Une fois Finnick descendu au niveau de l'eau, et sur un petit signe de celui-ci lui signifiant que tout allait bien et qu'il pouvait procéder à la suite du plan, Rhys ferma le portail qui se trouvait en haut de la falaise pour le rouvrir en bas, juste en face des filets déployés le long de la paroi rocheuse. Il devait forcer un peu sur ses yeux pour apercevoir la surface de l'eau, mais il voyait encore suffisamment bien pour ce qu'il avait à faire. Tout était en place à présent, il n'y avait plus qu'à attendre maintenant.

Après avoir vérifié de manière un peu rapprochée les va-et-vient de l'héléo pour éventuellement ajuster de manière plus fine la position des portails et lui simplifier la vie, il espaça un peu sa surveillance après avoir vu qu'il semblait se débrouiller comme un chef. Il était curieux de le voir remonter après que tout sera fini. De loin et dans la pénombre, son apparence héléo semblait étrange, magique, et il aurait aimé voir cela de plus près : après tout, rares étaient les humains qui avaient pu être témoins du véritable visage de ce peuple, et en faire partie avait quelque chose d'excitant.

Tout semblait bien se passer, leur plan se déroulait exactement comme prévu. Peut-être la ferveur religieuse du prêtre y était-elle pour quelque chose, finalement. Le Parlèm surveillait la globalité des opérations : Jonas était loin et en partie dissimulé mais il le connaissait suffisamment bien pour voir qu'il était concentré sur sa tâche, comme toujours ; Algard était indéchiffrable dans la pénombre et Rhys se demandait s'il n'était pas trop en train de se ronger les sangs ; quant au loup, difficile de savoir ce qui se passait dans sa tête derrière son apparence étonnamment calme.

Tout à coup, il lui sembla entendre une exclamation venir de la mer, au moment où une vague se fracassait contre les rochers. Alerté, il retourna jeter un œil sur Finnick pour s'assurer qu'il n'avait pas eu de problème. Seulement, impossible de le trouver là où il aurait dû être.

« Et merde, il est où ce con ? »

Cherchant frénétiquement des yeux Rhys commença à se rapprocher des filets. Une fois arrivé à la verticale du point qui l'intéressait, il aperçut, prise au piège des énormes câbles, une forme humanoïde qui se débattait pour s'en défaire. Il avait mis le portail trop près de l'eau. Il aurait dû le voir venir comme un voleur dans la nuit : un tel accident était inévitable.

Maintenant il fallait faire vite : il n'aurait bientôt plus assez de lumière pour ouvrir de nouveaux portails. Le jeune homme coincé dans le filet ne se rendait probablement pas compte à quel point son temps était compté. Rhys émit un sifflement aigu pour avertir Algard, son esprit fonctionnant déjà à toute allure pour trouver une solution qui n'incluait pas Finnick pendu à un arbre au petit matin par les pêcheurs qui l'avaient trouvé dans leur pêche « miraculeuse ». Difficile d'ouvrir un portail lui permettant de sortir de là sans risquer de détruire complètement le filet. Le mieux était peut-être que quelqu'un puisse descendre et l'aider directement.

Une fois l'Ancien arrivé auprès de lui, il lui désigna l'héléo pris dans le filet et lui expliqua son ébauche de plan.

« Je peux sans doute ouvrir une porte à proximité de lui, mais pas suffisamment proche pour qu'il puisse l'atteindre seul. Tu te sentirais capable d'aller l'aider à partir d'une branche ? »

Dès que Finnick fut remis du choc de la téléportation – c'est à dire qu'il eut remis le haut et le bas à leur place respective et qu'il se soit débarrassé d'un poisson qui s'était glissé dans sa tunique – l'héléo eut un instant de panique. Sa forme héléo ! Les autres ne devaient surtout pas le voir ainsi ! Par réflexe, il porta la main à ses jambes... pour découvrir qu'elles avaient bien repris leur forme humaine et que les poils avaient remplacé les écailles. Son corps avait sans doute réagit instinctivement pour lui éviter de suffoquer à cause de ses ouïes. Tant mieux, cela représentait toujours un soucis de moins.

