La poignée s'abaisse avec un grincement mais la porte ne s'ouvre pas. Mes yeux s'écarquillent : j'ai fait une grosse bêtise ... me voilà devant une porte verrouillée mais désormais je n'ai plus l'avantage de l'incertitude quant à ma présence en ces lieux. Ils savent que je suis là et n'ont certainement pas l'intention de me laisser filer.

Un des gardes a commencé à ignorer les poissons et approche maintenant dans ma direction, à pas prudents. Pas de doutes possible, il sait que je suis là et il me cherche. Je m'écarte de la poignée avec mille précautions, de peur d'être trahie par les courants causés par mes déplacements.

Il va me falloir prendre une décision. Je ne peux décemment pas les attaquer, ce serait signer mon arrêt de mort. Non, il faut que je m'en sorte seule, que j'arrive à ouvrir cette porte. Mais comment faire alors que je n'ai pas la clef ? J'ai beau être une voleuse de type professionnelle, je ne sais pas quoi faire ici. Il faut dire qu'habituellement j'évite ce qui est verrouillé, je le défonce ou, dernière option, je fais sauter le loquet avec une fine flèche de glace. Mais je crois que rien de cela ne fonctionnera ici.

Non, tout simplement il faudrait que je récupère les clefs ou qu'ils ouvrent la porte eux même. Cela a l'air tellement simple dis comme ça, si seulement c'était aussi facile ! Si j'étais un garde, qu'est ce qui me ferait ouvrir cette porte ? Honnêtement, sachant qu'il y a probablement un intrus dans la pièce où je me trouve, j'aurais tendance à dire que je ne l'ouvrirais pour rien au monde, ou alors seulement en cas d'extrême urgence. Qu'est ce que je pourrais faire pour créer une extrême urgence ?

Quelles cordes ai je donc à mon arc ? Je sais créer des armes, des statues, commencer des poissons et faire des vagues mais à vrai dire je ne vois pas laquelle de ces capacités pourraient actuellement me permettre de créer l'occasion dont j'ai besoin. Pourquoi n'ai pas appris à me transformer en plancton ? Ça, ça aurait été utile !

Soudainement, à l'autre bout de la pièce, un des sbires du Roi qui protège l'entrée de la prison ferme la porte. Le bruit déconcentre à peine les deux soldats, qui tourne brièvement la tête pour vérifier que quelqu'un d'autre n'est pas entré. La cacophonie de la foule au dehors nous parvient désormais assourdie, étouffée par la porte blindée qui vient de se fermer entre elle et nous. Pourtant, la clameur nous parvient encore ... Et cela me donne une idée. Je n'ai jamais fait ça encore mais je n'ai pas trop de doutes sur mes capacités en la matière. Après tout, il s'agit de ce que je fais de mieux.

Je me concentre profondément, remercier Worgen pour la température de ces eaux. Mon pouvoir est bien plus puissant ici qu'ailleurs. Après quelques secondes qui paraissent être une éternité, je rouvre les yeux, que j'avais fermé sous l'effet de la concentration. Pas moyen de savoir pour le moment si mon pouvoir a fonctionné mais je le saurais bien assez tôt. Maintenant, la touche finale ! Aux pieds du premier garde, apparaît une délicate fleur de givre, finement ciselée. Le garde réagit immédiatement et la pointe avec sa lance. Mais il n'a rien a craindre, cette création est ma signature mais elle n'a rien d'offensive. Une perle coule le long d'un pétale avant de tomber sur le sol, telle une larme. De cette goutte - qui n'est là que pour le théâtre, soyons honnêtes - naît alors un lutin, un minuscule lutin de glace. Mais avant que le garde n'ait pu l'empaler avec sa lame, il disparaît sous la porte en prenant la forme d'une très fine pellicule de glace. Un énorme grognement se fait alors entendre de l'autre côté de la porte.

J'ai réussi !
Si le garde ouvre cette porte, je pourrais passer avec lui.
Si le garde ouvre cette porte, il se retrouvera aussi face à une énorme statue animée, représentant un Seffronh de glace.
Et s'il n'ouvre pas ? Eh bien je suis sacrément dans la merde.

