Je me redresse sur mon siège et étire mon dos rendu douloureux par la position assise prolongée. Avec un soulagement, je me relâche et savoure cet instant où les tensions semblent avoir disparues de mes muscles. Je sais que l'effet sera de courte durée mais cela n'a pas d'importance. Pas pour le moment. Devant moi, les papiers s'étalent et je prends quelques minutes pour remettre un peu d'ordre dans mes affaires. Comment pourrais je y voir clair si tout se chevauche ? Soudain, alors que je regarde les feuilles étalées devant moi, mes sourcils se froncent. Je m'enfonce dans mon grand fauteuil pour m'appuyer contre le dossier. Sensation bien agréable mais mes pensées sont ailleurs tandis que je fixe intensément les dossiers désormais bien rangés en pile.

Pourquoi est ce que je fais tout cela ? Trier des papiers, remplir des dossiers ? Mais Winter, ce n'est pas cela que tu veux, depuis quand es tu devenue une chef d'entreprise cloîtrée dans son bureau ? Je soupire en maudissant ce très détesté Vomito. Il avait finalement vu juste en acceptant le titre de numéro deux ! Pas de paperasse mais autant de bénéfices ! Je ne crois pas au hasard concernant ces choses là et il semblerait que je me trouve actuellement dans l'obligation d'admirer sa capacité, même saoul, à avoir un ou deux coups d'avance. Très chère Winter, je crois que tu t'es fait avoir. Car en effet, si jamais je ne réponds pas à ses lettres - propositions aussi insignifiantes les uns que les autres ou encore invitations à des bals ou événements destinés à Crystal de Faertas -, personne ne le fera, tu as accepté cet inconvénient en satisfaisant ton ego. Chef de Guilde et Maître des Ombres, ça claque n'est ce pas ? Moui, on peut dire ça comme ça mais est ce que le titre est à la hauteur de ces heures passées à rendre des comptes ?


De nouveau, je me redresse dans mon siège pour me pencher sur le bureau, les coudes posés sur le bois tiède, en me demandant la dernière fois que j'ai réellement volé pour la Guilde, où j'ai fait ce qui me fait plaisir en bonne compagnie car c'est surtout ça, le but de cette jolie communauté de maraudeurs. Je souris en repensant au bal qui a eut lieu il y a quelques jours. Oui, c'est vrai que je me suis bien amusée et que j'ai dérobé une belle quantité de bijoux et d'argent lors de cette soirée en plus d'avoir établi quelques contacts pour mon organisation.

Hum, peut être que j'exagères un peu et que je ne suis pas encore si loin que ça du terrain. Mais discuter avec des courtisanes dans le but ultime de pouvoir espérer avoir quelques coups à faire plus tard n'est pas utile si l'on ne l'exploite pas. Dehors le soleil brille, rendu éblouissant par les nombreuses décorations d'or et autres métaux à travers la ville, les gens se mêlent les uns aux autres dans les rues en comparant leurs richesses … Il semblerait que les conditions soient réunies pour préparer un bon coup !

Si je veux agir aujourd'hui pour la Guilde, il va me falloir remplir quelques conditions. Trouver un employeur pour commencer. Je ne cherche pas un petit cambriolage de campagne cette fois ci mais un véritable contrat qui, en plus de me ramener de l'argent et un bon butin, me permettra de trouver un associé pour l'organisation mais aussi de faire connaître les Ombres et grandir leur réputation. Mon attention se porte sur les lettres et dossiers bien empilés en différentes piles devant moi. Je pense pouvoir trouver mon bonheur là dedans, reste juste à réussir à trouver celui qui sera prêt à entendre parler de l'organisation et à en tenir le secret mais qui sera intéressé par ses services. Mettons le pessimisme de côté, je suis certaine que cette petite perle existe quelque part.

