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Il était à côté de moi, me racontant son histoire. Je ne savais pas comment réagir, se dévoiler ainsi, cela ne me plaisait guère. Ma question n'était qu'une pensée échappée. L'entendre ainsi se confesser sur tout ce qui l'avait poussé à être ici aujourd'hui, c'était trop pour moi. J'avais simplement voulu me montrer amical envers lui, mais pas plus que ne le serait un étranger.

En savoir autant d'un coup de Shallowers me déstabilisa.Depuis, mon exil de la forêt, dès qu'une situation commencée à être sérieuse et prendre de l'importance, je fuyais. Je venais tout juste de terminer de rajouter quelques pièces de papier avec un fin fil blanc pour refaire les coins, que Shallowers  me retournant la fatidique question.

Comme un réflexe, un mécanisme de défense, appelé ça comme vous voulez, je me levai en soufflant ces quelques mots :

- Je suis désolée pour ta mère, elle devait être exceptionnelle. Moi, je n'ai rien vécu qui vaille la peine d'être raconté.  

Je m'éloignai alors vers l'étagère brisée. Je m'arrêtai pour prendre les deux morceaux de bois, ils étaient assez lourds, mais mon départ m'avait forgé. Je m'éclipsai dans la bibliothèque, traînant avec moi deux planches. Alors que je m'approchais de l'entrée, je rencontrai un des employés de ces lieux. Il m'indiqua alors un escalier qui menait à une réserve.

Ce n'était là qu'une excuse pour m'éclipser. J'avais lâchement abandonné Shallowers, c'était ce que je faisais, et le pire dans cela, c'est que je finissais toujours par le regretter. J'avançai doucement, profitant de la quiétude des lieux, pas un bruit ne s'élevait, il régnait un silence réconfortant. Après quelques minutes, je vis la fameuse porte.

Descendant rapidement l'escalier, je traversai un couloir étroit et trouvai sans difficulté la réserve. Avoir avoir posé les planches au sol, le plafond n'était pas assez haut, j'ouvris la porte. L'endroit n'avait pas dû être visité depuis des lustres. La poussière recouvrait un bric-à-brac qui envahissait la pièce.

Sans réfléchir, je pris les morceaux de bois et les jetai à l'intérieur. Après tout, nous n'avions pas été engagés pour ce genre de travaux. Je refermai la porte et remontai rapidement. Sur le retour, je fus encore plus lente, j'étais honteuse et n'osais pas retourner à la table de travail. En passant devant l'entrée de la bibliothèque, je m'arrêtai.

Une envie soudaine de partir, je n'avais toujours pas étanché ma soif. Il devait bien y avoir une taverne dans les environs, remplir ma flasque ne me prendrait que quelques minutes, personne ne remarquerait mon absence... Non ! C'était idiot, mieux valait rester ici, enfin, c'est surtout parce que ma bourse est vide, j'ai besoin de l'argent de ce travail avant.

Je retournai alors vers l'endroit où l'accident avait eu lieu. En arrivant, je gardai la tête basse, sans chercher Shallowers du regard, je me remets à ma place et prends un ouvrage. La couverture est complètement détruite, mieux vaut la retirer. Ceci fait, je pris un peu de la sève pour en enduire la tranche du livre, puis je pris l'une des couvertures vierges que le conservateur nous a laissé.

Le regard sur le bouquin, écrivant rapidement le titre approprié. Sans rien faire de plus, je prends un autre livre et commence à retirer les pages qu'il faut réécrire. Ce travail m’ennuie, j'attrape une feuille blanche quelconque, la plume qui est près de moi et cherche l'encre des yeux, je demande alors :

- Pourrais-tu me la passer s'il te plaît. Pour tout à l'heure, je voulais juste ne pas laisser ce bordel. Quelqu'un aurait pu se blesser.

Faux ! Je m'en fous, c'est un mensonge, désolé, mais c'est sorti comme ça. Peut-être que lors d'une prochaine rencontre, dans un autre lieu, une autre circonstance, je pourrais me montrer plus vraie avec lui. Mais là, c'est impossible, comment pourrais-je me détendre à côté d'une personne qui m'a rappelé le foyer que j'ai voulu quitter et sans le savoir, m'a montré que mes raisons étaient futiles. Si j'avais entendu son histoire avant, peut-être n'aurais-je pas quitté la forêt.

