Le début de notre histoire remonte à une trentaine d'années environ, aux abords du marais des Kraveles.
En un lieu perdu entre de minuscules villages et de denses forêts, entre les eaux marécageuses de ce véritable petit "bout du monde", se tenait une grande maisonnée, aux allures lugubres et décrépites. Vous savez, ce genre de maison habitée par une vieille bonne femme et qui ferait reculer n'importe quel enfant, qui la croirait hantée, pour sûr... ?
Voilà où débute notre histoire.
Dans "le domaine Caranthir", comme on l'appelait, vivait en effet une vieille bonne femme, qui, plutôt que faire du mal aux enfants perdus, les recueillait et les élevait comme s'ils avaient été les siens.

Parmi les cinq enfants qui résidaient l'effrayante maison, vivaient trois garçons; Oros, Drachev et Soren.
Ces trois-là étaient inséparables depuis qu'il s'étaient trouvés, et faisaient les quatre-cent coups dans les villages voisins, au grand désarroi de leur matrone.
Ensemble, les jeunes garçons grandirent tels les petits diables du coin, se battant tout le temps à droite à gauche, charmant les filles des fermiers du coin et leur volant leurs vertus. Ils étaient peut-être mal vus de certains, c'est bien possible, mais ils étaient heureux.
Ils étaient libres de vivre, dans ce coin si sombre que même les dieux semblaient avoir oublié. Les problèmes de l'un étaient les problèmes des deux autres, entre eux, c'était "à la vie à la mort" et il en fut toujours ainsi, jusqu'à ce qu'ils deviennent de véritables hommes.
Alors, ils partirent vivre leurs vie ici ou là, sans trop s'éloigner du marais.

Soren, lui, était devenu chasseur de monstres, ou gardien, si vous préférez. En effet, les monstres et autres bestioles étaient monnaie courante dans le Kraveles. Malgré ça, il n'était pas vraiment chasseur... Disons juste qu'il protégeait du mieux possible le peu de culture qu'il y avait. En échange de ses services, on lui en fournissait d'autres; nourriture, gîte, etc...
Ce n'était pas un métier facile, mais il lui permettait de vivre, de s'endurcir et d'être un homme responsable, pour une fois.
On lui fit construire une petite maison dans une petite ville environnante et c'est là qu'il la rencontra. Ophélia...
Jamais on n'aurait pu penser que des paysans puissent enfanter si bel enfant, et pourtant...

Dès l'instant où il la rencontra, il sut que c'était elle.
Et c'est ainsi qu'avec le temps, et bon nombre d'efforts plus ou moins pitoyables, que tous deux finirent par vivre l'amour, le vrai, si l'on puis dire.
Ils vécurent une parfaite idylle l'histoire de quelques années, avant de se marier.
A cette occasion, Oros et Drachev, qui s'étaient retrouvés pour ouvrir leur propre forge, offrirent à leur "frère" la plus belle épée qu'ils n'avaient jamais forgé depuis leurs débuts, et ce avec les matériaux les plus chers qu'ils n'avaient jamais pu s'offrir.

La vie continua, toujours aussi belle et parfaite pour les deux tourtereaux. Ou presque.
Drachev, le plus jeune des trois frères, fut un jour tué, lors d'un duel qu'il n'avait pourtant pas provoqué. Une dispute ayant éclatée, il avait fini par se battre à l'épée face à un mercenaire venu avec sa bande "pour affaires".
Rapidement mis à terre par son adversaire, il est mort roué de coups par la bande de saoulards qui l'accompagnait.

Bien entendu, cela éveilla des tensions. Oros quitta sa petite forge familiale pour retrouver Soren. Ensemble, ils vengeraient leur jeune frère, pour sûr !
Ainsi, les deux hommes finirent par confronter les assassins de Drachev, devant la maison même de Soren, dans laquelle s'était réfugiée Ophélia, qui n'avait que trop peur pour son mari, à raison.
Les mots s'échangèrent très vite et bruyamment, puis les coups...

Oros tomba le premier, défiguré, brisé par les coups de masse incessants de la vingtaine d'hommes qui leur faisait face.
Puis... Soren.
Se défendant tel un diable, tel une bête acculée, à bout de souffle. Son épée fila dans les airs, encore et encore, laissant de longs sillons de sang sur l'herbe verte des marais. Impossible de compter combien d'hommes étaient morts sous ses coups, tout cela se passa bien trop vite.
Empalé au bout d'une fourche, puis d'une seconde, sa mort fut douloureuse, mais rapide.
Les villageois hurlaient, pestaient. Les mercenaires repartirent...

C'est ainsi que finit notre histoire, mais c'est aussi ainsi qu'elle débute.
Ce rêve, cette sensation, cette voix. Cela restera toujours gravé dans son être, dans sa chair marquée par le mal...
Dans la noirceur la plus absolue, sous le regard vitreux de Soren, se tenait Uraang, dieu de la mort et de la fatalité.
Rongé par la haine, par la fureur, par l'action de la bataille, et soucieux de la sécurité de sa femme, l'homme voulut hurler, il voulut ordonner au dieu lui-même de lui rendre la vie. Il voulait lui dire que là n'était pas son heure, qu'il lui restait tant à faire... mais les mots ne sortirent pas.
Et pourtant.

Qui sait le nombre de jours qui passèrent.
Tout recommença... Un goût de terre, la sensation de se débattre avec rage pour s'en sortir. Des pleurs...
Des cris.
Sorti de sa tombe, le corps couvert d'un linceul mortuaire, il la vit.
Ophélia. La première chose que vit l'homme, en sa seconde vie, est sa propre femme et pourtant, pourtant il ne ressentit pas ce qu'il était sensé ressentir. L'amour, l'envie de la serrer tout contre lui...
A cet instant, il n'y avait plus que haine, violence, sang. C'est comme s'il s'était réveillé juste après avoir pris ce dernier coup, comme s'il était encore en train de se battre. Il avait toujours cette rage, ses muscles se contractaient presque tout seul, et...
Les cris cessèrent.

Ophélia, qui semblait voir un fantôme, qui semblait voir en son mari un véritable monstre, tomba à terre. Alors qu'elle fut la première chose qu'il fit, il fut sa dernière.
Le calme revint, et il comprit, il réalisa, mais les larmes ne coulaient pas. Sa soif de mort assouvie sur l'instant, commençait déjà à revenir. Il ne pleurait pas, mais s'en voulait, s'en voulait à mourir.

Se relevant, il enterra sa femme, lui jeta un dernier regard, puis se mit à marcher.
Il reprit cette épée, restée dans sa maison, dernier symbole de sa "première vie", puis partit. Personne ne sut ce qui était arrivé cette nuit, personne ne sut ce qu'il était advenu de la belle et jeune Ophélia.
Ainsi, son souvenir ne lui appartiendrait qu'à lui, pour toujours.

Il partit avant de faire plus de mal ici, en quête de mort.
De vengeance et de mort.
Les premiers mercenaires qu'il croisa sur sa route fut froidement et simplement exécutés, mais il en restait d'autres.
Il en restait d'autres, mais son besoin de mort était bien trop pressant, pour qu'il n'attende de tous les retrouver.

L'errance sans fin ne fait que débuter...