Alors que je commence à fouiller, décachetant les lettres et survolant à nouveau celles que j'ai déjà lu pour m'assurer que je n'ai rien loupé d'important, je prends un instant pour me demander sous quel nom je me présenterai. Je préfèrerais que l'on me connaisse sous mon véritable nom afin que Winter Eliwën soit connue à travers Madelle tout entier mais n'est ce pas un peu risqué ? Et puis, si je me fais attrapée un jour, avoir deux noms pourrait protéger la Guilde … Sans compter qu'ici, à Arnlo, je suis Crystal de Faertas, héritière d'une grande fortune et marchande de tissus. Je jette un coup d'œil à la robe que je portais pour le bal de l'autre soir, étendue sur mon lit pour ne pas se froisser. Si un jour je devais changer de profession, je crois que je deviendrais effectivement marchande de tissus et que je me spécialiserai dans les étoffes associées à une Vérité de la Lumière. J'emploierai des Anciens pour les tisser et je deviendrais riche.

Mais la question n'est pas là pour le moment ! Pour l'heure, je suis encore en état de courir les rues et grimper aux murs ! Me voilà donc de nouveau partie pour un merveilleux travail administratif, lire des lettres pour chercher quelqu'un qui voudrait de moi. A t on déjà vu un voleur émérite plus pathétique que ce que je suis en ce moment ? Il faut souffrir pour être belle paraît il mais, cela fonctionne t il pareil pour être riche ?

Une heure plus tard, alors que je commence à avoir bien entamé la pile de lettres, je tombe sur une enveloppe douce, couleur crème, légendée avec une écriture appliquée digne des plus grands manuscrits. Elle est adressée à Crystal de Faertas et sent bon le parfum pour homme. Certainement un homme dignitaire d'Arnlo et vu les inscriptions calligraphiques, la qualité du papier ainsi que la dose de parfum utilisée, je ne parierai pas cher pour autre chose qu'une déclaration d'amour. Je hausse les épaules et rompt le sceau qui protège le secret des mots enfermés dans l'enveloppe. Je crois que j'en suis arrivée à un point de désespoir concernant cette fameuse perle rare d'employeur qu'une déclaration d'amour ne me fera pas de mal !

Très chère Dame de Faertas,

Je vous contacte aujourd'hui dans un but professionnel et j'espère que vous saurez voir que je ne désire en aucun cas être inconvenant et que vous ne serez nullement dérangée par ma lettre.

J'ose penser que vous vous souvenez de ma personne, nous avons longuement conversé lors du bal organisé par Sieur Jade et son épouse au Grand Manoir, il y a quelques jours de cela. Durant la soirée et au détour de nos conversations passionnantes, vous m'avez parlé à plusieurs reprises de vos nombreuses collections qui sortent de l'ordinaire ainsi que des personnes que employiez pour dénicher ces merveilles afin que vous puissiez en faire l'acquisition.

Si je me permets de vous envoyer cette lettre aujourd'hui c'est parce que je suis actuellement à la recherche d'une formule alchimique difficile à obtenir qui est couramment appelée « Le voyage instantané » dont j'ai expressément besoin. Je soupçonne un grand homme du domaine de l'Art Royal, le Maitre Alchimique Nëol Zanar, qui habite près du centre de notre belle Capitale, au deuxième étage d'une vieille demeure, d'en posséder secrètement un exemplaire. Seulement, voyez vous, l'incertitude me retire la possibilité de lui demander explicitement et avec assurance si je peux y accéder ou - dans le meilleur des cas - en faire l'acquisition.

Suite à vos récits et anecdotes, j'ai cru comprendre que ce genre d’interventions était votre lot quotidien et j’en suis donc parvenu à la conclusion que vous étiez la personne à contacter dans une situation comme celle qui est la mienne actuellement. J'ai confiance en vos hommes et leurs compétences car vous semblez leur vouer une confiance aveugle et que vous me semblez être une femme intelligente qu'il n'est pas facile de berner.

Humblement votre et en attente d'une réponse de votre part,
Etienne de Maridis

Je contemple un instant la lettre étalée devant moi, un sourire aux lèvres. Ah ! Il ne sait pas à qui il a affaires ! Je prends un moment supplémentaire pour m’auto congratuler, l’estime de soi, c’est important ! Cet homme a bien raison, je suis indéniablement la meilleure personne pour accomplir la mission que tu viens de me confier ! Je prends le temps de relire petit à petit la lettre, une feuille écrue et une plume à la main, prête à répondre. J’inscris tout d’abord son nom puis souris en lisant sa première phrase. Allons, allons, bien sûr que je ne me faisais pas d’illusions, je sais bien que je suis une demoiselle tout à fait charmante et désirable mais cet homme – marié, il peut paraître important de le préciser – doit avoir au moins le double de mon âge.