Les deux gardes réagissent autant que je l’avais espéré. Les deux suivent mon petit lutin de glace des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse sous la porte, l’arme à la main. Ah ! Je suis contente de voir que ces gardes ne sont pas payés à rien faire ! Au moins, ils essaient de faire les choses correctement ! Ils n’y arriveront peut être pas, mais ils n’y seront pour rien, c’est seulement que je suis plus entraînée qu’eux. Lorsque le garde le plus proche sort son énorme trousseau de clefs – par Worgen, il doit y en avoir au moins vingt six là dessus ! – et s’approche de la porte, j’ai très envie de faire une petite danse de la joie. Ca a marché ! Ca a marché ! Mais ce n’est pas très prudent pour le moment, je la ferai en sortant d’ici avec Meny, la prisonnière. Je me contente donc de retenir mon souffle pour ne pas trahir ma présence et de bouger le moins possible.

Lorsqu’il pousse la porte avec précaution, je me tiens juste derrière lui, prête à entrer à la moindre occasion. Occasion qui se présente bientôt : le garde a ouvert la porte, assez pour que je puisse passer, mais il n’a pas encore vu le Seffronh de glace qui trône au milieu de la salle, l’air particulièrement agressif. Mais à peine suis je passée dans l’autre salle que le garde sonne dans un cor d’alarme. Je soupire, j’aurais espéré qu’il mette plus de temps à réagir mais en invoquant un lion dans une prison, j’aurais quand même dû m’en douter. Quelques secondes à peine plus tard, les deux gardes sont entrés dans la même pièce que moi, leur lance à la main, prêts à se battre.

Bon, il faut que je me concentre sur ma mission ! Je cherche une jeune femme, une héléo venant des terres chaudes. Bon, il n’y a plus qu’à espérer qu’il n’y ait pas beaucoup de femmes dans cette prison. Dans la pièce où je me trouve, des petites lucarnes rectangulaires sont découpées à intervalles réguliers sur les portes qui se trouvent de chaque côté de la salle. J’entreprends de regarder dans les lucarnes une à une, à la recherche de la demoiselle.

La première a l’air d’être vide, de même que la seconde. Quant à la troisième … Un souffle rauque me parvient mais je n’arrive pas à voir ce qu’elle contient. Je ne vais jamais y arriver ! Le petit lutin que j’avais créé précédemment – actuellement occupé à commenter avec ferveur le combat qui oppose les deux gardes aux Seffronh – disparaît soudainement, et de ses cendres renaissent deux nouveaux lutins, bien plus petits que le précédent. Sans attendre, je leur commande d’entrer dans les deux premières cellules et de chercher si une jeune femme se trouve à l’intérieur. Mais deux lutins ne suffisent pas pour une dizaine de cellules à fouiller en quelques minutes à peine. Bientôt, quatre lutins se détachent des pattes du Seffronh pour courir fouiller les autres pièces.

Pendant quelques minutes, je ne fais qu’attendre leurs retours, continuant cependant de les aider en regardant moi aussi dans les pièces. Mais bientôt, leur verdict est sans appel : aucune femme n’est ici. Je grogne, avant de me rappeler que les gardes ne savent pas, ou du moins ne semblent pas se rappeler, que je suis ici. Prudence Winter, prudence. Un coup d’œil au Seffronh m’apprend qu’il a perdu de sa superbe et qu’il commence à être en mauvaise posture, des éclats de glace ayant volés dans tous les sens à la suite des coups de lance des gardes. Tant pis, il aura fait ce qu’il a pu. Les lutins de glace disparaissent par magie tandis que je me dirige vers la porte du fond, qui doit mener à d’autres cellules. Je suppose que chaque pièce comporte sa logique mais personne ne s’est donné la peine de me fournir un plan de la prison, il va donc falloir que je fouille chaque nouvelle salle avec méthode en espérant qu’il n’y en ait pas trop.

