Cyeran ne savait plus depuis combien de temps il marchait. Il savait seulement qu’il avait quitté ces terres qu’il connaissait tant et ce depuis un moment déjà et se sentait de plus en plus déstabilisé par tout ce qu’il pouvait croiser. Chacune de ces nouvelles découvertes lui rappelaient amèrement qu’il n’était plus chez lui et surtout qu’il n’était pas près d’y retourner car il n’y trouverait alors que la mort. Comme ce nouvel environnement ne lui était pas familier, il avait eu un peu de mal à trouver de quoi manger et à s’orienter. Quoique le second aspect n’était pas réellement un problème puisqu’à la base, il n’avait pas de réelle destination. Il savait seulement qu’il se dirigeait vers le nord-ouest depuis plusieurs jours. Cyeran avait progressé plutôt lentement dans les derniers jours, comme si au fond il avait du mal à accepter qu’il devait définitivement quitter tout ce qu’il connaissait. Il avait réussi à trouver quelques racines qu’il savait comestibles, et c’était ce qui avait composé son alimentation des derniers jours. Assis sur un rocher, l’enfant était d’ailleurs en train de mastiquer difficilement l’un de ces racines caoutchouteuses en observant les alentours afin de déterminer la suite, ou plutôt le début, de son plan. À l’horizon, il pouvait apercevoir de grands arbres. Ils ne semblaient pas si éloignés et Cyeran se dit que c’était probablement la meilleure direction à prendre pour espérer trouver de l’eau.

Avec la vie qu’il avait menée au milieu des plaines arides, Cyeran avait pris l’habitude de ces sensations désagréables lui rappelant qu’il avait soif. Il sentait la sécheresse jusqu’au fond de sa gorge et s’en trouvait presque rassuré. Car, comme la faim qui faisait grogner son estomac, ces sensations lui rappelaient qu’il était encore vivant. Rassemblant ses quelques affaires, Cyeran entreprit de se remettre en route. Son peu copieux petit déjeuner avait suffi à le motiver. Oui, ce jour-là il mangerait de la viande c’était décidé! Et surtout, il trouverait de l’eau. Après avoir affuté quelques flèches, il se mit en marche vers les arbres qu’il apercevait encore au loin. S’aidant un peu de ce grand bâton qu’il avait taillé quelques jours plus tôt au cas où il aurait à se défendre, il remonta une pente abrupte et rocailleuse pour se retrouver sur un terrain qui le déstabilisa encore d’avantage. Devant lui s’étendait à perte de vue une grande plaine herbeuse, les arbres semblaient encore plus loin maintenant, au fond peut-être que la soif le faisait halluciner, ça n’aurait pas été la première fois qu’il était confronté à ce genre de situation.

Se sentait particulièrement vulnérable, l’enfant enfonçant bravement son chapeau sur sa tête et serra fermement son bâton. Et ce soleil qui lui plombait sur la tête bon sang Cyeran était terrifié. Non, il devait se ressaisir et avancer. Après tout, il avait vu bien pire que ça! Toutes ces créatures étranges toutes plus effrayantes les unes que les autres qu’il avait chassé avec son père! Ce n’était certainement pas une simple plaine couverte de verdure et un soleil brillant qui allaient lui faire peur! Une plaine…qui lui semblait presque sortie tout droit d’un autre monde et qui le rendait vulnérable à la moindre chose qui pourrait  penser faire de lui son encas…et un soleil qui lui brouillait la vue. Le moindre son, le moindre craquement de brindille le faisait sursauter et regarder partout autour de lui comme si sa vie en dépendait, ce qui était probablement le cas. Pourtant, Cyeran n’était qu’un enfant et il lui arrivait à l’occasion de perdre sa concentration quand quelque chose de vraiment intéressant surgissait devant lui comme ce ruisseau qui s’écoulait paisiblement entre les brins d’herbes. Oubliant les menaces qui auraient pu surgir d’un peu partout, Cyeran s’élança aussi vite qu’il le pouvait, les bandes de tissus de son vêtement décrépi volant autour de lui, et se retrouva rapidement à genoux, les deux mains plongées dans l’eau. Il sentait l’eau couler entre ses doigts alors qu’il portait ses mains à sa bouche pour s’abreuver enfin. Pendant ce bref instant, il ne portait plus du tout attention à ce qui se passait autour de lui.

Je ne compte plus les jours ni les nuits que j'ai passé sur la terre ferme. Pour une sortie, c'est une sacrée sortie. Un mois environ. Enfin... je crois, vu que le temps sur terre me paraît plus long qu'en mer. Bref. Ma principale erreur fut de sortir sans aucune de mes armes. Et de ce que j'ai pu voir jusque là me fait penser à une chose. Que ce soit sur terre ferme ou en mer, il y a toujours des endroits où l'on peut ressentir un certain manque de sécurité.

