La famille Shuöra fait partie de la petite noblesse d'Hélia : leur place est assurée à la capitale depuis des générations, ils disposent d'une richesse convenable et leur respectabilité a permis à quelques uns de ses membres d'être élu à la haute-chambre. Ces personnages, peu nombreux dans l'histoire de la lignée, ont d'ailleurs leurs portraits en bonne place dans la demeure familiale. A part ces quelques faits d'armes (qui remontent tous à plus d'un siècle), les Shuöra sont surtout remarquables par leur manque d'ambition : ils ont trouvé leur place et ils ne voient aucune raison d'en bouger d'un iota.

Les parents de Finnick, Redea et Sylneas, étaient bien décidés à suivre cette voie : ils étaient appréciés par leur communauté, ils vivaient un amour tranquille et sans remous, et ils prenaient leur temps avant de donner naissance à leur premier enfant. La famille avait besoin d'un héritier, certes, mais rien ne pressait pour le moment.

Mais les dieux vinrent légèrement bousculer leurs plans et leur tranquillité séculaire : tous les héléos obtinrent une seconde apparence, et ils purent soudain sortir de l'eau et de leur routine pour aller explorer les vastes terres du continent. De nombreuses personnes de la capitale se lancèrent dans cette aventure, et même Redea se laissa convaincre d'aller visiter le Port de Thalis. Une fois revenue, elle décida avec son mari qu'il était tant qu'ils fondent une famille, afin d'offrir à la jeune génération l'opportunité de découvrir ce monde neuf à leurs yeux.

Ainsi Finnick vint au monde deux ans après le début de l'exploration du continent par les héléos. Son enfance se passa sans accroc : ses parents, bien qui vieillissant, firent de leur mieux pour l'entourer dans un monde qu'ils ne maîtrisaient plus totalement. Et si leurs conseils étaient parfois un peu dépassés, ils compensèrent largement ce défaut par l'amour qu'ils avaient à lui offrir.

L'adolescence fut plus difficile : Finnick avait toujours été un peu petit pour un garçon de son âge, mais la puberté marqua véritablement sa différence avec les autres et il en souffrit beaucoup. Lui qui était un enfant plein de joie de vivre et aimant être entouré, il devint plus renfermé. La plupart des gens ne le faisaient pas méchamment, mais il était souvent confondu avec une fille à cause de sa voix fluette et de sa silhouette élancée. De plus, alors qu'il voyait petit à petit tous ses camarades obtenir leur apparence humaine, lui ne constatait pas le plus petit changement dans ses écailles.

Jusqu'à une certaine nuit, la veille de ses seize ans, où il rêva d'Eliosa, de la Déesse Mère, de Niria, Cioriel, Poliote et d'autres dieux qu'il ne connaissait pas mais qu'il devinait dans l'ombre de sa vision. Lui qui n'avait jamais été particulièrement croyant, il se réveilla en sueur, ému et bouleversé. Et surtout, humain...

Au cours de la grande fête que ses parents organisèrent pour fêter son passage à l'âge adulte dans un riche établissement du Port de Thalis, mais aussi pendant les semaines qui suivirent, il ne put s'empêcher de penser que tout ceci était un miracle. Il avait enfin une apparence humaine, et en plus elle avait éliminé toute trace de cette féminité qui le mettait si mal à l'aise ! Ce nouveau corps bipède était un don des dieux, il en était convaincu.

En guise de reconnaissance, Finnick a décidé de consacrer sa vie à la prêtrise, voie au demeurant tout à fait honorable pour un Shuöra. Il sa d'abord été formé dans le grand temple d'Heliosa à la capitale, mais il a rapidement désiré étendre ses études. En effet, il n'est pas convaincu que ce soit la déesse mère des héléos qui leur ait offert cette nouvelle apparence, et l'étude de cette question le passionne. Dès ses vingt ans, il est donc parti régulièrement pour de longs voyages au cours desquels il a pu découvrir d'autres autels, d'autres rites, et mêmes d'autres dieux, comme Simius, déesse du feu et de la connaissance.

Il profite également de ses voyages à travers Madelle pour prêcher la bonne parole et rassurer autant qu'il le peut les croyants : les dieux ne les ont pas abandonnés, et ils veillent sur eux. Il s'estime en être la preuve vivante, et son don pour les discours lui permet souvent d'emporter l'adhésion de la foule. Cependant, ces derniers mois ont été éprouvant, le spectre de la guerre et de Sydilia planant sur les esprits et mettant à mal la foi de certains...