Je pousse un soupir en actionnant la poignée de la porte. Verrouillée, bien sûr, j’aurais dû m’en douter. Cette fois, il n’y a pas de petite fenêtre à la porte pour me permettre de voir ce que contient la salle suivante. Il me faudra réussir à y rentrer pour découvrir ce qu’elle cache et savoir si c’est bien par ici qu’il faut que j’aille. Cela dit, je n’ai pas trop le choix, la seule autre porte qui mène ailleurs que dans une cellule est celle par laquelle je suis entrée. Je me tourne vers les deux gardes, qui sont presque venus à bout de ma création. Je pourrais faire apparaître plusieurs Seffronh en espérant que le garde appelle de nouveau avec son corps pour avoir de l’aide du reste du personnel de la prison mais je préfèrerai économiser ma Vérité pour le moment. Mon petit doigt me dit que je pourrais en avoir encore besoin pour la suite des événements. Et si … ? Et si je tentais tout simplement une bonne vieille méthode ? Avec un sourire machiavélique, je tambourine à la porte avec mes points, espérant que – si un garde se trouve dans la pièce d’à côté – il comprenne que les gardes ici sont débordés par l’énorme lion de glace et qu’il vienne en aide à ses alliés.

Je m’écarte sur le côté au cas où la porte s’ouvrirait à la volée mais rien ne semble venir. J’hésite à recommencer ou à chercher une autre idée lorsque la porte s’ouvre soudainement sur un garde. Je trépigne d’impatience et commence à m’engager lorsque je remarque que deux autres gardes le suivent. Oops ! Je recule prestement tandis qu’ils s’arrêtent dans l’embrasure de la porte, hésitant à entrer. Je trépigne d’impatience mais ne bouge pas. Il ne faut pas que je me trahisse maintenant.

A l’intérieur, le lion a reprit du poil de la bête – façon de parler, il a encore moins de glace pour constitué son corps qu’auparavant – et, plein de fureur, il est reparti à l’assaut des gardes. Ces derniers n’en mènent pas large et le premier des gardes venus en renfort les rejoint pour les aider, hurlant aux deux autres de surveiller le reste de la prison, « le coupable ne doit pas être loin ! » En effet, il est même juste là et cherche toujours un moyen de passer cette foutue porte sans bousculer tout le monde. Mais, lorsque l’un des deux soldats met la main sur la poignée pour refermer la porte, j’écarquille les yeux d’horreur. Si je reste là, je n’aurais plus de moyen de sortir et cette fois je ne pourrais plus appeler au secours.

Tant pis, il faut que je tente le tout pour le tout. En retenant un hurlement de sauvage, je pousse le garde et son collègue et encore en force dans la deuxième pièce. Une fois à l’intérieur, je me tapis dans un coin et respire le calmement possible. Sacrebleu, me voilà dans une sacrée bouse. Les deux matons sillonnent maintenant la pièce à la recherche de ce qui leur est rentré dedans. Heureusement, même en passant la salle au peigne fin, ils ne devraient pas me trouver.

Je profite du calme relatif de la situation pour observer la pièce où je me trouve. Elle comporte très peu de cellules mais celles ci semblent plus grandes. Y a t il plusieurs personnes à l’intérieur ? Ou des prisonniers dangereux ? Ou des créatures qui ne sont pas des héléos ? Au centre, j’aperçois plusieurs bureaux avec des chaises ainsi que des casiers comme si c’était ici que l’on traitait les dossiers. Plusieurs boutons sont également visibles, activant ou désactivant peut être des alarmes ? J’hésite à envoyer mes lutins à travers la pièce cette fois, cela ne me semble pas prudent : les gardes sont sur le qui-vive et je n’ai pas de distraction efficace à l’esprit. Deux autours de la pièce, trois autres portes semblent mener vers d’autres couloirs de la prison. Sauf que je n’ai les moyens d’en ouvrir aucune.

