Un cigare se consumait lentement sur le bord du cendrier, l’odeur de tabac qui s’en dégageait commençait à embaumer la pièce. Wolfram relisait une énième fois la lettre qu’il avait entre ses mains afin de bien assimiler toutes les informations. Alors comme ça, les Récléyes étaient revenus et en plus ils menaient une attaque contre les confréries et avait déjà réussis à faire tomber le Tour Est. Un léger rictus apparut sur le visage du jeune homme, la situation géopolitique de tout Madelle s’apprêtait à être chambouler par ces évènements et il n’allait pas manquer cette occasion d’augmenter son influence sur les territoires du continent. Un bruissement de tissu, l’extirpa de ses pensées, c’était Rubis qui venait de faire un pas pour se rapprocher de lui. Il la fixa du regard avec un air sévère, il n’aimait pas qu’on l’interrompe dans ses réflexions. Toutefois, il s’adoucit un peu, cela devait faire un moment qu’il était concentré sur son papier, et elle ne faisait que son devoir après tout… Il lui fit un signe de la main pour l’autoriser à parler.
" Monsieur, que comptez-vous faire ? La tour Ouest à l’air d’avoir besoin le plus d’aide possible pour repousser les forces ennemies. De plus votre mère réside dans le territoire des Chutes de Veroni, si vous le souhaitez, je peux envoyer une équipe la récupérer afin de l’amener dans un endroit plus sûr… "
Il en avait assez entendu et se leva de son fauteuil afin de se diriger vers un buffet duquel il sortit un verre et une bouteille de whisky. Un plop se fit entendre quand il déboucha la bouteille, le bruit du liquide ambrée coulant dans le verre empli la pièce. Il s’arrêta de verse quand il fut remplit à son tiers puis rangea la bouteille dans le meuble avant de revenir à sa place. Il jeta un coup d’œil à Rubis qui n’avait pas bougé d’un cil, avait-elle peur de l’avoir vexé en proposant quelque chose qui outrepassait ses fonctions ? Il s’amusa de sa réaction, elle faisait partie de ses plus fidèles employés et il appréciant grandement son efficacité et son sens du devoir. Depuis qu’il l’avait récupéré cinq ans auparavant, elle avait subi un entrainement drastique sur le maniement des armes et avait perfectionné la maitrise de sa Vérité, sans compter les connaissances administratives qu’elle avait accumulées durant toutes ses années. Elle était devenue une femme remarquable et une employée exemplaire. Il but une gorgée de sa boisson avant de répondre à ses interrogations.
" Je te l’ai déjà dit cent fois… appelle moi Wolfram quand on est seul. C’est gentil de t’inquiéter, mais ce qui peut arriver à ma mère m’importe peu. Sinon pour l’attaque des Récléyes, laissons la défense de la tour Ouest à ces abrutis d’Arvèles. Ce que je veux c’est que les marchands d’armes et de fourniture affiliés à la Maison Strauss les plus proches se rendent là-bas et vendent leur produit 50% plus cher, pas plus, pas moins. Et essaye de voir si tu peux trouver quelqu’un qui serait prêt à aller rencontrer les Récléyes. J’aimerais les informer que s’ils ont besoin de certaines marchandises notre organisation sera ravie de les leur fournir ce qu’ils veulent. Dernière chose, envoie quelqu’un acheter toutes les matières premières non périssables disponibles sur le marché, on les entreposera dans nos caches… Et fait passer le mot à nos contacts dans les autres villes, qu’ils fassent la même chose. "
Rubis avait sorti un petit carnet afin de noter ses instructions tandis qu’il s’affala sur son fauteuil. Il reprit une lampée de son breuvage avant de s’amuser à faire tournoyer dans son verre le reste du contenu. S’il arrivait à avoir un certain monopole du marché lorsque la guerre éclatera, ses affaires ne s’en porteraient que plus belle. Il émit un petit rire satisfait puis vida son verre qu’il posa sur la table. Ensuite il tendit le bras pour attraper son cigare qu’il avait laissé et le glissa entre ses lèvres et quitta sa chaise pour se diriger vers la sortie. Quand il passa à côté de Rubis celle-ci lui emboita le pas tout en feuilletant son carnet. Wolfram la regarda du coin de l’œil se rappelant qu’elle n’avait pas encore fini son rapport journalier. Il ralentit la cadence afin de la laisser parler.
