Le vent fouettait le visage du Follet tandis qu'Onyx battait puissamment des ailes pour se projeter plus en hauteur. Un courant d'air chaud venait contribuer à soulever l'imposante masse du dragon, tandis que le Follet s'agrippait à ses épines dorsales pour mieux se soutenir, ses jambes balayant le vide tout en s'irritant contre les épaisses écailles de l'animal. Il était assis à califourchon sur la base de l'encolure d'Onyx, juste avant que son corps devienne trop large pour lui permettre d'être monté - pas que cela dérange le Follet : la sécurité, ce n'était vraiment pas sa priorité. Il ouvrit la bouche pour capter l'air qui venait accrocher ses cheveux, dévoilant alors ses crocs pointus en une grimace souriante, puis la referma soudainement.

-Je vais demander à l'Ours de me fabriquer une selle, cria-t-il pensivement à travers le vent.

Malgré le raffut des bourrasques, Onyx capta la pensée que venait d'émettre son dragonnier. Il gronda derrière son imposante mâchoire tandis qu'il dépassait la cime des nuages et venait frôler ces derniers de ses serres. Le Follet se désintéressa immédiatement de ses jambes rougies pour se pencher vers cette brume blanche avec intérêt. Il ne se tenait désormais qu'à une main, le vertige n'étant pas à l'ordre du jour.

"Tu m'as pris pour un cheval, Follet ?" gronda la voix puissante du dragon dans l'esprit de son dragonnier.

-Tu es un peu un gros cheval, ricana malicieusement le Liare, le bras toujours tendu. Un gros, gros cheval plein d'écailles.

Son corps était transi de froid, mais tout ce qui lui importait, c'était les fragments de nuage qui glissaient entre ses doigts. Ils étaient chargés d'humidité, d'un blanc presque gris si épais qu'ils empêchaient aux deux êtres de profiter de la vue. Le Follet se demanda distraitement s'il pouvait changer la couleur de ces nuages avec une goutte de sang. Les minuscules personnes loin en dessous verraient-elles le changement ?

Onyx grogna et sans prévenir il virevolta sur lui-même. Ladh poussa un cri de surprise tandis qu'il se retrouvait momentanément dans le vide, accroché uniquement par l'une des épines dorsales du dragon à laquelle il s'agrippait nonchalamment. Lorsqu'Onyx reprit sa position initiale, le Follet retomba lourdement sur son dos, entre ses ailes, et il eut un petit rire.

-Ouh, c'était juste ! s'amusa-t-il indifféremment.

"La prochaine fois que tu énonces d'aussi mauvaises idées, je te balance par dessus bord, Liare !" rétorqua Onyx.

Son regard brillait de la même folie joueuse que celle de son ami, mais son ton était affreusement sincère. Le Follet ne s'en formalisa aucunement et haussa les épaules en s'asseyant en tailleurs sur les omoplates du dragon.

-D'accord, mais je crois que mes jambes vont être aussi à vif qu'un lapin fraîchement écorché, fit-il remarquer en croisant les bras.

Plus rien ne le retenait désormais à son dragon.

"Tu me donnes faim."

-Mes mots, ou mes jambes ? ricana le Follet.

"Les deux. Je vais atterrir."

De justesse, le Follet attrapa à nouveau les épines dorsales du dragon et il s'y agrippa tandis qu'Onyx entamait sa descente. La tunique du Liare se gonfla d'air tandis que les bourrasques devenaient encore plus forte, enragées par les mouvements d'ailes du dragon noir. Ils traversèrent la couche de nuages, de fines gouttelettes venant perler sur la peau grise du Follet et sur les écailles de jais d'Onyx qui étincelait désormais de mille feux à chaque rayon du soleil qu'il traversait. Ladh eut un mince sourire tandis qu'il balayait du regard les couleurs vertes et ocre qui enflammaient le paysage, la silhouette des forêts se découpant aux côtés des villes humaines et des plaines sauvages. Il poussa un cri d'excitation tandis qu'ils prenaient de la vitesse, se rapprochant toujours plus du sol, et Onyx rugit en écho à cette sensation de pure liberté.