Il réalisa alors que son espoir de se voir secouru était terni par un élément auquel il n'avait pas fait attention tout de suite : il n'y avait absolument pas la place de téléporter une deuxième personne à l'intérieur du filet, d'autant plus que ses deux compagnons étaient plus massifs que lui. L'héléo envisagea alors de repasser le portail dans l'autre sens, mais deux éléments l'en dissuadèrent. Tout d'abord, il n'avait aucun moyen de savoir de manière sure ce que Rhys faisait de son côté et il risquait d'atterrir à peu près n'importe où, pour peu que le Parlèm ait mis en place un plan de son côté. Deuxièmement, et c'était en partie lié au premier point, Finnick ne voulait pas prendre le risque de glisser en tentant le passage, ou, pire, que Rhys le referme quand il était à moitié dedans.

Il fut bien inspiré puisque le portail se referma peu après. Il allait donc falloir trouver une autre porte de sortie... Certes, le prêtre avait pleinement confiance en ses acolytes, mais comme le disait le diction : « Aide-toi et la mer t'aidera. » Il n'y avait pas trente-six solutions de toute façon : la seule voie envisageable était vers le haut. Il était bien placé pour savoir qu'un plongeon de là où il était lui serait très probablement fatal...

Rhys et Algard avaient du en venir à la même conclusion, puisqu'un nouveau portail s'ouvrit à l'extérieur du filet, presque exactement au dessus de sa tête. Comme il ne pouvait pas se trouver trop près de la corde retenant le filet au risque de la couper par accident, une grosse branche passait à travers pour permettre à Finnick de s'y accrocher. Il ne lui restait donc plus qu'à s'extirper de sa cage...

En examinant les mailles du filet, l'héléo sourit : cela ne devrait pas être trop difficile de faire ça discrètement. Elles étaient distendues par le temps et le manque d'entretien, et quelques nœuds semblaient même sur le point de lâcher. Il lui suffit de ramasser un des coquillages qu'il avait lancé dans le filet un peu plus tôt et de s'en servir comme d'un couteau de fortune.

Après quelques dizaines de minutes d'effort, un minimum de stratégie et un bon nombre de coupures sur les mains, Finnick s'était enfin ouvert un passage que les pécheurs ne remarqueraient sans doute pas, surtout s'ils étaient occupés à se demander d'où provenait leur pèche miraculeuse. L'héléo se glissa donc hors de la nasse – avec plus de difficultés que prévues, il devait l'avouer : son corps commençait à fatiguer après tous les événements de la journée – et agrippa solidement la branche salvatrice envoyée par Algard.

L'Ancien devait surveiller le déroulement des opérations depuis la falaise, puisqu'il ramena aussitôt l'héléo à bon port à travers le portail. Finnick posa un pied sur la terre ferme juste au moment où le soleil disparaissait à l'horizon et que la luminosité baissa brusquement. Bien, au moins ils pourraient s'échapper plus discrètement...

« Merci à vous deux, souffla-t-il avec un sourire un peu terni par l'épuisement. Décidément, je n'aurais rien pu faire sans vous. Qu'Eliosa vous bénisse. »

Il n'avait qu'une envie à présent : quitter la ville au plus vite et trouver un coin de campagne assez discret pour pouvoir passer la nuit. Il se doutait que retourner à l'auberge ce soir et dans son état serait une mauvaise idée et il n'avait pas la force de réfléchir à la manière de récupérer ses affaires pour le moment. Même l'idée d'assister à la liesse des villageois découvrant le « miracle » ne réussissait pas à lui donner envie de concocter un nouveau plan. Pourtant, il lui restait encore une chose à faire, une chose à laquelle il ne pouvait absolument pas renoncer.

« Si je peux faire quoique ce soit pour vous à présent... Ce sera un honneur pour moi de pouvoir payer ma dette. »

Par habitude, Rhys avait placé ses portails de manière à pouvoir avoir un oeil sur ce qui se passait de l’autre côté. Il n’avait pas besoin de parler : une fois qu’Algard eût fait passer la branche jusqu’à Finnick, le plan était clair et ne demandait pas plus d’explication. Le prêtre n’avait peut-être pas brillé par son instinct de survie en début de soirée, mais le Parlèms lui faisait confiance pour comprendre rapidement ce qui allait se passer. Algard n’avait pas l’air particulièrement enthousiaste à l’idée de traverser à nouveau le passage pour aller secourir leur co-conspirateur, mais ce ne fut pas nécessaire : à peine la branche était-elle arrivée à portée de l’héléo que celui-ci avait commencé à user le filet qui le retenait prisonnier. Décidément, ces coquillages allaient lui sauver la mise plus d’une fois.

