Leur rencontre était attendrissante, Juliette imaginait cette chèvre insupportable être un charmant chevreau fuyant sa pâture pour rejoindre son âme sœur. Lors de ses voyages, Juliette avait eu affaire avec des anciens accompagnés d'un animal qu'il nommait leur protecteur. Lors de son arrivée sur la terre, elle avait essayé d'en apprendre un maximum sur les confréries et les histoires à propos des protecteurs ne manquaient pas.

- C'est véritablement le destin qui l'a mis sur sur votre chemin. Ce doit être merveilleux de partager un tel lien si inébranlable et éternel.

Quand Lalaith revient discrètement pour croquer dans la tartelette de Messalina, elle n'eut pas le temps de réagir que le mal était fait. L'ancienne s'en rendit compte et cria sur sa chèvre attirant les regards des rares clients arpentant les allées de la foire. Juliette s'enfonça dans son fauteuil un peu mal à l'aise, mais l'incident fut vite oubliée et la chèvre partit à toute allure en bêlant, comme si elle râlait sur Messalina. Décidément, c'était à se demander qui avait l'ascendant dans leur relation...

Quand elle proposa de lui mettre une longe pour l'après-midi, cela pu se lire sur le visage de Juliette qu'elle appréciait grandement cette proposition, elle avala la dernière bouchée de son poisson séché avant de lui répondre :

- Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, cela évitera les mauvaises surprises oui.

Elle ne serait sûrement pas la seule à être rassurée avec la chèvre qui arpentait les stands sans surveillance. Quand Messalina détourna la conversation sur sa marchandise, Juliette regarda par mimétisme les objets disposés sur sa nappe violine. C'était surtout de beaux objets plus que des objets rares, l'horloge derrière elle était plus représentative de la marchandise qu'elle vendait. Un objet banal en apparence, mais cachant une histoire extraordinaire et un pouvoir insoupçonné.

Bien qu'elle avait du mal en général à parler d'elle, la franchise de Messalina sur sa rencontre avec son animal protecteur et son envie de mettre fin à l'animosité de la matinée poussa Juliette à se révéler un peu :

- Cela va faire 2 ans que j'ai une boutique au port d'Acretis, mais j'ai commencé dans le secteur de la vente depuis plus de dix ans. J'ai commencé à Hélia, la capitale héléo, je vendais des objets provenant de la terre. Puis un jour j'ai eu assez d'argent pour avoir un stand au port.

Les débuts avaient très compliqués ! Elle avait du se battre pour se faire respecter par les Arvèles. On l'avait prévenu de leur tempérament et tendance à rejeter ceux de son espère, mais elle n'avait jamais abandonné son rêve d'avoir une boutique sur la terre. C'était en grande partie grâce à ses rencontres amicales comme avec mademoiselle Sahnoun qu'elle était restée et avait continué de croire en son rêve. Aujourd'hui, avec sa boutique et son navire, elle ne se sentait pourtant toujours pas comme une marchande accomplie.

Il était dur de se faire un nom et de réussir à prouver qu'elle était une personne de confiance sur des simples rumeurs. Elle commençait tout juste à se faire un nom dans les terres neutres, mais les régions des confréries lui étaient pour la plupart encore inatteignable. Elle n'était jamais allée dans le désert et échangeait simplement des correspondance avec les habitants de la plaine isolée. Même si elle était dans le milieu depuis plusieurs années, elle savait qu'il suffisait d'une mauvaise commande pour tout ruiner.

Mais il n'était pas question de parler de ses problèmes financiers ou d'équipage qui ne restait jamais plus de six mois. Autant faire bonne impression face à cette potentielle nouvelle collaboratrice :

- J'ai toujours désiré avoir ma propre boutique et parcourir le monde à bord d'un bateau pour chasser des reliques et objets perdus. Mes clients se trouvent dans le monde entier, la boutique est avant tout un endroit où j’entrepose les objets qui n'ont pas encore trouvé preneur.

Entre elle et Messalina se trouvait un petit cheval à bascule, tout en le pointant du doigt elle lui expliqua :

- Prenez cet objet par exemple, en apparence ce n'est qu'un jouet pour enfant. Ce qui le rend si particulier, ce sont les petites fesses royales qui se sont posées dessus, c'est un objet qui a appartenu à la famille des Lords Parlèms. C'est un très bel objet avec un bois des plus coûteux et le tissu de la selle vient des meilleurs ateliers de tisserand de l'époque. Il pourra aussi bien faire le plaisir d'un enfant avec des parents aisés que d'adultes ayant envie d'avoir des objets ayant appartenu aux grands de ce monde pour le simple plaisir de s'en vanter.

Elle n'avait pas envie de tout dévoiler à Messalina, mais c'était la meilleure manière de savoir si elle était digne de confiance :

- Aujourd'hui je n'ai apporté avec moi que trois artefacts magiques, il y a l'horloge qui stoppe le temps, un vase qui garde les fleurs coupées toujours fraîches et des lunettes qui permettent de lire très vite. Et vous alors ? Comment en êtes-vous venus à vendre des plantes ? Est-ce que c'est votre marchandise principale ?

Son repas terminé, Juliette sortit la madeleine qu'elle avait mis dans sa boite à repas en attendant, ce qui était été plus que judicieux vue le dernier coup de la chèvre. Elle l'avait enveloppé dans un petit mouchoir qu'elle garda dans sa main qu'elle mit en dessous de sa bouche en croquant dans la petite pâtisserie qui fondit en bouche. Un vrai délice ! Elle laissa échapper une petite intonation de satisfaction.

