Saona a été prise d'assault.
Je me souviens encore du moment où j'ai appris cette horrible nouvelle. J'étais rentrée d'une journée de spectacle, à Terna, éreintée par ma journée, ne rêvant que de rejoindre mes draps. Mais, alors que je montais doucement les escaliers vers ma chambre, les mots tombèrent, glacial, des lèvres d'un voyageur. Tout le monde s'était tu, d'un coup ; et puis, ce fut un florilège de questions, de remarques, voir de cris pour les plus passionnés. Quant à moi, j'étais resté dans mon escalier, à regarder le messager de cette triste nouvelle, sans encore en saisir le sens.
Saona, une des villes les plus paisibles et glorieuses de Madelle, prise d'assaut. Je n'aurais jamais cru ça possible, et pourtant, j'avais entendu ces rumeurs, sur ces prétendus Récleyès. En toute franchise, je n'y avais jamais trop prêté attention, occupée à des choses plus importantes, mais qui me semblent désormais futiles. Car maintenant, j'étais prise de cours ! Je ne savais pas concrètement ce qu'ils étaient, et encore moins comment ils avaient pu arriver à quelques chose d'aussi… Enorme. Car c'était bien le mot, énorme. Sous le choc, je suis allée me coucher, mais je n'ai dormi cette nuit-là que d'un sommeil agité.
Le lendemain et les jours suivants, exceptionnellement, je prenais dans mes maigres économies pour acheter un journal et tenter de comprendre ce qui avait pu se passer. Au bout d'une semaine, on parlait déjà de Saona comme d'une ville fantome, elle dont le rayonnement s'étendait autrefois à tout Madelle. Sa population n'est plus que l'ombre d'elle-même, seuls subsistent des blessés, les autres ayant fuit.
Je ne savais pas pourquoi, mais cette nouvelle me touchait. Ça me semblait si énorme, si absurde, que je ressentais le besoin d'y aller, au moins pour prendre conscience de tout ça. Et surtout… Pour aider. J'avais longtemps laissé mon don de côté, pour ne me concentrer que sur mon art. Mais désormais, je comptais bien l'utiliser pour aider. Je ne savais pas combien de temps durerait cette expédition, mais dans tous les cas, peu importait ; un des avantages de ma vie d'artiste, c'était justement cette liberté d'agir à ma guise, sans contrainte ni prévisions.
Le lendemain, j'ai immédiatement préparé mon sac, pour prendre la route de Saona. Je suis arrivé quelques jours après. Devant la ville, j'hésite ; j'allais sûrement y voir des choses dures. Mais je ne veux plus reculer ; il est temps pour moi d'aider, en faisant honneur aux dons que Poliote m'a donné.