Tant de jours à marcher, croisant des humains me regardant d'un drôle d'oeil. Etait-ce à cause de ma tenue et de mes bijoux ? Qu'à force je finis par les mettre dans la petite bourse pour ne pas créer de tentation. Tant de nuits à se cacher dans un arbre, derrière un buisson, dans une cour, pour ne dormir que d'un œil à cause d'éventuels voleurs, pirates, pilleurs. Tant à marcher que les chausses fines s'abîment. Je commence à avoir mal de marcher autant. J'ai hâte de pouvoir trouver de l'eau. Cette sensation de peau supplémentaire à cause de la poussière, que je n'aime pas ça !

L'hiver était une bénédiction pour mois. Ma saison favorite. Logique dans un sens puisque je ne connais pas les autres saisons en terre humaine. Alors que des bourgeons apparaissent, que des petites fleurs s'épanouissent doucement, que des végétaux verdissent. Quelques effluves éparses et légères me chatouillent les narines. C'est donc cela que les premiers héléos visitant  disent être le printemps. Leurs décors tous aussi variés que les nôtres. Moi qui croyais que les humains se ressemblaient. Contrairement à mes semblables, je n'ai aidé aucun homme. Je me préoccuperai de cela lorsque cela se présentera à moi. Moi, je profite de ma sortie pour connaître l'histoire originelle de notre monde.

Mes pas me mènent à un endroit qui me fait penser à notre abysse par sa profondeur. Un canyon. Ainsi, il y en a un aussi. Tout paraît si... calme, beau et étrange à la fois. Quelques frissons chauds me parcourent le dos. Je me dis que dans toute beauté il y a danger. Cette fois, même si je reste sur mes gardes, je vais tout de même me reposer un peu. Plus qu'à trouver un coin où je pourrai détendre les muscles, les soulager un peu. Et vu la douleur ressentie, les masser un peu comme m'avait dit mon père une fois. Je n'en peux plus. Je retire mes chausses que les humaines appellent ballerines afin de finir pieds-nus. Rien à craindre il y a de l'herbe paraissant tendre.

Un jeune garçon de par sa stature est à genoux de l'autre côté de l'onde pure courant tranquillement. Va-t-il bien ? Il a l'air puisqu'il boit. Puis, une impression étrange. Comme lorsque je suis chez moi. Un peu comme une habitude. Un ou une héléo je parierai. Ressenti confirmé par la forme approchant dans le dos du jeune. Pendant que je m'assieds à l'ombre se terminant au bord de la rive, la silhouette se précise. C'est UNE héléo. Nous paraissons tous les trois bien fatigués. Etant donné qu'elle lui adresse la parole, je ferai mieux de l'écouter. Je me présente une fois que j'ai fini d'arroser un peu mes pieds avec mes mains. Je ne sais même pas la manière que je dois utiliser pour m'adresser à eux.

Ex... Excusez-moi. Je ne connais pas ces lieux et j'avoue m'être perdue.

Non mais quelle introduction je vous jure. Moi un jeune femme héléo de glace fière, parler ainsi ? Tant pis. Je me rattraperai après.

Cyeran eut bien de la chance de ne pas tomber sur quelqu’un de plus malveillant car il aurait sûrement été déjà mort à cause de son manque de prudence. Il était tellement occupé à boire qu’il n’avait même pas entendu quelqu’un approcher. Ce n’est que lorsqu’il entendit l’écho d’une voix tout juste derrière lui qu’il figea un instant. De qui s’agissait-il? C’était probablement une femme vue la tonalité de la voix mais impossible de savoir si elle avait l’intention de vraiment lui faire du mal. Dans tous les cas, elle semblait hésitante, ce qui aurait pu signifier plusieurs choses. Pour le moment, il ne bougea pas. Il ignorait si elle était armée et une réaction trop vive de sa part aurait pu causer un drame. Calmement, il entreprit de répondre à la question qu’on lui posait.