« C’était quoi tu crois ? » Son collègue sursaute, surprit par la prise de parole soudaine de son collègue. « J’en sais trop rien. » Il reste un instant pensif. « Mais je ne crois pas que ça puisse être juste un courant marin. » L’autre soupire : « Je sais … Pourtant j’ai pas d’autres explications. Comme pour l’espèce de bestiole de glace d’ailleurs ! » Son compagnon se tourne alors vers lui : « Tu crois que ça pourrait être un Héléo de Glace qui s’est introduit ici ? – Ou un prisonnier ? – Non, je ne pense pas, on aurait déjà eut des coups comme ça ! Et la dernière en date, c’est pas une héléo de glace de mémoire. – Laquelle ? Celle pour qui ils protestent dehors ? » Meny ! Ils parlent d’elle ! L’un des gardes s’approche d’un bureau et sort d’un classeur une fiche enchantée, de celles qu’utilisent les Héléos pour classer des dossiers à la manière des Humains. « Elle, là. Meny Do … Dorelelle. Hélia, Vérité des Animaux, 35 années, bla bla bla … Motif : Complot contre la Couronne. » L’autre secoue la tête en levant les yeux au ciel : « C’est fou, on le voit de plus en plus souvent ce motif là. Soit la Couronne devient parano, soit elle a de plus en plus d’ennemis ! » Il se tait soudainement en regardant autour de lui, comme s’il craignait d’être espionné.

L’autre se laisse tomber sur sa chaise puis pose la fiche de Meny sur la table. Il laisse échapper un grognement mais ne rajoute rien. Peu importe, j’en ai déjà apprit beaucoup. Je m’approche de la table derrière lui, concentrée sur ma respiration pour ne pas être entendue et pour éviter de lui souffler dessus. La jeune femme a été dessinée rapidement dans un angle de la feuille : les cheveux ondulés, longs et d’un bleu sombre, un corps alliant des nuances de bleu layette et de turquoise, elle a de grands yeux sombres, d’après le dessin en tout cas, semble être d’une absolue beauté. Cette donc cette femme là que je cherche. Je lis les intitulés des différentes lignes, à la recherche d’un numéro de cellule. Et je le trouve ! « A 212 ». Bien ! Maintenant, il ne me reste plus qu’à trouver à quoi ça correspond.

Je lève la tête et regarde autour de moi. La réponse est peut être juste ici ! Je regarde les trois portes les unes après les autres et c’est alors que je les remarque. Au dessus de chacune d’entre elles, un mot est gravé sur une plaque métallique : « Abysse », « Perpétuité » et « Tribunal ». Je crois que j’ai trouvé la bonne direction ! J’espère juste que ce sont des mots choisis dans le contexte d’une mauvaise blagues et non les châtiments des prisonniers enfermés là …

Je m’approche de la porte ayant l’inscription « Abysse » pour l’observer. Comme les autres, elle n’a pas de judas ni d’ouverture pour permettre de voir au travers. J’hésite à abaisser la poignée, il y a trop de chance pour qu’elle soit verrouillée et je perdrais mon unique avantage : les deux gardes semblent avoir oublié ma présence.

Je me retourne pour les regarder. L’un s’est mit à classer ses dossiers tandis que l’autre, visiblement inquiet pour ses collègues, fait les 100 pas devant la porte par laquelle je suis entrée. Depuis quelques minutes déjà, plus aucun bruit de combat ne nous parvient. Le Seffronh a été vaincu. Au moment où le soldat qui continue ses allers et retours me tourne le dos, je crée un petit lutin de glace qui se faufile sous la porte, comme la première fois. Il sera mon éclaireur et il a pour mission de me dire si une jeune fille se trouve dans les cellules et si des gardes surveillent les lieux. Ma création s’aplatie jusqu’à n’être plus qu’une flaque informe et passe sous la porte avec un léger crissement, puis c’est le silence.

L’attente est longue et le silence oppressant.