S'il y a bien une chose que je devais admettre, c'est que Madame Célian méritait amplement sa réputation. Rien que le premier objet me faisait comprendre son standing. Imaginer qu'un Lord ou une Lady ait pu jouer avec cet objet… Même pour une ancienne, ça faisait quelque chose. Alors je n'imaginais même pas ce que pouvais imaginer un riche Parlèms en devenant propriétaire de ce banal cheval de bois. Si le détail du tissu et les gravures du bois montraient déjà la qualité de l'objet, elles étaient loin de suffire à estimer sa valeur, assurément disproportionnée.

Je n'étais pas au bout de mes surprises, lorsqu'elle me présentait ses autres artefacts. Je comprenais mieux l'intérêt du client de tout à l'heure. Et surtout, je comprenais mieux sa réaction qui m'avais horrifié quelques heures plus tôt. Une horloge qui stoppe le temps devait être un artefact aux pouvoirs extraordinaires pour son possesseur. Et son prix devait, à vrai dire, être tout autant extraordinaire. J'ignorais où elle pouvait dénicher de telles raretés, mais une chose était certaine : j'avais énormément de chances de pouvoir discuter de la sorte avec une marchande de ce niveau.

« C'est juste… Extraordinaire. Vos objets doivent être extrêmement difficiles à trouver, et très prisés… Ça doit demander un travail énorme. »

Raison de plus pour longer Lalaith. J'avais déjà eu beaucoup de chances qu'elle ne touche qu'au fauteuil, seul objet qui ne semblait pas avoir beaucoup de valeur ! D'un petit signe de tête, je lui faisais signe de s'approcher, avant d'attraper une de ses cornes pour la maintenir en place le temps de l'attacher. Elle poussait un bêlement mécontent, mais ne posait pas plus de soucis que ça. Pour une fois qu'elle était un minimum sage aujourd'hui, elle allait le rester ! La longe passée, j'étais déjà plus rassurée, ne voulant pas la moindre égratignure sur les meubles de ma voisine. Tout en m'occupant de Lalaith, je lui répondais.

« Pour les plantes… A l'origine, j'avais toujours l'idée de devenir voyageuse derrière la tête. Je ne voulais pas une marchandise trop encombrante, je voulais voyager à ma guise, tout en pouvant explorer de nouveaux lieux… Et rien de tel pour explorer un nouveau lieu que de découvrir sa flore. Le monde rengorge des plantes différentes, toutes aussi extraordinaire les unes que les autres. J'avais commencé à m'y intéresser dès toute petite, dans la forêt des Mirlis. Quand j'en suis partie, c'est venu assez instinctivement, à vrai dire ! ».

Je finissais d'attacher Lalaith, avant de me tourner vers mon stand. Puisqu'elle avait eu la gentillesse de me présenter ses objets les plus rares, autant faire de même. Si une plante semblait rarement impressionnante, ainsi présentée sur un étalage, elle n'en gardait pas moins de précieux secrets, qui ne manquaient pas d'attirer certains clients.

« Une grande partie de ce que je vends est assez commun, pour être honnête. Des nomles, excellents cicatriseurs, très bons pour les baumes… Des yanamiar, superbes fleurs, mais dont je ne vends que certaines pétales. Les rouges sont de bons somnifères, et les violets permettrait même une simulation de mort. Même si pour les violets, je ne l'ai jamais testé, pour être honnête ! »

En souriant, je tirais délicatement quelques plantes plus dissimulées que les autres. Au delà du prix, qui serait sans doute plus élevé avec des connaisseurs, je ne voulais pas qu'elles tombent entre les mains d'un amateur. Ce serait un véritable gâchis, voir, pour certaines plantes, carrément dangereux.

« Au delà de ça, d'autres plantes peuvent être de véritables trésors… Prenez cette plante, très banale d'apparence. Un alchimiste un peu connaisseur ne s'y trompera pas, et y reconnaitra une Selullec. C'est une plante magique, amplie de Vérité, capable de vous regénérer des cellules. Je suis, à titre personnel, bien incapable de l'utiliser. Mais son efficacité en fait une fleur très prisée pour les connaisseurs. »

Je la reposais délicatement, légèrement dissimulée derrière les nomlès. Ce n'était certes pas non plus extraordinaire, mais j'en connaissais le prix à voir le joie des personnes acquérant ces plantes. Je sourirais à Madame Célian.

« Enfin, ce n'est pas grand-chose comparé à votre stand, et surtout, ça varie énormément… Il m'arrive même parfois de vendre certains métaux, mais c'est plus rare, je dois dire. J'aime bien connaître mes produits, donc je préfère me limiter à vendre des produits qui me sont inconnus. Je pense que vous comprendrez cela. »

Oui, Madame Célian semblait aussi attacher une importance à ce qu'elle vend. Ce n'était pas une antiquaire de pacotille, je le savais maintenant, elle vendait en connaissance de cause. Mon regard déviait sur ces fameux artefacts… Enfin, sauf un. L'horloge répondait à l'appel. Le vase également. Mais plus de lunettes. Je sursautais, levait immédiatement la tête… Pour apercevoir un mince éclat, à quelques mètre de là, dans la main d'un homme capuchonné. Je me levais vite.

