Le port est silencieux, la neige recouvre les toits des maisons qui n'ont pas de cheminées. La marchande Juliette est comme une enfant, sautillant presque sans se préoccuper de la chaussée glissante. Elle file avec le vent vers la rue de l'écume qui donne sur les quais. En passant devant une boutique qui ne paie pas de mine elle ralentit et ne peut s'empêcher de garder les yeux fixés jusqu'à se retourner un peu en continuant d'avancer. D'ici quelques heures, cet endroit serait à elle, mais avant elle devait récupérer le véritable trésor qui allait lui assurer la fortune.

Arrivée au port, elle chercha Ophélie Soel, une femme assez petite recouvertes de cicatrices. Elle l'attendait près d'un navire ayant fait son temps. Les deux mâts étaient encore solides, mais le bois du pont était patiné par le temps. Elle l'avait visité quelques jours plus tôt, remarquant les quelques trous dans les murs des cabines et du garde manger à cause des souris ou rixes entre matelots. Il n'y avait plus aucun canon dans la cale bien que le navire put en accueillir. L'ancre à moitié rongée par la rouille s'effritait à chaque fois qu'elle était remontée contre la coque.

En cette matinée, les voiles étaient repliées tout comme lors de sa visite. Elle avait à tout prix voulu les voir déployées, il s'était avéré qu'elles étaient presque en parfaite état. À peine usé sur les bords, elles avaient du être changées récemment, pour au moins montrer une bonne image de ce rafiot qu'aucun capitaine souhaitant se faire un nom sur les mers aurait acheté. Mais la marchande ne voulait pas devenir une terrible pirate, elle voulait simplement voyager. Et puis elle avait réussi à mettre quelques pièces de côté pour au moins acheter une nouvelle ancre.

Le reste viendrait avec le temps. La propriétaire du navire lui fit signe quand elle l'a vit. Juliette alla à sa rencontre :

- Bonjour, c'est bon vous avez rassemblé l'argent ?

- Bonjour, oui j'ai la somme.

- Bien, suivez-moi, nous serons mieux à l'intérieur.

Les deux femmes montèrent sur le navire et se dirigèrent vers l'escalier sous le pont supérieur. Juliette se laissa guider dans le couloir jusqu'à la cabine du capitaine qui donnait sur l'océan. Il n'y avait qu'un bureau placé au centre et une paillasse dans un angle près de la porte. La future ancienne propriétaire avait fait vider les lieux, Juliette se souvenait avoir vu des tas de caisses de vins et de livres amoncelées un peu partout la dernière fois qu'elle était venue. L'endroit paraissait bien plus grand maintenant, Après un bon coup de balaie et de cirage, l'endroit serait comme neuf.

Elle s'approcha du bureau quand Ophélie y déposa l'acte de propriété du navire et alluma le bougeoir, seul objet laissé sur le bureau. Le papier était un peu jauni, mais les inscriptions encore parfaitement visibles. Juliette allait pour le saisir, mais elle fut arrêtée :

- L'argent d'abord si vous le voulez bien.

Cela sonnait plus comme un ordre qu'une simple requête. Juliette sortit la bourse de sa lourde cape :

- Bien sûr, tenez, vous pouvez compter si vous le voulez.

- Oui, c'est ce que je vais faire.

La marchande attendit qu'elle arrive aux dernières pièces pour prendre le document. Ophélie s'arrêta une seconde de compter pour la regarder faire sans rien dire et reprit son compte. Elle décréta :

- C'est bon, vous voilà l'heureuse propriétaire de ce navire. Je vais vous laisser, profitez en bien !

Ophélie quitte le bateau, laissant Juliette seule dans la cabine principale. Les premières lueurs du jour pointe à peine, elle regarde le soleil se lever à travers les vitraux qui s'étendent tout le long de la poupe. Elle n'arrive pas encore à réaliser qu'elle est l'heureuse propriétaire d'un navire et ce n'est pas là le seul achat conséquent de la journée. Son avenir se joue cette matinée, à midi, elle aura enfin atteint son but. Mais d'ici là, Juliette reste quelques instants à profiter du calme du navire. Mille et une pensée s'enchaîne dans son esprit.