" Mr.N est venu se plaindre comme quoi l’héléos que notre organisation lui a vendu était plus mal en point que ce qu’on lui avait dit… selon ces dires, il est mort seulement deux mois après son achat alors qu’il avait prévu de montrer sa nouvelle possession lors d’un bal organisé chez lui. Bien sûr, il exige un remboursement pour l’avoir trompé sur la marchandise… "
Wolfram soupira une volute de fumée en entendant les revendications que lui citait Rubis. C’était le problème avec les nobles, ils croyaient que les règles commerciales s’appliquaient aussi dans le marché noir… Ce n’était pas du tout le cas, s’il refusait de le rembourser, il ne pourrait se plaindre à aucune autorité qu’on l’ait arnaqué sur une vente d’esclave. Cependant, il ne fallait pas sous-estimer les dégâts que pouvaient causer un client mécontent et il fallait parfois faire quelques concessions. Quand il atteint la porte, il se retourna vers la jeune femme et retira son cigare de la bouche afin d’être intelligible.
" Je parie ma main à couper que cet abruti ne l’a pas trempé dans l’océan comme on lui avait conseillé et pas de chance son Héléos était sur ses derniers mois de terre ferme. Peut-être qu’on devrait les tremper nous-mêmes, ça évitera ce genre de désagrément… Tu pourras me calculer les dépenses que ce genre de service engendrera ? Et pour Mr.N, sert lui le blabla habituel comme quoi on est désolé et patati patata et dit lui bien qu’on le remboursera pas mais qu’il sera prioritaire sur le prochain Héléos qu’on capturera et qu’il aura droit à une petite remise dessus, en espérant qu’on en trouve un pour son bal. Voilà, affaire classée ! Il y autres choses ? Et où sont Ambre et Onyx ? "
Il ouvrit la porte qui laissa apparaitre un escalier en colimaçon qu’il entreprit de descendre. Il ne prit pas la peine de se retourner pour voir si Rubis le suivait, le bruit de ses talons claquant sur les marches était amplement suffisant. Une fois au rez-de-chaussée, il se stoppa pour attendre la jeune femme qui le suivait. Il tira longuement sur son cigare tout en la regardant fouiller les quelques notes qu’elle avait gardées dans son carnet. Après un moment de réflexion, elle referma le calepin et lui adressa un petit sourire.
" Rien dont on ne pourra s’occuper cet après-midi, mons… Wolf’. Et Ambre et Onyx sont en train de préparer le déjeuner. Juste vous ne nous l’avez pas dit mais, si ce n’est pas trop demander, quelle est la raison de notre déplacement ? "
Wolfram recracha la fumée qu’il avait emmagasinée et la regarda se dissiper. Il savait qu’il devait rester encore cinq ou six affaires à régler, c’était son lot habituel après tout… Néanmoins, la petite Rubis commençait à bien le cerner et avait deviné qu’il commençait à en avoir marre. C’est donc pour cela qu’elle les avait reportés à plus tard, il se félicita intérieurement d’avoir trouvé une perle pareille. Sans prendre la peine de lui répondre, il alla vers la salle à manger où l’attendait ses deux autres employés, ceux-ci lui firent une révérence quand il rentra dans la pièce. Il resta debout près de la table avant de jeter le reste de son cigare dans l’âtre de la cheminée puis se tourna de façon théâtrale vers les trois autres personnes présentes dans la pièce. Un sourire carnassier s’était formé sur son visage.
" Vous vous demandez surement pourquoi nous sommes parti si précipitamment en voyage… Et bien je vais vous donner la réponse : J’ai peut-être trouvé un autre joyau pour ma couronne ! "