Gwen détesterait qu'on commence son histoire en parlant de ses parents plutôt que d'elle, mais tant pis, son ego s'en remettra. De plus, difficile de faire l'impasse sur ses orgines alors que ses parents font partie de la noblesse d'Arnlo. Son père n'est nul autre que Saer Canhall, époux respectable de Cerys Canhall... qui n'est pas la mère de la petite Gwenllian.

Après la naissance de leur quatrième fils, Rhys, Cerys s'était détournée de son mari, épuisée par ses grossesses à répétition. C'était aussi un soulagement de pouvoir le repousser au pretexte de sa santé : leur union était un mariage arrangé comme cela se fait si souvent dans la noblesse Parlèms et ils n'avaient jamais éprouvé beaucoup d'affection l'un pour l'autre.

Mais Saer ne supportait pas bien d'être ainsi éconduit. Indifférent au début, il s'était habitué au confort conjugal et à la disponibilité de son épouse, et il était en plus attaché à une certaine image de la virilité. Ainsi, à quarante ans passés, il n'avait pas résisté à l'envie de suivre l'exemple de temps d'autres hommes avant lui et il avait fait des bals d'Arnlo son nouveau terrain de chasse. Il avait rapidement séduit une débutante de vingt ans sa cadette, Lisbeth Kornal, charmante d'innocence et de naïveté. Il n'avait pas prévu qu'elle tomberait très rapidement enceinte.

Bien sûr, hors de question pour lui de reconnaître la paternité de l'enfant à naître ; il abandonna Lisbeth à son sort et retourna auprès de sa femme, guérit pour un temps de toute envie de prendre le risque d'aller voir ailleurs. La jeune noble sécha dû vite sécher les larmes de sa première déception amoureuse : ses parents refusaient de voir leur nom entaché à cause de sa « sottise » et ils l'envoyèrent à la campagne le temps qu'elle accouche afin de conserver le secret. Pendant cet exil, ils tentèrent d'abord de la convaincre d'abandonner l'enfant pour pouvoir reprendre sa place dans le monde. Elle refusa catégoriquement. Ils eurent alors l'idée de la marier avec un cousin désargenté qui accepterait de jouer le rôle de père en échange d'un avantageux accord financier. Encore une fois, Lisbeth s'y opposa.

Elle était bien décidée à élever cet enfant, et à la faire seule. Puisqu'on lui avait arraché son innocence, elle ne se faisait plus guère d'illusion sur ce qui l'attendait si elle revenait à Arnlo ou si elle acceptait un mariage désespéré. Quand son bébé se révéla être une fille, elle fut d'autant plus déterminée à l'élever en dehors des codes qui avait fait d'elle une jeune femme si facile à manipuler. Elle parvint même à convaincre sa famille de ne pas la laisser sans ressource en échange de la promesse de changer le patronyme de la petite. Ce qu'elle fit, la nommant Gwenllian Pryde.

Gwen, comme elle préférait qu'on l'appelle, se révéla être une enfant vive, indépendante et dotée d'une malice qui faillit faire perdre patience à sa mère plus d'une fois. Grandissant à la campagne, à la fois à l'abri du besoin et des attentes rigides envers les jeunes filles, elle eut une enfance libre et heureuse.

A l'entrée dans l'adolescence, elle finit par comprendre ce que sa situation familiale avait de particulier. A partir de quelques indices arrachés à sa mère, elle enquêta en secret et découvrit l'identité de son père et de ses demi-frères. Elle réussit à rentrer en contact avec le cadet à l'occasion d'une des rares visites à Arnlo qu'on lui permettait, et les deux jeunes gens nouèrent rapidement une relation aussi solide que secrète.

Une fois adulte, elle dut tout de même se poser la question de son avenir. N'entrer dans aucune des cases de la société lui laissait une grande liberté, mais uniquement si elle était prête à se battre pour sa place. Elle choisit de faire son entrée dans le monde en profitant de la petite rente que versait toujours discrètement ses grands parents. On n'osa pas la refuser ouvertement : l'identité de sa mère était un secret de polichinelle, et elle en profita avec un certain culot pour se faire inviter dans les soirées nécessaires.

Une fois connue, elle trouva assez vite des nobles blasés prêt à l'inviter pour la plaisir du scandale contrôlé que cela déclenchait. Elle aimait jouer avec les limites, mais elle appris bien vite à ne jamais trop les dépasser et à naviguer ainsi de soirées en soirées et de bras en bras. La ville d'Arnlo était assez vaste pour que cette frange de la bonne société soit assez large pour qu'elle y vogue à sa guise sans jamais avoir à monnayer ses charmes. Elle est peut-être une courtisane, mais elle refuse de se prostituer. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir des aventures avec les jeunes gens à son goût, bien entendu...

Pour le moment, le secret de l'identité de son père est toujours bien gardé. Elle s'amuse parfois à provoquer le vénérable Saer Canhall, parfaitement au courant de leur lien génétique, en affichant sa proximité avec son fils Rhys. Cependant, elle est trop prudente pour vraiment provoquer sa colère. En plus, elle trouve la situation actuelle beaucoup plus amusante.