Jusqu'à ce qu'elle se souvienne de son récent achat. La marchande retire son sac de son dos et en sort un carnet de cuir relié qu'elle dépose sur le bureau. Acheté il y a plusieurs semaines de cela, ce livre de communication n'a encore jamais été utilisé. Elle prévoit son installation depuis de nombreux mois et avaient déjà prévu d'acheter deux livres pour en laisser un sur le bateau et un dans la boutique de ses rêves afin d'être toujours joignable. C'était une qualité essentielle dans son milieu, plus l'information circulerait rapidement, plus efficace elle pourrait être.

Elle caressa du bout des doigts le carnet et l'ouvrit, sur la première page on pouvait lire en gros caractères "le livre du griffon" un sourire se dessina sur ses lèvres avant de le refermer. Le vent sur le pont soufflait fort, quelques flocons tombèrent du ciel alors que Juliette pointait le bout de son nez dehors. Elle avait encore du temps avant son rendez-vous à la boutique rue de l'écume, en attendant elle voulait aller voir les gardiens du port pour s'acquitter de sa taxe pour le navire. Elle n'avait pas encore trouvé d'équipage au complet et il allait forcément rester quelques temps au port.

Trouver un capitaine s'avérait plus compliqué que prévu, surtout un capitaine en qui Juliette pouvait avoir confiance. Pour le moment elle avait rejeté toutes les propositions, trouvant toujours un défaut inenvisageable aux candidats. Elle allait devoir faire des concessions, mais cela n'allait pas être facile. Après quelques minutes en direction du sud, elle trouva l'un des baraquements des gardes côtes. Elle se présenta auprès d'eux comme la nouvelle propriétaire du pourfendeur des Lor'reïks. Ils l'accueillirent chaleureusement et lui servirent même un thé brûlant qu'elle accepta avec plaisir.

Ils lui racontèrent des histoires sur le navire qu'elle avait acheté qui ne lui avait pas échappé. Ophélie Soel était connue pour être impitoyable en mer avec les héléos, il y avait de terribles histoires à son sujet sur terre comme en mer. Aujourd'hui devenue trop vieille, elle avait décidé de prendre sa retraite, ne se souciant même pas de vendre son navire à une héléo. En vérité Juliette le lui avait caché. Même si elle tenait un étal sur le port depuis plus de deux ans, elle n'était personne pour une pirate et son petit mensonge était passé inaperçu.

L'accord était passé maintenant de toute manière et très vite la nouvelle ferait le tour du port, Ophélie ne pourrait rien dire même si elle l'apprenait.

Après une deuxième tasse de thé et quelques ragots échangés à propos des derniers bateaux arrivaient au port, Juliette salua les gardes et partit en direction de la chambre qu'elle louait à Acretis. Cela faisait plus d'un an qu'elle séjournait à la pension des perles mauves, c'était une maison tenue par une vieille fille où la présence des hommes était interdite. Il n'y avait pas meilleure chaperonne que mademoiselle Sahnoun, rien ne lui échappait dans sa maison, il était impossible de rentrer dans la maison sans qu'elle ne soit au courant.

Et dire que ce soir elle ne dormirait pas dans les draps propres de mademoiselle qui prenait toujours le temps de parfumer son linge de maison. Elle avait annoncé son départ deux semaines à l'avance, serrant fort dans son esprit mademoiselle Sahnoun. Les deux femmes s'étaient regardées tendrement en se prenant les mains quelques secondes, puis mademoiselle avait repris sa broderie. Quand Juliette rentra, mademoiselle était dans le petit salon près de l'entrée en train de lire un livre de poésie. Même si elle paraissait plongée dans son livre, il n'y avait pas à douter qu'elle savait qui était rentrée.

Juliette se dirigea directement vers l'escalier pour monter dans sa chambre. Tout était déjà dans des sacs et coffres. Elle n'avait pas beaucoup d'affaires, quelques objets avec une valeur sentimentale comme les lettres de sa mère ou la gravure que son père avait fait pour qu'elle se souvienne de sa première transformation. Elle commença à tout descendre dans l'entrée pour que l'homme qu'elle avait payé pour son déménagement puisse emporter ses affaires. Même pour cette raison, mademoiselle Sahnoun n'aurait jamais toléré la présence d'un homme à l'étage.