Lorsqu'enfin ils atteignirent le sol, le Follet se sentit lourd et pataud. Il sauta d'un bond gracile pour rejoindre la terre ferme, grimaçant en sentant sa chair abîmée par ce vol trop long. Quelques secondes plus tard, il avait déjà oublié cette douleur autant que l'aspect de son pantalon élimé tandis que ses prunelles rouges observaient les lieux qui l'entouraient. Tandis que le soleil commençait à se coucher, teintant l'horizon de couleurs chaudes, le rebord de plateau sur lequel se trouvait Ladh offrait une splendide vue sur la plaine en contrebas, ornée d'un grand pont dans le lointain qui miroitait sous les quelques rayons du soleil. Le Follet s'approcha du vide pour mieux contempler les lieux tandis qu'Onyx humait l'air, ses naseaux renâclant légèrement alors qu'il levait la tête. Ses six yeux se plissèrent alors.

"Odeur de dragon" gronda-t-il mentalement en refermant ses ailes.

Sa longue queue noire fouetta le sol. Ladh fit volte face et guetta l'horizon, curieux.

-Proche ? demanda-t-il en se rapprochant d'Onyx, un sourire venant étirer ses lèvres et dévoiler ses crocs.

Le dragon ne répondit pas, fixant le lointain avec cette immobilité proche aux reptiles. Alors seulement le Follet avisa une silhouette humanoïde, à l'orée d'un bois. Il se redressa, surpris, puis éclata d'un rire déplacé.

-Ton odorat n'est plus très fiable, Dragon !

Onyx fit claquer sa mâchoire avec désapprobation et bouscula le Liare qui s'écroula au sol tandis que le grand dragon noir s'étirait.

"Humain et dragon" précisa-t-il. "Deux odeurs. Deux proies potentielles."

Le Follet se releva d'un bond, indifférent à ses mains égratignées.

-Laisse-moi parler à l'humain d'abord. Cela pourrait être amusant.

Onyx grogna puis s'avachit sur le sol avec indifférence.

"D'accord. Mais tu as intérêt à me ramener d'autres proies, sinon c'est toi que je croquerais."

La lueur dans son regard laissait flotter une hésitation sur la véracité de ses paroles, puis il bailla et se roula dans l'herbe avec un grand bruit proche de celui du tonnerre. Le Follet lui flatta l'encolure avant d'un pas léger s'avancer en direction de la silhouette qu'il avait aperçue. Cette dernière n'était plus dans son champs de vision, à sa grande surprise. Avec une insouciance proche de l'insolence, le Liare se mit à fredonner une petite chanson, s'avançant silencieusement parmi les hautes herbes, sa démarche étrangement prédatrice. Il sauta lestement par dessus un arbre mort, jura en manquant de trébucher sur d'épaisses racines...

...Et se retrouva nez-à-nez avec un visage humain.

-Oh. Bonjour ! s'exclama-t-il avec un flegme absolu, un mince sourire sibyllin étirant ses lèvres.

Le Follet n’eut même pas eu le temps d’identifier celle qui lui faisait face : une forme colorée lui fondit dessus et le bouscula pour s’interposer. Ladh eut une exclamation de surprise, à quelques centimètres des grands crocs d’un loup à plumes bleutées. Il lui semblait avoir déjà vu une bête semblable, lorsqu’il était enfant : un Visperia, n’est-ce pas ? Le Follet n’était aucunement sensible à la menace évidente de l’animal qui le toisait furieusement en gonflant son plumage, il était au contraire fasciné par son apparence et son agressivité. Calmement immobile, il gloussa avec amusement et se pencha vers lui.

- Quel méchant clébard, s’amusa-t-il.

Une lueur belliqueuse fit flamboyer le rouge de ses yeux déments. Son attitude resta illogiquement nonchalante, toujours souriant, mais le bout de ses doigts commença à dégager une très forte chaleur.

