L'histoire de Kelia commence vingt-cinq années plus tôt. Elle vit le jour à Kamès, second enfant d'une fratrie qui devait en compter quatre. Son père est un grand prêtre rattaché au culte de Séliope. C'est un homme important dans la communauté puisqu'il arbitre les conflits et juge les criminels. Incorruptible, intransigeant, distant, il mène sa maison à la baguette, se considérant comme le berger garant de la sécurité de son troupeau. Si les écarts de comportement des enfants étaient durement sanctionnés, leurs efforts à se montrer respectueux de leurs parents, silencieux et disciplinés n'étaient pas récompensés. Prière, sermons sur le devoir et contritions, voilà à quoi ressemblait la vie morne de cette petite fille.

Être impartial et juste n'empêche aucunement l'ambition et la fierté naturelle de son père, sa confiance aveugle dans ses capacités l'ont toujours mené à gravir les échelons; sa progéniture devait pérenniser sa réussite en se montrant digne de lui. Il fut satisfait lorsque Kelia manifesta les premiers signes de Vérité en soignant une petite plaie qui s'était infectée. Pour améliorer ses dons, elle fut envoyée à l'école, ce qui lui permit d'échapper pour quelques heures par jour à son environnement familial sinistre. La petite fille ne savait comment se faire des amis ; elle ne lia pas de relation sincère au cours de sa scolarité mais s'avéra être une bonne camarade bien qu'un peu effacée.

Elle ignorait les projets que son père avait pour elle : après l'école qui lui avait fourni une solide éducation, elle épouserait un de ses jeunes collègues ou le grand prêtre au service d'un autre dieu. Comme sa mère, elle mènerait la vie respectable d'une épouse et mère de famille effacée. Mais ce destin tout tracé n'était pas celui dont Kelia rêvait. La petite fille avait grandi et l'adolescente s'imaginait sauver des vies en utilisant sa Vérité. Après la classe, elle deviendrait prêtresse de Poliote et sa seule ambition serait de soigner les malades et indigents.

La divergence de vues entre le père et la fille ne pouvait mener qu'à une crise. Cela arriva il y a sept ans. Kelia atteignait ses dix-huit ans, elle était en âge de se marier. De plus, elle quittait l'école et espérait entrer en religion. Ce qui déclencha la rupture fut la nomination d'une femme au Cercle de la Lumière. L'ire de son père traditionaliste qui estimait avoir mérité ce poste tomba sur sa fille qui souhaitait s'émanciper. Il la frappa et l'insulta sans aucune retenue.

Humiliée, sans espoir d'obtenir justice, la jeune fille décida de fuir à la faveur de la nuit. Ce soir là en regardant de loin sa maison natale, elle dit adieu pour toujours à sa famille et à ses rêves d'adolescente. Désormais, c'était à elle seule de décider de son destin.

Elle rejoignit une caravane qui lui permit de traverser le désert jusqu'à la terre de Faras. Elle se forgea un caractère affirmé en devenant serveuse dans une taverne. Kelia y découvrit l'alcool, le jeu, les festins, les amants, les rires… Rapidement la tristesse d'avoir abandonné sa vie à Kamès disparut: en Faras, elle avait appris ce qu'était la vie.

Kelia ne faisait pas grand cas de sa Vérité, mais après avoir soigné son patron d'une mauvaise grippe, elle fut assaillie par les habitants du village afin de les guérir de tout et n'importe quoi. Elle œuvrait selon elle en toute discrétion, mais le bouche à oreille mena un jour une neustro sur le pas de la porte de la taverne.

Meïanne et Kelia s'entendirent tout de suite. Elles avaient en commun une vie passée jetée aux orties pour courir les routes et une envie certaine d'aider leur prochain. Ni une, ni deux, la jeune namès abandonna son tablier de serveuse pour renouer avec son ambition de toujours : à défaut d'être prêtresse, elle sauverait tout de même des vies. Son initiation se passa à merveille puisqu'elle avait déjà quelques notions dans le domaine de la guérison. Elle apprit l'art secret des tatouages mais aussi les us et coutumes des régions qu'avait traversé son mentor.

Jugée suffisamment expérimentée pour officier seule, l'élève et son mentor se séparèrent au bout de cinq ans non sans effusion de larmes car les deux femmes étaient devenues amies. Depuis ce jour, Kelia arpente les routes afin d'aider ceux qui en ont besoin.