« Vos lunettes !! »

Sans réfléchir plus que ça, je m'élançais à la poursuite de l'homme, qui pressait le pas. Je laissais le stand en plan, mais qu'importe. Après tout, ces lunettes valaient peut-être plus que tous les produits de mon stand réunis. Et puis, n'avais-je pas une redoutable chèvre de garde ?

- Tout à fait ! Vous avez raison, les meilleurs marchands sont ceux qui connaissent leur produit sur le bout des doigts. Même si vous dites ne pas savoir les utiliser, vous avez l'air d'en connaître tous les secrets.

La dernière plante présentée par Messalina lui était étrangère. Elle était si petite que jamais l'héléo n'aurait cru qu'elle puisse avoir un pouvoir aussi miraculeux. C'était extraordinaire comment la nature pouvait évoluer. Comment une plante aussi magique pouvait elle être aussi insignifiante. Mise à part le rouge vif de ses pétales, rien ne laisser supposer sa puissance. N'ayant pas beaucoup de connaissance sur les plantes, encore moins celle du continent, Juliette était complètement absorbée par l'observation de ces fleurs et racines qu'elle avait ignoré toute la matinée.

Elle n'aurait pas imaginé qu'un stand si simple et précaire puisse receler de véritables petits trésors. C'était étrange tout de même d'avoir choisi de vendre des plantes alors qu'elle était constamment avec une chèvre. Vue le caractère de l'animal, Juliette imagina le nombre de problèmes que pouvez engendrez cette boule de poils blancs. Elle ne remarqua rien quand Messalina sursauta et trouva juste son geste étrange. Que pouvait-il bien lui arriver ? Une puce ? Tout se passa trop vite pour qu'elle comprenne vraiment la situation. L'ancienne lui cria quelque chose avant de quitter son stand en trombes.

Elle était clairement paniquée pour partir ainsi. Juliette s'était levée au ralenti après elle et ce n'est qu'après l'avoir perdu de vue qu'elle comprit que les lunettes de lecture avaient disparu. Comme un poids qui lui tomba dessus, elle écarquilla les yeux en regardant affolée autour d'elle où se trouvait Mathieu. Elle aussi était en train de paniquer, elle ne pouvait pas partir et laisser son stand sans surveillance. La chèvre à côté d'elle bêlant à cause de sa maîtresse disparut ne l'aidait pas à retrouver son calme. Ne sachant pas quoi faire d'autre elle cria :

- Au voleur ! Que quelqu'un fasse quelque chose ! Au voleur !

En un rien de temps deux gardes arrivèrent à son stand :

- Que se passe-t-il par ici ?

Elle eut le temps de respirer un bon coup en les voyant arriver et pu s'exprimer plus ou moins clairement :

- Mademoiselle Messalina, la marchande du stand d'à côté vient de partir à la poursuite d'un voleur. Il a volé sur mon étal des lunettes qui valent très chères.

L'un des gardes semblait ennuyer alors que l'autre écoutait attentivement.

- Ce sont des lunettes améliorées par un alchimiste en écailles de tortue, les verres son légèrement orangés. Je n'ai pas vu le voleur, mais la marchande qui le poursuit est une femme au teint mât, brune, qui n'a pas sa langue dans sa poche.

Le garde qui l'écoutait hocher la tête par moment tandis que son collège était attiré par l'odeur alléchante du stand voisin. Juliette ne put s'empêcher d'ajouter :

- Si je vous dérange, dite le moi, vous n'êtes pas ici pour assurer à tous notre sécurité ?

Le pâtissier d'à côté n'avait pas pu s'empêcher de tendre l'oreille et se mêla de leur conversation :

- Vous n'allez quand même pas laisser ces femmes se débrouiller seules alors qu'elles ont leur stand à surveiller.

Le garde indiscipliné ne sut qui regarder et c'est son collègue qui répondit :

- Nous allons faire notre maximum pour les retrouver, par où sont-ils partis ?

- Par là ! dit-elle en pointant la direction.

Ils partirent sur le chemin sans perdre une minute de plus. Voyant la tête abattue de Juliette le pâtissier essaya de la rassurer :

- Ils vont s'en occuper et puis votre amie a pris en chasse le voleur, elle l'aura sûrement rattrapé !

La marchande se ressaisit, la panique passée, son assurance revient doucement, mais elle ne dit rien, cherchant désespéramment du regard Mathieu. Elle n'avait pas envie de se sentir redevable auprès de la marchande de plantes et voulait agir d'elle-même, mais cela lui était impossible.

Un regard par dessus l'épaule, il m'avait vu. Il savait qu'il avait été aperçu, qu'il était poursuivi, que son méfait ne s'achèverait pas sans peine. Et il accélérait le pas, ce qui rendait les choses plus difficile pour moi. J'avais beau être endurante, la rapidité n'avait jamais été mon fort, et je savais qu'à la longue, il finirait par me semer. A moins qu'il ne pense m'avoir déjà semé… Je me concentrais, activait ma Vérité, et voyait les rayons de lumières se faufiler de part et d'autre de la foule. Je me concentrai encore, et la voyais, la brèche. Je me faufilais entre les rayons de lumières, jusqu'à les esquiver. Pour devenir invisible aux yeux de ce voleur.