- Pas bouger !

L’humaine se précipita vers la bête et le Liare s’interrompit, relevant la tête vers la jeune femme. Elle n’était pas très grande, comme tous les gens de son espèce – sauf peut-être l’Ours, mais le Follet était convaincu qu’il n’était pas vraiment humain – mais elle parvint par sa simple voix à faire reculer le visperia, lequel disparut dans quelques fourrées. Il était encore visible, toujours menaçant, mais il avait le mérite de se tenir loin. Ladh le fixa avec intérêt, hautement intrigué par ce divertissant animal.

- Excusez le, c'est bien la première fois qu'il réagit comme ça, s’exclama avec embarras l’humaine. Il montre les crocs, mais il ne vous aurait pas mordu, il est trop froussard pour ça.

Le Follet porta son étrange regard vers elle et elle continua :

- Vous vouliez me demander quelque chose ? J'étais en train de me rendre au village le plus proche, peut-être qu'il y a ce que vous cherchez là-bas ?

Ladh écarquilla les yeux, surpris par ses paroles, puis il éclata de rire.

- Tu plaisantes j’espère ? demanda-t-il familièrement. Pourquoi excuserais-je cette brave bête ? Il est juste joueur, je le comprends.

Il sourit malicieusement et inclina la tête sur le côté pour mieux observer son interlocutrice, un mouvement très proche de ceux qu’avaient parfois son dragon.

- Le village ne m’intéresse pas, continua-t-il nonchalamment en se rapprochant avec intérêt. C’est toi que j’étais venu voir. Onyx m’a dit qu’il avait senti un dragon, je pensais que tu serais avec lui, mais je me trompais. Ce n’est pas grave : tu es plus intéressante qu’un dragon.

Il gloussa à nouveau et contourna indifféremment la jeune femme pour se rapprocher du visperia. Il ne chercha même pas à adopter une allure plus rassurante pour l’animal, cela ne lui vint même à l’idée : son pas était toujours aussi souple, presque prédateur.

- Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu de visperia. Il est à toi ? Oui, je suis sûr qu’il est à toi.

A quelques mètres des hautes herbes, il s'accroupit et ajouta d'un ton fasciné :

-Quel magnifique clébard...

Le visperia, dans les fourrés, grondait en silence en conservant son regard ardent sur le Liare qui l'observait nonchalamment. L'animal ne l'attaquait pas, mais l'envie ne semblait pas lui manquer : avait-il peur pour sa maitresse ? Le Follet gloussa, il trouvait cela amusant.

- Tu as dis que ton ami Onyx avait senti un dragon ? demanda alors l'humaine. Tu es aussi accompagné d'un familier ? Il ne doit pas avoir un très bon odorat. Il n'y a que le visperia et moi ici.

Le Follet tiqua et reporta son attention sur la jeune femme. Il eut quelques instants un regard où incrédulité se mêlait à raillerie, puis il éclata d'un rire hilare et strident.

-Onyx ?? Mon familier ? Allons donc !

Cette simple idée était à mourir de rire, d'autant que Ladh pouvait s'imaginer la fureur du dragon noir s'il avait entendu ces mots. Peut-être aurait-il dévoré l'humaine sur le champs, voire dévoré le Follet lui-même pour avoir écouté de telles absurdités ! Quel divertissement cela aurait-il été ! Mais le melhog ne rodait pas encore dans l'esprit de son dragonnier, laissant seul ce dernier à son hilarité sous le regard circonspect de la jeune femme qui continua, imperturbable :

-Si le visperia te plaît tant, tu peux le prendre avec toi si tu veux. Il me suit depuis plusieurs mois et j'attendais qu'il soit devenu adulte pour le vendre. Il n'a que six mois à peu près, je te le fais moitié prix. Et avec ton Onyx ne t'en fait pas, il est très amical avec les autres animaux.

