Voilà maintenant une dizaine de jours que j'avais quitté Rainhöld.
Je me souvenait encore de l'enfer que nous a fait subir ce fichu labyrinthe, puis la piètre récompense que nous en tirèrent. Après être sortis du labyrinthe et nous être un peu reposés, nous somme foncés nous plaindre à ce fichu tavernier, qui éclatait de rire devant notre récit. Ah, la charogne ! Mais il avait vite compris que la plaisanterie était de mauvais coup après un joli chaperon d'insulte. Et puis, ce fut très vite à nous de rire… Car notre cher ami avait un Rain presque déshydraté sous les bras, et qui ne demandais qu'à boire, boire, et boire encore… Je n'avais jamais vu une descente aussi rapide ; profitant de la boisson illimitée promise, il descendait chope après chope, avec un levé de coude bien rythmé ! Au final, je bus aussi, nous rîmes pas mal, et toutes les épreuves qu'on avait subis au labyrinthe d'Ekha était déjà inondées par l'alcool.
Le lendemain, il fût temps de nous dire au revoir, car j'avais pour ma part un grand marché à Helpo que je ne pouvais permettre de rater. Je parlais donc une dernière fois à Rain, qui me tendait la pièce. Honneur aux Dames, paraissait-il… Je lui refusait plusieurs fois, mais il insistait et je finis par la garder, remerciant sincèrement Rain de ce don.
Je relevais la tête et sortais de l'ombre. Je devais arrêter de rêvasser, ce n'est pas ça qui allais attirer la clientèle ! Je m'essuyais mon visage, un peu humide à cause de la chaleur ambiante, et me levais pour quitter l'ombre. Le soleil tapait en plein sur la place d'Helpo, inondant les ruelles de sa lumière. Les murs blancs de la ville étaient parsemés de tâches de couleur vive, les toits de stands, des banderoles, les vêtements multicolores des habitants… Même mon ensemble pourtant vif faisait pâle figure à côté de leurs soies multicolores. Alors il me fallait monter sur une des rambardes pour mieux me faire voir, et je commençait à m’époumoner malgré ma gorge assez sèche. Cela fonctionnait, et des potentiels clients levaient déjà la tête vers moi.
Alors que je criais ainsi mes phrases toutes-faites de bonne marchande, une scène derrière la foule attirait mon attention. Un homme gras, d'apparence franchement aisée, tirait sur la manche d'une adolescente en haillons, plutôt jolie malgré sa maigreur apparente. La jeune femme semblait essayer de s'écarter, mais le vieux bougre insistait, allant même, à un moment, jusqu'à poser sa main sur la poitrine de la pauvre demoiselle. Je fronçais alors les sourcils, et retint un sourire lorsque la main de la jeune fille vint s'éclater sur la joue de ce pervers. J'avais, depuis ma fugue, en horreur tous les hommes qui tentaient ainsi de profiter ainsi de jeunes femmes sans défense. Je continuais de crier sans quitter la scène du regard. L'homme tournait un visage furieux vers la demoiselle, des traces rouges de griffures sur son visage. Joli coup, simple, efficace, je respectais.
Alors, le bougre se retournait vers l'adolescente et la giflais de toute ses forces, ce qui la fit tomber à terre. Heureusement, un garde s'apprêtait à intervenir. Il posait la main sur l'épaule du jeune homme, sourcils froncés, et commençait à rendre la justice. J'allais quitter la scène du regard, quand un acte inimaginable réattira mon attention. Le vieux pervers prit quelques pièces dans sa poche, et les glissait dans la main du garde, qui se calmait d'un coup, et s'apprêtait à repartir. Alors que le noble se retournait vers l'adolescente, je descendais immédiatement de mon perchoir. Certains clients me regardèrent étrangement en me voyant partir, surpris alors qu'il voulait acheter mes produits, mais qu'importe. Je fonçais vers le noble qui tirait à présent la jeune fille par le bras, voulant sans doute l'amener je ne sais-où.
« On peut savoir ce que vous êtes en train de faire ? »
L'homme se retourna vers moi, sourcils froncés, appréciant sans doute peu d'être à nouveau dérangé. De plus, quelques personnes intriguées s'étaient tournées vers nous, certaines se rapprochant même un peu pour ne rien manquer de la scène. C'est fou comme une simple dispute peut attirer du monde. Mais tant mieux, je pourrais sans doute le tourner à mon avantage.