Je devais bien sûr ralentir, et ce chien gagnait pas mal d'avance, mais je ne le perdais pas des yeux. Et ce que j'espérais arriva : un dernier regard par dessus son épaule, un arrêt. Un regard à droite, un regard à gauche, avant d'avoir un soupir de soulagement. Il pensait m'avoir semé, tandis que je me glissais discrètement entre les traits de lumière qui nous séparait. Eviter à la fois les rayons et les gens qui composaient la foule n'était pas chose aisée : mais à force de concentration, j'avançais. Et le vendeur, indolent, profitait de sa pause pour se glisser dans une ruelle parallèle. Je le voyais tirer de sa poche le précieux artefact, observer le moindre détails de ses verres, de ses fines écailles. Et ses lèvres s'étiraient devant son trophée si peu mérité.

Je sursautais en entendant des bruits de pas précipités passer juste derrière moi. Deux gardes, courant en semblant chercher quelque chose, sans doute le voleur. Mais il passait devant la ruelle sans voir l'homme, légèrement dissimulé dans l'ombre, et, je devais le dire, assez discret. En les voyant passer ainsi, son sourire s'élargissait, et il cachait l'air de rien les lunettes dans une des poches de son large manteau. Bien, ça me faciliterait la tache.

D'un pas nonchalant, il retournait dans la rue principale, l'air de rien. Retirant même sa capuche, il était désormais semblable à n'importe quel touriste, innaccusable. Une perfection dans le méfait qui me donnait envie de gerber. Je m'approchais, à pas de loups. Il était temps pour le voleur d'être volé !

Je le laissais se détendre, cinq, dix minutes, à se promener dans la foule. Déjà, ses yeux cherchaient un nouvel objet à dérober, ce qui, je le savais, me faciliterait la tâche.  Tandis qu'il s'approchait d'un stand, le sourire aux lèvres, je me glissais progressivement près de lui. Et discrètement, je venais attraper l'objet dans sa poche, avant de m'écarter au plus vite. Au bout de quelques secondes, il comprenait déjà le problème, regardait aux alentours avec un air affolé, mais c'était trop tard.

Quand à moi, je m'écartais vite, sachant que je ne tiendrai plus longtemps. A force de me concentrer sur les rayons de lumière, mes yeux me brulaient, et je savais que ma vision allait être altérée pour quelques heures au moins. Je rejoignais une rue adjacente, essayait tant bien que mal de retrouver mon chemin malgré le flou ambiant qui m'entourait. Je longeais les murs, les frôlant du doigt, pour être sûr de ne pas trébucher.

« Mademoiselle Messalina ? »

Je sursautais, plissais les yeux, avant de reconnaître les deux gardes de tout à l'heure… Ou du moins, la couleur de leur uniforme. J'hochais la tête.

« Madame Célian nous a parlé de vous. Le voleur vous a semé ? »

Je secouais vivement la tête, tirant de ma poche les précieuses lunettes. Le moins qu'on puisse dire, c'est que ces deux gardes avaient été assez peu efficaces…

« J'ai réussi à le récupérer… Je peux vous dire à quoi il ressemble, mais je pense avoir besoin de votre aide pour retrouver mon stand, si vous le voulez bien. »

Titubant un peu, je me laissais soutenir par les gardes, tout en leur décrivant le voleur. J'espèrais sincèrement qu'ils l'attraperaient, un bon voleur étant un voleur arrêté ! Je devinais que je me rapprochais de mon stand en entendant les bêlements enthousiaste de Lalaith, et souriait. J'espèrais simplement que personne n'avait tenté de voler quoi que ce soit. Et je me demandais, par la même occasion, si Madame Célian était toujours là, ne voyant qu'un massif brouillard pour le moment.

HRP:

L'incident attira la curiosité de quelques passants qui voulurent savoir ce qui s'était passée. Inquiète pour ses lunettes et la marchande qui était partie seule à la poursuite d'un voleur, Juliette n'était pas disposée à se confier à des étrangers cherchant juste une petite anecdote à raconter à leurs amis pour pimenter leur après-midi. Le pâtissier en revanche ne fut pas avare en détails et expliqua la situation à ceux qui voulaient bien l'écouter.

Tout en vendant ses brioches, tartelettes et autres sucreries, il racontait la scène dans les moindre détails. Juliette pendant ce temps s'était approchée de la chèvre mécontente de ne plus voir sa maîtresse. Elle l'avait presque caressé sur la tête pour tenter de la calmer, mais se ravisa. Elle préféra se mettre au fond de son fauteuil, sa jambe droite tremblant nerveusement. Elle ne quittait pas des yeux le stand de Messalina et le sien. Comment cela avait-il pu arriver ?

Elle avait tenu un stand pendant plus de ans sans laisser repartir un seul voleur. On avait toujours l'impression que ce genre de choses n'arrivaient qu'aux autres. Un enfant qui dégustait sa tartelette aux pommes vit l'air inquiet de Juliette et lui demanda si c'était elle la marchande qui avait été volée. Elle resta au fond de son fauteuil et lui répondit un peu froidement :

- Ces histoires ne te regardent pas.

Sa mère se retourna et s'excusa :

- Désolée, il est simplement trop curieux. Vous teniez à cet objet ? Le regard de la mère parcourut son stand. Vous vendez de très belles choses, le voleur ne pourra pas partir bien loin avec un objet si particulier.

Ses paroles la rassurèrent un peu. Il est vrai que voler une paire de lunettes alchimique et une miche de pain demandait la même dextérité, mais pour les revendre, ce n'était pas la même histoire. Avec un peu de chance, c'était un simple voleur du coin qui ne savait pas ce qu'il avait en main. Et contrairement à une miche de pain, elles ne risquaient pas de disparaître dans les cinq minutes. C'était idiot de tant s'en faire et cela ne changerait rien. Mais ce premier vol sur un marché lui faisait quelque chose.