Le Follet laissa son rire mourir en quelques soubresauts de sa poitrine et il se releva, le visage étiré en un sourire diablement amusé et insidieusement sournois. Ses yeux rouges firent quelques allers-retours entre l'humaine et son visperia tandis qu'il continuait à intérieurement se gausser de la méprise de son interlocutrice tout en réfléchissant à sa proposition. Il était évident qu'elle ignorait qui était Onyx, sinon elle n'aurait jamais souhaité qu'un animal se voit forcé de le côtoyer. Cela dit, Ladh était grandement diverti par ce quiproquo et il comptait bien le faire durer...Surtout qu'il sentait déjà un nouveau gloussement le secouer en imaginant la mâchoire de la jeune femme se décrocher face à l'immense dragon noir tandis que ce dernier l'observerait comme un insolent déjeuner ambulant.

-C'est un bel animal, reconnut finalement le Follet en se relevant et en prenant une pose théatrale de penseur. Il est bien en chair également. Onyx pourrait s'en contenter, à défaut d'un dragon.

Il porta ses mains à ses poches et les fouilla distraitement. Il se fichait du prix que s'apprêtait à lui énoncer l'humaine, il n'avait jamais eu de considération pour l'argent. La seule monnaie qu'il utilisait était son propre divertissement.
De ses poches il sortit un morceau de bandage taché de sang, une petite statuette de bois taillée par l'Ours, quelques écailles abimées d'Onyx et enfin il retrouva une petite pièce de cuivre d'origine liare. Il grimaça.

-Hélas, l'argent ne coule pas à flots ces derniers temps. Mais près de mon campement, j'ai laissé certains objets un peu plus coûteux, comme celui-ci.

Il indiqua du doigts sa ceinture sertie d'or, et sourit d'un air plus carnassier.

-Intéressée ? susurra-t-il malicieusement.

Le regard de l'humaine brilla d'avidité lorsqu'elle posa son regard sur la ceinture du Follet, et la malice maligne de son sourire rayonna de plus bel. Il avait toujours trouvé amusant cette manière que les Humains et les Héléos avaient de réagir à la vue de matériaux précieux, lui qui n'y voyait rien de divertissant. Il n'avait jamais fait le même constat chez les Liares, sauf chez son père, mais cet enfoiré ne brillait pas par sa grandeur d'âme.

Ladh non plus, d'ailleurs.

- Je vous suis, répondit hâtivement l'humaine, si vous avez deux trois bricoles de valeur, cela devrait faire l'affaire.

Elle appela ensuite son visperia tandis que Ladh tapait joyeusement dans ses mains.

-Parfait ! s'amusa-t-il. Si vous voulez bien me suivre, mademoiselle...

Il fit volte face d'une pirouette gracieuse et se mit à s'avancer de son pas souple et léger. Du coin de l'oeil, il observa le loup emplumé faire la fête à sa maitresse, et il songea qu'il n'avait rien de différent d'un gros chien. Onyx, en tout cas, n'y verrait rien d'autre. C'était presque dommage en un sens...Mais bon, le Follet ne s'encombrait jamais de remords, et il n'était pas assez dément pour revenir les mains vides auprès de son dragon taré.

"J'ai entendu ça, Liare."

La voix puissante d'Onyx résonna dans l'esprit de Ladh. Tout à son amusement, il n'avait pas senti le melhog se faufiler dans sa tête.

-Oups, ricana-t-il à voix haute, sans se préoccuper d'être entendu par l'humaine.

"Je vous sens approcher, mais le dragon reste loin. Qui me ramènes-tu là ?"

Ladh gloussa de plus bel.

-T'en soucies-tu vraiment ? dit-il en haussant les épaules.