D'ailleurs, elle n'était plus dans le salon quand Juliette descendit les premiers sacs. Quand elle eut terminé de descendre les choses les plus légères, elle alla toquer à la porte de sa voisine. Delphine cria à travers la porte d'ouvrir, ce que fit Juliette.

- Tu pars déjà ?

- Je descend mes affaires, j'aurai besoin de ton aide pour mon coffre.

- J'arrive dans cinq minutes le temps d'enfiler quelque chose de plus c-o-n-v-e-n-a-b-l-e.

Elle insista sur le dernier mot en imitant mademoiselle Sahnoun. Juliette se demandait comment elle avait réussi à rester plus de six mois ici alors qu'elle n'arrêtait pas de provoquer la propriétaire. Les deux jeunes femmes descendirent le coffre dans l'entrée et se séparèrent. Delphine alla aider en cuisine pour le déjeuner tandis que Juliette remonta dans sa chambre pour récupérer son sac et une dernière chose. Elle ferma la porte derrière et alla devant son placard qu'elle ouvrit en grand. Intégré à la pièce comme une mini pièce, il y avait une étagère au dessus et une barre de bois avec quelques cintres.

Juliette s'accroupit et démonta deux planches. C'est ici qu'elle avait caché la plus grosse partie de son argent, il y avait toutes ses économies. Elle prit le sac usé et versa une partie de son contenu au sol après avoir remis en place les planches. Elle mit de côté suffisamment d'argent pour la deuxième vente qu'elle avait organisé aujourd'hui. Son sac d'économie avait fondu comme neige au soleil, elle le mit au fond de son sac à dos. Puis elle récupéra le reste de l'argent dans une bourse de qualité qu'elle mit aussi dans son sac.

Quand elle sortit dans le couloir et regarda une dernière fois sa chambre, les discussions de la cuisine parvinrent jusqu'à elle. C'était son dernier repas à la pension, même si elle n'avait pas été très souvent dans la cuisine, elle décida de rejoindre Delphine et les autres filles pour les aider et passer un dernier moment avec elles. Même si Juliette ne partait pas loin, elle savait que son quotidien allait être bouleversé et même s'il n'y aurait que quelques rues entre elles et la pension, elle risquait de pas les revoir avant un long moment.

Midi sonna et la pension se remplit d'un coup d'un petit brouhaha, la plupart des filles se sont réunies dans la salle à manger à côté de la cuisine. L'une d'elle accompagnée de mademoiselle Sahnoun arrivent dans la cuisine pour aider à ramener tous les plats et carafes d'eau. Pas question de boire une seule goutte d'alcool chez mademoiselle Sahnoun. Même si toutes les filles savent que dans la chambre de Delphine et Sarah, il y a toujours une petite bouteille pour improviser une soirée entre filles.

Aujourd'hui au menu il y a du poisson cuit en papillote au four avec des petits légumes cuits à la vapeur et en dessert au choix une tarte aux pommes ou un gâteau au miel. Les filles amenèrent tout dans la salle à manger et prirent place. Juliette en profita pour faire ses au revoir à la petite maisonnette. Elle en eut un pincement au cœur, même si elle ne rêvait que de sa boutique et de son appartement, elle avait apprécié le temps qu'elle avait passé ici. Les discussions ordinaires reprirent vite le dessus et Juliette profita des derniers instants.

Elle fut la dernière à quitter la table et aida à débarrasser. Son rendez-vous était pour bientôt, le déménageur allait aussi arrivé d'une minute à l'autre, mais avant cela, Juliette voulut s'entretenir avec mademoiselle Sahnoun.

Tout le monde était parti, retournant dans sa chambre ou sortant pour profiter de l'après-midi. La maison était étrangement silencieuse, en tendant l’oreille on pouvait entendre le phonographe Delphine. Un objet très rare qu'elle avait trouvé avec l'aide de Juliette dans une petite boutique de Terna très atypique. Le pavillon était peint à l'image d'une fleur blanche aux larges pétales. Juliette en eut un pincement au cœur en pensant qu'elle ne pourrait plus passer ses soirées à danser avec sa voisine de chambre tout en s'enivrant lorsqu'elle voulait s'évader de leur quotidien.