Il lui était déjà arrivé de perdre des cargaisons en mer ou de se faire voler une relique par un rival, mais elle n'était pas habituée à ce genre de larcin en plein jour. Où était donc Mathieu ? S'il avait été ici, cela aurait été évité. Enfin bref, Juliette se leva pour répondre à la mère :

- Chacune de mes marchandises est importante pour ma trésorerie oui. Je vous remercie et vous avez raison. La marchande du stand d'à côté n'a pas hésité à poursuivre le voleur, elle l'aura sûrement déjà rattrapé en plus. Le mal est fait, rien ne sert de s'en faire !

Le stress de Juliette s'apaisa et elle arrêta de se frotter les pouces l'un contre l'autre alors qu'elle avait les mains liées. Elle se concentra sur sa respiration et reprit son calme habituel, tout du moins en surface. La mère semblait plus inquiète qu'à la recherche de ragots alors quand elle lui posa d'autres questions, Juliette lui répondit. Elle lui devait bien cela :  

- Les gardes ne sont-ils pas intervenus ?

- Ils sont arrivés rapidement, mais n'ont pas assisté au vol.

- Cette marchande est très courageuse en tout cas, que vend-t-elle ?

La mère se décala vers le stand de la marchande de plantes et métaux.

- Des trésors de la nature, elle saura mieux vous renseigner. Toutes sortes de plantes médicinales et certaines ont même des propriétés magiques.

L'enfant et la mère dégustèrent leur tartelette en regardant le stand et s'amusèrent de la chèvre avant de continuer leur route. La plupart des curieux s'étaient éparpillés et le pâtissier ne parlait plus qu'avec une seule personne qui n'avait encore rien commandé. C'est à ce moment que les gardes revinrent avec Messalina. En la voyant soutenue par les gardes, Juliette éprouva de la culpabilité de l'avoir laissé partir seule. Si elle était blessée à cause de cela, elle tenait à réparer le préjudice causé.

L'héléo passa devant son stand pour aller à la rencontre de Messalina et tendit ses bras vers elle pour prendre le relais des gardes :

- Que vous est-il arrivé ? Les lunettes sont perdues ?

L'un des gardes lui expliqua :

- Vous pouvez remercier cette jeune femme ! Elle a récupéré vos lunettes toute seule. Nous vous laissons, nous avons la description du voleur grâce à votre amie nous devrions le trouver rapidement.

- Je passerais à la fermeture du marché voir si vous l'avez arrêté. J'aimerais savoir s'il m'a volé par hasard ou s'il me visé.

- Comme vous voudrez.

Les gardes les laissèrent en les saluant et retournèrent là où ils avaient trouvé Messalina pour commencer leurs investigations. Pendant ce temps Juliette ne savait pas trop comment se comporter face à Messalina, elle était très heureuse qu'elle ait récupéré ses lunettes et se sentait reconnaissante envers elle. Pourtant, elle était aussi gênée d'avoir dû compter sur cette parfaite étrangère qui avait l'air d'avoir agi par simple réaction. Attendait-elle quelque chose d'elle ? Elle n'en avait pas l'impression, mais avait du mal à envisager qu'elle puisse l'avoir simplement aidé par générosité.

Hrp:

Un brouillard, un brouillard… Et la forme vague de bras qui se tendaient vers moi. Sans trop d'hésitation, je les attrapais, me laissant aller contre eux. Mais tandis que je me rapprochais, le brouillard se dissipait, et j'entendais distinctement la voix de Madame Célian. Oups. Peut-être pas le genre de personne qui apprécie les contacts, surtout au vu de la situation. J'essayais tant bien que mal de me redresser, et de voir un peu mieux autour de moi, tandis qu'elle discutait avec les deux gardes. J'attendais qu'elle ait fini, pour essayer de reprendre allure et de me redresser, bien que pas mal affaiblie par cette marche à l'aveugle.

« J'ai… Retrouvé vos lunettes, Madame Célian. »

Je les tirais de ma poche, et attrapais sa main pour les lui remettre. Je ne devais pas avoir l'air fière, à tâtonner comme une aveugle et à plisser les yeux pour voir la moindre chose à cinquante centimètrès de moi. Heureusement, en me rapprochant, Lalaith venait se glisser sous ma main, m'apportant un repère. Elle avait l'habitude de ce genre de situation, et m'avait plusieurs fois aidé lorsque mes yeux ne pouvaient plus le faire. En vrai guide, elle me ramenait à ma place, et je m'appuyais sur elle pour me rasseoir à même le sol. Au moins, ici, ça arrêtait de tanguer.

Bon. Maintenant que l'équilibre était revenu, je devais faire le point sur ma situation délicate : devoir assurer les ventes de l'après-midi, sans voir la tête du client ni même ce que je vendais. Je me mordillais la lèvre, essayant tant bien que mal de distinguer les différentes plantes de mon étalage, sans succès ; à ce stade, je les aurai toutes prises pour de mauvaises herbes. Et si Lalaith pouvait être un très bon guide d'aveugle, elle ne pouvait en revanche pas assurer les ventes à ma place. J'étais coincée. Soit je pliais bagage pour la journée, soit…

« Madame Célian ? »

J'hésitais, bien conscience du service que je lui demandais. Mais je pouvais difficilement plier bagage maintenant. Si les frais du stand étaient amortis pour la matinée, j'avais à peine assez pour me payer une chambre d'auberge pour une nuit. Et je me voyais mal dormir à la belle étoile à Terna, avec tout le passage qu'il y aurait après la foire. Je la regardais, ou du moins, je regardais vers son fauteuil ; était-elle dessus, ça, je n'en avais strictement aucune idée.