Onyx gronda dans le lointain, bourru. C'est à ce moment précis que le Follet se rendit compte que l'humaine lui avait adressé la parole. Il se tourna vers elle et ralentit le pas, reportant son déconcertant regard vers celle qui disait s'appeler "Marissa". Son sourire se fit amusé en réalisant ce qu'il venait de lui répondre sans s'en être rendu compte, mais il songea que c'était une réponse appropriée. Il ajouta toutefois, l'air de rien :

- Tu as bien fait de ne pas nommer le visperia. Je trouve les noms encombrants, ce n'est pas quelque chose que les autres devraient choisir pour nous. J'ai choisi celui d'Onyx, cela dit, mais il m'a donné son approbation. N'as-tu jamais voulu t'appeler autre chose que "Marissa" ?

Il fit rouler ce nom sur sa langue, un fin sourire sur les lèvres. Il le goûta, le soupesa, puis le jugea sans intérêt. Il le repoussa alors loin de lui d'un geste de main.

Pendant qu'ils discutaient, leurs pas les avaient ramené vers le plateau où les hautes herbes couvraient l'horizon d'une ombre dorée. Plus loin se devinait le vide qui séparait le plateau de la plaine, ainsi que le splendide paysage que ce point de vue offrait, mais malgré l'absence de relief pour dissimuler la silhouette de l'immense dragon noir, ce dernier n'était pas encore visible.

Ladh se mit soudainement à rire, sujet à une illumination.

-Marissa ! Mar-issa..."Mara'Hyssa" ! C'est un mot de pâtois liare, près de Glasgo. Cela signifie...

Tout en parlant, il avisa l'endroit où il avait laissé Onyx. Désert.

-..."chemin d'encombre", compléta le Follet d'un ton affable.

Il arqua un sourcil en s'interrompant, surpris de ne pas apercevoir son ami écailleux. Il resta silencieux sur les derniers mètres qui le séparaient du bord de la falaise, et s'arrêta au milieu de l'immense espace d'herbes applaties par la présence du dragon une petite demi-heure plus tôt. La vue était ici imparable sur la plaine en contrebas, et rendait absolument impossible de louper un énorme dragon noir de plusieurs mètres de haut, même avec l'obscurité que le crépuscule portait avec lui.

Ladh posa ses mains sur ses hanches, circonspect.

-Onyx ? appela-t-il.

Il avait crié le nom du melhog, et sa voix ricocha sur la roche de la falaise. Il n'y eut aucune réponse, ce qui n'étonna pas vraiment le Liare : le dragon noir aimait se faire désirer aux pires moments. Et peut-être n'avait-il pas apprécié la réflexion de son dragonnier plus tôt. Il était tellement imprévisible que cela était difficile à dire.

-Onyx, j'apporte un visperia et une humaine ! insista Ladh, toujours d'une voix forte.

Il savait que crier était inutile, puisqu'il pouvait communiquer mentalement avec le dragon noir, mais il n'avait jamais été amateur de ce procédé.

"Deux mammifères juste pour moi ? C'est trop d'honneur..."

Ladh sourit lorsque la voix sarcastique envahit son esprit pendant un bref instant. Il se tourna vers l'humaine et déclara :

-Il arrive, il a dû repérer un cerf en contrebas. Il adore les cerfs.

Il s'assit en tailleur dans l'herbe et indiqua nonchalamment un sac près duquel reposait sa lance, qu'il avait indifféremment jeté au sol en atterrissant. Il eut un sourire complice.

-Prends ce que tu veux dans ce sac.

Quelques pièces d'or y trainaient, ainsi qu'un tissus précieux venu de Glasgo, complètement ensanglanté. Mais le reste du bagage de Ladh n'était qu'un composé de rations et d'écailles. De toute façon, le Follet sentait qu'Onyx n'était plus très loin...

Le Follet aperçut Onyx arriver bien avant l'humaine, qui déblatérait quelques consignes sans intérêts tout en fouillant dans le sac du Liare. La silhouette du grand dragon se mouvait à l'horizon, nuage noir de mauvais augure, le rouge de ses yeux de plus en plus vif à mesure qu'il s'approchait. Sans raison apparente, Ladh eut un petit rire, ne bougeant pas d'un pouce malgré l'intention évidente du dragon de se poser. A son approche, le vent gronda sourdement, balayant dans sa fuite les hautes herbes et les arbustes environnant. Les ailes sombres du monstre noir claquèrent lorsqu'il s'apprêta à se poser, sa silhouette massive empoisonnant le sol de son ombre avant qu'il ne dépose ses quatres pattes au sol. Onyx s'ébroua alors en repliant ses ailes, ses six yeux perçants toisant les trois êtres qui lui faisaient face. Son souffle était puissant, bruyant, ardent, à l'instar de son regard.