Malgré tout, Rhys devait admettre qu’il était bien déçu que Finnick ait repris son apparence humaine avant qu’il arrive à portée de vue. Il se demandait s’il aurait un jour l’occasion de voir un héléo dans sa forme originelle. Il était persuadé que les peintures qu’il en avait vu ne rendaient pas du tout justice à la réalité. Il se demandait combien des vieux snobs de la capitale qui prétendaient tout connaître de la vie pouvaient se vanter d’avoir été témoins d’une telle chose. Il était prêt à parier sur une réponse très proche de zéro.

Il fut tiré de ses réflexion par un mouvement soudainement différent. Algard était en train de ramener la branche jusqu'à eux – heureusement qu’il s’était montré plus attentif que lui ! Finnick aurait pu pendouiller un moment comme ça sans qu’il ne s’en aperçoive, déconcentré comme il l’était. Il n’avait jamais été bien doué pour veiller au grain sur une seule chose pendant aussi longtemps. Finalement, ils furent tous de retour sur le plancher des nyamas, et le dernier rayon du soleil disparut derrière l’horizon. Rhys fit signe à Jonas que tout était terminé et qu’il n’y avait plus rien qui méritait qu’on monte la garde. L’héléo semblait épuisé par cette petite expérience d’immersion dans la vie d’un poisson pêché, mais il semblait déterminé à payer sa dette envers eux. Rhys se retint de lui demander de leur montrer sa forme marine, et opta pour une réponse plus sage.

“Si un jour la situation le demande, tu peux être sûr que je n’hésiterais pas à faire appel à toi.”

C’était sa politique globale. Quitte à paraître légèrement inquiétant, il gardait effectivement toujours en mémoire le nom de ses débiteur, pour les solliciter au moment le plus opportun. Jusqu’à maintenant il avait peu ou prou toujours réussi à trouver des remboursements adéquats, mais certains étaient encore en suspens. Il ne savait pas s’il était inquiet ou curieux de ce pour quoi il considérerait qu’ils seraient quittes.

“Qu’est-ce que tu comptes faire, maintenant ?”

Quant à lui, ses projets pour la nuit incluaient un bon repas, de la musique au coin du feu et une chambre confortable dans la demeure seigneuriale.

Finnick ne put s'empêcher de tiquer quand Rhys lui dit qu'il saurait se souvenir de lui s'il avait besoin d'aide un jour. Bien sûr, l'héléo était sincère quand il parlait de payer sa dette, et le jeune homme devait être digne de confiance : après tout, cela faisait deux fois dans la même journée qu'il lui sauvait la peau grâce à ses portails. Pourtant, il aurait préféré solder ses comptes tout de suite. Se retrouver ainsi lié à un humain qu'il connaissait à peine allait tant à l'encontre de son éducation et de sa culture que même sa gentillesse et son ouverture d'esprit ne parvenait pas à étouffer totalement sa réticence. Enfin, puisque cette aventure semblait marquée par la présence d'Eliosa... Peut-être devait-il y voir un signe et accepter cet étrange coup du sort. Après tout, son rejet initial montrait qu'il avait encore du chemin à faire avant de se montrer digne du don que sa déesse lui avait fait en lui offrant ce corps terrestre.

Quand Rhys lui demanda quels étaient ses plans pour la nuit, Finnick refusa d'alourdir encore sa dette en faisant de nouveau appel à sa générosité :

« Je vais dormir au temple. Le prêtre m'a montré une entrée discrète un peu plus tôt, je devrais pouvoir l'atteindre sans attirer l'attention, dormir quelques heures et m'éclipser demain à l'aube avant que le village ne se réveille. »

Ce petit mensonge semble assez convainquant pour le Parlèm. Sans doute rassuré à l'idée de ne pas avoir sauvé la vie de cet inconnu uniquement pour qu'il se remette immédiatement en danger, il le salua et partit de son côté avec son compatriote. Ce ne fut qu'une fois que Rhys et Jonas disparurent après un coude de la route que Finnick réalisa qu'il ne connaissait même pas leurs noms de familles. Ce n'était pas bien grave, se dit-il, puisqu'ils étaient appelés à se revoir.

