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| Que le ciel nous tombe sur la tête | |
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Auteur | Message |
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| (#) Sujet: Re: Que le ciel nous tombe sur la tête Mer 20 Mar 2019 - 21:38 | |
| J’esquisse un sourire. Il est vrai que Sable nous a bien aidé, j’irai jusqu’à dire que nous sommes désormais quittes, lui et moi. Il semble particulièrement contrarié là où il est, et si la pluie tombant droite et drue ne l’atteint pas directement, le sol devient boueux et de multiples flaques se forment, s’évacuant en petites rigoles là où la terre trop sèche ne parvient plus à les absorber. Il se décale de centimètres en centimètres pour esquiver les filets d’eau qui s’immiscent jusqu’à lui. Je pourrais trouver l’image amusante si la douleur dans mon épaule ne me rappelait pas à une réalité autrement plus inquiétante.
– En effet… quel rusé.
Je n’ai peut-être pas les idées claires, mais je suis malgré tout bien d’accord avec elle. Sans éclairage adapté nous n’irions pas loin à travers champs sans nous blesser plus que nous ne le sommes déjà. Enfin, plus que je ne le suis déjà, parce que ma compagne d’infortune semble totalement indemne, hormis la poussière qui ternit l’éclat brûlant de ses cheveux. C’est une chance pour elle, les dieux doivent vraiment lui sourire. Peut-être que si je priais plus souvent, moins de péripéties émailleraient mon chemin, mais est-ce vraiment ce que je désire ? La vie me paraîtrait bien ennuyeuse si tout se déroulait sans embûche.
Des voix se font entendre derrière moi et je me tourne, corps entier pour épargner mon épaule, pour voir arriver une procession de personnes qui semblent chargées de sacs et de paniers couverts. Sûrement des habitants du village qui se sont muni de matériel pour venir au secours des blessés. Certains portent également des rouleaux de corde en bandoulière ce qui laisse à penser qu’il vont chercher sous les décombres des prisonniers vivants et les corps de ceux qui n’ont pas survécu. L’espoir naît en moi un instant, de trouver un guérisseur qui puisse m’aider. Je n’ai aucune envie de garder des séquelles pour une brique tombée du toit. Ce n’est peut-être que mon bras gauche, mais j’en ai besoin tout autant que du droit qu’il s’agisse de musique ou d’alchimie. Cependant cet espoir est vite mouché lorsque je me rends compte d’à quel point ils sont peu nombreux. Face à la quantité de blessés plus grave rassemblés autour de l’auberge, je ne serais pas une priorité. Je jure tout bas face à cette réalité – je crois que la douleur finit par attaquer mon sang-froid.
Elle m’intime de m’asseoir et je m’exécute sans réaliser exactement ce qu’elle dit, en grimaçant. Je profite du lavoir comme d’un siège : c’est peut-être une vanité déplacée, mais je ne suis pas prêt à m’installer dans la boue. Son trait d’esprit ne passe pas entièrement inaperçu, mais j’avoue ne pas vraiment avoir les capacités immédiates pour l’apprécier à sa juste valeur. Je hoche mon épaule droite indemne et soupire :
– Je ne manquerai pas de passer chez le boucher pour lui dès que j’en aurais l’occasion. Ce filou a arrêté de chasser depuis qu’il est avec moi.
Je ferme mes paupières et respire à fond quelques secondes. C’est la première fois que j’ai une telle blessure, mais j’ai déjà des difficultés à la laisser me toucher tant j’ai mal sans même parler d’appuyer sur mon articulation, et je n’imagine que trop bien la souffrance que va causer la manoeuvre. Lorsque je rouvre les yeux, je suis aussi prêt que je le serais jamais.
– Allez-y. |
| | | | (#) Sujet: Re: Que le ciel nous tombe sur la tête Dim 9 Juin 2019 - 17:32 | |
| C’était fascinant, cette confiance aveugle qu’il avait envers une parfaite étrangère. Il ne connaissait rien d’elle, venait de la rencontrer, pourtant il suffisait qu’elle lui promette son aide pour que bien naïvement il la croit sur parole. Il ferma les yeux, elle esquissa un sourire. Quelle serait sa tête, si plutôt que de l’aider, elle terminait le travail ? Cela n’aurait aucun intérêt, c’était certain, si ce n’était lui apprendre la méfiance. Jamais il ne fallait croire autrui, qu’il fut connu ou non. Jamais même il ne fallait avoir foi en ses propres jugements. Les émotions souvent l’emportaient face à la logique et rompaient les certitudes ancrées depuis parfois des années, laissant derrière elles le gout amer de l’erreur et du dégout de soi. Mieux valait apprendre tôt cette leçon, se souvenir que la loyauté ne pouvait, non, ne devait s’accorder qu’à une poignée d’individus. Le musicien rouvrit les yeux et Sylhuna chassa ses pensées. Il y avait un temps pour l’amusement, un pour le travail, et des lors que le premier pouvait interférer avec le second – par exemple, en provoquant des doutes sur son identité réelle ou en attirant l’attention par un comportement inutilement violent – alors c’était le signe que ses compétences s’altéraient et qu’elle n’était plus apte à ses missions. Une légère moue plissa le coin lisse de ses lèvres alors qu’elle étudiait la position de son patient improvisé et, appuyant un doigt impérieux sur son front, elle le força à s’allonger sur la margelle. Non seulement il lui serait plus facile pour elle d’exercer une pression sur le bras démit, mais de plus s’il s’évanouissait il serait déjà allongé. Il semblait fin prêt à souffrir.
