22 Kahl 1213, village Akramo :
Naissance d’un garçon dans une petite ferme, une parmi tant d’autres, apportant joie et bonheur à ce couple marié depuis leurs 19 ans. Patrick Barnes et Julie Barnes jurent d’élever ce précieux cadeau comme nul autre, une promesse qu’ils tiendront.

17 Virgonès 1213, village Akramo, foyer des Barnes :
Il sera baptisé Torn, un prénom aussi rare que rustre, issu de l’imagination conjugué de ce couple qui a réalisé que leur fils est né avec une difformité mineure : l’absence d’un annulaire gauche, un signe aussi sombre que la déesse de la Perfidie pour les habitants d’Akramo qui possèdent une coutume particulière pour le mariage : celle de se passer l’anneau.

3 Filiota 1218, village Akramo :
Torn Barnes est un jeune homme de quatre ans, né dans une modeste famille de fermier qui ne se distingue des autres que par le fruit de leur amour : le condamné, celui qui ne possède pas le doigt auquel est passé la bague.
Il est dit qu’une maison sans enfants est une tombe, c’est exactement le surnom qui a été donné au foyer de notre jeune ami, ses parents espérant tout de même qu’il arrive à s’intégrer au reste de leur communauté aussi pauvre que méprisée par les nobles. Mais c’est peine perdue, la mesquinerie de la jeunesse, l’indifférence des jeunes adultes et le mépris des anciens sont autant de portes fermées que de condamnations à la mort sociale.

28 Asmodor 1221, village Akramo :
Notre jeune freluquet de sept ans doit travailler au champ afin de permettre à ses parents de joindre les deux bouts, ayant essayé de concevoir un second enfant malgré leur « premier échec » mais en vain, se croyant maudit par les Dieux.
La vie est pénible pour Torn, entre le rejet flagrant par ses parents et sa place de bouc-émissaire parmi les enfants de son âge, pour les rares fois où il a encore le droit d’aller au village. Les seuls moments de répit son ses solitaires escapades sur les sentiers voisins, bien que personne ne l’aie jamais mit en garde de la présence de quelques bêtes dangereuses dans la région, bien que sa isparition n’inquièterai personne.

6 Ciorel 1225, village Akramo, foyer des Barnes :
C’est au cours de son onzième automne que la vie de notre petit change par la bourrasque de la violence et de la tragédie. Sa mère a sombré depuis deux ans dans une dépression aussi profonde que le Maldelly, complètement désespérée de ne pouvoir réussir à retomber enceinte alors qu’elle se noie dans les suppliques et offrandes afin d’apaiser les dieux. De son côté, son père s’est mit à voir une jeune femme du village voisin, afin d’étancher sa soif charnelle qu’il ne peut satisfaire avec son épouse qu’il délaisse complètement. Sur les épaules de Torn, c’est les pleures de sa mère, la violence de son père et une grosse charge du travail dans les champs qui écrasent tout son être, menaçant de le briser en deux à tout moment.
C’est le premier Sandrà du premier mois de l’été que le vase s’est retrouvé estoqué par un coup d’hallebarde, le fracturant en une centaine d’éclat, renversant son précieux contenu sur le sol dallé des satyres. Le patriarche est rentré tard, dans un état d’ébriété avancé, rapidement fusillé du regard par son épouse qui n’était pas au milieu de sa plus belle humeur. Le ton a rapidement explosé avant que la colère du père ne se porte sur leur rejeton mutant, portant le blâme de leurs malheurs sur le compte de Torn.
Emporté par les évènements, son buffle de géniteur l’a soulevé par le poignet, a plaqué son bras droit sur la table de la cuisine avant de couper son unique annulaire avec un couteau de boucher. Que ce soit par folie, frustration, colère ou désespoir, encore aujourd’hui notre infortuné Akramois ignore ce qui a pu animer son père ou paralyser sa mère qui l’a laissée faire.

