« Il y a de cela longtemps, plus de cent ans, un humain du nom de Zaraze créa une nouvelle confrérie, une confrérie unificatrice, qui allait rassembler tous les hommes sous une même bannière, et ainsi accomplir la belle œuvre de toute l’histoire de Madelle.
Mais les hommes ne crurent pas en Zaraze. Il fut trahi par les siens, trahi par la Déesse Mère, et fut exilé, banni, dans les profondeurs du monde.
Puisqu’il n’avait pas pu unir les hommes par la parole, il allait les unir par la force : certains de ses plus fidèles serviteurs le suivirent et créèrent une nouvelle confrérie, et avec l’aide du tout puissant mage noir Zaraze, les autres confréries humains furent conquise, écrasées. Une nouvelle ère allait commencer, une ère de paix, de prospérité…
Mais la mort de Zaraze, rappelé par le temps, affaibli la Confrérie des Récleyés, et profitant de cette faiblesse temporaire, délaissant le cadeau unificateur que Zaraze leur avait fait une fois encore, les Humains reprirent les anciennes Confréries et repoussèrent les Récleyés, puis les exterminèrent.
Du moins c’est ce qu’ils croient, n’est-ce pas, Mantis ?
- Oui papa. Dis, papa, est ce qu’un jour on ira retrouver les autres ?
- Sans doute, mais pas tout de suite. Nous devons rester ici, afin de servir au mieux le Ténébreux en restant implanté au milieu des autres humains. Ici tu apprendras tout ce qu’il te faut pour devenir un bon Récleyés. »
Mais Mantis avait fermé les yeux et dormait déjà profondément. Son père poussa un soupir tendre, remonta la couverture, et sortit dans la nuit noire.
Au cœur des plaines de Faras, dans un petit village, la communauté Récleyés continuait de croitre, comme un cancer au milieu de la poitrine du monde Humain. Masqué aux yeux de tous, par la grâce de la Déesse Perfide, ils pouvaient continuer leurs activités et espionner convenablement les confréries humaines.

En son cœur, le père de Mantis se demandait s’il avait été raisonnable de faire un enfant à sa tendre femme. Mantis allait devoir faire un très long trajet pour atteindre l’académie, et cela allait perturber le village si le père devait l’accompagner.

Ce genre de questions, au final, ne se posa pas.
Car alors que Mantis fêtait son douzième anniversaire, la bande de renégats Arvalès des Gueules Pourpres attaqua le village..

La bataille était féroce, le village brulait, mais la Confrérie Noire se défendait farouchement. Découverts, leur mission ayant échoué, chaque homme et chaque femme se faisait fort d’emporter dans leur mort un maximum d’adversaire.
Mantis lui-même se battait. Douze ans, la dague à la main, il sautait dans le dos des soldats qui ne prêtaient guère attention à un enfant. Beaucoup furent blessés mortellement, mais peu à peu le cours de la bataille se fit en faveur des forces Arvalès.
« Va-t’en Mantis, fui ! » Hurla soudain la voix de son père.
Obéir à son père. Cette conscience était gravée dans l’esprit de Mantis depuis des années. Sans réfléchir plus avant, il se mit à courir.

Il courut pendant des heures, dans la nuit noire, trébuchant sur les buissons, s’écroulant dans des ravins. Son père ne lui avait pas encore parlé du chemin à suivre, mais Mantis savait vaguement que la terre du Ténébreux se trouvait quelque part au Sud-Ouest du village, aussi tentait il de s’orienter dans cette direction. Son petit corps, tremblant de rage, de peur, et de fatigue, se frayait un chemin, porté par sa volonté.

Il est bon de préciser à ce point du récit que Mantis n’était pas un enfant comme les autres. Sa Vérité, manifestée très tôt et sans aucune aide, avait dû être canalisée par ses parents. Aussi, Mantis était déjà entrainé à se servir de certains de ses pouvoirs.
On le voyait régulièrement disparaitre pour réapparaitre quelques mètres plus loin, comme s’il avait un hoquet dimensionnel. Parfois, ses bonds étaient légèrement trop grand, ses pas légèrement trop rapides. Bien que balbutiants et encore faibles, les pouvoirs de l’enfant étaient particulièrement utile pour son objectif actuel : fuir.