Soudain, une petite musique cristalline me parvient de l’autre côté de la porte : il y a un garde mais il n’a pas l’air très réveillé. Bon, c’est déjà une bonne nouvelle ! Le problème c’est que je ne suis pas la seule à avoir entendu le carillon. Peut être même, avec un peu de malchance, que je ne suis pas la seule à l’avoir compris. « On n’est pas tout seul. » L’affirmation vient du garde qui faisait les 100 pas. « Non, en effet, il doit y avoir du monde derrière. » L’autre s’est levé, sa lance à la main. « On y va ? » Son collègue hoche la tête et, l’air déterminé, ils déverrouillent la porte pour entrer dans la partie ‘Abysse’. Je me glisse à leur suite, ravie que les choses soient aussi simples, pour une fois.

Une fois la porte passée, leur surprise est totale. Réveillé par leur entrée, le soldat qui est en poste dans cette pièce les regarde avec de grands yeux ronds. A peine réveillé, il baragouine quelques mots incompréhensibles avant de réussir à articuler une phrase correcte : « Y a un problème ? » Les deux nouveaux arrivants se regardent, déconcertés : « On pensait que tu avais eut un problème, on a entendu du bruit ! » C’est le moment que choisi ma création – qui, docile, avait continué de suivre à la lettre les instructions que je lui avais donné – pour s’exprimer avec toute la force de sa petite voix cristalline : « J’ai trouvé ! J’ai trouvé ! Là ! » Avec une synchronisation des plus parfaites, nous nous retournons alors tous les quatre vers la source du bruit, pour tomber sur un lutin en train de nous adresser de grands signes de main, accoudé à l’ouverture qui donne sur une des cellules de la pièce. « Qu’est ce qu’il a trouvé ? » demande soudainement le garde qui était déjà dans cette pièce. Les deux autres se tournent vers lui, les sourcils froncés, mais ils n’ont pas le temps de l’interroger car je suis entrée en action : fidèle à mes traditions, je me suis approchée de la cellule et est fait apparaître à l’intérieur ma création préférée … un grand, beau et fort Seffronh de glace.

Le hurlement soudain de Meny me glace le sang, si bien que, par réflexe, je me ratatine dans un coin, heureusement sans perdre ma cape d’invisibilité au passage. Enfin, un bout de chaussure a dû apparaître mais il semblerait que personne ne l’ai aperçu. Un coup d’œil vers les gardes m’apprend qu’ils ont eut la même réaction d’effroi que moi. A l’intérieur de la cellule, le cri de l’Héléo reprend de plus belle, plus horrible encore que le premier, mais cette fois, les soldats sortent de leur torpeur pour lui venir en aide. Et moi aussi, à ma manière. Sans même prendre le temps pour un coup d’œil à travers l’ouverture de la porte, le garde en charge de la surveillance de la salle « Abysse » sort une grosse clef de sa ceinture et ouvre la prison. A l’intérieur, le fauve gelé prend presque toute la place.

Malheureusement pour moi, il y a un paramètre que je n’avais pas prit en compte : les gardes ne peuvent pas entrer dans la cellule, certes, c’était prévu … mais s’ils ne le peuvent pas, moi non plus ! Sous le choc, les soldats reculent d’un pas – permettant à la créature de pivoter vers eux et de faire un pas vers la sortie de la pièce étroite – puis ils sortent leurs armes. « Mais par Eliosa, d’où sortent ils tous ?! » Ah oui, c’est vrai qu’ils avaient aperçu le précédent, qui doit d’ailleurs être réduit à l’état de poussière à l’heure qu’il est. Je profite qu’un peu d’espace se soit libéré pour entrer dans la cellule et me faufiler auprès de Meny Dorelelle. Ce n’est pas une mince affaire de la rejoindre mais, en une minute ou deux, je suis à ses côtés. A quelques pas de nous, le combat féroce entre les gardes et ma créatures a commencé.