Le temps qu'il se retourne pour demander à Algard ce qu'il comptait faire, il se rendit compte que le gardien et sa louve avaient disparu sans dire un mot. Lui aussi devait considérer qu'il avait fait son devoir. Finnick comprenait la discrétion du jeune homme, mais il était tout de même un peu triste de ne pas avoir pu le remercier convenablement... Surtout que s'il se rendait régulièrement à Arnlo, il ne pouvait pas en dire autant de la forêt des Mirlis. Sans doute ne reverait-il jamais son mystérieux sauveur...

Puisqu'il était désormais seul, il se mit en route sans plus tarder vers l'intérieur des terres. La lune n'éclairait pas grand chose, il connaissait mal le terrain, il était épuisé et il avait mal partout après tous les événements de la journée, ce qui le faisait trébucher sans cesse. Il avait bien fait de ne pas suivre le chemin qui bordait la falaise... A la place, il avait préféré tenter de traverser la ville en profitant de l'ombre projetée par les bâtiments, mais cette précaution s'était avérée superflue. Il ne croisa personne, pas même un chat. Personne n'avait la moindre raison de traîner dans les rues de Dorkno la nuit, apparemment... Enfin, personne à part lui.

Bon an, mal an, il dépassa les dernières maisons du bourg et se retrouva face à l'immensité de la plaine isolée. L'endroit lui faisait toujours penser à la mer : comme elle, il était sans fin et désert, seulement parsemé de quelques collines remplaçant les vagues dans une veine tentative de briser la monotonie du paysage. Mais pour ce soir, cet isolement si déprimant était exactement ce que cherchait Finnick. Personne ne viendrait le déranger.

Il étendit la veste qu'il avait confié à Rhys (et qui était donc restée sèche) dans un creux du terrain, ôta sa chemise encore humide pour l'étendre, de même pour ses bottes et, après une courte hésitation, décida tout de même de garder son pantalon. Le fond de l'air était doux et on sentait presque l'été en ce dernier mois de printemps, il avait de la chance. Le vent venu du large le fit tout de même frissonner, mais au moins il avait lavé le ciel de toute trace de nuage. L'héléo n'aurait pas à s'inquiéter de la pluie cette nuit. Et puis, au fond, cette odeur d'iode portée par la brise lui apportait un certain réconfort par sa familiarité.
Pour le principe, il s'improvisa un oreiller avec quelques poignées d'herbes folles et il se coucha là, pelotonné dans sa veste. Ce n'était pas la première nuit qu'il passait ainsi à la belle étoile. Si sa rente lui permettait d'ordinaire de loger dans des auberges confortables et de voyager à cheval, il lui arrivait tout de même de voyager à pied et de se retrouver au milieu de nulle part à la nuit tombée. Lui qui était un pur citadin, habitué dès l'enfance à la rumeur constante d'une maison pleine de domestiques et à la vie qui ne s'arrête jamais d'une capitale, il avait trouvé un charme incomparable à ces moments de totale solitude. Même après toutes ces années, il ne s'en laissait pas. Certes, ce soir, il était trop fatigué pour en profiter pleinement, mais il se laissa tout de même bercer par le doux bruissement de la campagne et des animaux y vivant. Et puis, il y avait les étoiles. On ne pouvait pas les voir au fond de la mer. Alors comme à chaque fois qu'il dormait dehors, il les fixa jusqu'à être incapable de garder les yeux ouverts et tomber dans un profond sommeil.

