[ATTENTION : CERTAINS PASSAGES VIOLENTS PEUVENT CHOQUER - ESPRITS SENSIBLES S'ABSTENIR]
Richard se raidit. Un sifflement au loin était venu accompagner un souffle glacial et putride. Il y aurait donc différentes entrées aussi larges qu’une porte, pour qu’ainsi un courant d’air vienne charrier les odeurs pestilentielles… Autant d’alternatives pour une fuite éventuelle.
Il tendit son flambeau aussi loin que son bras gauche le put, tentant ainsi de percer un peu de cette si lourde obscurité : rien d’autres que des murs suppurants d’humidité, de poussière et de saleté accumulée n’étaient visibles et les quelques centimètres d’eau au sol cachaient un mystérieux secret. Elle réfléchissait en effet toute lumière. Ce n’était pas de l’eau pure… Non plutôt un mélange de boue… et de sang ? Un frisson parcourut son échine et pourtant il s’accroupit afin d’étudier de plus près ce liquide. Son hypothèse avait de grands risques de s’avérer juste ; peut-être le feu trompait-il sa vision mais il discernait cette opacité propre au sang si familière à ses yeux de soldat…
Soudain, un reflet blanchâtre lui arracha un rictus.
Un fémur humain.
Il se tenait juste en dessous de l’ouverture du puits où plusieurs têtes surveillaient sa progression, et une corde le reliait encore à l’au-dehors de ce doux enfer souterrain. Richard s’éloigna de sa macabre découverte et éleva la voix ; les bestioles avaient de toute manière déjà détecté sa présence.
«
Altair. -
Vous avez trouvé quelque chose ? -
Eloignez les enfants voulez-vous ? fit-il avant de reprendre sur un ton sombre.
Un fémur adulte. »
Le silence qui accueillit son annonce montra qu’Altair était arrivé à la même conclusion que Richard et en avait tiré toutes les conséquences que cela impliquait. Pour qu’un fémur soit présent, cela signifiait dans tous les cas qu’une personne avait perdu sa jambe… Et pour que cela advienne, elle avait dû être attaquée et en mourir.
Mais comment cela était-il possible si proche de l’ouverture du puits ? N’avait-elle crié à l’aide ? Ne l’avait-on entendue ?
Non. Le plus plausible restait que cet os était un reste laissé par un prédateur dans le coin et qui avait trainé avec lui sa pitance. Image bien horrible, cependant qui semblait bien proche du véritable scénario. Donc chaque victime était allée un peu plus loin vers les profondeurs. Concernant les adultes, cela se comprenait aisément. Mais le petit Ren ? Pourquoi ? Il aurait suffit de patienter à l’orée du souterrain et d’attendre que vienne un villageois alerte ! Surtout que la corde n’avait jamais été rompue ou relevée…
«
Dites Altair… Qu’est-ce qui a attiré le gosse vers l’obscurité ? -
La curiosité ? -
Franchement, je ne pense pas qu’à douze ans on ait le courage nécessaire pour avancer… Ce souterrain est morbide, croyez-moi. -
Je ne sais pas. Fouillez les alentours pour voir s’il ne s’est pas terré dans un coin en sécurité. -
J’y comptais… Même si je ne crois pas à sa survie » finit Richard dans un murmure seulement audible par lui-même.
Il soupira longuement, afin de faire le calme dans son esprit ; sa migraine avait quant à elle disparu depuis hier soir aussi était-ce là un problème de réglé. Mais avant de s’enfoncer dans les profondeurs, Richard prit le temps d’écouter un peu plus attentivement les échos du souterrain. Il percevait le clapotis de l’eau… des pas feutrés qui la faisait chuinter… des couinements… des raclements sur la pierre… des rats ? Non ils seraient trop petits pour faire autant de bruit. Ce qui se déplaçait était autrement plus gros, presque autant qu’un homme debout.
Etait-ce la bête qui avait causé la disparition des villageois ?
Il reprit sa conjecture : il y avait soit une horde de créatures soit –Richard préférait cette éventualité- il n’y en avait qu’une mais énorme. Ce cas était plus confortable puisque grandeur impliquait difficultés à se mouvoir dans l’étroitesse du puits ; toutefois cela était peu envisageable.
