate dans la robe moulante. Comment croire que ce serait elle, la mercenaire ? « Mais si vous me dites que c'est une femme alors cela ne nous laisse qu'une seule option. » Je lui jette un coup d'oeil, qui aurait cru que nous pourrions faire une équipe, qui plus est pour sauver un Parlèm et la réputation des Héléos ? « L'homme est Sir Nicholas, je ne sais pas si vous le connaissez. Pas vraiment charmant mais indéniablement c'est un homme. Il y a une femme aussi, je ne connais pas son nom, elle est juste en dessous de nous, celle qui a un superbe chignon et des cheveux châtains. Elle porte une robe bleu pâle avec une texture semblable à des écailles. Je crois qu'elle tient à ce qu'on sache qu'elle est une héléo. » Pourquoi, ça par contre je n'ai pas la réponse. « Et puis, elle a les yeux sombres, c'est le cas pour la plupart des habitants natifs d'Hélia ou des mers chaudes en tout cas. »

En vérité, nous avons plutôt bien avancé dans le sens où nous avons désormais une victime et un mercenaire clairement identifié. Il nous reste seulement à trouver le moyen d'agir désormais. Je prends un instant pour réfléchir puis je baisse la voix, soucieuse de ne pas être entendue par d'autres invités : « Mais comment allons nous l'arrêter, là est la question ... » A quelques mètres en contrebas, notre cible prend un verre et rit avec les autres convives. Divers plans s’échafaudent dans mon esprit, tous aussi invraisemblable les uns que les autres. « J'aimerai penser que la suivre en lui tenant la jambe toute la soirée - façon de parler, n'est ce pas ? - suffirait mais j'ai bien peur que non. » Je soupire. « Ou alors nous pourrions l'assommer et l'emmener loin, ça serait plus sécuritaire. » Je ne peux même pas utiliser ma Vérité ici, elle serait bien trop mal vue.

« Ou bien l'un de nous essaie de retenir la mercenaire tandis que l'autre tente de faire fuir l'Oracle ? Peut être qu'à deux nous pourrions y arriver ! » Parce que si l'héléo se décide a attaquer, je crains qu'elle ne puisse pas être arrêter ... Mais je doute que l'Oracle nous suive docilement, même si nous lui demandons poliment. Déjà, vu toute sa garde, il faudrait réussir à l'approcher ! Je jette à nouveau un regard à mon partenaire : « Quelle est votre Vérité ? Elle pourrait nous aider ? » Je pense qu'on pourrait qualifier cette question d'indiscrète. Mais je crois aussi que les circonstances sont atténuantes.

Il suivit le regard de Winter sur la salle. Il ne repéra pas tout de suite la femme dont elle parlait, mais sa description détaillée lui permit de la trouver, en train de rire à la plaisanterie de l’un des convives. Elle était resplendissante dans sa robe moulante et brillante qui rappelait avec élégance la grâce des poissons exotiques que l’on pouvait parfois trouver dans les aquariums de riches demeures. Des bijoux argentés ornaient ses cheveux sombres, faisant ruisseler une myriade de pierres blanches et de perles le long de ses boucles sculptées avec soin. Tout dans son apparence, jusqu’à sa posture et ses gestes travaillés évoquait une noblesse de haut lignage. Il faisait confiance à Winter pour savoir de quoi elle parlait, mais sans son expertise il n’aurait jamais pensé à elle en cherchant une mercenaire. Si elle ne se trompait pas, cette demoiselle était douée. Il allait être difficile de convaincre quiconque qu’elle présentait un danger.

Il se passa la main sur le visage, réfléchissant. La question de sa partenaire faisait parfaitement écho à ses propres pensées, mais il n’avait pas de meilleure réponse à lui offrir. Il esquissa un sourire, les solutions proposées par Winter ne manquaient pas d’originalité, on ne pouvait pas le nier.

– J’aimerais croire que lui “tenir la jambe” toute la soirée soit possible, mais il y aurait trop de risque qu’elle réussisse à s’esquiver à un moment donné. Je ne pense pas pouvoir la suivre jusqu’aux toilettes par exemple, et je ne pense pas que ce serait beaucoup mieux vu si vous le faisiez vous-même. Quant à l’assommer … ça ne serait pas des plus discret, mais si nous ne trouvons rien d’autre, cela pourrait devenir une solution viable.