« C'est un peu délicat, mais… J'ai dû user de ma Vérité pour attraper ce voleur. Et à vrai dire, ça risque de m'affecter pour encore quelques heures… »

Je soupirais, honteuse d'exposer ce point faible à quelqu'un que je rencontrais juste. Elle l'aurait sans doute remarqué, mes yeux voilés étant devenus d'un bleu extrêmement pâle, mais admettre ses faiblesses à voix hautes n'était jamais agréable.

« Enfin bref, je ne vois strictement rien. Ça m'embête de vous demander ça, mais pourriez vous m'aider pour une heure ou deux ? Il s'agirait simplement de surveiller qu'il n'y ait pas de voleurs, et de m'approcher ce que demande les clients devant les yeux, pour que je puisse distinguer mes plantes. Le reste, je devrais être capable de m'en charger. »

Bon. Ça mettait un coup à mon égo, mais si je voulais avoir assez pour dormir au chaud ce soir, je n'avais pas le choix. J'avais bien conscience que ça serait difficile pour elle, avec son stand à gérer, mais qui ne tente rien n'a rien. Je souriais faiblement à la marchande.

« Bien sûr, vous pouvez décliner… J'ai bien conscience que ce n'est pas un petit service que je vous demande. J'ai empoché assez pour amortir mes frais, donc ne vous en faites pas si c'est trop compliqué pour vous ! »

Assise au fond de son fauteuil, elle inspectait les lunettes sous tous les angles alors que la marchande avait retrouvé sa place à son stand avec l'aide de sa chèvre. Alors qu'elle se rassurait en ne voyant aucune éraflure sur les verres ou la monture, Messalina l'interpella. Juliette posa les lunettes sur ses genoux et se redressa. Elle remarqua alors les yeux pâles de la jeune femme, voyant sa chèvre prendre le relais des gardes, elle n'avait pas remarqué que son regard avait changé, bien que ses gestes maladroits avaient été suffisamment parlant !

C'était impressionnant, même si elle ne révéla pas sa Vérité, il était simple de la deviner. La chèvre qui l'accompagnait était son protecteur, alors c'était une ancienne et sa vue troublée devait être le résultat d'une Vérité de la lumière. C'était un don si rare et convoité. Cette marchande d'herbes et produits de la nature était finalement bien plus intéressante qu'elle n'y paraissait, il fallait simplement prendre le temps de bien regarder. Quand elle lui demanda de l'aide pour son stand, cela n'étonna pas Juliette qui ne répondit pourtant pas tout de suite.

Elle vit au loin Mathieu qui revenait de sa pause déjeuner le ventre plein d'un pas traînant. Il salua de loin Juliette et elle lui fit signe de se dépêcher. Le matelot s'exécuta et vit que sa patronne était tournée vers le stand d'à côté et regardait sa propriétaire :

- J'accepte avec plaisir de vous aider. Dans le domaine des antiquités, les meilleures ventes se font à l'ouverture du marché. Les connaisseurs font tout pour être les premiers. L'après-midi ce sont surtout des personnes de passage et des familles qui se promènent.

À voir l'expression de Mathieu, il ne comprenait pas bien pouvoir on lui avait demandé de venir. En voyant la chèvre près de la marchande assise à même le sol, il fit un grand sourire à l'animal et se retient de faire un commentaire alors que Juliette lui expliqua la situation :

- Mademoiselle Messalina a été mon héroïne.

- Vous avez eu des soucis, je dois aller chercher l'équipage ?

- Non, tout est rentré dans l'ordre. Comme je te disais, Messalina a pourchassé un voleur qui a tenté de prendre ces lunettes.

- Celle de lecture rapide ? C'est pas si précieux que ça pourtant.

- Oui c'était un simple vol à l’étalage, quoi qu'il en soit elle a dû user de sa Vérité pour attraper le malfrat et maintenant elle ne peut plus tenir son stand correctement. Est-ce que tu veux bien nous aider ?

- Bien sûr ? Qu'est-ce que je peux faire pour vous ?

Il allait à la rencontre de Messalina quand Juliette se leva et l'arrêta :

- Tu vas prendre ma place.

- Mais je suis pas marchand ! C'est pas parce que je vous accompagne pour trouver certaines de ces reliques que je peux les vendre !

- Je te demande juste de rester derrière le comptoir quand je serais occupée sur le stand de Messalina. Elle risque de ne pas voir clair pendant encore un petit moment, du coup je vais l'aider et toi tu continueras à avoir un oeil de près sur notre stand.

- Bon si ce n'est que ça !

- Tu veux bien m'aider à déplacer le fauteuil à l'extrémité du stand ?

Ils prirent chacun un des côtés et le déplacèrent en un instant. Juliette prit alors le petit coussin qui était posé dessus et le tendit vers Messalina en espérant qu'elle verrait une tâche bleue devant elle :

- Prenez ce coussin, vous serez mieux !

C'était ironique comment elle avait perdu la vue en retrouvant une paire de lunettes, mais cela faisait culpabiliser Juliette qu'elle se retrouve avec un handicap pareil à cause de simples verres enchantés. Elle espérait vraiment que cette situation soit temporaire pour enfin oublier ce mauvais moment. Quoi qu'il en soit elle n'était pas dérangée d'aider Messalina, c'était une façon si simple de lui rendre service.