- Je suis Cyeran… Il s’arrêta aussitôt. Tous ses sens en alerte, il entendit cette fois quelqu’un d’autres s’approcher. Elle n’était donc pas seule? Il était sérieusement dans le pétrin si c’était le cas. Deux contre un, ce n’était jamais une bonne situation, surtout quand on se retrouvait du côté minoritaire de l’équation. Pourtant la nouvelle venue semblait toute aussi hésitante que la première. Face à cette constatation, Cyeran osa doucement tourner la tête afin de voir à qui il avait à faire. Ses grands yeux bleus se braquèrent sur les deux jeunes femmes et tout ce qui lui sauta aux yeux fut la dague que tenait Hespérine. Il perçu ce geste avant tout comme une menace et par réflexe voulu s’écarter le plus possible et le plus rapidement possible de cette personne armée et menaçante à ses yeux. Résultat, en voulant reculer il se retrouva à l’eau. Au moins, ce n’était pas profond car il ne savait pas du tout comment nager. Ce n’est pas le genre de choses que l’on apprend en grandissant dans le désert. Mais il était tout de même trempé et pas réellement en contrôle de la situation comme il avait du mal même à se relever correctement pour retrouver un certain équilibre et être en mesure de se défendre, ou du moins essayer.

Dans la position plutôt vulnérable où il se retrouvait maintenant, il avait davantage l’occasion de voir à quelle menace il faisait face. Ces deux femmes ne ressemblaient pas aux gens dont il avait l’habitude. Quoiqu’il n’avait pas vraiment connu beaucoup de gens. Dans tous les cas, elles ne paraissaient pas vraiment menaçantes et il était sérieusement en train de se demander s’il n’était pas en train de se rendre complètement ridicule. « Qu’est-ce que vous voulez… » Il n’était pas certain de vraiment vouloir le savoir. Peut-être que ce n’était qu’une couverture, peut-être qu’ils avaient réalisé qu’il n’était pas mort et étaient venu réglé le problème! Mais elles ne ressemblaient pas à des Récleyés. Cyeran n’osait plus bouger, il était là, les deux pieds dans l’eau, complétement trempé et visiblement aussi confus que celles à qui il faisait maintenant face.

La première rangea son arme, Cyeran se demanda s’il n’était pas préférable de se méfier encore tout de même. Il savait maintenant qu’au moins l’une de ses femmes était armée et se doutait bien que la seconde pouvait sans doute se défendre si elle voyageait ainsi car elles semblaient toutes deux aussi perdue que lui. Il accepta volontiers la main que Phaëlaë lui tendit pour se sortir de sa situation plus gênante que fâcheuse. Cyeran reprit pied sur la terre ferme et sa mauvaise chute n’aurait été qu’un souvenir si ses vêtements n’avaient pas été trempés, une sensation étrange qu’il n’avait pas vraiment ressentie souvent. Il observa maintenant Hespérine et Phaëlaë, elles avaient quelque chose d’étrange mais il n’aurait pas pu dire quoi exactement. Dans tous les cas, Cyeran savait qu’elles n’étaient pas comme lui, ce qui aurait pu vouloir dire beaucoup de choses. Un détail le chicotait en particulier. Il voyait bien les sourires, les signes de Phaëlaë pour Hespérine, est-ce qu’elles se connaissaient? Pourtant elles agissaient comme si c’était le contraire. Peut-être qu’elles lui mentaient mais pourquoi? Peut-être que les Récleyés les avaient engagé pour le tuer! Non c’était absurde, jamais un Récleyés n’aurait confié un travail à quelqu’un qui n’était pas un Récleyés. Du moins, c’était ce que son père lui avait toujours dit et il le croyait sur parole à ce sujet.

Préférant toujours la discrétion à toutes les approches, Cyeran se fit petit et écouta la jeune femme à la longue chevelure. Il retourna boire un peu encore pour étancher sa soif. Mais, il profita surtout de ce moment pour essayer d’écouter les deux étrangères et espérer saisir quelques paroles qui pourraient le rassurer…ou conforter ses craintes. Cyeran aurait aimé avoir une gourde comme celle que son père lui avait fabriqué quelques années auparavant, mais il n’avait rien pu récupérer vraiment de ses affaires avant de fuir en s’extirpant d’une pile de cadavres. Il aurait pu tenter d’en fabriquer une mais il était loin d’avoir les ressources nécessaires pour y arriver. Il devrait donc se contenter d’espérer qu’au cours de son voyage, il continuerait à tombe sur des sources d’eau potable avant de mourir de soif. Au moins, cette fois il resta sur ses gardes, plus question de se retrouver pris au dépourvu. Se redressant, d’un geste inconscient Cyeran replaça son chapeau un peu trop grand aussi droit que possible sur sa tête. Sans doute n’aurait-il pas dû interrompre une conversation, mais disons que les règles de politesses les plus élémentaires étaient probablement une chose qui lui était plutôt étrangère, il ramassa le bâton, qui lui servait à la fois de bâton de marche et d’arme plutôt rudimentaire, et s’approcha à nouveau des deux Héléos.

