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J'ignorai le regard de Narya, j'étais épuisée par cette course-poursuite et Osmund était déjà arrivé à l'entrée de la ville. Le vacarme qui avait résonné à quelques rues d'ici ne m’interpella pas. J'avais peut-être pris la décision d'arrêter de fuir le danger, mais cela ne voulait pas dire que je comptais me jeter vers lui à chaque fois qu'il croisait ma route. Je commençais à avancer pour rejoindre mon protecteur quand je lançai aux deux jeunes femmes derrière mon dos :
- J'ai eu assez d'émotions pour aujourd'hui. Je sors de la ville pour monter un petit campement. On se retrouve plus tard.
Sur le chemin, je restais silencieuse et repensais aux derniers événements. Ma main se posa sur ma flasque. J'avais vite compris que courir pour échapper aux récleyès était impossible, mais de là à les combattre, je ne m'en sentais pas vraiment le cœur. Je bus une première gorgée. Depuis mon départ, j'avais cruellement manqué de courage, mes années enfermées dans ma chambre m'avaient empêché de voir la réalité du monde. Une autre gorgée. Le choc avait été trop violent et cela ne faisait qu'empirer.
Ma flasque était vide lorsque j'arrivai à l’extrémité de Krik, je rejoignis Osmund et montai sur son dos. Nous allâmes alors au même endroit que la veille et nous nous installâmes. J'étais seule, ma tête sur le flan du denmuys, sa respiration m'apaisait. J'aurais dû avoir peur de m'endormir vu les circonstances, mais mes paupières étaient lourdes et je m'endormis rapidement sans vraiment m'en rendre compte. Sombrant dans un cauchemar où je ne cessais de fuir une ombre.
le 5 Malier 1248 avec Niklaus Alhaad
Je me réveillai avec une impression d'être observée. Osmund se redressa en même temps que moi, je ne cherchai même pas à savoir si les deux autres rousses m'avaient rejoint et sans réfléchir je saisis ma flasque et la portai à mes lèvres, pas même une goutte ne tomba. Je la remis à sa place et pris ma bourse pour vérifier ce qu'il me restait, je repensais à cet Alendil à qui j'avais payé à boire, à cause de lui, il me restait tout juste de quoi prendre un ou deux verres. Je me relevai difficilement en tenant un instant ma tête.
Tournant le dos au campement et demandant à mon protecteur de rester ici, je retournais en ville. La panique qui s'était emparée de Krik se ressentait dans les rues pavées. Par moment, un long silence laissait croire que l'endroit était inhabité, mais l'instant d'après, on croisait des gens affolés ou prétendant avoir vu l'ennemi au détour d'une ruelle. J'avançais sans me soucier de ce qui se passer autour de moi, je cherchais simplement un endroit où étancher ma soif.
Je m'arrêtai devant un bar à l'apparence très rustique. Un clochard dormait près des quelques marches qu'il fallait gravir. J'ouvris la porte et une odeur de transpiration et d'alcool m'assaillit, mais ne me fit pas reculer. C'était exactement ce que je cherchais ! Le genre d'endroit où l'alcool coule à flot pour quelques pièces. Mon entrée souleva quelques regards interrogateurs, voir haineux, ils ne devaient voir en moi que l'étrangère.
Je me dirigeais vers le bar et pris place entre une jeune homme sec qui avait le regard perdu dans le miroir derrière le bar et un homme bien plus imposant qui me dépassait d'au moins une tête. Je les saluai avec un léger sourire et demandai au barman de me servir. Je déposai ma flasque et le contenu de ma bouse devant lui, il accepta en levant un sourcil, j'ajoutai :
- C'est pas assez ou on doit se servir tout seul ?
Il ne prit même pas la peine de me répondre et me servit un verre d'une bouteille sous le bar qui éveilla l'hilarité de ceux qui m'encerclaient. Je la sentais pas trop cette boisson, mais c'était servi. Je le bus d'une traite, le liquide brûlant ma gorge, je ne pus esquiver une grimace de dégoût qui arracha un sourire au tavernier. Peu importe, je claquais mon verre pour en redemander un. Il eut l'air surpris et fut arrêté avant de me servir par l'homme à ma gauche qui tendit trois pièces :
- Sers-lui quelque chose qui ne va pas la tuer dans la journée.
J'acceptai volontiers son offre et le remerciai. Nous discutâmes pendant près d'une demi-heure avant qu'il ne prenne un dernier verre pour se diriger vers le centre de la salle. Je repris alors ma flasque et reniflai son contenu pour m'assurer que c'était bien du rhum. J'allais partir, quand l'homme qui m'avait tenu compagnie commença à se lancer dans un long discours. Je restai d'abord en l'écoutant d'une oreille, puis peu à peu, ses propos devinrent plus sombres.
Il essayait d'attiser la peur et cela semblait fonctionner. Il ne me paraissait plus aussi amical, l'avait-il réellement été. Au fil du temps, l'endroit était de plus en plus bondé, bientôt, je ne le vis plus. Je repris un dernier verre quand un homme encore plus grand que l'orateur lui coupa la parole. Je me levai en emmenant mon verre et me frayai un chemin jusqu'à eux. Les deux avaient un puissant charisme, la foule se laissant complètement guidée par celui qui prenait la parole.
Moi, je sirotai simplement mon verre sans réelle réaction, mon regard allant de l'un à l'autre. Je ne réagis pas et restai incrédule comme le reste du bar quand celui qui m'avait offert à boire transforma son bras en lame. Son visage sembla se déformer par la rage et il se jeta sur celui qui l'avait provoqué. En vain. Il se retrouva la seconde d'après au sol, livré à tous ces alcooliques. Certes, j'en faisais partie, mais contrairement à eux, mon esprit m'appartenait.
Avant que la foule ne se referme sur lui, je réussis à me frayer un chemin juste qu'à la porte d'entrée. Sans réfléchir un instant, je tournais la poignée et partais de cette ville de fous. J'avais fais mon maximum pour aider Krik, mais toute seule, c'était impossible. Je courais dans les rues, remarquant à peine que déjà certains faisaient leurs bagages pour partir de cet endroit. L'annonce seule du retour des Récleyès avaient suffi à nous effrayer.
Je retrouvais Osmund à la sortie de la ville. Il m'attendait. Je ne pris pas la peine de le remercier et montai sur son dos pour m'enfuir au plus vite de cet endroit.