Voyons voir … « Maître Nëol Zanar » … J’ai beau réfléchir, je ne crois pas avoir déjà entendu parler de cet homme, assurément je n’ai pas dû le croiser durant le bal. Le nom de la formule alchimique en question ne me dit rien non plus d’ailleurs. « Le voyage instantané », le nom m’interpelle. Serait ce réellement une création en rapport avec une Vérité de l’Espace ou est ce plutôt un faux ami ? Je note sur ma feuille la description du lieu. Finalement, je ne lui répondrais pas, j’irais simplement chercher le bien dont il a besoin avant de lui porter et je serai certaine que j’arriverai avant ma lettre si je l’envoyais ! Après tout, le secret d’une bonne réputation est avant tout l’efficacité et la rapidité.

Je retiens un éclat de rire – je ne voudrais pas passer pour une folle auprès des habitants des chambres voisines, j’ai une réputation à tenir tout de même ! – en lisant pour la troisième fois au moins la mention de l’auteur de la lettre à « mes hommes ». Si seulement il savait ! Je suis bien la seule à œuvrer aujourd’hui et je doute que Vomito accepte un jour d’être considéré comme ma possession. De toute manière, même s’il m’appartenait, que pourrais je faire d’une loque pareille ? Cet enfant est aussi incontrôlable qu’incompréhensible et je ne me risquerai pas à lui imposer un maître, il est bien trop dangereux ! Non, assurément, il a beau être mon numéro deux et mon soit disant « bras droit » je n’oserai certainement pas me l’approprier.

Arrivée à la fin de mon analyse, je me lève et plie avec soin la feuille comportant les indications nécessaires à ma mission. Je revêts ma tenue de cuir noir et accroche ma chapeline au col avant de lui demander de me vêtir de la robe rose, me donnant une allure des plus innocentes, que je portais à la Fête de la Vérité. J’attrape mon Sac sans Fond puis sors de l’auberge pour me diriger vers le centre. Que mon premier contrat en solitaire au nom de la Guilde des Ombres commence !

Il me faut une dizaine de minutes à peine pour atteindre le centre de la ville. Comme lorsque je suis arrivée le premier, je continue de m’étonner devant l’architecture si différente de celle que je connais ainsi que des couleurs pâles des façades, bien loin des coraux bariolés ou des tons gris ou marron de la majorité des autres villes que j’ai eu le loisir de visiter. J’ai dû mal à m’habituer à cette opulence et à la richesse visible de manière omniprésente : les maisons, les échoppes, les tenues et coiffures des passants ... Partout, dès que l’on tourne la tête, on peut apercevoir une nouvelle marque de noblesse.  

Je sors de ma poche la feuille sur laquelle j’ai scrupuleusement noté tous les détails qui pourraient me permettre de localiser la maison du vieil alchimiste, le Maître Nëol Zanar. Malheureusement pour moi, Sir de Maridis a été bien avare de détails … Peut être qu’il ne les connaissait pas ou alors j’ai si bien vanté les mérites de la Guilde qu’il n’a pas jugé que nous – enfin, je puisque cette mission se fera en compagnie de moi et moi-même – en avions besoin. Je cherche donc une « vieille demeure » avec au moins deux étages. Me voilà avancée, dans un centre ville historique où toutes les maisons semblent avoir au moins deux étages.

Je regarde autour de moi, à la recherche de quelqu’un qui pourrait m’aider. Entre les riches Parlèms pressés et les marchands dévalant les rues suivis par leur carriole de marchandises, je ne suis pas sûre de trouver mon bonheur par ici. Je continue donc de flâner dans les rues, profitant par la même occasion des premiers rayons de soleil du printemps, à la recherche d’une boutique d’alchimie ou d’herboristerie où je pourrais demander conseil. C’est au détour d’un virage que je croise enfin ce que je cherche : « Pois & Poisons » suivi de près par l’indication « Plantes et Alchimie ».