25 Sòrn 1228, village Akramo :
La misérable vie de chien de Torn est devenue, à ce jour, plus qu’acceptable à ses yeux, prouvant encore une fois que les facultés d’adaptation de l’humain peuvent parfois être terrifiantes. Il montre une pieuse patience à tenter de conforter sa mère que même un dieu ne pourrait consoler, une hargneuse résilience face aux violences de son père et une fiévreuse dévotion dans son travail dans les champs. Cependant, de manière inavouable, il aspire à quelque chose de meilleur, construisant petit à petit les fondations d’un futur meilleur.

12 Ravrök 1230, village Puralo :
L’enfant tombale a fait ses valises, du jour au lendemain, à l’âge de 16 ans, emportant avec lui l’argent qu’il a économisé sur le dos de son secret labeur. Il a abandonné ses infâmes parents pour prendre sa vie en main. Ce jour est celui de son arrivée dans un village, loin au Nord-Est du sien, beaucoup plus proche du Port de Dorkno. Les choses seront loin d’être évidentes pour cet étranger venu de nulle part mais sa motivation semble inépuisable.

22 Khal 1231, village Puralo, la Taverne Ronronnante :
L’étranger est devenu quelqu’un, aussi bien aux yeux des habitants de cette bourgade encerclée par les fermes, que pour Torn lui-même. Il a appris bien plus en l’espace d’une année qu’il n’en a appris en une vie. Il a réussi à se faire une place à coup de coude au milieu de ces sympathiques individus, trouvant un boulot de serveur qui demande une endurance qu’il a pu parfaire au fil des journées à retourner la terre. La bienveillante chef de l’établissement, ayant perdu son mari après dix années de mariage dans un accident de caravane, lui a enseigné des leçons de vie qui sont plus précieuses que le plus gros des rubis de Madelle. Elle était un peu la mère qu’il n’a jamais pu avoir jusqu’à lors, elle-même se servant de Barnes comme substitut de son fils qui est parti vivre sa vie ailleurs sans donner de nouvelles à sa pauvre maternelle.
Aujourd’hui est le jour de l’anniversaire de Torn, le premier qu’il a pu fêter, son monde se peignant d’une multitude de couleur qui, jusqu’à lors, n’était qu’une toile de gris et de noir. Pour la première fois de son existence, Torn se sentait… vivant.

28 Virgonès 1233, village de Puralo :
A cause de sa situation relativement peu stable, sans oublier son développement personnel et spirituel sur des bases malsaines, Barnes n’a jamais véritablement pu penser à l’amour jusqu’à ce jour. Lorsque son regard se posa sur une fleur interdite, il pu poser le bout du pied dans l’enchanté jardin de la poésie, le romantisme, la vie en rose, une entrée en matière qui va devoir braver un interdit. Ceux ne possédant pas de sang noble ne peuvent espérer s’attirer les faveurs, encore moins râvir le cœur de ce genre d’hirondelle : une noble damoiselle.
Pourtant, dans sa tête, il se nomme Torn Barnes, à 21 ans, est célibataire et libre comme l’air, amis du soir bonsoir, pas de raison de tout de même s’essayer aux jeux de la séduction en toute humilité.

1 Talien 1234, village de Puralo, manoir des Jarrensens :
Elle se nomme Tulipe Jarrensens, l’une des trois filles d’un des nobles du coin, ce dernier appartenant à l’une des plus petites familles qui existent dans la Plaine Isolée mais qui possède indéniablement du sang bleu. A cause de la difformité de ses mains, annulaire gauche absent à la naissance et le droit victime d’un coup de guillotine, la confiance de l’Akramois est grandement affaiblie mais la quête du bonheur le persuadera d’aller toujours plus loin.
C’est en avançant pas à pas, sur une corde tendue au-dessus d’un gouffre, que notre inconscient fit modestement connaissance avec cette jeune femme d’une pureté sans failles. Un ange délicat et bienveillant comme il n’en a jamais croisé, ayant de l’allure ainsi qu’un point commun inespéré : le rejet par ses propres parents.
En effet, n’étant pas assez noble d’esprit ou affligée d’une beauté à tomber par terre, cette petite rebelle n’a jamais réussi à rentrer dans le rang contrairement à ses deux sœurs. De plus, elle a dépassé la vingtaine mais n’est toujours pas mariée, une honte pour sa famille qui veut la pousser dans un mariage arrangé à la première occasion.