Il aurait tout de même préféré ne pas en arriver là, surtout parce qu’agir ainsi alerterait les commanditaires de l’assassinat et leur permettrait de s’échapper. Il n’avait jamais pensé être particulièrement patriote, mais il ne pouvait pas imaginer les laisser courir et leur laisser l’occasion de mettre sur pied un nouveau complot identique.
Réfléchis, Rhys, pense !
Si l’Oracle était à ce point entourée de gardes ce soir-là, c’est qu’elle devait se douter que quelque chose se tramait. Peut-être serait-elle donc réceptive à une mise en garde en bonne et due forme. Un coup d’oeil à la grande horloge richement décorée lui apprit que minuit approchait à grand pas. Ils n’avaient plus beaucoup de temps avant que quelqu’un passe à l’action. Et pourtant, même dans une situation aussi tendue que la leur, il hésitait encore à faire part de sa Vérité à Winter. Elle ne leur serait de toute façon d’aucune aide pour l’instant. Les traditions Parlèms bien ancrées en lui – contrairement à ce qu’il aimait penser – il choisit de contourner la question.

– Pas dans un endroit aussi peuplé, surtout si nous voulons rester discrets. Et cela serait très mal vu par la majorité des invités, et encore plus par nos hôtes.
Il n’ajouta pas que dans une telle promiscuité, il risquait surtout de blesser quelqu’un qu’il ne voulait pas.
– Je crains que ce soit l’un des rares moments où ma réputation risque de me desservir. Cependant je pense pouvoir approcher l’Oracle pour la prévenir. Si ses gardes du corps ont une cible précise, ils devraient être en mesure de la protéger efficacement. Il faudrait pouvoir faire parler cette mercenaire. Et dans l’idéal, arriver à mettre en cause le Comte de Servan qui est derrière tout ça et ainsi l’empêcher de nuire à l’avenir.

Seulement, il n’avait aucune idée de comment s’y prendre. Il avait fait équipe avec une voleuse, peut-être aurait-elle à nouveau plus d’un tour dans son sac ?

Malgré mes efforts pour faire plusieurs propositions afin de sauver l'Oracle de l'attaque de la belle Héléo et du comte, mon compagnon d'infortune ne semble séduit par aucune d'elle. Il semble réfléchir, perdu dans ses pensées pendant quelques minutes avant de prendre la parole, un sourire encourageant aux lèvres. Surprise, je découvre ainsi qu'il serait d'accord pour l'assommer, si nous ne trouvions rien d'autre. Cette possibilité me fait rire, moi qui le pensait trop raffiné pour recourir à de telles bassesses ! Mais je suppose que la fin  justifie les moyens.

En suivant le regard de Rhys, je vois l'existence d'une grande horloge nous indiquant qu'il nous reste peu de temps avant que le délai imparti soit écoulé. Si nous n'agissons pas très vite, nous passerons du grade du "sauveteurs" à celui de "témoins impuissants", ce qui serait pour me déplaire. Je grommelle, déçue qu'aucune de nos Vérités soient utiles. Si seulement j'avais pu voler une potion de sommeil avant de venir ici ! Mais comment aurais je pu me douter que j'en aurais besoin ...

Finalement, Rhys fait une proposition, une qui a le mérite d'être pertinente. Prévenir l'Oracle, oui pourquoi pas ? Mon compagnon se tourne vers moi, comme pour rechercher mon assentiment ou me laisser la possibilité d'évoquer une nouvelle idée : « Est ce que l'on peut se permettre d'accuser sans preuve une Courtisane qui a l'air d'être là depuis longtemps ou un Comte richissime ? Vous croiront ils ? » C'est dans ces moments là que je me rends compte de la faiblesse de mes connaissances concernant ce qui ce fait et ce qui ne se fait pas dans des riches lieux comme la Cour d'Arnlo. « Je pourrais aller parler à la mercenaire pendant que vous prévenez l'Oracle, pour tenter de détourner son attention ... » Je repense alors à mon idée de potion de sommeil : « Sinon, vous ne vous promèneriez pas avec un poison quelconque dans vos poches, à tout hasard ? Si lui offrir un verre pouvait la mettre hors d'état de nuire, on tiendrait là un combo des plus efficaces. »

Je repasse en mémoire tout ce que je possède dans mon Sac sans Fond mais je crains de ne rien posséder qui pourrait l'arrêter, à moins éventuellement de l'engoncer dans une robe de riche facture ? J'ai bien Hiswë, la protectrice des sources, puissante gemme possédant une Vérité de l'Eau ... « Sinon ma dernière proposition est une attaque en bonne et due forme ... J'ai une gemme qui pourrait la paralyser mais une Vérité de l'Eau ici nuirait sûrement la réputation des Héléos ... Sans compter ma réputation à moi. Et une Vérité de Glace serait encore pire, même si elle serait bien plus efficace pour l'empêcher de nuire. » Mais comment agir sans être soupçonnée ? Et sans risquer de faire des Parlèms de la Cour des ennemis jurés des Héléos ? La situation politique du peuple des Mers est déjà suffisamment compliquée sans mon aide ...