La vaisselle lavée et essuyée, Juliette se sécha les mains avant de rejoindre le petit salon où elle était sûr de trouver mademoiselle Sahnoun. Assise dans son fauteuil donnant directement sur l'entrée, elle posa sa broderie sur ses genoux en voyant la jeune femme venir vers elle et lui adressa un sourire tendre. Juliette s'assit en face d'elle sans un mot, c'est mademoiselle qui prit la parole la première :

- Le départ est arrivé. Tu as terminé avec tes bagages ?

Ses paroles étaient tendres, quoi que l'agacement de son entrée encombrée était percevable. Elle n'avait jamais aimé le désordre et aucun objet personnel ne devait traîner dans les parties communes, c'était l'une de ses règles élémentaires. Juliette sourit en repensant à cette femme qu'elle avait fini par apprendre à connaître par cœur. Même si elle était encore moins démonstrative que Juliette, toutes les deux avaient développé un lien impérissable. Mademoiselle Sahnoun avait été comme une seconde mère pour elle dans ce monde qu'elle ne connaissait qu'à travers les légendes et récits à son arrivée.

Elle avait été si bien ici, mais il fallait qu'elle prenne enfin son indépendance. Vivre au sein de la maison de mademoiselle Sahnoun lui avait permis de faire des premiers pas sur terre en douceur et pour cela, elle lui en serait toujours reconnaissante. Il lui était cependant compliqué de mettre des mots sur ce qu'elle ressentait pour cette femme qui paraissait si froide, mais qui en vérité avait un cœur en or :

- Le déménageur devrait arriver d'une minute à l'autre. Avant de partir, je voulais vous remercier de m'avoir accueilli sous votre toit, je n'aurai jamais pu espérer autant en venant sur la terre.

- Je n'ai fais que te louer une chambre.

- Vous êtes bien plus qu'une logeuse, l'attention que vous portez aux filles qui demeurent chez vous est tout à votre honneur. Grâce à vous, nous avons toutes eu la chance d'avoir une personne qui fait attention à nous et nous aide à rester sur le droit chemin.

Le sourire de mademoiselle Sahnoun suffit à Juliette comme réponse :

- Merci à toi. Tu vas devenir une grande marchande, je ne me fais aucune inquiétude pour toi.

- Vous avez ma nouvelle adresse, si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez surtout pas. Je ne pars pas loin et j'aimerai beaucoup rester en contact avec vous si vous le voulez.

- Bien sûr, cela me ferait plaisir aussi.

On entendit toquer à la porte.

- Ce doit être le déménageur qui est arrivé.

Mademoiselle Sahnoun se leva pour aller accueillir l'arrivant. C'était un homme très grand dont les cornes touchaient presque l'encadrement de la porte.

- Entrez je vous prie, les bagages sont ici.

Juliette paya la moitié de la somme et donna rendez-vous dans une heure au déménageur à sa nouvelle adresse. Quand tout fut chargé dans sa charrette, Juliette aidant avec les bagages les plus légers, elle retourna sur le perron pour dire au revoir. Elle aurait presque pu prendre mademoiselle Sahnoun dans ses bras si les deux femmes, mais elle aimait ce respect qui s'était installé entre elles. Ce geste aurait été dépassé, pourtant mademoiselle Sahnoun mit sa main sur le bras de Juliette et l'embrassa sur les joues :

- Tu seras toujours la bienvenue ici.

- Merci.

C'est le cœur léger que la marchande s'aventura vers le port, en direction de la rue de l'écume où se trouvait la notaire et le propriétaire de la boutique qu'elle avait l'intention d'acheter.

Les rues du port étaient animées en ce début d'après-midi venteux. Les terrasses étaient à moitié occupées et les passants nombreux. Juliette dut jouer des coudes à plusieurs reprises pour se frayer un chemin, jusqu'à ce qu'elle soit stoppée par un accident. Devant elle deux charrettes étaient renversées, leurs conducteurs s'insultant tout en gardant un œil sur leurs marchandises qui gisaient au sol. Elle n'avait vraiment pas de temps à perdre, la rue était de plus en plus bondée.