- Vous êtes étranges…vous n’êtes pas des Récleyés... dit-il d’abord comme s’il pensait à voix haute. Sans doute n’était-ce pas la meilleure chose à leur dire comme il ne connaissait rien d’elles et de leurs possibles connections avec les siens ni ce que le monde extérieur pouvait penser des siens.

- Vous vivez dans une bien drôle de contrée. Est-ce qu’il y a autant d’herbes si courtes partout? Ou est-ce que je suis dans un lieu bien différent du reste du monde? Je veux dire, je sais que chez moi c’est différent mais je parle du reste du monde à part chez moi…qui n’est plus vraiment chez moi de toute façon. Est-ce que le monde est bien grand? Y a-t-il des monstres dangereux ici aussi? C’était la première fois qu’il avait l’occasion de parler à quelqu’un depuis bien longtemps, ce qui expliquait sans doute en partie sa subite volubilité, et il se disait que peut-être ces personnes si différentes de lui aurait pu l’aider à en savoir plus sur ses terres étranges dans lesquelles il se retrouvait à errer sans autre but que celui de survivre. Au moins, parler de choses qu’il connaissait comme de son ancien chez lui et de monstres le rassurait un peu en quelque sorte.

Des héléos? Vivre dans l’eau? Mais qu’est-ce que c’était que ces histoires? Cyeran n’y comprenait absolument rien. Dans un premier temps, ça lui fut complètement impossible à concevoir. Ensuite, il se dit que c’était peut-être un peu comme toutes ces créatures que son père avait chassé, il y en avait de toute sorte. Peut-être que ces deux jeunes femmes étaient d’une autre espèce de gens? C’était la façon la plus logique qu’il avait trouvé pour se l’expliquer. Il n’osa pas trop poser de questions à ce sujet de peur d’avoir l’air trop stupide. Il réalisait combien il ignorait bien des choses sur ce monde. Il s’assit sur un petit rocher. Cyeran ne se sentait pas vraiment encore bien à l’aise dans toute cette herbe de toute façon, la pierre lui était quelque chose de bien plus familier. Il continua à les écouter, espérant à travers la parole comprendre un peu mieux qui étaient ces deux femmes. Effectivement, elles semblent être très sérieuses avec leurs histoires de vivre sous l’eau. Elles étaient peut-être des espèces de poissons qui ressemblaient à des humains? Peu importe, Cyeran abandonna l’idée de comprendre. Après tout, simplement s’imaginer qu’un autre monde existait encore le décourageait. Phaëlaë se mit alors à l’interroger. Cyeran haussa un sourcil, ne sachant plus trop sur quel pied danser. Certes, elles ne semblaient pas menaçantes mais il n’était pas prêt de leur faire confiance pour autant.

- Bien…j’imagine que je suis un humain oui. Encore une fois il n’osa pas admettre qu’il ignorait que quelque chose d’autre d’aussi près de l’humain puisse exister. Chez moi c’est très différent. Il n’y a pas de l’herbe comme ça sauf dans la forêt mais il ne faut pas y aller seul parce que c’est dangereux. Il y a des grandes pierres et des monstres avec des grandes dents mais s’est facile de les chasser enfin pas tous mais plusieurs. Parler des terres inexplorées ne lui semblaient pas particulièrement risqué. Après tout, elles lui avaient parlé de leur propre monde. C’était plutôt cocasse de croiser d’autres personnes qui semblaient ne pas réellement connaître tout ce qui pouvait les entourer.

- J’ai treize ans, je suis presqu’un homme. Après tout c’était pour ça que son père l’avait abandonné dans cet endroit horrible. Mais je ne pourrais jamais être un homme, c’est pas si grave. En quittant l’académie Cyeran était certain qu’il resterait un simple enfant, même s’il n’avait pas vraiment eu le temps de comprendre ce qu’on aurait pu vouloir lui enseigner. Il regarda les ombres s’allonger sur le sol, il se sentit déjà plus à l’aise. Les ombres lui rappelaient son père, ces années passées à chasser simplement. Je ne peux pas aller avec des gens…ils vont me retrouver et me tuer c’est certain.

Cyeran en partant n’avait jamais imaginé qu’il pourrait un jour véritablement ne plus simplement être seul. Ça lui paraissait trop risqué. Si on venait à savoir qu’il était encore en vie il était fichu, il le savait au fond et ça expliquait sans doute pourquoi ces deux jeunes femmes l’inquiétaient autant et pourquoi il n’avait aucune envie de sortir de son errance solitaire.