Il avait l’impression que son cerveau allait se mettre à fumer par ses oreilles tant il essayait de retourner tout ce qu’ils avaient appris dans tous les sens pour se forcer à en faire ressortir une solution à leur problème. Protéger l’Oracle en soit ne serait pas forcément d’une grande difficulté. C’était surtout la suite qui l’inquiétait, il leur fallait si possible faire en sorte que la jeune femme ne puisse pas se faire mordre deux fois par le même serpent. Le comte devait être particulièrement décidé à mettre un terme à ses jours pour le faire ainsi en public lors d’un bal. Si sa proie lui échappait ce soir-là, il était probable qu’il ne lâche pas l’affaire si aisément.

– Nous ne sommes effectivement pas dans la meilleure posture, mais même s’ils ne nous croient pas concernant le commanditaire, ils seraient obligés à être encore plus vigilants si nous leur faisons part de nos craintes ; ils ne pourraient pas prendre le risque pour la sécurité de Talgard. Elle serait sauve pour ce soir, mais je ne pense que cela suffise malheureusement, si les coupables courent toujours sa vie restera en danger.

Il sentait une ébauche d’inspiration venir au monde sans arriver à lui donner une forme précise, jusqu’à ce que toutes les réflexions à voix haute de Winter se bousculent et se mélangent pour former enfin une idées plus ou moins précise. Par réflexe il tâta ses vêtements mais en vain : dans une telle tenue il n’avait pas fait suivre les fioles qui ne quittaient jamais son sac sans fond. En revanche, il savait où les trouver, et rapidement puisque sa lyre ainsi que son manteau et donc son sac se trouvaient dans un placard du vestibule. Avec un sourire à la fois espiègle et triomphant, il saisit la main de sa comparse.

– Mieux qu’un poison, j’ai de quoi l’arrêter au moment où elle s’en prendra à l’Oracle, avant qu’elle ait pu lui faire du mal. Ainsi ils seront obligés de nous croire et nous aurons plus de poids pour mettre en cause le nom du comte de Servan. Il jeta un coup d’oeil à la grande horloge avant de continuer. Nous avons encore un peu de temps, mais il nous faudra agir vite, et j’aurais besoin de vos compétences.

Ainsi, sans perdre une minute de plus, il lui offrit à nouveau son bras – il fallait bien maintenir les apparences, et puisqu’ils avaient déjà commencé à donner l’image d’un jeune couple fougueusement épris l’un de l’autre, ils allaient bien montrer aux invités ce qu’ils voulaient voir. Il entraîna la voleuse vers le hall d’entrée de la demeure, vérifia qu’il n’y avait personne pour les surprendre, et lui désigna une porte. Comme toujours, il avait surveillé sa lyre après l’avoir confiée au domestique et avait bien repéré où elle avait été déposée. Le reste de ses affaires devait se trouver au même endroit.

– J’imagine que vous êtes capable de crocheter une serrure. Pendant qu’elle se mettait au travail, il lui expliqua la suite de son plan. Je possède une fiole de poudre épaisse, qui doit se trouver dans mon sac. Si nous parvenons à l’utiliser sur la mercenaire au moment où elle passe à l’acte, nous pourrons à la fois prouver sa culpabilité sans aucun doute et protéger l’Oracle. Si tout se passe bien, l’implication du comte pourra être démontrée d’une manière ou d’une autre, surtout s’il tente de fuir ou de la faire taire en voyant que son plan a échoué. Des suggestions ?

Cette stratégie était loin de ne posséder aucune faille, mais c’était la meilleure qu’il avait réussi à élaborer avec les contraintes de temps et de moyens qu’il avait.

Leur faire part de nos craintes ... oui, forcément c'est une idée mais j'ai la sensation que cela ne suffira pas. Rhys s'agite, cherche dans ses poches et je me demande un instant si c'est une façon de mettre de l'ordre dans ses idées ou de chercher quelque chose qui pourrait nous aider. Soudain, il m'attrape part la main et me fixe avec intensité, un immense sourire aux lèvres : « Mieux qu’un poison, j’ai de quoi l’arrêter au moment où elle s’en prendra à l’Oracle, avant qu’elle ait pu lui faire du mal. » Surprise, je me tourne vers mon acolyte. Ça c'est une bonne nouvelle comme on aimerait en avoir plus souvent ! Je souris à mon tour et attend la suite. Je sens que je ne vais pas être déçue.