8 Maliér 1234, village d’Iburiak :
Une bourgade bien plus humble que Puralo, située au Nord-Est d’Hélpo, beaucoup mieux protégée par l’influence de la Lady. C’est à cette date qu’un couple fit son apparition aux portes de ce village silencieux, bien moins chaleureux que là d’où vienne ces deux étrangers qui souhaitent s’installer pour mener leur barque sans créer de vagues. Un homme foisonnant dans la vingtaine, goutant au fougueux fruit de la passion comme jamais, aux côtés d’une femme deux ans plus jeune que lui, une ahurissante chevelure d’or avec une robe jaune d’une simplicité éclatante, désireuse de pouvoir jouir de liberté comme jamais.
Deux mois de préparation, un mois supplémentaire sur la route et beaucoup de courage. Voilà ce que ce jeune couple du offrir pour permettre à leur amour de fleurir, lui abandonnant tout le confort qu’il put trouver en Puralo, elle disparaissant sans dire mot à son père, mère ou sœurs. On aurait pu croire à un enlèvement, un simple garçon de taverne ayant emporté avec lui une fille de noble bien qu’elle soit de l’une des plus petites familles.
Ils prièrent pour que ce nouveau départ soit le dernier qui puisse leur apporter bonheur et paisibilité.

15 Maliér 1235, village d’Iburiak, le cimetière :
Grâce à son énergie ainsi que leur persévérance, le couple à réussi à se faire une place dans ce lieu qui compte encore plus de ferme que partout ailleurs. La vie dans les champs est plus difficile, à cause du climat plus chaud et l’eau qui se fait plus rare mais les récoltes sont bonnes sans oublier que le florissant commerce d’Hélpo permet de facilement faire du profit.
Néanmoins, cela peut jouer contre la discrète existence à laquelle aspire nos deux oiseaux, ayant réussi à se dénicher une place plus qu’improbable dans le cimetière d’Iburiak. Le fossoyeur se fait vieux et s’est facilement laissé convaincre d’avoir un apprenti pour porter le flambeau. Après tout, « la mort frappe partout, n’importe qui, de bien des façons. », chose que Torn apprendra plus tard à ses dépens.
Il n’a besoin d’aucune paye, se contentant du gite et du couvert, sa dulcinée s’occupant de la majeure partie des tâches ménagères ainsi que de quelques besognes qui concernent l’un des plus vieux métiers au monde, comme par exemple l’entretient des outils pour creuser les tombes.

1 Samùn 1236, village d’Iburiak, le bois claironnant :
Peut-être le plus beau jour de sa vie, ainsi que celui de sa moitié, passé dans une clairière au cœur du bois qui se situe à une lieue au sud de leur nouveau village qu’ils peuvent appeler refuge. C’est en cette matinée qu’eu lieu leur improbable et illégal mariage, ayant pour seul témoins les arbres, muet devant leur union aussi timide que simple mais tellement magique pour ces deux âmes qui se sont presque trouvées par miracle. Au plus ils y repensent, au plus ils se disent que le moindre écart les auraient tous deux conduits vers de sombres destinées.
Bien qu’il n’y eu aucune cérémonie officielle, en l’absence totale des parents des deux familles qui en ont peut-être été jusqu’à oublier l’existence de pareils rejetons, aucun prêtre pour glorifier leur union, ils ont improvisé ce que leur dictait leur cœur. Un échange de vœu, une prière pour Denmia, déesse de la fertilité et du printemps, et passer la bague au doigt pour symboliser leur union. C’est une coutume qui vient d’Akramo, et ses environs, un anneau qui doit être passé à l’annulaire droit de l’épouse d’abord, l’annulaire gauche de l’époux ensuite. En étant entièrement dépourvu, elle fut glissée à son index gauche tandis que Tulipe l’enfile à son index droit, enfonçant le clou qui scella leur alliance controversée mais tout de même animée par la flamme de la poésie.