***

Finnick fut réveillé à l'aube par les premiers rayons du soleil qui filtraient à travers ses paupières. Il tenta vainement de se tourner vers l'ouest pour grappiller quelques minutes de repos supplémentaires, mais c'était trop tard. La veille, il était trop fatigué pour se montrer difficile quant à l'endroit où il s'était couché, mais ce matin il sentait douloureusement toutes les pierres du sol qui s'enfonçaient dans son dos. De plus, il était couvert de rosée, et si l'image pouvait paraître très poétique, l'humidité et le froid induits étaient plutôt désagréables. Inutile de lutter, il lui serait impossible de se rendormir.

Il se leva donc, étira ses muscles courbaturés et se rhabilla avant de s'interroger sur ce qu'il allait faire à présent. Ses affaires étaient toujours à l'auberge dans laquelle il était descendu la veille et il ne pouvait pas y renoncer aussi bêtement... Non pas qu'il soit particulièrement matérialiste, mais il voulait au moins récupérer sa dague. C'était un héritage familial, il en était responsable et cela ne concernait pas que lui. Et tant qu'à faire, une fois dans sa chambre, il pourrait aussi bien récupérer le reste de ses bagages... Si l'aubergiste ne s'en était pas déjà débarrassé bien sûr. Dans tous les cas, il devait agir sans attendre.

Premièrement, il devait savoir quelle était l'ambiance à Dorkno. Comme il n'avais pas vraiment de quoi se déguiser pour passer incognito, Finnick n'avait aucune envie de s'y risquer sans faire une première reconnaissance. Il avait retenu la leçon... Il avisa un groupe d'oiseaux picorant dans le pré devant lui et en appela un à lui grâce à sa Vérité.

« Va voir ce qu'il se passe en ville et rapporte-moi ce que tu as vu. » murmura-t-il avant de laisser l'animal s'envoler.

Quelques minutes plus tard, son petit espion à plumes et lui rapporta que les villageois étaient tous groupés le long de la falaise et qu'ils avaient l'air particulièrement excités. L'oiseau n'était qu'un petit passereau, aussi était-il assez difficile pour Finnick de déterminer si cette excitation était due à de la joie ou de la colère... Non, il se faisait du soucis pour rien, les pêcheurs devaient forcément être ravis de trouver leurs filets remplis au matin ! Il ne devait pas laisser la fatigue le faire douter ainsi.

En tout cas, cela voulait dire que l'auberge lui était accessible : elle se trouvait à l'opposé du rassemblement et de son agitation. L'héléo se mit donc rapidement en route, espérant arriver avant que la foule se disperse et pouvoir rester discret. Quelques dizaines de minutes plus tard, il découvrit qu'effectivement les rues étaient désertes, et que même l'hôtellerie avait été confiée à la garde d'une jeune servante. Apparemment, elle le reconnut tout de suite puisqu'elle ouvrit de rgands yeux écarquillés en le voyant :

« Vous ! Vous êtes le prêtre d'Eliosa qui a disparu hier ! Oh non, je suis désolée, Korsac est parti au port avec les autres, il n'est pas là...
- Ce n'est rien. Dis-moi juste si mes affaires sont toujours dans ma chambre, lui répondit-il en souriant pour tenter de la rassurer.
- Non... Elles sont au temple. On les a emmenés hier. On avait peur... fit-elle en baissant les yeux.
- Peur de quoi ?
- On savait pas comment vous aviez disparu ! On a cru c'était Eliosa qui était fâchée et qu'elle allait nous maudire ! On voulait pas qu'elle pense qu'on vous avait volé ! »

C'est vrai qu'il n'y avait pas pensé, mais son évaporation la veille pouvait passer pour une intervention divine... Devait-il la détromper ? Mais après tout, l'apparition providentielle de ce fameux Rhys n'était-elle pas un signe de sa déesse ? Il n'eut pas le temps de trancher avant que la jeune fille reprenne, toujours aussi inquiète.

« Mais vous êtes pas en colère, hein ? Les coquillages et les poissons, ils sont pas empoisonnés ou un truc comme ça ? On est pas maudits, hein, dites ? »

Ce fut au tour de l'héléo d'être surpris. Il n'avait pas pensé que les villageois puissent interpréter les choses de cette façon... Mais c'est vrai qu'il n'était pas dans les habitudes d'Eliosa de récompenser par un miracle l'agression de ses serviteurs. Les problèmes liés à cette histoire ne cesseraient-ils donc jamais ? Il sentait poindre le mal de crâne.