Je pousse la porte, qui s’ouvre avec un doux carillon, et me retrouve à l’intérieur d’une étrange demeure, assaillie par les odeurs de milliers de plantes conservées au même endroit. « Je peux faire quelque chose pour vous, ma petite dame ? » La voix, chevrotante, me fait tourner la tête vers le comptoir au fond du magasin. Une vieille dame, de très petite taille, trône sur un grand tabouret, me fixant droit dans les yeux, une ébauche de sourire aux lèvres. Je prends le temps de la regarder un instant avant de répondre et constate qu’elle est aussi fripée que les feuilles sèches entreposées sur les étalages. « Je cherche un renseignement avant tout. » Le sourire de la vieille s’étire, si bien que j’ai peur un instant que sa peau ne se déchire au déchire. Mais ses rides tiennent encore bon lorsqu’elle me répond : « Je vous écoute. » Je fais quelques pas pour m’approcher d’elle, bien que je n’aie aucun doute sur son audition : « C’est à propos d’un Maître Alchimiste, le Maître Nëol Zanar. J’ai fait beaucoup de chemin pour le rencontrer seulement je ne trouve pas sa demeure dans cette grande ville. Sauriez vous me guider ? »

Le sourire de l’herboriste ne s’efface pas mais ses sourcils se dressent en une expression de surprise. « Le Maître Nëol Zanar ? Vous devez être l’une des seules à vous souvenir qu’il existe. Pourquoi voulez vous le rencontrer ? » Je lui sers un charmant sourire, de ceux là qui sont si innocents que l’on vous donnerait le bon dieu sans hésiter. « Je m’intéresse à l’Art Royal depuis quelques temps maintenant et Maître Zanar possède énormément de connaissances. J’aurais aimé qu’il m’en transmette certaines qu’il est apparemment un des seuls à détenir … » Le fou rire de la vieille dame est si tonitruant que je ne peux retenir un sursaut. Qui aurait pu penser que ses poumons possédaient encore une telle capacité ?

Tandis qu’elle continue de rire sans se soucier de ma présence, je fronce les sourcils, presque vexée. Heureusement que je ne lui ai pas dit mes véritables raisons car j’aurais été terriblement vexée. Le manque de civilité de ces petites gens m’étonnera toujours. « Je peux savoir ce qu’il y a de drôle ? » La vieille peau – qui commence à me faire penser de plus en plus à l’ermite que j’avais rencontré dans les terres du Nord – cesse de rire si rapidement après ma question que j’en viens à me demander si son fou rire n’était pas complètement artificiel. Et c’est avec tout son sérieux qu’elle me répond : « Ma pauvre petite, vous n’avez absolument aucune chance de tirer quoi que ce soit de ce vieillard. » Elle me détaille de la tête aux pieds avant d’ajouter : « Même avec un grand décolleté et une jolie robe rose. »

Cette fois, même si je lui mens depuis que je suis entrée dans sa boutique, je suis réellement en colère. Je ne prends plus de pincettes, perds mon sourire factice et lui demande de la manière la moins amicale qui soit : « Au lieu de me dénigrer, vous allez m’indiquer où il habite ou ça ne sert à rien que je reste une seconde de plus dans votre magasin ? » Je ne sais pas si elle a eut ce qu’elle désirait ou si elle a compris qu’elle avait été trop loin mais son expression et son ton se radoucissent lorsqu’elle me répond enfin : « Il habite à deux rues d’ici, à droite en sortant, au dessus de son ancien magasin ‘ L’Art Royal ’. Essayez toujours puisque vous y tenez tant mais je ne paierai pas sur votre réussite. »

Je la remercie brièvement puis me hâte de tourner les talons, luttant contre l’envie de lui préciser que je me fiche pas mal de ses paris. De nouveau dans la rue, je me dirige vers la droite, comme me l’a indiqué l’herboriste. J’ai beau ne pas l’apprécier, je ne pense pas qu’elle m’ait menti. Maintenant il ne me reste plus qu’à trouver l’établissement et à entrer mais au vue des dires de la vieille femme, je pense que je ne prendrais pas la peine de toquer à la porte. Après tout, je ne suis pas une Ombre pour rien.