Dès qu'elle vit une ruelle, elle s'y engouffra. Cela faisait maintenant suffisamment de temps que Juliette arpentait ces rues pour les connaître presque par cœur. Elle connaissait moins la haute ville, le centre et le port en revanche n'avait aucun secret pour elle. Filant avec le vent, elle faillit manquer la rue de l'écume. C'était une rue longeait par les boutiques d'occasions et de breloques en tout genre. Il n'y avait que quelques flâneurs dans la rue regardant avec distraction les vitrines. C'était l'endroit parfait pour le commerce qu'elle souhaitait démarrer.

La boutique sur laquelle elle avait jeté son dévolu était à l'angle d'un paté de maisons. À l'étage de la boutique se trouvait un petit appartement compris dans le prix du loyer. C'était l'endroit idéal où elle pouvait commencer sa nouvelle vie. Elle s'imaginait déjà changer la porte d'entrée pour des vitraux colorés, aménager la pièce principale à l'étage en salon et bureau. Il ne lui restait qu'à franchir le seuil de la porte pour aller à la rencontre du la notaire et du propriétaire déjà tout deux à l'intérieur.

La petite cloche à l'entrée sonna lorsqu'elle entra.

Le changement de luminosité était brutal. En entrant, la marchande ne perçut que des ombres. L'endroit était étrangement vide, l'ancien propriétaire ayant fait vider les lieux quelques jours plus tôt. Il était devant le comptoir qui n'avait pas bougé, accompagné de la notaire. Dessus le contrat était soigneusement posé, accompagné d'un stylo plume. Les yeux de Juliette se firent peu à peu à l'obscurité de la pièce, passé midi, l'endroit était assez sombre, mais cela ne rendait les lieux que plus mystérieux pour la marchande.

Elle fut accueillit par la notaire qui vient à sa rencontre :

- Mademoiselle Célian, nous n'attendions plus que vous. Comment vous portez-vous aujourd'hui ?

Après quelques banalités échangées, l'heure de la signature arrive enfin. La notaire rappela les termes de l'accord, que la transaction serait payée argent comptant dès aujourd'hui et qu'aucun des partis ne pourraient revenir sur cet accord. Sauf en cas de vice caché de la part de l'ancien propriétaire qui permettrait à madame Célian de se faire dédommager le prix de la réparation. Bien qu'il s'agissait de termes tout à fait banal, Juliette remarqua que cela fit réagir monsieur Fargen, il n'appréciait que son honneur de marchand puisse être remis en question, il se permit d'ailleurs de l'interrompre :

- Mademoiselle Célian saura que j'ai toujours été un honnête marchand et qu'elle peut acquérir cette boutique les yeux fermés.

C'est avec un visage bienveillant qu'elle hocha la tête pour lui donner raison, puis la notaire reprit sa lecture du contrat. Quand enfin elle termina, elle avait le stylo plume dans les mains. Elle en retira le bouchon avant de le tendre à Juliette :

- Si tout est en ordre pour vous, vous pouvez signez ici. Il lui indiqua à la dernière page du contrat où signer. Et mettre vos initiales sur chaque page. Vous avez comme convenu la somme totale avec vous ?

Plutôt que de parler, Juliette préféra sortir le sac d'argent qu'elle transportait et le déposa à côté du contrat. Puis sans un mot, elle le signa tandis que Yorik Fargen ouvrit la bourse et commença à compter. Il ne s'était pas créé une petite fortune sans faire attention à chaque détail. C'était là la dernière grande vente de sa vie, alors il comptait bien ne rien laisser au hasard. Quand il eut terminé, la notaire lui tendit à son tour le stylo plume et lui donna les mêmes indications. Il commença par mettre ses initiales, puis arrivé à la signature, il eut une hésitation :

- J'espère que vous ferez de cet endroit quelque chose d’extraordinaire. Je sais bien que pour les gens comme vous, s'implanter à Acretis n'est pas évident, mais j'ai bon espoir que vous y parviendrez. Si non, tout ce que je vous demande, c'est de revendre cet endroit à un honnête marchand, je ne supporterais pas de le voir devenir un bordel ou je ne sais quel autre lieu de débauche.

- Vous avez ma parole, je ferais tout mon possible pour conserver la réputation de cet établissement.