-...Les pièces d'or et la ceinture, ça ira pour le visperia.

La voix impassible de Marissa fit tiquer le Follet qui secouait la tête pour chasser le bourdonnement du vent de ses oreilles. Il se tourna vers elle, surpris par son manque de réaction, puis éclata de rire. Elle ne perdait pas le nord cette petite ! Fascinant ! Il jeta un regard en coin à la ceinture qui entourait sa taille, songeant qu'il ne se souvenait plus du jour où il l'avait acquis.

Onyx ne semblait pas aussi bien prendre cette remarque. Il plissa les yeux d'un air mécontent et souffla ostensiblement par les naseaux.

"C'est une Arvèle..." gronda-t-il mentalement. "Elle porte leur odeur."

Il dressa son encolure, surplombant les deux bipèdes par sa taille, les toisant de toute sa hauteur. Comme en écho à ses pensées, la cicatrice qui barrait son crâne épais semblait bien plus évidente maintenant qu'il s'était dressé. Distraitement - et sans réellement s'en préoccuper -, Ladh se demanda si le responsable de la plaie qui avait brisé la raison du dragon noir était un Arvèle lui aussi. Le Follet n'avait jamais su distinguer les humains les uns des autres. Il haussa nonchalamment les épaules, toujours assis.

-Est-ce important ? demanda-t-il.

"Pour moi oui. Pas pour mon estomac."

Son grondement mental était aussi perfide qu'il était sarcastique. Ladh ricana, nullement intimidé.

Marissa reprit la parole, s'adressant cette fois à Onyx qui la fixait :

-Bonjour, dit-elle. Je ne fais que passer, bon courage pour supporter le visperia, n...

Elle s'interrompit, et Ladh fit la moue. Il trouvait l'humaine bien trop calme, et sa stupéfaction amusée de tantôt se muait désormais en une déception ennuyée. Pourquoi diable restait-elle de marbre ? Le Follet plissa les yeux, le rouge de son regard prenant des éclats mauvais en plus de la flamme démente qui l'alimentait d'ordinaire. Il se releva d'un bond, sentant l'envahissant esprit d'Onyx venir frôler le sien, ajoutant à son ennui le déplaisir du dragon noir.

-Qu'en penses-tu, Onyx ? Le visperia te suffit-il ? lui susurra-t-il alors en venant s'adosser nonchalamment près de son épaule. Ou ne devrions-nous pas pimenter les choses...?

Son sourire se fit plus malicieusement sournois, mais Onyx grogna, découvrant sa dentition acérée. Il baissa la tête pour la porter à la hauteur de l'humaine. Il prit alors une profonde inspiration...

...Et lorsqu'il se mit à souffler, une brume argentée épaisse s'échappa de sa gueule pour venir plonger sur l'humaine. Ladh arqua un sourcil sans se départir de son sourire, une vague de chaleur le frappant de plein fouet. Il savait que la Vérité du dragon noir, bien que désagréable et brûlante au contact, n'occasionnait aucun véritable dégât autre que la connexion mentale qu'elle permettait. Il se demandait cependant si la jeune femme accepterait ladite connexion...

...Ou si elle répliquerait.

Cette perspective l'enchantait déjà. Sans un mot, il s'empara avec enthousiasme de sa lance et s'appuya nonchalamment sur sa hampe.

"Humaine. M'entends-tu ?"

La voix mentale du dragon résonna dans l'esprit de Ladh sans lui être adressée. Sa longue queue frappa le sol avec violence, témoignant de son impatience.