Le nez en l’air, Richard humait l’atmosphère chaude provenant des volcans liares. Il se tenait assis plus ou moins confortablement sur un charriot, entre victuailles et autres venaisons, conduit par un charretier qui semblait fort aise de rouler sur les caillasses. Si Richard avait tout d’abord voulu écrire quelques lignes, le cahot l’en eut vite intimé à une autre activité plus… spirituelle. Impossible de lire donc, ou de tracer le moindre caractère. Il ruminait donc ses sempiternelles questions philosophiques en ignorant le brouhaha ambiant ; car en effet, la caravane était plutôt dense, avec ses quatre véhicules, sa dizaine de têtes sans compter celle des bestiaux. Le tout formait un ensemble bien bruyant, plein de vie certes, mais bruyant surtout.
Ils venaient de quitter une petite bourgade située entre Mainstok et Orlack il y a de cela moins de deux heures : et il avait été recruté dans ce même hameau tranquille. Si une simple annonce avait déjà informé la plupart des mercenaires de passage de la recherche de deux gardes du corps pour la caravane, ce fut un marchand paniqué qui avait débarqué dans la taverne où Richard se restaurait pour dénicher dans la hâte une troisième tête. Leur garde habituel, avait expliqué l’employeur, avait été victime d’un grand mal gastrique qui le rendait inapte à voyager pour quelques jours. Et comme le Récleyés comptait regagner les abords de Ferèsis, il avait naturellement accepté.
Son bref séjour à l’Arbre Brûlant lui avait permis de regagner un semblant de propreté aussi avait-il été engagé sans trop de questions. Une rapide et moindre démonstration de ses talents de bretteur avait achevé de convaincre le recruteur.

En somme, le voici donc voyageant des terres ardentes vers le royaume humain entouré de pommes, de chevaux aussi odorants que lui il y a une semaine, et d’un grand nombre de Liares intrigants. Il s’était depuis un moment fait à l’allure si étrange de ce peuple, cependant, malgré cela, il le fascinait toujours autant. Enfin plutôt que de fascination, le terme approprié aurait été curiosité… Pour changer.
Il connaissait un peu la route, aussi ne s’inquiétait-il pas énormément d’un potentiel danger : par ici, la plupart des bestioles n’attaquaient pas sans raison valable, et réfléchirait à deux fois avant de charger une troupe nombreuse, et armée qui plus est. Richard appréhendait bien plus la nuit, car si une veille efficace leur éviterait tout souci, le cas échéant pourrait être une catastrophe. Bah. Il verrait en temps et en heure.

Ce pensant, il attrapa son baluchon avant de se laisser glisser au bas du charriot cahotant. Il se réceptionna sans mal au vu de la vitesse bien lente du convoi, puis se décida à aller discuter un peu avec tout ce joli monde : l’ennui le gagnait, peut-être la fortune lui serait clémente en lui livrant un esprit lettré. Ou même capable de tenir une conversation intelligente. Logique. Le peuple marchand devrait convenir puisque pour y faire carrière, un minimum de raison était nécessaire…
Mais après une heure infructueuse à essuyer les regards tantôt hautains tantôt méfiants des Liares, Richard dut convenir à aller aborder des confrères humains. Ils étaient quatre assignés à la garde du convoi : lui-même, deux bruns et un rouquin, le chef de garde. Ce dernier était un drôle de personnage, tout de noir vêtu et à la mine patibulaire. Il dispensait ses ordres d’une voix qui se voulait assurée et ne souffrant d’aucune contradiction et pourtant Richard y décelait une mince incertitude. De là à le qualifier d’incompétent, ce serait conclure trop hâtivement néanmoins… Le Récleyés ferait un peu de zèle.
Quant aux deux autres, ils se ressemblaient de par leur taille plutôt grande -bien qu’il les dominat d’une demi-tête- et leur tenue assez sobre. Contrairement au capitaine de garde, ils semblaient déjà plus compétents de la lame : le plus petit était pourvu d’une épée bâtarde et d’un arc long joliment ouvragé tandis que le second semblait manier la lance. Simples armes d’apparat ou réels mercenaires, Richard penchait pour la deuxième hypothèse au vu de leurs cicatrices visibles… A moins que ce ne fut qu’un étalage sans raison ; ils n’étaient pas rares, ces bons hommes exhibant leurs muscles et que Richard avait étalé aisément…
Enfin à eux trois ils devraient être capable d’assurer une bonne protection.

Fort heureux de son analyse qui lui permettait de se retrouver l’esprit allégé de questions, Richard osa aller à la rencontre du rouquin histoire de voir un peu l’étendue de ses compétences.

« Capitaine, salua-t-il.
- Hum, Richard est-ce cela ?
- Certes. »

Le Récleyés déplora l’absence de remarque au sujet de sa venue, qui impliquait la non surveillance d’une partie du convoi.  

« Quelles sont les directives pour ce soir, capitaine ? s’enquit-il d’une voix neutre.
- Des directives ? Pourquoi donc ? s’étonna le roux.
- Je parlais de la veille…
- Oh y en a-t-il vraiment besoin ? Le coin parait tranquille… Au pire vous vous débrouillerez bien à trois ! »

Richard le gratifia d’une paire de sourcils froncés et s’en alla sans plus de cérémonie, passablement agacé. Incompétent. Déçu, il regagna son perchoir, et tenta de nouveau de se plonger dans ses écrits.

***

L’air se rafraichissant et les lumières s’absentant, la caravane fit halte aux abords d’un plateau tranquille, entouré d’un bosquet dense d’arbres feuillus. Deux feux avaient été allumés, un pour les gardes, un pour les marchands et une marmite de soupe bouillait au-dessus. Inquiet, Richard se tenait légèrement à l’écart, la main sur le pommeau de sa flamberge, afin que les lueurs n’éblouissent pas sa vision nocturne ; cette odeur de nourriture et cette chaleur ne manquerait pas d’attirer les prédateurs affamés…