Il aura besoin de mes compétences ? J'acquiesce d'un mouvement de tête. Tout ce qu'il voudra si cela nous permet de sortir victorieux de cette incroyable épopée. Qui aurait cru que la Cour était si affolante ? Je la savais pleine de rumeurs et de complots mais la réalité a largement dépassée toutes mes espérances. Je souris lorsqu'il me présente son bras. Oui, les apparences avant tout, bien sûr. Il ne faudrait pas que nous ayons l'air de deux comploteurs, même si c'est assurément ce que nous sommes. Sans m'en dire plus, Rhys me guide à travers la salle, où nous attirons les regards. Je distribue les "bonjour" et les sourires mais je refuse chaque verre que l'on me propose. Je ne sais pas encore ce qui m'attend mais je suis pratiquement certaine qu'il sera préférable de ne pas avoir les mains encombrées.

Alors que nous arrivons dans le vestibule par lequel nous sommes entrés en début de soirée, il m'expose son plan. De la poudre épaisse ? Oui, c'est une excellente idée ! Je prends un instant pour réfléchir aux éléments qu'il vient de me donner puis je récapitule, pour être sûre de l'avoir bien compris : « Nous revenons donc dans la salle et jouons le jeu de l'amour en attendant qu'elle passe à l'action ? » Ça se tient. « Il faudra nous tenir non loin de l'Oracle ... Je ne connais pas la portée de ma gemme mais je doute qu'elle puisse agir sur la poudre épaisse si j'en suis trop loin. » J'inspire un grand coup. Ça va être du tonnerre.

Les doigts de Winter s’activaient habilement autour de ses outils alors qu’elle crochetait la serrure de la penderie. La facilité avec laquelle elle sembla y parvenir fit réfléchir son compagnon à deux fois : le sentiment de sécurité qu’il avait eu en y déposant ses affaires et surtout sa précieuse lyre en entrant dans la demeure était en réalité bien fragile : sa comparse venait de lui prouver par l’exemple qu’il n’était pas si difficile de passer outre la maigre assurance du verrou si l’on venait à connaître l’emplacement du dépôt. Tout en surveillant ses arrières, il fouilla rapidement dans son propre sac à la recherche de sa fiole, résistant contre toute attente à la tentation de jeter un oeil dans les possessions des autres invités. Après tout, le temps était compté et des affaires plus urgentes l’attendaient.

Une fois ce qu’il cherchait trouvé, tout remis en place et la porte à nouveau verrouillée, il offrit une nouvelle fois son bras à la belle Crystal pour la reconduire dans le salon principal. La tête penchée vers sa compagne, Rhys tenta de faire un récapitulatif de leur plan, voulant s’assurer qu’il n’y aurait pas d’accrocs – ou le moins possible.

– À présent que nous avons la poudre épaisse, nous sommes prêts, il me semble ? À la réflexion il ne me semble peut-être pas si judicieux de prévenir l’Oracle. Si les comploteurs voient que ses gardes du corps sont sur le qui-vive, je crains que ça ne les empêche de passer à l’acte ce soir et cela ferait capoter tout notre plan. Qu’en pensez-vous ? Il nous suffit de nous trouver suffisamment proches pour pouvoir utiliser votre gemme et ma poudre pour arrêter la mercenaire. Il sera alors à la charge de la sécurité de lui faire avouer qui sont ses complices et son commanditaire.
Son esprit tournait à toute vitesse pour ne rien oublier.
– En revanche, il est possible, même très probable, que l’on vous demande par la suite de témoigner de ce qui s’est passé ce soir. Cela sera-t-il un problème pour vous ?
Après tout, une fausse identité pouvait se révéler dangereuse dans un cas comme celui-là. Il avait cependant confiance dans sa capacité à pouvoir la faire disparaître rapidement avant que les regards se tournent vers eux avec trop d’insistance.
Au moment de passer la porte du salon, il lui glissa :
– Vous m’avez raconté une bonne plaisanterie.
Et il éclata d’un rire séducteur au moment de pénétrer dans la pièce.

