Il faisait froid en cet hiver de 1244. Deth avait 16 ans et était encore à l'Académie. Sa vérité s'était éveillée il y a un an et déjà, il savait qu'il faisait parti des meilleurs. Il maîtrise son don comme ses doigts, il fait ça naturellement. C'est si simple de faire bouger une lame où on veut !
Allongé sur une branche d'un arbre, il avait une fois de plus, sécher le cours de théorie guerrière : qu'est-ce qu'il en a à cirer de savoir placer des bataillons ? Jamais il ne sera général ou quelconque commandant. Etre soldat non plus ne l'intéresse pas, pourtant c'est un peu vers cette voie que les cours mène. Il préférait se concentrer sur le maniement de sa Vérité, comme il le fait maintenant, en faisant voltiger ce bout de métal au dessus de lui. Il s'imagine déjà combattre avec une multitude de lames nues et même d'épées à son service : il serait invincible ! Un sourire niais se dessine sur ses lèvres. C'est si beau de rêver quand on est adolescent !
Le jeune garçon n'a pas senti l'homme s'approcher. Ce dernier s'impatiente devant le manque de réaction de l'étudiant et se met à tousser pour s'éclaircir la gorge, de plus en fort. Deth sursaute, ne s'attendant pas à ce que quelqu'un le déniche ici. Il se réceptionne pas, glisse de la branche et tombe face contre terre dans la neige qui amorti sa chute dans un "Pouf" pas très délicat. Derrière lui, un éclat de rire se fait entendre. Le jeune homme se redresse, secoue la tête pour enlever la neige et peste contre le type qui l'a dérangé. Il se retourne, prêt à lui rendre la monnaie de sa pièce, mais se ravise face au corps imposant de l'homme.
Mon... Monsieur Jovansson ! Je... que faites-vous là ? dit-il en bégayant. Le professeur s'approche de lui, se baisse et sourit, profitant de l'effet de supériorité qu'il dégage. Il faut dire que carrure aide vraiment à se faire respecter, mais aussi à apeurer les pauvres petits élèves ! Deth est encore en train de grandir, et même s'il ne fait pas parti des plus petits en taille, il est encore loin d'atteindre celle de l'enseignant ! N'étant pas rassuré, il n'ose pas se lever ni même dire un mot de plus. A quelle sauce va-t'il être mangé ? Car c'est bien beau de faire le malin et de faire l'école buissonnière, ça reste difficile à assumer derrière !
Mais il n'en est rien. Enfin pour l'instant. L'homme d'âge mûr lui tend sa main afin qu'il la prenne pour qu'il puisse se mettre debout. Une fois seulement les pieds sur le sol, Deth frotte ses vêtements pour enlever la neige. Puis le professeur prend la parole : « Et bien mon petit on ne va pas en cours c'est ça ? » Le jeune homme dégluti. Oh merde, on va lui passer un savon. Enfin dans tout les cas, il sera réprimandé. Mais il sait que le professeur Jovansson, c'est le pire. Voyant l'air décomposé de son élève, Arsen éclate de rire. Un rire fort, sincère et sans complexe. Le genre de rire a attiré l'attention sur vous. Deth panique et regarde autour de lui. Par chance, l'endroit est désert, ce n'est pour rien qu'il y a élu domicile pour ce temps là !
L'enseignant redevient sérieux. « J'ai vu que tu t'entraînais avec ce bout d'acier. Tu es très doué pour quelqu'un de ton âge ! Vu que tu t'améliores dans ma matière, ne t'en fais pas, je ne vais rien dire. Après tout, tu faisais tes devoirs n'est-ce-pas ? Qui te reprocheras d'étudier sérieusement ? » Un sourire complice se dessine sur ses lèvres. Le jeune Arvèles n'en revient pas. Monsieur Jovansson le soutient et même le couvre ! Incroyable, mais vrai. Un poids sur ses frêles épaules s'envole.
« Par contre, ne crois pas t'en sortir aussi facilement... Tu me connais jeune homme, je ne suis pas un tendre. » Gloups ! Il ne fallait pas être soulagé trop vite ! Que va lui proposer son professeur de maniement de Vérité ? Il n'espère pas une punition trop dure... Il en a déjà assez manger des tours de terrain d'entraînement en courant, un soir venteux et pluvieux, ou encore écrire cent fois la même phrase pour récolter un énorme mal de poignet...
Comment en était-t'il arrivé là ? Il fermait les yeux se concentrant avec force si bien qu'il fronçait du nez et des sourcils, et faisait un bruit comme s'il poussait pour déféquer lors d'une constipation... Autant vous dire, c'était loin d'être à son avantage ! Il devait créer une arme ? Et puis quoi encore ? Lui il les contrôle ! Il ne les fabrique pas ! Mais Arsen Jovansson est convaincu que le jeune homme peut le faire : on est pas limité à faire une seule chose avec sa vérité et il veut que Deth en ait conscience...
Sans bouger, l'Arvèles est tout de même épuisé et est essoufflé.