Ce fut sans doute pour cette raison qu’il parvint à échapper aux Arvèles.

Croire, à ce moment-là, que ces derniers avaient abandonné leurs recherches, était utopique. Aucun villageois ne devait en réchapper, c’était nécessaire pour la réputation de la bande des Gueules Pourpres. Des annonces furent passées, et le visage si particulier de Mantis fut bientôt diffusé dans toutes les terres humaines, avec une belle récompense.

Atteindre les Terres des Récleyés se révéla bien plus difficile que ce que le jeune enfant avait pu imaginer. Alors qu’il s’approchait de la frontière, il eut a faire face à de nombreuses villes et autres postes frontières, remplis d’hommes en armes qui étaient décidés à toucher la récompense promise par les Gueules Pourpres. Il fut contraint de rebrousser chemin, mais pour éviter ceux qui le poursuivaient, il dut obliquer vers l’Est, s’éloignant de son objectif.

Pour se motiver, il imaginait les souffrances qu’il infligeait à ses ennemis. Dans le même temps, une profonde amertume lui rongeait le cœur : il aurait dû rester, désobéir et se battre. Peut-être sa présence aurait elle fait une différence ? Son esprit lui hurlait que non, mais son cœur lui faisait sentir la douleur âpre du regret et de la tristesse. Ses parents lui manquaient.
Le périple du gamin n’aurait pas pu durer bien longtemps sans aide. Il n’avait jamais appris à se débrouiller seul dans la nature : en revanche il connaissait très bien le maniement de sa Vérité, le combat aux armes, et les préceptes de la déesse perfide, l’histoire du monde, etc… Et il ne le savait pas encore, mais sa Vérité était d’un genre particulier, qui se remarquait facilement pour peu qu’on y prenne garde.

C’est au cours de sa fuite éperdue vers l’Est qu’il rencontra son maitre. L’homme marchait seul sur la route, lorsqu’il aperçut le pauvre enfant affamé, perdu, couvert de sang et de crasse. Il comprit immédiatement qu’il s’agissait d’un orphelin, et décida, sur une impulsion, de l’aider. Ce n’est que plus tard que Burrech (tel était le nom de ce voyageur) s’aperçut que l’enfant était doué pour la magie, et qu’il possédait des talents plus que particuliers.

Mantis ne le sut jamais vraiment, mais Burrech était un exilé tout comme lui, un individu qui avait déserté l’armée des Arvèles pour parcourir les chemins et aider ceux qui en avaient besoin. C’était un homme de paix, bien qu’il maitrisait parfaitement la Vérité des Armes et qu’il posséda lui-même deux épées, pour protéger les faibles et les démunis. Cet homme s’élevait contre les injustices, et peu à peu, à son contact, Mants s’attendrit.
Dans le même temps, il fut entrainé par son mentor. Il s’avéra un élève doué : certes, sa Vérité l’empêchait d’être aussi talentueux qu’un jeune Arvèlesien, mais il apprit rapidement à associer ses pouvoirs à son entrainement à l’épée, au sabre et au bâton, pour devenir un guerrier farouche et féroce.

Mais ce paisible interlude ne dura pas longtemps.

Trois ans après sa fuite, Mantis fut rattrapé. Alors qu’il avait baissé sa vigilance, son visage, trop reconnaissable, avait été repéré par un marchand itinérant, lequel avait averti les autorités après avoir vu l’annonce de recherche placée sur la tête de Mantis. Trois jours plus tard, dans leur petit campement, Mantis et son maitre furent attaqués.
L’assaut fut promptement mené, mais particulièrement sanglant. Il n’y avait là que des guerriers d’élites, et le combat dura un bon moment, les épées s’entrechoquant, les boucliers se fracassant, le tout entrecoupé des bruits de diverses Vérités s’annulant entre elles, ou se déclenchant dans un bruit de tonnerre. Cette fois ci, Mantis resta se battre jusqu’au bout. Et lui comme son maitre furent vaincu.