Leur entrée fut accueillie par des messes basses et des ricanements entendus de la part des quelques personnes se trouvant à proximité. Visiblement, leur absence avait été remarquée par certains mais l’interprétation qu’ils en faisaient ne risquait apparemment pas de les mettre en danger. Leur plan était aussi bien huilé qu'il était possible, mais un grain de sable réussit malgré toutes leurs précautions à se glisser dans un engrenage.

Alors qu'ils étaient en train de se diriger dans la direction de l'oracle, échangeant des mondanités ici et là sans vraiment s'arrêter nulle part, une silhouette se dressa soudain devant eux.

– Rhys, ne vas-tu pas me présenter ta compagne ?
Zayne arborait un sourire faux, et Rhys lui répondit avec un tout aussi crispé.
– Zayne. Je te présente Crystal de Faertas. Crystal, voici mon très cher frère aîné, Zayne de Canhall.
– Je suis ravi de faire votre connaissance, ma demoiselle. Il s'inclina poliment devant Winter. C'est la première fois que j'ai le plaisir de vous voir à Arnlo, êtes-vous ici depuis longtemps ? Comment appréciez-vous notre belle ville ?

Rhys jeta un regard désespéré à l'horloge, dont les aiguilles se rapprochaient dangereusement de minuit. S'ils n'arrivaient pas à se dépêtrer d'ici, ce crétin allait tout faire foirer !

Je regarde Rhys sortir une fiole de son sac et sourit largement. Nous formons décidément un bon duo ! Il range ses affaires et je referme le verrou avec précaution afin de ne pas rayer le mécanisme, ce qui aurait fourni une preuve de mon passage. Ni vu, ni connu, nous sommes prêts à continuer notre aventure.

Bras dessus, bras dessous, nous reprenons le chemin de la salle de bal, où nous attirons immédiatement les regards. Lorsque mon compagnon se penche vers moi, je crois un instant qu’il s’apprête à déposer un baiser sur ma joue pour alimenter les rumeurs mais il prend le temps de me répéter notre plan au creux de l’oreille. Conserver les apparences et tout en étant efficace, cet homme pense décidément à tout. Lorsqu’il me demande si nous sommes prêts, j’acquiesce, prenant soin d’adopter un sourire amoureux au passage, comme s’il venait de me faire une déclaration particulièrement romantique. Je me penche ensuite vers lui pour lui murmurer à l’oreille : « Ca ne devrait poser aucun problème, je suis aussi douée pour raconter des histoires que pour crocheter une serrure. » Je m’écarte ensuite et lui adresse un clin d’œil, ce que remarque une courtisane proche de nous qui s’exclame bruyamment avant de rejoindre ses comparses en gloussant.

Nous traversons la salle, rions, échangeons des sourires complices mais, bientôt, nous voilà interrompu par un certain Zayne. On n’aurait pas pu imaginer un homme plus différent de Rhys. Là où ce dernier était souriant et paraissant ouvert à la discussion et à la plaisanterie, son freère semblait renfermé et son regard avait quelque chose de froid, me rappelant la banquise des mers du Sud. Si j’avais eu le choix, ce n’est pas le genre d’homme à qui je serai allée parler. Mais il ne me laisse pas le choix et, alors que je m’apprête à leur fausser compagnie pour surveiller la mercenaire Héléo, Zayne m’interroge sur ma présence en ces lieux. Je retiens une grimace, qui aurait été bien mal venue. A la place, je me compose un sourire des plus agréables – ou du moins, autant qu’il est possible d’être agréable en présence de cet homme – et rie doucement : « Enchanté, Zayne de Canhall. Je suis là depuis quelques mois, tout de même, mais je n’avais encore jamais eu l’occasion de me présenter à ce genre de réceptions. Mais à présent que j’ai goûté à leurs délices, soyez assuré que vous me verrez plus souvent. » Je lui adresse un sourire charmeur avant de me tourner vers Rhys : « J’aimerai allé voir les desserts, j’ai ouï dire qu’ils étaient excellents. M’accompagnerais-tu au buffet ? »

Du coin de l’œil, je vois la femme héléo tourner sur elle-même en riant. Son sourire est enthousiaste mais ses yeux détaillent la salle avec minutie. Si elle décide d’agir maintenant, il faut que nous soyons prêts. Avec autant de discrétion que possible, je tire sur la manche de Rhys pour lui faire comprendre l’urgence de la situation avant de chercher de nouveau la mercenaire des yeux. Cependant, lorsque je regarde à l’endroit où elle se tenait une seconde plus tôt, je m’aperçois qu’elle a disparu.