Comment m’introduire auprès d’elle maintenant ? Ma tactique a vraiment bien fonctionné pour faire ouvrir la porte mais j’ai maintenant les trois gardes, réunis à moins d’un mètre de moi, concentrés sur le contenu de la petite pièce. Me montrer ? C’est risqué, peut être beaucoup trop, si les gardes me voient s’en est certainement fini de moi … Mais parler en restant cachée, qui me croirait ? A la place de la prisonnière, je préfèrerai penser que je suis devenue folle, surtout après qu’un lutin et un Seffronh soit apparus successivement dans ma chambre obscure où j’étais très bien toute seule jusque là ! Enfin … j’imagine que c’est ce qu’elle pense.

Je décide de reculer dans l’angle, celui sur le même mur que la porte, le seul où les gardes ne devraient pas me voir. Et je tente alors le tout pour le tout, retirant ma cape d’invisibilité pour me montrer à la courtisane. J’avoue que ce n’est pas beaucoup mieux pour lui montrer qu’elle n’est pas folle mais je suppose qu’elle partira du principe « qu’on ne croit que ce qu’on voit » ? Et elle me voit, accroupie sur le sol de pierre, un doigt sur la bouche pour lui intimer le silence, à défaut de pouvoir lui demander de garder son calme. C’est alors que j’entends notre arrêt de mort : un cor comme celui qui avait mis tout le monde aux abois une première fois sonne à nouveau. Si nous arrivons à sortir d’ici toutes les deux et indemnes, cela tiendra du miracle.

Après un instant de peur à me demander si Meny va me laisser en plan, se recroqueviller et attendre que tout cela passe, elle finit par me fixer. Ses lèvres bougent alors en silence pour me demander qui je suis. Qui je suis ? Est ce vraiment l'information la plus importante à avoir dans la situation actuelle ? Je retiens mon soupir et lui réponds en silence : « Je viens vous sauver ! » Après tout, c'est l'essentiel de ce qu'il faut qu'elle sache. Nous aurons tout le loisir de papoter du reste plus tard !

Mais comment nous sortir d'ici sans nous faire attraper ? Même en mettant Meny sous la cape avec moi - ce qui serait proprement inconfortable puisqu'il nous faudra nous baisser pour qu'on ne voit pas nos pieds - nous serons coincées dans la cellule. Il faudra d'ailleurs veiller à ce que les courants marins ne révèlent pas nos chevilles, ce qui sera certainement plus complexe que ce que ça a l'air. Un coup d'oeil vers ma gauche m'apprend que les soldats luttent toujours contre le Seffronh, profitant que ce dernier soit coincé dans l'embrasure de la porte pour le massacrer. Il nous reste peu de temps avant que ma création ne soit réduite en pièce nous allons devoir prendre une décision et agir au plus vite ... De plus, je commence à faiblir, j'ai conscience que je ne pourrais pas continuer d'utiliser ma Vérité comme ça à tout bout de champ.

Je décide de tenter la seule issue qui me semble envisageable. Mettant la cape sur moi je disparais aux yeux de Meny puis m'approche d'elle. Je lui chuchote alors, de la voix la plus basse possible, essayant de m'assurer qu'elle m'entend cependant : « Je suis juste à côté de vous, je vais vous mettre la cape. » Alors, joignant le geste à la parole, je soulève brièvement la cape pour la recouvrir elle aussi. Maintenant, il nous reste "juste" à trouver un moyen de sortir de cette cellule ... puis de la prison, mais nous verrons ça en temps utile.

Je me tourne vers Meny pour lui adresser un sourire radieux - que j'espère rassurant par la même occasion - avant de lui murmurer : « J'ai un plan. » Enfin, une ébauche de plan, mais ça, elle n'est pas obligé de le savoir. « Approchons nous du lion de glace. Lorsque nous serons prêtes, je le ferai disparaître et nous profiterons de la surprise des gardes pour nous évader ! » Mon sourire s'élargit encore. « Il s'agit seulement de ne pas se faire embrocher. »

Maintenant que nous avons la théorie, manque seulement de passer à la pratique. J'attrape la main de Meny, fais un compte à rebours rapide et, après avoir congédié ma créature, je tire derrière moi la jeune héléo, évite de juste une lame qui était destinée au lion de glace et sort de la cellule sous le regard ébahi des gardes.