«
J’entends des créatures au loin… Et je pense fortement qu’il s’agit de rhajacks. -
Vous en êtes sûr ? -
Forte probabilité. Soit c’est une grande créature soit autant de petites. Qu’est-ce qui vivrait dans un souterrain où la seule subsistance possible serait des rats ? -
Je vais vous rejoindre. -
Non. Vous me gêneriez ; l’un ou l’autre finirait étêté si un combat s’annonce. -
… Je vous fais confiance Edvart… Faites attention à vous ! -
Ne descendez pas, dans tous les cas. Ne le prenez pas mal mais… j’ai été soldat. Si je n’en viens pas à bout, aucun de vous n’y arrivera. Faites plutôt appel à des volontaires à Terna, des personnes compétentes et équipées. -
Cela ne me ravit guère mais… vous avez ma parole. -
Bien. »
Richard se décida alors à poursuivre plus loin, laissant derrière lui le cercle éclairé de l’ouverture du puits.
Sous ses pas lestes, des os craquaient de temps à autre ; il avançait avec précaution, afin que son pied ne se dérobe pas et qu’il ne termine avec une cheville cassée. La torche n’était pour le moment guère utile puisque le paysage se résumait à un étroit boyau longiligne. Il perdait ainsi la notion du temps et cette particulière expérience raviva aussitôt le souvenir de ses péripéties dans le labyrinthe d’Erka…
Une demi-heure ou deux heures plus tard, Richard fit enfin face à sa première embouchure : sur sa droite et sa gauche s’étiraient deux nouveaux chemins assez vastes cette fois pour au moins trois personnes. Le Récleyés opta aussitôt pour la gauche d’où un vent léger faisait onduler l’eau croupie. Et tandis que sa marche continuait, les petits cris semblables aux rats se firent plus distincts : il se rapprochait de son objectif.
Sa flamberge tirée au clair restait ferme et sûre dans la grande main du Général tandis que son fourreau battait nerveusement sa cuisse. Il gardait la torche en avant, afin que celle-ci dévoile les dangers avant qu’ils ne surviennent ; l’une des premières règles de survie était de toujours être au courant, toujours avoir appréhendé afin de pouvoir réagir le plus vite possible face à la menace.
Et il s’y forçait à cet instant, avec toute la volonté qu’il eut possédée…
Car depuis quelques minutes, son ouïe avait perçu des gémissements de douleur parmi les couinements animaux.
L’attaque survint aussi rapidement qu’il le craignait. Presque imprévisible, à peine sa flamme eut révélé l’ouverture sur une salle large qu’une vingtaine de regards argent étaient venus le dévisager… Puis sauter sur lui.
Richard se fendit d’une tranche prompte, et tailla ainsi le premier assaillant : il s’agissait bien d’un Rhajack. Il n’eut plus le loisir de s’y attarder que trois autres créatures virent relayer leur compagnon. Estoc, pivot, tranche, estoc. Les assauts s’enchainèrent à une vitesse ahurissante, même pour un soldat aguerri comme Richard ; il eut heureusement le réflexe de reculer dans le couloir afin de combattre le moins d’ennemis possible à la fois. Néanmoins cela s’éternisait.
Feinte, tranche, tranche, estoc, parade.
Revers, feinte, estoc.
Pivot, tranche.
Revers.
Son souffle commençait à devenir sifflant, tel celui de ces bêtes agacées qu’on leur tienne tête. A deux fois Richard commit des erreurs qui auraient pu lui couter la vie : la première, ce fut d’attaquer d’une tranche trop ample au point que sa lame est allée percuter le mur opposé dans une gerbe de crissements. Par bonheur ce bruit incommoda assez les rhajacks pour qu’il puisse se dégager. La seconde, son pied ripa sur un cadavre dissimulé par l’eau et il manqua de tomber.
Reste attentif et concentré damnation ! Ces foutus rats n’auront pas ta peau, alors que Jaste n’y est lui-même pas arrivé !Alors il continua. Fendre, frapper, parer, pivoter, trancher, trancher, porter un estoc, se baisser, tailler, découper.
Il criait parfois, afin de se donne la force d’abattre son épée.
Il perdit rapidement le compte… et sa respiration de plus en plus douloureuse. Face à un danger de cette taille, il dut céder à sa Vérité et lui permettre de gagner en vitesse et en force ; dans la hargne du combat, Richard fracassa même sa torche sur le crâne d’un rhajack. De toute manière, elle le gênait plus qu’autre chose et sa vue s’était accoutumée à l’obscurité.
Du sang poissait sur ses vêtements déchirés. Il poussa un grognement lorsque des dents pointues virent arracher un peu de la peau de son mollet. La douleur s’ajouta au flot d’émotions ardentes et attisa encore l’ire de Richard…
Quand le dernier ennemi tomba, le Récleyés se laissa choir avec lui. Ses jambes ne pouvaient plus supporter son poids et même son fier bras retomba le long de son flanc, sans lâcher la flamberge. Ne jamais lâcher l’arme.