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La demande de Shallowers était à nouveau assez personnelle. J'étais plongée dans le recopiage de l'ouvrage, ne souhaitant pas lui répondre tout de suite. Je ne savais pas comment lui dire, j'avais plus que tout envie de voir un dragon de mes propres yeux, mais pas plus, je ne recherchais pas la compagnie des autres. Depuis ma fuite, mon esprit était perpétuellement ailleurs. Je n'arrivais pas à m'ancrer quelque part, me contenant de penser à la prochaine étape.

C'est ainsi, réfléchissant à mon départ de Terna pour la plage que je me plongeai dans mon travail, ignorant complètement la demande du jeune garçon. Alors que je terminais les dernières finitions, je relevai enfin la tête et le vis. Cependant, j'avais l'impression que j'avais trop attendu pour lui répondre. C'était trop tard, mon silence était assez éloquent. Pourtant, alors que je prenais à autre livre, je dis doucement :

- C'est très gentil, mais je préfère décliner. Comme je te l'ai dit, je préfère veiller toute la nuit pour terminer le travail que sortir et risquer de voir ce rat de bibliothèque nous jouer un mauvais tour.

J'étais peut-être un peu paranoïaque, mais j'avais cruellement besoin de cet argent. Je ne pouvais pas me permettre de me faire arnaquer. Alors que j'avais pris un livre au hasard, la couverture attira mon œil. Plus grand que la majorité, sous l'épaisse couche de poussière, j'eus l'impression de voir de petites étoiles. Passant ma manche frénétiquement dessus, une constellation était incrustée dans la couverture grâce à de fins morceaux de verre.

Pour la première fois, un des bouquins de la bibliothèque retenait mon attention. D'extérieur, il n'y avait aucun dégât, mais lorsque j'ouvris l’œuvre, je tombe sur des coins de pages mangés. La plupart avaient été mangés. Il fallait tout rapiécer, ce serait long, et pourtant, je gardai le livre en main. Cela me faisait sourire, si j'étais tombée dessus plus vite, je n'aurais sûrement pas passé des mois à errer sur le continent.

Regardant Shallowers, j'avais envie de lui dire quelque chose de gentil. Je n'avais pas envie de faire étalage de mon histoire, mais je ne voulais pas non plus me montrer orgueilleuse ou égoïste. C'était cependant dur de retrouver son attention après ma mini-fuite. J'engageai donc la conversation simplement, alors que j'étais en train de recoudre quelques morceaux de papier :

- On dirait que l'on ne s'en sort pas si mal. Le soleil n'est même pas couché et on a déjà presque réparé la moitié des bouquins. Si tu veux retourner voir ton compagnon, tu peux y aller. Je serais toujours là demain matin.

Un léger sourire s'afficha. C'était très rare que j'offre quelque chose depuis que j'étais sur la route, mais je m'étais montrée très froide avec lui alors qu'au contraire, il semblait plutôt enclin à être amical. Je voulais me racheter, lui proposer de faire le mur, pendant que j'assurais notre place et notre paiement en restant ici toute la nuit. Rien ne servait de rester ici à deux. De toute manière, s'il partait, je ne comptais pas travailler d’arrache-pied. Je n'étais pas du genre à voler le travail d'un autre.

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Ré-écrivant les pages qui avait été mangées par la vermine de la bibliothèque, je levai à peine le regard lorsque Shallowers partit pour je ne sais quelle raison. Il y avait plusieurs pages à refaire, mais j'écrivais plutôt rapidement. J'avais terminé de restaurer le livre avant l'arrivée du jeune garçon. Je l'avais alors mis sur la pile des terminés et en avait pris un nouveau. Cette fois-ci, je ne m'attardai pas sur le contenu, recopiant mécaniquement les pages qui étaient abîmées.

J'étais à la moitié lorsqu'il revient. Mon attention entièrement portée sur le travail à accomplir, je ne remarquai le sandwich que lorsqu'il me parla. Relevant le regard, je lui répondis avant de prendre la nourriture :

- Merci beaucoup. Dès qu'on sera payé, je te le rembourserais. Pour l'étagère, laisse donc faire la bibliothèque, ils ont sûrement du personnel qualifié pour cela. Sinon, rien à signaler.

Je pris le sandwich et croquai dedans avant de le reposer. Quelques miettes étaient tombées sur la page que je reprenais. Je décidai alors de terminer mon travail avant d'apaiser ma faim. Comme je ne prêtais pas attention réellement au contenu, je terminai assez rapidement. Je me levai pour déposer le livre. Mon sandwich en main, je le dévorai bruyamment en quelques minutes debout pour ne pas salir ma table d'écriture. Les bonnes manières n'avaient jamais été mon fort, mais je n'avais pas envie de me rajouter du travail.