-Ne bougez pas. Cela va faire mal.
Il avait plutôt intérêt à épargner ses oreilles fines et délicates et éviter de hurler. Empoignant le membre blessé, elle s’assura une bonne prise, posant l’autre main sur sa clavicule pour maintenir le corps plaqué contre le lavoir. Il faisait nuit, mais fort heureusement pour eux la pluie s’était calmée et les lumières plus ou moins proches suffisaient pour cet instant improvisé de médecine. Bras à angle droit, la Récleyès se mit à tirer sans à-coups, jusqu’un léger bruit humide lui signifie que l’os avait retrouvé son abri sécuritaire. Cela n’avait guère été long mais pour lui, la douleur ressentie avait dû sembler irradier une éternité dans son être. Elle s’assura que tout était revenu à sa place avant de tapoter le front du patient improvisé, accompagnant le geste d’un laconique.
-Fini.
Se détournant de lui sans plus s’occuper de vérifier son état de conscience – il ne risquait pas grand-chose, et probablement avait-il besoin d’un peu de repos – Sylhuna tourna le regard vers les ruines fumantes autant qu’humides avant de les rapporter vers le ciel qui se dégageait, plus loin, vers l’est.
-Il fera beau demain, je crois.
Déjà, quelques étoiles semblaient scintiller, cherchant les trouées dans les nuages épais qui obscurcissaient la voute céleste, tentant vainement de rappeler aux mortels qu’après chaque orage, vivifiant autant que meurtrier, revenait la chaleur étouffante de l’été aux milles promesses ensoleillées.
-Vous devriez l'attacher, pour qu'il ne bouge pas. Pivotant sur ses talons, la rousse eut un mouvement du menton en direction de son bras. Un musicien qui ne peut jouer, voilà qui serait bien triste.
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| | | | (#) Sujet: Re: Que le ciel nous tombe sur la tête Dim 30 Juin 2019 - 13:57 | |
| D’un doigt autoritaire au beau milieu de mon front la jeune femme me pousse à m’allonger sur le bord du lavoir, dans une position d’une stabilité contestable. Elle qui venait de me dire de m’asseoir… À travers la couche de glace qui l’entoure, elle pense malgré tout à me prévenir de la douleur à venir. Merci quand même. Je n’ai pas étudié la médecine mais il me paraissait évident que ça n’allait pas se faire dans le plus grand des conforts. Je serre les dents pour ne pas laisser la souffrance de mon épaule exprimer des mots acerbes que je risque de regretter plus tard.
Rien que le contact de ses mains autour de mon articulation blessée est un véritable calvaire, mais par tous les dieux il est hors de question de passer pour une pitoyable mauviette maintenant. J’essaie de retenir les tremblements réflexes de mon bras lorsque sa prise s’affermit et qu’elle commence à tirer. Par les enfers pourquoi son attitude directe, presque brutale, ne s’applique-t-elle pas aussi à se gestes ? Elle tire mon bras vers elle avec une atroce lenteur, la manoeuvre me semble durer une éternité durant laquelle ma vue se trouble et s’obscurcit jusqu’à ce qu’il ne reste plus que la douleur. Je concentre toutes mes forces pour empêcher le hurlement qui monte dans ma gorge de sortir, pour tenter d’oublier mon épaule. Le cri s’échappe sous la forme d’un grognement incontrôlable. Si je n’avais pas recommencé à sentir mes doigts et à pouvoir les bouger, j’aurais juré qu’elle m’avait arraché le bras. Tout cela n’a duré que quelques secondes et je n’ai pas bougé, mais l’opération me laisse essoufflé comme si je venais de courir plusieurs kilomètres.
Elle me tapote à nouveau le front en me signalant laconiquement qu’elle a terminé. Je la sens s’écarter mais garde les yeux fermés et pose mon bras droit en travers pour retenir les larmes qui sont montées malgré moi. Je reste allongé sans bouger le temps de reprendre mon souffle. Je prends alors conscience que la pluie a diminué et est en train de s’arrêter complètement. Comme tous ses semblables, l’orage a fait montre de sa fureur et s’éloigne aussi rapidement qu’il est arrivé, laissant la nature et ses habitants se remettre de sa violence. Je sens un museau humide et de fines moustaches venir me chatouiller la main. Sable est sorti de sa cachette et vient me demander pourquoi je ne bouge pas.
Je me redresse enfin, au moment où l’inconnue qui m’a tant aidé ce soir se tourne vers moi avec un nouveau conseil pour mon bras. Je hoche la tête en silence, craignant que ma voix soit aussi instable que le reste de mon corps. Je n’ai rien sur moi qui me permette de le faire, et je ne sais pas ce que je vais retrouver de mes affaires dans les décombres de l’auberge. Gardant mon bras contre moi, je détache la sangle de ma lyre pour improviser une écharpe et le maintenir en place. Cette installation est loin d’être confortable mais elle fait son travail pour l’instant. Je prends mon courage à deux mains et me lève enfin, attrapant l’étui de l’instrument par la poignée.
– Merci pour votre aide. Je vais m’approcher, essayer de trouver quelqu’un pour mon épaule et tenter de récupérer ce qui peut rester de mes affaires. Vous n’aviez pas de bagages dans l’auberge ?
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| | | | (#) Sujet: Re: Que le ciel nous tombe sur la tête | |
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