L’adolescent vit l’épée le traverser de part en part. Il tomba, dans la poussière, le visage un peu stupéfait. L’épée poursuivit son chemin, et il vit, très détaché, son bras droit tomber à côté de lui, sectionner. Le sang s’écoulait en même temps que la vie le quittait. Il perdit connaissance, avisant son propre poing se crisper sur la garde de sa lame, comme si le bras détaché voulait continuer le combat.
Dans son inconscience, Mantis eut l’impression de rencontrer quelqu’un, quelqu’un d’important. Mais son chemin vers l’au-delà fut dévié.
Il y eut un nuage de noirceur et de ténèbres, et Elle apparut. Sa déesse Sydilia, qu’il avait toujours vénéré en secret depuis toutes ces années. Il ne se souvint pas exactement des révélations qui lui furent faite, mais une chose était certaine.
Il allait désormais s’appeler Iajutsu.
Et il allait vivre, par la grâce de Sydilia.

Il s’éveilla dans une ville avoisinante, soigné par une jeune femme au visage doux, qui l’avait trouvé agonisant dans la clairière. Etais ce réellement un miracle qui l’avait maintenu en vie ? Personne ne le sut, mais pour Mantis, la chose était confirmée.
Son maitre, en revanche, avait été tué. Cela ne fit qu’attiser la haine qu’il avait pour les autres confréries humaines, qui n’hésitaient pas à sacrifier les leurs dans leur quête aveugle de destruction.

Cette fois ci, l’adolescent, devenu adulte en son cœur, se dirigea droit vers le Sud Est. Il franchit à l’aide de ses pouvoirs les garnisons, et tandis qu’il marchait vers son objectif, il utilisait sa maitrise de la télékinésie pour se forger des masques. Beaucoup de masques.
Puisque son visage l’avait découvert, avait causé la mort de son maitre, alors il serait sans visage.
Il allait devenir Iajutsu, et il délivrerait la peur et la mort dans le cœur des ennemis de la confrérie.

Il découvrit par ailleurs que cette nouvelle volonté, et la perte d’un de ses membres, avait globalement augmenté la force de sa Vérité. La cicatrisation, par la grâce de la guérisseuse, avait été parfaitement exécutée, mais il pouvait imaginer et sentir comme un bras de force de Vérité à la place de son membre perdu. Grâce à cette dextérité de la Vérité de l’Espace, il n’eut aucun mal à continuer à vivre normalement.

Lorsqu’il arriva sur le territoire de la confrérie, il était fin prêt.

J’aimerai pouvoir dire que ses frères l’accueillirent comme il se doit, mais ce ne fut pas le cas. Ignorant des épreuves qu’avait franchies l’adolescent, il fut d’abord conspué. Puis, finalement, alors qu’il démontrait sa volonté de servir le Ténébreux, on l’accueillit avec méfiance, lui, l’étranger.

Malgré son âge, on l’envoya quand même à l’académie, où il passa le rituel comme les autres enfants et suivi une formation dont il n’avait nul besoin.
Mais il endura avec joie toutes ces démonstrations, car il savait qu’au bout l’attendait ce qu’il recherchait plus que tout : la vengeance.

Après sa sortie de l’académie, avec des mentions particulièrement bonnes de la part de ses instructeurs, impressionnés par ses talents, il fut engagé sur une suite de mission particulières. C’est au cours de ces missions qu’il acquit ses armes, son bras si particulier. C’est également au cours de ces missions que le Ténébreux eut vent de certaines de ses capacités. C’est au cours de cette période que se forgea peu à peu la légende du Rescapé, l’homme masqué qu’on appelle Iajutsu. Et alors que les compagnons d’arme du guerrier tombaient, lui-même survivait et devenait d’autant plus respecté et apprécié par ses camarades, et son histoire ne faisait que devenir de plus en plus hyperbolée par les conteurs et les rumeurs.

A l’époque où nous parlons, Iajutsu arrive à un moment décisif de sa vie. Sans qu’il le sente, lentement, la prophétie s’est mise en place, et a influencé son destin comme celui de tant d’autres. Il est désormais l’heure pour lui de tracer son histoire dans le sang et les larmes ; il est temps pour lui de ne plus être seulement un individu mystérieux de la confrérie Récleyés, mais la légende qu’il a toujours désiré être.