Alors que j’arrive devant l’ancien magasin de l’alchimiste, il me faut quelques instants pour me remettre de mes émotions. J’avais cru comprendre qu’il s’agit d’une échoppe qui n’est plus ouverte depuis un moment et que son propriétaire n’est pas de la première jeunesse mais je dois avouer que je ne m’attendais pas à une telle … ruine. Au milieu des maisons repeintes et des poutres revernies, la demeure du maître alchimiste détonne grandement. Ses poutres semblent si vieilles que l’on en vient à se demander par quel miracle la maisonnée tient encore debout et ses murs ont perdu leur couleurs, ressemblant désormais aux façades que l’on trouverait dans n’importe quelle bourgade de paysans. Non pas que j’ai quelque chose contre ces confortables petites chaumières mais, indéniablement, une maison semblable n’aurait pas sa place dans la grande cité d’Arnlo. Exactement comme cette demeure là.

Après avoir regardé la maison sous tous les angles, je reste avec une interrogation : la maison tiendra t elle le coup si je grimpe sur le toit ? Deuxième interrogation, j’ai pour habitude d’entrer par effraction dans les maisons vides – si l’on ne compte pas mon entrée chez Orlan ou encore celle dans le manoir où j’ai volé mes bottes mais ça ne compte pas, n’est ce pas ? – mais comment faire pour cette maison là ? Je sais que son habitant si trouve et bien qu’il soit d’un âge avancé, je ne connais pas son niveau de vigilance.

Je jette un coup d’œil à mon Sac sans Fond, à ma taille malgré ma tenue chic. Je dois bien avoir quelque chose là dedans qui pourrait m’aider. Déjà, je pense que je vais devoir troquer ma robe car je ne pense qu’il soit réellement conseillé de cambrioler vêtue d’un tutu digne d’une danseuse étoile … Pour ce qui est du reste, je ne me vois pas sauter à la fenêtre avec les chausses célestes ou grimper le long du mur avec l’écharde en plein jour … A moins que … Comment avais je pu l’oublier ? Ah, je ne remercierai jamais assez Sheol Talelviën, bien que la réciproque ne soit certainement pas vraie et qu’il doit être en train de me maudire un peu plus à chaque instant !

Je plonge la main dans mon sac et invoque la cape d’invisibilité de lumière que j’ai récupéré à Quartas, me gardant bien de sortir la main de mon sac car mon « moignon » risquerait d’attirer le regard des passants. Rapidement, je vais me réfugier sous un porche éclairé où, après avoir jeté un coup d’œil à droite puis à gauche pour vérifier l’absence de témoins, je jette sur moi la cape me rendant invisible tant que je reste dans la lumière. A l’abri sous ma cape, je me tortille pour retirer ma robe et enfiler les brassards épineux. J’ai rarement eut l’occasion de me servir de l’Echarde depuis que je l’ai dérobé il y a plusieurs mois déjà, c’est l’occasion !

Grimper le long du mur aurait été un véritable jeu d’enfants si je n’avais pas dû me battre tout du long contre la cape d’invisibilité. Arrivée en haut, je concentre ma Vérité de glace sur le loquet puis, alors que le mécanisme est affaibli par la température excessivement basse, je glisse entre les deux fenêtres l’une de mes dagues et la remonte d’un coup sec, faisant sauter le crochet qui unissait les deux cadrans de vitres. Je saute à l’intérieur et referme les fenêtres derrière moi, les soudant l’une à l’autre à l’aide d’un joint de glace afin qu’elles ne claquent lorsque je serai à l’intérieur. Je regarde autour de moi et, voyant que je suis seule, retire la cape d’invisibilité qui ne me sera d’aucune utilité dans la pénombre de la demeure.