« Non, ne t'en fais pas... dit-il en se forçant à sourire. Eliosa ne vous a pas maudits, au contraire. Elle a vu votre désespoir et elle ne pouvait pas rester sans rien faire. Elle sait lire la vérité au fond des cœurs, c'est une déesse après tout. Et puis, tu vois, je n'ai pas été blessé, alors pas d'inquiétude. »

Laissant la jeune fille un peu plus sereine, Finnick se mit en route vers le temple, évitant tout de même les rues trop larges où il risquerait de croiser quelqu'un. Il n'avait pas envie que quelqu'un le prenne pour un revenant et crée un nouveau malentendu... Arrivé sur place, il vit le prêtre qui l'avait accueilli la veille en train de faire les cents pas sur le parvis.

« Mon frère ! lança l'héléo dès qu'il fut assez près.
- Vous ! Vous êtes vivant ? Eliosa soit mille fois bénie, je n'y croyais plus !
- Je vais bien, soyez tranquille. Par contre, je crois que je vais avoir besoin de votre aide pour la suite. Pouvons-nous entrer ? Je préférerais rester discret pour le moment.
- Bien sûr, bien sûr, suivez-moi ! »

Une fois qu'ils furent installés à l'intérieur et que Melda leur eut apporté de quoi boire ainsi que les bagages de Finnick – auxquels il ne manquait rien, pas même la somme qu'il aurait du payer pour sa nuit à l'auberge à son grand étonnement – l'héléo raconta tout ce qui s'était passé après le début de l'émeute de la veille. Le vieil homme, lui, le rassura : les choses s'étaient finalement calmées assez vite dès que l'héléo avait disparu.

Ils hésitèrent longtemps sur la marche à suivre pour la suite des événements. Toutefois, ils parvinrent à la conclusion que puisque la disparition de Finnick avait rendu tous les habitants nerveux en leur faisant croire à une possible malédiction, il valait mieux qu'il se montre. Tant qu'il évitait les grands discours, tout devrait bien se passer...

La solution qu'ils choisirent finalement fut l'organisation d'un grand banquet utilisant une partie du produit de la pêche miraculeuse du matin. Après tout, puisque personne ne voulait se l'attribuer de crainte d'attirer le mauvais sort, autant la redistribuer équitablement... Le vieux prêtre se chargea de tout organiser pendant que Finnick prenait un peu de repos bien mérité.

La soirée arriva et les premiers curieux attirés par la faim montrèrent le bout de leur nez. Il faut dire qu'il y avait là un sacré festin ! Melda avait fait un travail extraordinaire pour préparer dans les temps les différents coquillages rapportés par l'héléo et les rendre aussi appétissant que possible. Pour être honnête, Finnick avait eut bien du mal à ne pas se servir directement en cuisine quand il avait décidé de lui donner un coup de main. Pourtant, la peur superstitieuse d'une malédiction ne fut totalement levée que quand le prêtre s'assit le premier et qu'il se servit une large assiette. Il était le mieux placé pour savoir si ces aliments étaient maudits par sa déesse après tout... Il fut rapidement rejoint par plusieurs dizaines de personnes.

Quand la soirée fut lancée, Finnick se glissa tout naturellement parmi les convives, rejoignant une place laissée libre sur les longs bancs de bois. Ses voisins sursautèrent d'abord en le voyant, mais leur estomac plein et les paroles rassurantes qu'il leur prodigua suffirent à les apaiser. Cette fois, le plan se déroula sans accroc : la nouvelle de son retour circula entre les convives, achevant de les tranquilliser. Quelques tonneaux de vins sortis d'une réserve secrète apparurent comme par magie une fois tout le monde rassasié, et la nuit devint alors carrément joyeuse ! Certains commencèrent à chanter, bientôt rejoints par quelques musiciens improvisés, et le banquet se transforma en fête.

Alors qu'il se laissait entraîner dans une danse endiablée par la jeune Melda, Finnick réalisa, le sourire aux lèvres, que c'est cette forme qu'il aurait dû donner dès le début à sa bénédiction. Il s'en souviendrait pour la prochaine fois.