Satisfait de sa réponse, il traça des lettres arrondies et larges. À peine eut-il posé le stylo, que la notaire s'exclama :

- Mademoiselle Célian, vous voilà l'heureuse propriétaire de ce charmant magasin et de l'appartement au-dessus. Voici les clés. Elle les lui tendit. Je vous enverrai d'ici quelques jours une copie du contrat et l'acte de propriété qui est resté à mon bureau. À vous aussi monsieur Fargen je vous enverrai une copie et je garderai l'original. Avez-vous des questions ?

Personne n'ayant rien à ajouter, ils se séparèrent, laissant Juliette seule dans la boutique, la porte d'entrée grande ouverte. Elle resta là devant le comptoir à imaginer à quoi l'endroit pourrait bien ressembler d'ici quelques jours quand toutes ses marchandises seront transportées dans la boutique. Il ne lui restait plus que quelques minutes avant l'arrivée du déménageur. Alors elle ferma la porte d'entrée et l'attendit devant la boutique.

L'entrée de l'appartement était à l'arrière et il fallait monter un escalier en métal pour accéder à la porte d'entrée. Elle ne savait pas quels meubles avaient laissé monsieur Fargen et elle espérait qu'il lui ait au moins laissé une paillasse pour la soirée.

Le déménageur arriva accompagné d'une femme à la carrure aussi imposante que lui, ses longs cheveux auburn était attaché en chignons, mais de nombreuses mèches indomptables entourées son visage. Le duo suivit la marchande qui les conduisit à l'arrière où ils attelèrent leur canasson à une barre complètement rouillée au mur. Juliette les aida à monter les affaires les plus légères à l'étage.

Il y avait quelques petits meubles, rien de très conséquent à part le fauteuil en velours bleu et accoudoirs de bois, la première pièce qu'elle avait acheté pour son stand à Acretis. Elle n'avait jamais réussi à le vendre et plutôt que de le brader elle avait décidé de le garder en souvenir. Il aurait une place de choix dans son petit salon, à moins qu'elle ne l'installe dans la cabine principale du bateau ?

La marchande ne savait pas encore où il irait et pour le moment elle était surtout inquiète de ne pas avoir de paillasse pour la nuit. Quand elle monta le premier carton, elle se dirigea tout de suite dans la seule chambre de l'appartement. Il y avait un matelas à l'aspect douteux posé dans un coin de la pièce. Bon, finalement le fauteuil allait être plus utile qu'elle ne l'avait espéré. Demain il fallait à tout prix qu'elle se retrouve un minimum de mobilier, elle n'avait plus grand chose en poche, mais tout était en ordre pour la boutique et le bateau, elle pouvait se permettre de s'occuper à minima de l'appartement.

Les déménageurs déchargèrent tout très rapidement. Ils lui souhaitèrent bonne chance dans cette nouvelle vie et la laissèrent seule au milieu de ses sacs et carton dans un appartement où elle se sentit comme une étrangère. C'était la première fois qu'elle se retrouvait ainsi seule, elle avait toujours habité avec un ami ou dans une chambre en location.

Elle imagina ce que pouvait bien faire madame Sahnoun à cette heure-ci. Elle avait dû préparer le thé et appeler les filles flânant cet après-midi dans la pension la rejoindre. Ses petits scones étaient divins, ils ne perdaient pas une miette quand on les trempait dans le thé brûlant. Juliette hésita à aller les rejoindre, estimant qu'elle n'était pas si loin et qu'elle pourrait sûrement arriver avant qu'elles ne terminent. Mais elle se retient.

Sa vie n'était plus à la pension, elle avait tant de choses à faire. Même si elle aurait préféré sortir pour profiter de sa nouvelle liberté, elle avait encore tant de choses à faire pour terminer son installation. Elle pourrait leur rendre visite plus tard dans la semaine, en attendant, il fallait qu'elle se rende à l'entrepôt où se trouvait toutes ses marchandises pour organiser le transfert. Une simple charrette et deux personnes à la carrure impressionnante n'allaient pas suffire pour ce déménagement.

En fermant la porte derrière elle, Juliette commença à se projeter dans cet endroit et à penser à tous ses futurs projets. Une nouvelle vie l'attendait !