La peur était réelle. Elle l'était toujours. Mais c'était la fin. Il ne regrettait rien, car il serrait en son poing l'or dont il avait toujours rêvé. Ce n'était pas son premier souvenir avec lui, mais il restait persuadé que ce serait son dernier. Ce fut, en revanche, la première fois que sa Vérité tua. Il avait sentit sous ses doigts tremblants , ceux qui ne tenaient pas le métal convoité, la peau de l'homme qui avait manqué lui trancher la tête en deux se refroidir. Un instant de panique plus tard, il fut bloqué sous son corps mort et rigide. Il se tortilla tant et plus jusqu'à se dérober à cette étreinte bien trop froide, alors que la pièce se réchauffait sur sa peau. Elle était sienne, désormais. Il sourit malgré le sang qui dévalait les angles rudes de son visage. Il pourrait encore nourrir sa mère et sa soeur. Alors il courut. Discrètement il courut. Rentra chez lui après avoir rapidement effacé les traces. Mais le sang ne cessait de couler. Il fut contraint de montrer la blessure à sa mère, cette femme admirable qu'il aimait de toute son âme et qui les avait élevés dans la pauvreté la plus totale, tentant par tous les moyens de remplir les ventres creux de ses enfants. C'était pour elle qu'il avait volé la première fois. Et chaque jour il se sentait un peu plus coupable de continuer par amour de l'or plus que par amour pour elle.

Ce fut la raison pour laquelle il lui cacha la pièce. Elle n'avait nul besoin de savoir. La première fois qu'il avait découvert le pouvoir de ce métal jaune et brillant, elle avait été là. Et elle avait compris. Un instant seulement, elle avait compris. Elle s'était même réjouie, lorsque les premiers beaux morceaux de viande étaient arrivés sur la table, pour elle et ses enfants. Enfin, son sohait se réalisait. Mais toujours au fond de son regard qui ne partageait pas la fièvre de celui de Noruth, siégeait la peur. Car tous les jours, alors qu'il partait en quête de cet or chéri, il lui échappait. Elle craignait pour lui, mais pour leur survie également. Peut-être même plus que tout. Aussi, lorsque le temps qu'il passait chez elle s'amenuisa, devenant peau de chagrin, toujours à la recherche de ce maudit métal, elle craignit plus encore pour elle-même et sa fille. Sentant sa fin venir, elle vendit la petite et, patiemment, maudissant l'or qu'il aimait temps, quitta le monde sans un cri.

La maison était vide. L'endroit délabré qui avait accueilli ses rires et ses pleurs d'enfant, l'endroit où il avait chéri cette femme formidable et la soeur qui était le magma de sa vie. Plus rien. Il n'en restait plus rien. Il avait tout perdu en pensant tout gagner. L'or dissimulé sur lui n'avait plus aucune valeur. Pour un court instant, au moins. Jusqu'à ce que la réalité le frappe de plein fouet, alors qu'il pleurait la disparition de l'une et la déperdition de l'autre. Puis la réalité se chargea de lui rappeler sa place. De rafraîchir sa mémoire. Sans or, il n'était rien. Non pas qu'il souhaitât exister autrement. Mais si c'était être voleur qui les avait arraché à lui, alors il serait le meilleur des voleurs et, certainement, un jour, il pourrait sauver sa soeur. Douce illusion certainement, mais qui avait le mérite de justifier éhontément sa soif dorée.

Les années passant, il accumula avec minutie de nombreuses caches, contenant de petites quantités d'or. Jamais trop au même endroit. Ne jamais s'y rendre par le même chemin. L'idée de sauver sa soeur ne l'avait jamais quitté. Elle restait le fil blanc qui reliait ses pensées. Le seul qui survivait lorsqu'il était question d'or. Le seul amant qui avait de l'importance, entre deux ou trois autres, tous sublimes, tous délétères. Tous traîtres. Mâle, femelle, peu importait. Il s'attachait à tous de la même sorte, séduits qu'ils étaient par son corps souple et sa passion. Mais ils se lassaient vite. Maintes fois il avait échappé à la torture, à la mort. De très peu, souvent, dans la quête de son or. Et toujours son coeur saignait, mais un bandage doré le recouvrait, et il poursuivait, profondément mélancolique, mais aussi trop attaché à la vie pour faire autre chose, se gardant bien d'approcher de trop près les hautes sphères, même s'il savait pouvoir trouver là-bas de grandes quantités d'or. En amour aussi, "un tien vaut mieux que deux tu l'auras" pouvait valoir...