Tendre quelques herbes seraient un jeu d'enfant en espérant que la chèvre était assez éduquée pour ne pas les saisir à la volée si ce n'était pas sa maîtresse qui avait le contrôle. Elle allait devoir s'approcher de cette boule de poils odorante, c'était sûrement là le plus gros inconvénient à ses yeux, autant dire rien d'insurmontable. Quoi qu'il en soit, elle n'avait pas l'intention de la laisser seule dans cet état.[/color]

Avec un immense soulagement, Madame Célian acceptait ma demande. Sans ça, c'est simple, j'aurais du rendre boutique pour la journée, et repartir avec mon maigre butin. Dès ses premiers mots, je lui adressais un sourire reconnaissant. Certes, elle aurait fait moins de vente pendant l'après-midi, mais ça restait un effort non négligeable. Je souriais également à ce jeune homme, Matthieu, qui m'avait l'air très aimable. Du moins, de ce que j'en entendais, car je ne pouvais bien sûr toujours pas voir son visage.

Je regardais les taches floues bouger pendant le déménagement, avant de rapidement détourner le regard vers le sol. A trop fixer ces couleurs mouvantes, ça me donnait la nausée, et je ne voulais pas embêter Madame Célian avec un handicap supplémentaire. Quelques respirations, le regard fixé vers mes plantes, la main sur ma chèvre, et je retrouvais un peu mes esprits. Décidément, l'après-midi allait être long, mais j'aurais au moins un peu d'aide.

Alors, une petite tâche bleue apparaissait dans ma vision périphérique. Un coussin. Le moins que l'on puisse dire, c'est que Madame Célian était plus généreuse qu'elle n'en avait eu l'air ce matin. Je lui souriais en attrapant le tissu, l'effleurait au passage du bout des doigts afin de déterminer s'il s'agissait ou non d'un objet luxueux, ce que je n'espérais pas. Après tout, cela m'embêterait de le salir en le posant ainsi sur le sol, à peine protéger par ma nappe. Dans tous les cas, mes doigts ne me disaient rien, et j'aurais bien été incapable de déterminer s'il s'agissait de satin ou d'un coton usé. Je me contentais donc de sourire aimablement à la marchande, avant de le poser au sol, tout en faisant attention.

« Merci beaucoup. »

Je me mordais la lèvre en regardant un court instant les herbes, pensive. J'espérais que ce ne serait pas trop d'embêtements pour elle, d'autant plus que les événements de ce matin montraient bien que nous n'avions pas vraiment la même façon de vendre. Avec le recul, je n'aurais peut-être pas du poursuivre ce voleur pour des lunettes, qui ne lui semblaient pas si précieuses. Enfin, désormais c'était fait, et je pouvais m'estimer heureuse que Madame Célian accepte de m'aider.

« Et surtout, merci de votre aide… Vous m'ôtez une aiguille du pied. Vous n'aurez qu'à me tendre les herbes que je vous décrirais, si vous le voulez bien, et je m'occuperai du reste. Je ne voudrais pas trop vous embêter. »

Je la voyais mal discuter avec les clients à ma place, tant nos deux clientèles étaient éloignées. Surtout l'après-midi, où seules des familles ou des personnes âgées passaient me voir pour quelques plantes médicales. Comme pour elle, mes connaisseurs n'étaient là que le matin, d'où l'intérêt de vendre toutes sortes de plantes. Enfin, espérons que ces discussions banales ne l'ennuient pas trop. Je voyais d'ailleurs une mère approcher avec son fils, s'arrêter un instant devant mon stand avec un air intéressé. Ce serait un parfait test pour notre petite entraide.

« Puis-je vous aider, Madame ?

- Je crois bien. Je cherche des nomles, et il me semble que vous en avez quelques unes. »

Bien, on commençait avec une plante facile. Je commençais à peine à décrire les baies oranges qui composaient la plante que je fus interrompu par son fils, qui me coupait la parole. Ses yeux enfantins semblaient plantés dans ceux de Madame Célian, qu'il devait penser propriétaire du stand, et à qui il adressait un sourire immense.

« C'est à vous la chèvre ? Je peux la toucher ? »

Je riais doucement en acquiesçant, en espérant qu'il n'attendait pas une réponse de Madame Célian. Après tout, elle ne devait pas trop avoir l'habitude des enfants. J'enchainais rapidement ma description, sous l'oeil interrogatif de notre cliente que j'étais bien incapable de voir. Cette première commande semblait assez facile, en espérant que celles qui suivraient le seraient également.

- Ça ne devrait pas être si contraignant, tant que vous décrivez bien les plantes. Je n'y connais pas grand choses en plantes humaines.

Assise sur le bord du fauteuil, Juliette se leva quand elle vit une femme et son fils s'arrêter au stand de Messalina. Le nomles lui disait quelque chose, elle voyait bien à quoi elle servait, mais n'avait aucune idée de son apparence. Quand Messalina lui décrivit les baies oranges, elle put facilement les repérer au milieu des autres herbes. Elle allait pour se baisser et les ramasser quand elle fut brutalement arrêté par le cri joyeux de l'enfant.