« Je donne une correction à une sale gamine qui vole déjà à son âge, un problème avec ceci, Mademoiselle ? Encourageriez-vous ce genre de crime ? »
J'hallucinais. Serait-il en train de camoufler ce qu'il a fait en faisant croire que c'était l'adolescente, la fautive ? Quelle personne abjecte.
« Cela fait maintenant un instant que je vous observe. Et il ne me semble pas, Monsieur, que cette jeune demoiselle ait fait quoi que ce soit. Au contraire de vous, d'ailleurs... » répondis-je d'un ton sec. « En effet, je ne pense pas, pour punir une voleuse, qu'il soit nécessaire de lui toucher la gorge »
Le noble serra légèrement les poings, mais d'apparence fit son possible pour prendre un air surpris et sembler aimable. Certaines dames chuchotaient derrière moi, et on sentait bien qu'elle ne savaient pas vraiment que penser… Un autre garde, plus haut placé, s’avançait déjà en fronçant les sourcils, prêt à intervenir en ma faveur.
Alors, quelque chose d'inimaginable se produisit. La garde de tout à l'heure s'avançait, et vint s'intercaler l'officier, le noble et moi-même.
« Mademoiselle, je crains que vous ne vous fourvoyiez… » il ajoutait ensuite, se tournant vers son chef « J'ai assisté à la scène, Monsieur, et cette gamine est bien coupable. »
J'hallucinais devant ce manque d'honneur. Le garde n'étais là que depuis peu (juste le temps de recevoir un beau pot-de-vin, d'ailleurs), et voila qu'il défendait le coupable !
« Je ne crois pas, Monsieur. Je vous observais depuis là-haut, et je peux vous assurer... »
« Allons allons, » me coupa le noble « Nous voyons bien, Mademoiselle, le genre de personne que vous êtes. Il n'y a pas à dire, les marchands de nos jours sont vraiment prêts à n'importe quelles bêtises pour attirer l'attention… Jusqu'à s'en prendre à un honnête homme, quelle honte... »
Comment ? Le fourbe se tournais vers la foule alentours d'un air navré pour appuyer ses propos. Et voila que les Dames de toute à l'heure l'approuvèrent d'un air désolé, et l'homme continuait.
« Voilà maintenant des heures que vous blessez nos pauvres oreilles à brailler. Et, comme la journée n'a pas dû être fameuse, voila que vous employez d'aussi lâches techniques. Vous devez vraiment être désespérée pour faire une chose pareille ! »
« Comment osez-vous ?! D'abord, vous agressez une pauvre innocente, ensuite vous versez des pots-de-vins pour assurer vos arrières… Et maintenant voila que vous démentez en m'accusant ?? »
« Allons allons, calmez vous Mademoiselle ! » dis le marchand dans un rire gras « Si vous ne faites pas cela uniquement pour attirer du monde, je vous en prie, montrez-nous vos bénéfices de la journée. »
Morbleu. Le bougre devait avoir remarqué qu'aujourd'hui, peu de personnes semblait désireuses d'acheter. En effet, je n'avais pas eu beaucoup de clients, comme la plupart des marchands, d'ailleurs. Et l'infâme allait profiter de cette piètre journée pour appuyer ses propos ? Non, il en était hors-de-question.
« Allons Mademoiselle, si vous n'avez rien de mieux à faire, laissez-moi donc régler mes comptes avec cette misérable voleuse. »
Je jetais un coup d’œil à l'adolescente, que l'homme tenait toujours par le bras. Elle semblait paniquée, les larmes aux yeux, et n'osait pas ouvrir la bouche. Sans doute avait-elle honte de se défendre, de dire à tout le monde que ce riche noble voulait profiter d'elle ? Non, bien sûr, c'était inconcevable. On croirait immédiatement l'homme, sans tenir compte des propos d'une bête gamine. Je rageais, et portait ma main à la bourse à ma ceinture.
« Et bien, Monsieur, venez constater par vous-même que je n'ai pas besoin de ce genre de palabre pour faire tourner mes affaires. Ensuite, peut-être pourrons-nous discuter plus franchement de vos actes »
Ça allait bien se passer. Il me restait quelques sous de la veille, pas une fortune, certes, mais au moins de quoi faire valoir mes propos. J'ouvrais ma bourse, y prit les pièces, et les tendait, mais ouverte, à l'homme.
Tout-à-coup, une des pièces de mon pactole, déjà chaude pourtant, se mit à se réchauffer. J'y jetais un coup d’œil, et mon regard se porta sur la pièce du labyrinthe, dont commençait à émaner une étrange lumière. Le noble me jeta un regard stupéfait, auquel je ne puis répondre. Que se passait-il ?