Le jeune homme craint le pire. Entassés dans une foule, lui et sa famille restent désespérément muet devant ce périmètre délimité autour de la place publique. Cette foule amassée a été rassemblée peu après le passage des troupes Récleyés dans leur territoire. Ils se croyaient saufs, ont vu l'armée marcher vers la tour est sans même transgresser les limites de territoire. Ils ont cru pouvoir soupirer, reprendre leur train de vie normal.

Et les voilà, les soldats, ces fiers a bras armés jusqu'au dent forçant chaque femme, enfants et les quelques hommes qui restaient au village jusqu'ici. Un silence de mort, vous dis-je. Un silence qui n'augure rien de bon.

Puis elle s'avance, la gamine. Une... gamine? Elle ne fait pas plus d'un mètre soixante deux, mais son visage n'a alors là rien de celui d'une enfant. C'est une jouvencelle aux traits minces et aux yeux sombres, ô si sombres rappelant le regard scrutateur d'une vipère qui prend parole devant eux, les villageois de Sardek. Sa voix s'élève, grande, claire et aux soupçons autoritaire. Chacun se tait et écoutent cette prêtresse de Sydilia, vêtue d'un châle et d'un capuchon aux couleurs de sa déesse. Il l'observe et penche sa tête pour mieux l’apercevoir derrière cette foule si compacte. Des cheveux rouges, que dis-je, enflammés dissimulés sous ce capuchon éternellement poussiéreux, l'ombre d'une constellation de taches de rousseur sur son visage. Elle est jolie, certes. Elle est d'une beauté sombre, ses yeux d'un bleu clair semblant éternellement exposés sous un nuage et ses lèvres pincées, minces, articulant avec brio la moindre de ses syllabes. Elle est instruite, ça se voit.

«Toi.»

Le silence revient, comme une décharge a travers la foule. Ça n'était qu'un mot, mais ça avait toute l'intonation d'un coup de canon. La foule se retira, créant devant lui un passage linéaire menant droit a cette femme sombre, tendant une main au grain de peau de linceul et aux ongles aux allures de griffes en sa direction. Sur son visage, un sourire digne de Sydilia elle-même.
 

Le jeune homme ne pu bouger sur le coup. Lui? Qu'avait-il bien pu faire? Il était le fils d'une trayeuse de vache, sans éducation si ce n'est celle du champs et de la plantation. Son père avait fait ses services militaires, avait déserté, s'était fait exécuter et depuis, il vivait avec sa vieille mère dans la bicoque que leur avait légué le défunt soldat déshonoré. Qu'est-ce qu'il a bien pu faire? Impossible de bouger, il parvient a peine a déglutir. Un pas, deux pas. Le silence le poignarde presque autant que les regards de chaque mûrs humains de ce corridor. Il s'avance et, vive, la main de la prêtresse vient se poser sur sa joue, son pouce le caressant. Elle a la peau douce, un regard tantôt meurtrier, tantôt... bienfaiteur. La foule reste désespérément silencieuse.

«Saisissez-le.»

La réaction est vive. La foule stupéfaite s'exclame alors qu'elle s'éloigne d'un pas rapide du jeune homme, le laissant se débattre contre les deux colosses qui l'empoignent fermement. A travers la foule, on ramène quelqu'un d'autre. Une femme enceinte.

«Mariadne Deshaw.» La flamboyante rousse a retrouvé ses airs de serpents, et le pauvre craint pour sa vie «Vous êtes accusée d'adultère et de haute trahison envers le Grand Ténébreux par la même occasion.»

Elle proteste, elle crie, hurle, elle panique alors que le reste de la foule observe dans le silence. La prêtresse reste de marbre, poursuit son discours comme si de rien n'était.

«Confessez-vous avoir conçu cet enfant sans l'aide de votre légitime époux et ce, aux bras d'un déserteur?»

Quoi? Mais... Comment peut-elle... Cette femme n'était arrivée que ce matin et savait déjà des choses que personne d'autre ne savait? Que se passe-t-il?! Le pauvre jeune homme, a genoux, paniqué, restait sans voix devant ce spectacle. La damoiselle nie, bien entendue. Elle hurle, tente de se justifier mais ne parvient qu'a sortir un charabia incohérent  dans la panique. La prêtresse fait signe a l'un des soldats de lui ramener un gros sac au fond teinté écarlante... Oh déesse..

«Reconnaissez-vous cet homme?»

Et a nouveau la foule s'enflamme alors que du sac sort une tête, tranchée net, qu'elle envoie valser aux pieds de la dame. Elle hurle, se recroqueville, pleure. Mentionne son nom. Le mentionne a nouveau. C'est tout ce qu'il lui faut. La prêtresse sourit, ce sourire monstrueux, inhumain, alors qu'elle fait signe aux gardes de l'empoigner.

Puis elle se tourne vers lui. C'est son tour..

«Erwin Griff, vous êtes accusé de trahison par le sang envers le Grand Ténébreux. Repentez vos crimes.»

Et repentir, il fit. Sans y penser une seconde fois il avoua son seul crime que d'être le fils d'un déserteur. Pleurant, sanglotant, il avoua son pire pêché dans la terreur la plus totale. Il va mourir. Il va mourir.

Et ce regard clément, a nouveau. Comme si elle était apaisée... Soulagée. On aurait presque dit qu'elle se souciait RÉELLEMENT du sort des âmes d'autrui. Des âmes, mais pas des corps. Aussi tôt dit aussi tôt fait, elle ordonna l’exécution par le feu pour la pauvre pécheresse enceinte, à lui, le luxe d'une pendaison proprement faite. Cette dame n'a rien de bon en elle, rien d'heureux. Elle ne prend ni plaisir ni malheur a tuer, faire souffrir. Elle le fait, c'est tout. Dévouée a son roi presque autant qu'à sa déesse, elle reparti le lendemain matin à l'aube pour faire son rapport à la tour sombre.