11 Ravrök 1239, village d’Iburiak, le cimetière :
Décès du vieux fossoyeur, l’hiver fut trop rude pour ses vieux os, son corps ayant cessé de s’accrocher à la vie grâce au réconfort que pu lui apporter l’arrivée de « ses deux petites bénédictions ». Le jeune couple s’est bien occupé de leur bienfaiteur, ayant transformé ses dernières années de solitude en paisible fin de voyage.
A cause de l’absence totale de descendants, ainsi la faible implication de la Duchesse de la région, Torn pu hériter du cimetière dont-il devint le gardien, enterrant les morts qu’on lui apporte, faisant de lui non plus l’apprenti mais le fossoyeur.

22 Kahl 1241, village d’Iburiak, le cimetière :
Barnes fête ses 28 ans avec sa femme, heureux comme jamais, l’apogée de leur bonheur, une date qui va innocemment marquer son esprit à jamais. Son métier est bien sombre mais y trouve à la fois un étrange réconfort et une obscure dignité. Ils sont sans nouvelles de leurs parents mais vivent très bien sans, en dépit de l’importance de la famille dans leur culture. Ils n’ont jamais réussi à avoir d’enfants mais ne perçoivent pas cela comme une malédiction des Dieux mais plus comme ce qui doit être. Aucuns amis pour les soutenir mais à quoi bon lorsqu’ils peuvent compter l’un sur l’autre sans faillir ? L’esprit de Torn mûrit comme jamais alors que celui de Tulipe peut vagabonder aussi librement qu’elle l’entend dans les vastes champs des fermes qui avoisinent leur bourgade. Non, par vagabonder ou libre, je n’entends pas qu’elle va voir ailleurs, ou alors elle a fort bien réussi à cacher son jeu la cocotte. Ce que je veux dire, c’est un canari qui adore battre des ailes au-dessus des épis de blé… maintenant imaginer une humaine qui essaie de faire ça… ouais, une image assez absurde !

23 Virgonès 1242, village d’Iburiak, le cimetière :
« L’entrée de ce journal a été arrachée. »

2 Filiota 1244, village d’Iburiak, le cimetière :
Un mois et un jour après leur huitième anniversaire de mariage, une tragédie sans précédent vient s’écraser sur le petit couple de Barnes. Un Magrieba dans la région fut attaqué par un groupe d’aventuriers avide, désireux de faire l’acquisition de son ivoire. Leur assaut fut soldé par un échec, réussissant juste à enrager l’animal qui fit éruption quelques lieues plus loin, à la lisière du village voisin : Iburiak.
C’est dans son cimetière que ce démon à corne fit éruption, embrochant sa femme sous ses yeux, la frénésie d’une rage survivaliste ayant pris possession de l’esprit de la bête. « Les détails de l’évènement sont obscures, raturés de partout, presque impossible à déchiffrer à cause des larmes qui ont dilué l’encre »
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Si vous interroger les habitants de la semi-déserte et discrète bourgade d’Iburiak, abordant le sujet de l’absence totale de fossoyeur dans leur village, ils vous conteront la colorée mais dissoute histoire d’un couple voyageur que seul la mort a séparé. Suite à l’étroite maladresse d’un groupe d’aventuriers, un Magrieba sauvage fit éruption dans le cimetière, tuant l’épouse du fossoyeur. Les versions diffèrent mais toutes sont au diapason à un sujet : le fait que le veuf fut en mesure de tuer la bête par ses propres moyens, à l’aide de ses outils pour creuser les tombes, comme si Uraang lui-même l’avait béni pour lui offrir apaisement.
Après quoi, il disparu pour ne plus jamais revenir. Certains racontent qu’il s’en alla noyer son chagrin dans l’alcool, d’autres qu’il s’aventura sur les routes pour dépecer tous les Magrieba de Madelle, certains affirment qu’il est juste parti pour se trouver un coin tranquille, oublier et mourir. Enfin, le reste pense qu’il s’est simplement pendu au bout d’une corde. Une chose est certaine, il reparti comme il arriva dans leur village : telle une ombre.