A pas de velours, j’avance vers la porte, prenant le temps de regarder autour de moi à la recherche de ce que je suis venue chercher. La fenêtre était celle d’un bureau, visiblement inutilisé depuis longtemps à en juger par la couche de poussière recouvrant les meubles en bois massif. A ma gauche s’alignent de grands rayonnages remplis de livres en tout genre sur lesquels je ne m’attarde pas : l’alchimiste est très probablement chez lui et même si son grand âge a dû le rendre sourd je ne voudrais pas prendre le risque d’être découverte pour un objet n’ayant pas de lien direct avec ma mission. Peut être au retour, si l’occasion se présente.

Arrivée dans l’embrasure de la porte, je jette un coup d’œil précautionneux en dehors de la pièce mais le silence est si total que l’on se croirait dans une maison abandonnée. Pas une respiration ne se fait entendre, pas un grommèlement de personne âgée et pas même l’écho de la course rapide d’une souris. Devant moi se présente un escalier descendant au rez de chaussée de la demeure tandis qu’à ma droite un couloir mène à d’autres pièces. Par où commencer pour trouver une potion alchimique ? Par le bas, où je sais se trouver l’ancien magasin du Maître Zanar ? Après un instant d’hésitation, j’opte pour cette hypothèse mais, avant de faire un pas sur le parquet ancien, je plonge la main dans mon Sans sans Fond et y invoque les bottines du silence. Du matériel dernier cri, bien pratique pour cambrioler les vieilles chaumières qui craquent et grincent dès que l’on respire !

Ainsi parée, je descends les marches sans me soucier du raffut que je pourrais faire, à l’affut du moindre bruit troublant le silence environnement. C’est sans encombre que j’arrive au rez de chaussée, devant la porte permettant visiblement d’accéder au magasin. Je me demande tout de même où est passé ce fameux alchimiste, ce silence est pour le moins déconcertant. J’appuie sur la poignée et la porte, déverrouillée, s’ouvre avec un long grincement. Le poil hérissé, le cœur battant, j’entre sur la pointe des pieds dans le domaine de ce que certains nomment l’Art Royal.

Je n’ai pas fit un pas que la puanteur me prend à la gorge. Je suffoque, retiens autant que possible une violente quinte de tout et couvre mon nez ma manche. Je regarde autour de moi, à la recherche d’un corps en décomposition capable de produire une telle infection mais je ne vois rien de la sorte. Partout, sur tous les murs, s’étendent des étagères remplis de fioles, de potions, de plantes séchées, de gemmes ou encore d’instruments aux formes étranges dont la destination m’est inconnue. Au centre de la pièce d’une taille tout à fait respectable trône une grande table, semblable à celle que j’avais vu à l’étage. Mais celle là n’est pas couverte de poussière, il n’y en a pas la place : chaque centimètre de bois est recouvert de feuilles, de parchemin, de stylos et d’écrins de toutes les matières possibles et imaginables. J’ouvre de grands yeux consternés. Comment pourrais je retrouver une formule alchimique dans un remue ménage pareil ?  

M’étant peu à peu habituée à l’odeur environnante, je m’avance dans la pièce, regardant les murs pour tenter de comprendre une quelconque logique de rangement. Tandis que je passe devant les étalages, je note la présence de tout un tas de choses utiles : des tubes de pommades contre les petites plaies, des fioles étiquetées « Potion de paralysie », « Potion anti-douleur » ou encore « Poudre épaisse ». Je souris en voyant le récipient, me souvenant de ce que j’avais lu à propos de cette poudre dans le « Livre des Ombres » : elle possède la propriété d’emprisonner tout et n’importe dans une épaisse couche de gélatine, pouvoir renforcé si l’on rajoute de l’eau à la substance. Est ce que cela marcherait aussi avec de la glace ?

Je n’hésite qu’un court instant avant d’ouvrir mon Sac sans Fond, après tout, cela peu toujours être utile en cas de fuite ! Je continue sur parcourir les étiquettes et les inscriptions alors que j’arrive aux étagères exposant de nombreuses gemmes de toutes les couleurs et de toutes les formes. Deux noms retiennent mon attention, eux aussi lu avec attention dans ce qui est devenu mon livre de référence : Phehoto et Memento. J’aperçois également des pierres semblables à celles présentes sur mes dagues mais je me garde bien de les toucher. Terras et Vanwa ne possèdent ni l’une ni l’autre une Vérité des plus agréable à subir.