Son cœur battant à toute allure lui faisait mal. Moins cependant que la fulgurante migraine qui assaillit son cerveau : foutue vérité…
Il était assis, adossé contre l’un des murs du couloir, un cadavre encore chaud de rhajack sous ses jambes. Et sur toute sa droite en fait…
Il était chanceux. Vraiment. Si d’autres de ces rats étaient venus par derrière…
Bah. Il ne serait pas mort pour autant. Une promesse à tenir.
L’esprit embrumé et le pas incertain, Richard se convainquit au terme de plusieurs minutes à se relever ; il avait entendu des gémissements, plus tôt, non ? Peut-être n’était-il pas le seul survivant à ces monstres ?
Il revint donc vers la salle où l’affrontement avait commencé en crachant-cahotant tandis qu’une main assurait sa progression et sa stabilité. Ses yeux fouillèrent les ténèbres. Il ne vit qu’un monticule de trésors et de babioles jetées par les villageois et qui attiraient les rhajack comme des pies avec l’argent. Etait-ce cela qui avait attiré le jeune Ren ? Mais plus loi, Richard aperçut aussi un tas de cadavres humains, tous des adultes d’âge varié : un vieil homme qui devait être pourtant en pleine forme, un homme qui aurait pu être un père. D’autres méconnaissables et enfin, de simples os solitaires.
Tous… Tous morts ?
Puis il la vit. Une petite silhouette recroquevillée sur elle-même, protégée par un corps sans vie, dans une dernière étreinte.
«
Ren ? » grogna Richard de sa voix abimée.
Un silence avant qu’une paire de yeux ternes ne viennent le chercher.
«
Ren, par Mère Nature… Attends encore un peu, petit. »
Il usa le peu de force qu’il lui restait pour dégager l’enfant des cadavres sous lequel il était écrasé. Il arqua son dos en grimaçant, presque emporté sous le poids, et dut s’aider de ses deux bras… finalement le corps roula et l’air put s’engouffrer dans la forteresse humaine.
Richard eut un hoquet d’horreur.
Il avait vu des combats, vu des gens mourir sous ses yeux, des vies s’éteindre tranquillement ou arrachées au faite de leur jeunesse. Des corps mutilés également mais jamais son esprit n’avait encore pu concevoir qu’un enfant à peine plus grand que cela puisse avoir subi de telles souffrances…
C’était une chose affreuse de se dire qu’un si jeune être ne pourrait plus connaitre les plaisirs simples de l’enfance…
Même plus que cela…
«
Je… »
Les mots lui manquaient. Il pensait avoir préparé son esprit au pire en acceptant de descendre pourtant.
«
Ren… »
Richard baissa la tête. Ses bras enveloppèrent le corps chétif et le remontèrent, loin de ces témoins de la providence. Il sentait contre sa poitrine le battement ténu de ce petit cœur et ce filet de respiration contre son épaule nue. Il… Il ne savait plus quoi faire. De premières larmes naquirent au bord de ses yeux froids et il enlaça le petit Ren dans une étreinte désespérée.
Dans son esprit, la confusion régnait, néanmoins une question revenait, encore et encore.
Que faire… ?
Seuls dans cette cave obscure et hostile, Richard était en proie à un bien grand dilemme. Perdu, il berçait avec douceur l’enfant estropié, en silence, entouré de cadavres et de sang…
***
La lumière du jour lui tira une grimace de souffrance. On l’aida à remonter, tout gluant de sang noirâtre et aussi fétide que l’haleine de Tolv, mais vivant. Tout le monde se pressait autour de lui pourtant, la curiosité –et l’espoir- dominant le reste. Qu’était-il advenu des disparus ? Qu’y avait-il de si effrayant en bas ? D’où venait tout ce sang ? Etait-il blessé ?
Taisez-vous ! aurait-il voulu crier. Ses émotions le perturbaient encore, et un regard silencieux et un dernier râle ne s’effaçaient toujours pas de son esprit tourmenté. Avait-il fait le bon choix ? Ou avait-il prit la pire des décisions et mit fin à une vie qui aurait pu se poursuivre.. ? Non. Il ne devait pas sombrer dans les regrets. Il avait abrégé des souffrances qui l’auraient tué petit à petit avant même que le soleil ne revienne caresser son visage déformé.
Mais finalement, lorsque les voix se turent pour l’écouter, Richard prit une inspiration et fit simplement, en regardant la petite Joycelyn :
«
Ils ont tous été vengés. »
- Fin du RP –