An 1224, Kahl 8

Un homme de haute stature courait à la lisière de la forêt bordant les hautes montagnes de saphir, à moins d'une lieue de Férésis. Respirant lourdement, l'homme semblait courir depuis un certain temps, pourtant un sourire béat couvrait l'intégralité de son visage.
Prenant à droite sur un chemin de terre l'homme commençait à gravir la chaîne montagneuse sans arrêter sa course effrénée. A l'horizon un mince filet de fumée lui indiquait que sa destination approchait. Accélérant encore l'allure l'Arvèles arriva rapidement à la petite maison se découpant sur le flanc de la montagne. Il ouvrit brusquement la porte dans le mouvement de sa course, des cris de nourrisson arrivèrent immédiatement à ses oreilles

"- Où est-il ? Où est mon fils ?"

Pénétrant dans la pièce contiguë, le jeune humain du nord se retrouva nez à nez avec sa mère

"- Tu trouves le moyen d'aller à ta maudite chasse le jour de la naissance de ton fils, maugréa-t-elle faussement fâchée, et où est ton père je ne l'ai pas envoyé te chercher pour qu'il ne revienne pas!

Sans plus d'explication Hateo Tolvahr passa s'extirpa du sermon de sa mère et s'agenouilla promptement au côté de sa femme. Yrelina semblait tout à la fois épuisée, rayonnante, aux portes de la mort et pleine de vie tenant le nouveau né dans ses bras.
Des larmes de joie sur les joues Hateo prit son fils sans un mot déposant un baiser sur le front de sa femme.

"- Draïtan, murmura l'heureux père"


An 1239, Daemyo

Draïtan s'exerçait au combat au corps-à-corps avec son père, les mains enroulés dans du tissu pour éviter les blessures. L'entrainement que son père lui procurait en plus de ceux de l'académie militaire de Ferésis forgeait son esprit et son physique jour après jour.
Prenant une pose basse l'adolescent attendait une attaque de son père. Hateo, chasseur d'expérience n'était pas un expert du combat rapproché et depuis peu son fils, dont les aptitudes n'allaient qu'en s'améliorant, commençait à moquer son paternel. Le chasseur savait qu'il n'avait plus le dessus en restant purement académique.

"- Eh fiston, c'est quoi cette posture ? Je pensais que c'était moi qui t'avait appris la "pose" toilette! Misselia Rikmons aurait honte de l'académie de nos jours!,railla l'arpenteur des forêts"

Les émotions exacerbées de l'adolescence et la référence aux héros de son enfance suffirent à faire oublier tout son entrainement à son fils qui chargeait tête baissée vers son père. Hateo légèrement surpris d'avoir réussi à destabiliser sa progéniture à la première pique se prépara à L'humilier comme tout bon père de famille. Eviter à son enfant de prendre la grosse tête était important.
Les pieds ancrés au sol le chasseur se prépara à l'impact.. mais celui-ci ne vint jamais, il rattrapa le corps de son fils avant qu'il ne chute au sol criant de souffrance. Sous son épiderme, ses veines semblaient s'illuminer à chaque battement de coeur tel un feu liquide circulant librement dans le corps recroquevillé de l'adolescent.
Draïtan perdit conscience, pour se reveiller dans une pièce sombre uniquement éclairée de bougies, l'arvèles ne se rappelait de rien, sentant ses deux avant-bras l'élancer. Dehors la nuit était tombée depuis longtemps comme il pouvait le constater par la lucarne présente dans la pièce. Son père s'éveilla à ses côtés.

"- Où est-on ? demanda Draïtan, et pourquoi j'ai les bras couverts de pansements ?"

Comme à son habitude son père préféra lui montrer plutôt que de répondre il se leva et pointa du doigt l'environnement de la pièce, tout d'abord l'étagère emplie de grimoire puis la cheminée dans laquelle un tisonnier était posé. Bien entendu, son père l'avait emmené dans la demeure de tante Elynda, l'érudite de la famille, sa tante conservait des milliers de livres qu'elle se targuait d'avoir tous lu et surtout comprit. La voix de cette dernière se fit alors entendre:

"- Ta vérité ne s'est pas éveillé normalement enfin tout du moins tu ne peux pas l'utiliser comme tout le monde, entama ça tante.
- Nous avons dû évacuer, avec ta tante, l'afflux de pouvoir. Tu as utilisé ton don pour la première fois.
- Je ne me souviens de rien, s'étonna l'adolescent
- C'est parce que ta vérité est prisonnière de ton corps, l'afflux de pouvoir t'a fait perdre conscience. Habituellement la vérité fonctionne grace au lien entre l'esprit et l'énergie, que ce soit l'énergie du corps, celle de la nature ou autres. Il y a toujours un lien qui permet à l'utilisateur de puiser dans l'énergie pour créer le sort que son esprit souhaite. Dans ton cas ce lien n'existe pas."
- Je suis infirme ?! Je ne peux pas utiliser ma vérité ? s'exclama Draïtan dont la tristesse était visible"

De concert Hateo et la vielle érudite racontèrent les péripéties de la journée. Comment Draïtan avait chuté dans l'inconscience, comment sa tante avait extrait la vérité de son corps par l'intermédiaire d'un tison ardent portant un étrange symbole. Ponctuant ce passage, expliquant que la vérité bloquée dans un corps devait être évacuer à certains points précis du corps de l'hôte. Ceux-ci pouvaient varier selon les individus et de nouveau point "d'éruption", comme le disait sa tante, apparaîtraient encore au cours de sa vie.
Draïtan en déduisit le pourquoi des linges sur ses bras. Elynda commença à expliquer, dans un langage connu d'elle seule, toutes les solutions envisagées pour trouver la position des portes du flux de sa vérité . Celle-ci selon ses dires fonctionnerait comme un aimant, lorsqu'elle se retrouvait très concentrée. Le corps de Draïtan faisant ballon la vérité l'emplissait. Elynda le recouvrit de poudre de métal qui se concentra rapidement sur ses avant-bras, découvrant ainsi la croisée des chemins de l'énergie du corps de son neveu.

"- Tu souffriras à chaque utilisation, tes cicatrices se rouvriront pour te laisser utiliser ta vérité, ces runes que nous avons marquées au fer rouge sur ta peau représente le symbole "liberté" de l'ancien monde. Elles rougeoieront comme elles l'ont fait aujourd'hui. La douleur sera au début trop effrayante pour utiliser ta vérité. mais tu y arriveras, assura son père une main sur son épaule."

Draïtan resta muet. Le jour de son éveil, dans ses rêves, le rendait plus puissant qu'un taureau en charge, capable d'abattre une armée à lui tout seul, se voir ainsi handicapé le rendait profondément triste. Son futur dans l'armée de Férésis lui paraissait désormais bien loin et fort illusoire. L'adolescent se coucha sur le côté tournant le dos à sa famille, fermant les yeux cherchant un sommeil réconfortant.
Son père lui souffla quelque chose à l'oreille comme un encouragement presque inaudible que le temps de la compréhension ne serait proche.

"On aurait dit qu'elles chantaient à l'unisson"

An 1245, Sorn

Sept ans, sept ans de travail, d'entrainement, d'études, de raclées, de corvées, de réussites et d'échecs, enfin la ligne d'arrivée venait d'être franchi. Le titre de soldat accordé par le conseil. Après des années de remontrance quant à son incapacité à suivre les ordres, ce qui avait bien failli lui coûter sa place, sa capacité d'analyse et sa maitrise martiale avaient eu raison des sceptiques. Pour certains de ses professeurs, Draïtan deviendrait sans aucun doute un commandant d'unité de renom, d'autres le voyaient plutôt au fond d'un cachot pour insubordination mais tous admettaient que son avenir serait suivi avec intérêt.
Draïtan continua d'avancer en compagnie de ses frères d'armes, le lien créé entre les jeunes sortant des académies militaires de Férésis était à lui tout seul l'une des explications de la cohésion des armées Arvèles. Une seconde famille était créé dans ses murs. les rires de la taverne résonnaient déjà à leurs oreilles. L'heure n'était plus à la nostalgie mais bel et bien à l'ivresse et le plaisir. Cette nuit de fête, sa compagnie et lui méritaient de la passer une cervoise à la main.
Remontant ses manches le jeune arvèles passa ses paumes sur ces cicatrices comme à son habitude. Sentant les jumelles lui répondre dans son for intérieur, comme deux petites vibrations de son âme. A jamais avec lui pour toute les défis que sa destinée lui lancerait. Draïtan se sentait confiant quant à la vie qui s'ouvrait devant lui, prêt à arpenter le chemin de celle-ci.