Je continue d’avancer, prenant conscience que ce n’est pas ici que je trouverai le parchemin que je suis venue chercher. En me tournant vers le centre de la pièce, je remarque de l’autre côté de la pièce de petites cases qui contiennent ce qui pourrait tout à fait être une formule alchimique. Je traverse la pièce et regarde les noms inscrits sur chacun des parchemins. Un travail long et précautionneux pour ne pas abîmer les parchemins mais long d’être difficile. Décidément, cette mission n’aura pas été des plus compliquées ! Je souris en déchiffrant soudain « Le voyage instantané » sur l’un d’eux. Je le parcours rapidement et ouvre de grands yeux en voyant le nombre de gemmes nécessaires. Cette formule a plutôt intérêt a fonctionné vu le prix de ce genre de cailloux ! Je replis le document, le range dans son étui puis dans ma besace magique et m’apprête à partir lorsque je vois de nouveau les documents éparpillés sur la table. De quoi s’agit ?

Je prends le temps de réfléchir mais la curiosité l’emporte. Peut être est ce une formule de grande valeur que je pourrais revendre ou donner à Etienne de Maridis pour faire grandir encore ma réputation ? Je jette un coup d’œil aux papiers. Des formules alambiquées, des noms de plantes inconnues … Je ris doucement, à quoi t’attendais tu Winter ? A comprendre en un regard le fruit de toute une vie alors que tu n’es pas alchimiste et que tu ne t’es jamais intéressée à l’Art Royal ? Je m’assois cependant sur sa chaise, profitant que la maison soit encore silencieuse pour tenter de comprendre au moins le fonctionnement de cet art que je ne maîtrise pas. Peut être devrais je m’y pencher un jour ? Après tout, cela pourrait toujours m’être utile de savoir faire quelques potions ou quelques baumes pour soigner mes plaies ou celles des voleurs pendant une mission.

Mais, alors que je parcours du regard les feuilles étalées sur le grand meuble de bois, je tombe enfin sur des mots que je comprends. Interloquée, je prends une grande inspiration avant de relire doucement le papier. Non, il semblerait que j’ai bien lu … Sur la feuille figurent une date, le 9 Samùn. Nous sommes le 5, c’est dans quelques jours à peine. En dessous, un lieu, ou plutôt un événement semblerait il, à savoir un bal, organisé à l’occasion de l’arrivée du printemps par Dame Mena. Je n’ai pas entendu parler de cette soirée mais ce n’est pas le problème du moment car en dessous figurent des noms qui me parlent pour les avoir étudier dans le « Livre des Ombres ». Des noms de poisons, tous plus dangereux les uns que les autres ? Quel est le rapport entre le bal et ces poisons ? Que signifient les plans de salles et de canalisations qui y sont joints ?

Je reste un instant sonnée devant les informations que je viens de lire. Je suis ici pour piller, pas pour sauver le monde ! Mais si ce vieux bonhomme veut réellement empoisonner la moitié d’Arnlo – si ce n’est plus ! – à un bal, je ne pas délibérément les laisser tous mourir parce que ce n’est pas mon rôle de les sauver ! Je réfléchis à la recherche de la bonne décision à prendre lorsque des craquements se font entendre dans l’escalier. Ni une, ni deux, j’attrape mon sac et me précipite vers la porte d’entrée avant de m’arrêter net. Je ne peux pas partir comme ça, je n’ai jamais tué personne, ce n’est pas maintenant que je vais commencer ! Je cours vers les étagères, attrape une potion de feu que j’avais aperçu tout à l’heure et la jette sur le sol.

Tandis que les billes explosives et que d’immenses flammes commencent à dévorer les liasses de papier ancien, je jette mon Sac sans Fond sur la vitre donnant sur la rue, la faisant exploser sous l’impact. Alors que je rabats un foulard sorti de ma besace pour cacher mon visage, j’invoque un lion de glace et m’enfuis loin de la place, baissant la tête pour éviter les grosses gouttes de pluie qui s’abattent sur Arnlo. Dans mon dos, un hurlement à glacer le sang couvre le crépitement de l’incendie.