Alors que je froissai le papier qui entourait la nourriture qu'il avait amené, je me tournai vers Shallowers. Je ne savais vraiment pas quoi lui dire. C'était peut-être mieux ainsi, après tout, lorsque nous aurions fini je ne comptais pas rester avec lui. Depuis mon départ, je voyageais seule avec Osmund et je ne comptais pas changer mes habitudes. Cette vie de solitude m'allait très bien. Pourtant, la façon dont je lui répondais me déranger. Il ne m'avait rien fait, au contraire, il était très prévenant. Pourquoi agir ainsi ? Jamais avant je n'avais été si méprisable, sûrement un effet dût à l'alcool qui me manqué.

Je m'approchai de sa table de travail et regardai au-dessus de son épaule. Il avait une très belle écriture, cela se voyait qu'il avait reçu une bonne éducation. Un sourire à peine perceptible se dessina sur mes lèvres qui dans un premier temps restèrent closes. Je changeais d'avis, retournant à ma table. Pourtant, alors que je prenais un nouveau livre dont la couverture était entièrement à refaire, mes lèvres s'ouvrirent, il ne méritait pas que je sois aussi sèche, alors je lui dis doucement :

- Merci d'être resté. Désolée si je peux te paraître asociale, mais ça va faire un petit moment que je suis seule sur les routes. J'ai oublié les quelques bonnes manières que j'avais...

Arrachant sans aucun remord la couverture du livre, je pris le matériel adéquat pour en refaire une toute neuve. L'obscurité était en train d'envahir la bibliothèque, les derniers rayons du soleil ayant du mal à arriver à nous. Je me levai et allumai les quelques bougies présentes dans notre espace de travail. Elles étaient toutes enfermées dans une lanterne afin d'éviter que la flamme ne prenne trop d'ampleur. J'en ramenai une sur ma table de travail, puis une autre près de Shallowers. Mon léger sourire n'avait pas disparu, j'avais envie de paraître moins sauvage, ainsi j'accompagnai mon geste de quelques paroles :

- On est parti pour travailler une bonne partie de la nuit, mieux vaut y voir clair.

Je retournai à ma place et repris mon travail, mais cette fois-ci je n'étais pas plongée dans l'oeuvre, jetant par moment des coups d’œil vers la garçon assis non loin de moi.

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La lueur du jour m'avait arraché au sommeil. Je ne fis pas attention à Shallowers et me remis immédiatement à travailler. Nous avions terminé, mais je voulais m’assurer que la colle avait bien pris et que nous n’avions rien oublié. Ce n’était pas banal, être méticuleux n’était pas dans mes habitudes, mais je me devais d’avouer que j’avais apprécié passer cette journée dans ce lieu. Il n’y avait encore que quelques mois, j’aurais tout donné pour me retrouver ici. Maintenant que j’y étais, pourquoi n’avais pas su apprécier le moment à sa juste valeur.

Je n’étais venue ici que dans une intention et cette idée de récompense ne m’avait pas lâché. Jusqu’au levé du jour. Pour la première fois depuis mon voyage, je ressentais une certaine paix. Cependant, je savais très bien que ce moment n’était que futile. Dès que le vieillard arriverait, je ne penserais qu’à partir pour pouvoir acheter des provisions et repartir au plus vite. C’était l’océan mon but. Allez au bout du monde. Il n’était plus question pour moi de rester enfermé au milieu des livres.

Le conservateur arriva dans mon dos et je sursautai lorsqu’il apparut à ma droite pour déposer les ouvrages qu’il avait en main. Je ne compris pas tout de suite ce qui se passait et prit entre mes mains le livre qu’il m’avait choisi. C’était ça sa récompense ? Un bouquin ? Je l’ouvris et voulus protester que c’était un salaire que j’attendais, quand je vis de quoi il s’agissait. Avec cet ouvrage en possession, je ne risquais plus de me perdre sur le continent. Ce n’était pas exactement ce que j’attendais, mais je restai muette.

N’étant tout de même pas entièrement satisfaite par ce qui venait de se passer. Je préférai prendre mes affaires et leur dit simplement un au revoir avant de tourner les talons pour sortir de la bibliothèque de Terna à la recherche d’un nouveau travail pour pouvoir aller toujours plus à l’ouest.