Je n'y arrive pas monsieur ! C'est trop dur ! Comment voulez-vous que je fasse ? L'enseignant affiche un air mécontent et réprimande aussitôt son élève : « Comment veux-tu y arriver si tu abandonnes si vite ? Ça fait seulement cinq minutes que tu y es et tu n'as rien fait ! Je peux clairement voir que tu as encore de la ressource : tu n'as même pas utilisé une once de ta vérité ! » Le jeune homme grommelle dans sa barbe inexistante, mais l'éclaircissement de voix du professeur signale que ce n'est pas passé inaperçu...
Il faut imaginer l'arme, précisément. Pas un simple brouillon, esquisse ou autre. Non. Il faut faire comme si elle existait vraiment. Mais c'est si dur quand on a pas la moindre idée de quoi faire ! La seule chose qui lui vient à l'esprit, c'est une épée, toute simple, mais tellement simple que ses contours sont floutés par son manque de contentement face à sa création. Toutes ces hésitations font que ça ne mène à rien.
Deth s'était découragé de nombreuses fois, mais son professeur ne l'avait pas lâché d'une semelle. Jamais l'attention du jeune homme a été aussi mise à l'épreuve pendant une telle durée. D'habitude, il ne tient pas en place, se déconcentre très vite, préférant regarder au dehors ou jouer avec des feuilles de papier plutôt que d'écouter et écrire. Mais Arsen savait parfaitement le gérer. Et il avait aussi la chance d'être l'enseignant de la matière favorite du garçon.
Après maints efforts, quelque chose de produisit. Un trait bleu avait été matérialisé dans les mains de l'Arvelès avant de disparaître quelques secondes après. Jovansson sourit. Il suffisait d'être patient ! Deth avait gardé les yeux fermés tout le long, et pourtant, il avait senti quelque chose dans sa paume. Ses yeux scintille, comprenant qu'il venait de franchir une étape : Il s'est passé un truc non ? J'ai presque réussi hein ? J'ai senti un poids dans ma main ! L'adulte affiche un air soudainement intéressé. Il n'avait qu'un simple trait fin au dessus de ses doigts ! Et pourtant cet objet si frêle avait un poids ? Il ne pensait pas que la matérialisation se ferait dans cet ordre : la masse avant de définir l'objet...
« C'est bien, continue. C'est un très bon signe ce qu'il vient de se passer. Par contre, essaye d'imaginer une arme simple, comme les épées d'entraînement. Je sais que tu ne les aimes pas, mais comme tu les as déjà vues et utilisées, ce sera plus simple à matérialiser. » Ah les fameuses épées d'entraînements ! D'abord en bois les premières années, puis en métal léger depuis cette année... Deth n'a jamais été brillant au maniement de l'épée et s'est pris de nombreux coups de la part de ses camarades qui ne l'apprécient guère... Cet objet ne représente pas son souvenir le plus heureux...
Mais ça l'a marqué. Il ferme à nouveau les yeux se concentre et visualise parfaitement cette "arme du mal". Cette image est si déplaisante qu'il rajoute une garde mieux décorée, change légèrement la lame pour l'incurver, la rend plus brillante, plus neuve... Un contact froid dans ses mains nues le réveille de sa torpeur.
Stupéfait, il constate l'arme qu'il a imaginé dans ses mains. Elle est exactement comme il venait de la voir dans son esprit ! Le jeune homme est bouche bée devant ce spectacle : il avait réussi ! De son côté, même Arsen était impressionné : ce petit avait brûlé les étapes ! Son oeil ne se trompait pas : bien que peu sérieux en cours, il possède une source de vérité incroyable. Ses mains s'activent toutes seules et voilà qu'il applaudit l'oeuvre de son protégé. « Bravo ! Je ne pensais pas que tu y arriverais si vite ! Ta punition a été plus courte que ce que je pensais ! »
Quand il arrive à hauteur du jeune homme, l'épée disparaît sous le regard surpris du garçon : Je n'ai rien demandé pourtant ! Pourquoi elle n'est plus là ? Le professeur pose une main sur l'épaule de l'adolescent : « C'est la première fois que tu fais une chose pareille : ne t'attend pas à matérialiser à l'infini et autant de temps que tu le souhaites une arme de ce calibre là ! Je suis étonné que tu n'ai pas l'air plus épuisé que ça, ou alors tu es vraiment un bon acteur ! » Il ne s'en était pas rendu compte, mais après coup, Deth sent son corps s'alourdir et un mal de crâne le prend. Son corps avait épuisé une grande quantité d'énergie.
Sans crier garde, il se laisse tomber et il ne voit plus que du noir.
Arsen le rattrape de justesse avant qu'il ne s'affale dans la neige. Non, il n'est pas un bon acteur : c'était l'adrénaline et l'excitation qui le faisait tenir debout. Quand le calme est revenu, l'élève est tombé littéralement de fatigue. Il dort dans les bras de son professeur. Un sacré phénomène ce petit gars, pense l'adulte. Il soulève le corps de l'adolescent comme s'il n'avait été qu'une simple brindille, le pose sur son épaule et le transporte comme un sac à patate, en direction de l'infirmerie, endroit où il pourra trouver un lit.