À sa tête, cela se voyait qu'elle n'avait pas l'intention de lui répondre où elle risquerait de dire quelque chose qui n'aurait pas plût à la mère. Elle se contenta de l'ignorer et se baissa pour récupérer quelques brins de Nomles qu'elle tendit à Messalina, les rapprochant doucement d'elle en lui prenant les mains de sa main libre. L'enfant commença à tirer sur les jupons de sa mère lui réclamant à son tour s'il pouvait s'approcher de l'animal.

Mathieu pendant ce temps se tenait à l'autre extrémité du stand d'antiquité, droit comme un "i", les bras croisés dans le dos pour soutenir sa position, il avait l'air d'une statue. Les clients se tenaient éloignés du stand et le regardait par moment du coin de l’œil comme s'ils avaient peur qu'il ne les agresse s'ils osaient s'approcher de lui. Mathieu lui ne se rendait pas compte de la situation et bien qu'il ne bougeait que très peu, il était absorbé par la contemplation des reliques sur le stand.

La marchande d'antiquités ne s'en était pas encore rendue compte. Accroupie près de Messalina, elle prêta enfin attention à la cliente qui se révéla être la femme qui s'était montrée prévenante avec elle avant que les gardes ne reviennent avec Messalina. C'était la deuxième fois qu'elle se comportait froidement avec son enfant, elle n'avait pas envie que cela porte préjudice à la marchande alors elle se releva et prit une voix plus douce qui ne lui ressemblait pas, mais qu'elle avait l'habitude d'utiliser pour amadouer ses clients :

- Vous avez bien fait de revenir, vous êtes face à une héroïne. Mademoiselle Messalina a réussi à récupérer mes lunettes.

Elle courba le dos pour s'adresser à l'enfant et feindre un sourire :

- C'est à elle que tu dois demander pour la chèvre, c'est sa fidèle amie.

Ce matin, j'avais décidément été mauvaise langue. Moi qui avais cru que Madame Célian était incapable d'amabilité pour ses clients, là voilà particulièrement agréable -et envers moi aussi, d'ailleurs. Je rougissais légèrement à son compliment, ne pensant pas que cette histoire aie pu atteindre les oreilles des passants. C'était d'autant plus perturbant pour moi que je n'avais aucune idée de l'identité de cette cliente, ne voyant dans un nuage flou que les vagues nuages colorés de ses habits. Je souriais doucement.

« Ce n'était pas grand-chose, au fond. Merci d'être revenue, en tout cas, et désolée de ne pas avoir pu vous accueillir plus tôt ! »

Vite, je reportais mon attention sur l'enfant. Lalaith attirait toujours pas mal de bambins, ce qui était un atout non négligeable pour faire venir leurs parents. Alors je n'allais certainement pas refuser sa demande, d'autant plus que Lalaith était friande de ce genre de caresses !

« Bien sûr, tu peux y aller ! »

Et pendant que le gamin, fou de joie, venait caresser Lalaith, je finalisais tant bien que mal la commande à l'aide de Madame Célian. Mes yeux me brulaient toujours, mais cela irait vite mieux, d'autant plus qu'avec son aide je pouvais les refermer de temps à autres. Je prenais les quelques herbes dans ma main, les tendant à ma cliente qui donnait en échange les piécettes à l'autre marchande.

« C'est une bonne nouvelle, pour ces lunettes… Je suis contente de savoir que vous avez pu les récupérer, même si vous semblez un petit peu chamboulée ! »

Je souriais faiblement, un peu gênée d'afficher ainsi publiquement cette faiblesse.

« Ce n'est rien, ça passera d'ici un peu de temps. Vous désirez autre chose ? »

C'était certes un peu abrupt, mais je n'avais pas envie de m'éterniser là-dessus ; les lunettes avaient été retrouvées, c'était le principal. D'autant plus que je voyais d'autres couleurs apparaître, signe qu'une queue se formait. La cliente souriait gentiment, et je lui souhaitais un très bon après-midi tandis qu'elle repartait avec son fils.


Je pouvais enfin plus ou moins distinguer le visage de la personne en face de moi, tandis que le soleil commençait à décliner doucement en cette fin d'après-midi. Le moins qu'on puisse dire, c'est que le chiffre d'affaire devait être bon. Les clients n'avaient cessé d'affluer, et grâce à l'efficacité de Madame Célian, j'avais pu m'en tirer sans trop d'encombres. Je me tournais vers ma partenaire de stand en souriant.

« J'arrive à-peu-près à y voir clair… Merci infiniment, je ne sais pas comment j'aurais pu m'en sortir sans vous. »

Quelques marchands commençaient à fermer, et les préparations des auberges pour les festivités du soir démarraient. Déjà, on voyait les familles s'écarter peu à peu des rues pour s'approcher des commerces de nourriture alentours. Je pourrais vendre encore un peu, mais rien d'extraordinaire : et surtout, rien qui ne valait la peine de déranger davantage Madame Célian.

« Je pense pouvoir m'en sortir, maintenant. En guise de remerciement, laissez moi au moins vous payer le repas du soir, c'est la moindre des choses. »
Un grognement de ventre faisait dévier mes yeux vers le matelot qui l'accompagnait, toujours droit comme un piquet depuis le début de l'après-midi. A le voir ainsi, j'aurais pu croire à une statue, agissant comme un simple épouvantail visant à faire fuir les voleurs. Mais sa faim avait trahi l'illusion, et le rouge qui lui montait aux joues m'arrachait un sourire des lèvres.

« A vous, et à ce jeune homme d'ailleurs. C'est la moindre des choses, puisqu'il vous a permis de m'aider comme vous l'avez fait. »