Lac des Ombres, Laosa Maliér, 2550
Je naviguais depuis des heures, peut-être depuis des jours ou des semaines, peu importe. Le fil du temps sur lequel je marchais depuis le début de mon existence n’avait plus aucune importance. Pour tout vous dire, si un Parlèms avait croisé ma route, il n’aurait rien tiré de sa Vérité sur moi. Juste le désespoir qui lui aurait coûté sa vie, je suppose. Je voyageais seul, comme toujours. Ma douleur, elle restait intacte, elle m’avait trouvé et n’avait aucune envie de me laisser tranquille, elle me rappela le choc qui m’avait conduit en ces terres humaines, me renvoyant à mes souvenirs les plus douloureux à chaque instant où elle le pouvait. J’errais. Je ne savais plus où aller, le seul chemin qui m’inspirait était le sud. Sur une route de marchand, un de ces souvenirs resta figeait dans ma tête, il y avait trop de gens et j’étais incapable de le chasser de ma tête. Il me fit ressentir des douleurs dans la poitrine jusqu’à en suffoquer. Je regardais le ciel et ne put me retenir :
« J’ai été naïf de croire en vous ! Vous, stupides dieux ! Vous n’avez eu de cesse de me tourmenter, à quoi bon croire en vous, déchets ? Je n’ai eu de cesse de vous prier, et vous n’avez eu de cesse de me fuir ! Pourquoi ? Qu’ai-je fait de si horrible pour mériter votre ignorance ? Je me vengerais de vous, de vos dévots, je vous le jure ! »
Mais comme toujours, ce ne fut que le calme et l’ignorance que je reçus comme réponse. Même les passants n’avaient pas prêté attention à moi, personne ne l’avait fait. Étais-je réel ? Étais-je si invisible aux yeux des gens ? Je continuais ma route, abasourdi par ce monde las et sans équivoque.
À mesure que mon voyage au sud se déroulait, je croisai la route de mercenaires et d’aventuriers parlant d’une « confrérie » au sud, protégeant ardemment ses terres. Ces mercenaires n’avaient pas l’air forts, la plupart étaient des gringalets, d’autres étaient complètement défigurés par des combats, où peut-être était-ce de naissance qu’ils l’étaient ? Cette pensée me fit sourire. D’autres encore avaient des membres déboités. Quelles bandes de couards, de fuir le combat comme cela ! Mais au fil des semaines, plus je m’enfonçais, moins la notion de survie semblait connue des divers corps froids que je croisais et plus je commençais à me demander si au final, ils n’avaient pas raison, ces couards...
À l’arrivée de ce qui semble être la frontière, les tours étaient omniprésentes sur les chemins, nul doute que ces personnes n’aimaient guère les étrangers. Étaient-ils si horribles que cela ? Je n’avais qu’à le voir de mes yeux, je n’avais pas d’autres choses à faire au final. Je décidais de contourner ces étranges constructions en faisant un détour par la mer. Un corps d’héléos passe facilement inaperçu, surtout dans l’eau, c’était si magique de passer inaperçu. Je pris le réflexe de cacher la moindre trace de pas et mon odeur comme je le pouvais une fois arrivé à l’intérieur ces terres inconnues.
De temps à autre, des patrouilles étaient plus fréquentes à mesure que j’avançais vers l'Est . Étais-je repéré ? Non, ils m’auraient déjà tué si c’était le cas. J’essayais d’éviter les lieux qu’ils mentionnaient lorsque je les écoutais, persuadé que je finirais par atteindre un endroit où j’aurais un peu plus de tranquillité et où ils ne seraient pas présents. Peut-être dans villes reculées ? Je n’en avais croisé encore aucune, de près comme de loin. Peut-être avais-je juste suivi les mauvais chemins, c’est vrai que je n’arrivais pas bien à voir dans ce milieu, mais lorsque j’aperçus un grand lac au loin, j’étais rassuré, je pourrais bientôt reprendre des forces. La soif et la faim tiraillaient mon corps, marcher devenait de plus en plus difficile et pénible à chaque instant.
À travers mes escapades sur « ces terres inexplorées », j’avais toujours pu remarquer des animaux près des sources d’eaux. Sauf qu’ici, le terme d’animaux n’était pas correct. Ce qui peuplait ces terres était tout sauf des animaux. Oubliez les animaux de fermier ou des citadins. Oubliez ce que la nature a laissé aux autres confréries plus communes. Ici la Nature montre son vrai visage, celui d’un être démoniaque, indomptable. Magnifique en somme.
J’étais sûr de voir des ombres bougeait à travers les feuillages. De temps à autre, des ombres lointaines m’observait guettant au loin le chemin que je prenais, mais plus je m’enfonçais dans les terres moins elles devenaient présentes. Je sentais une présence autour de moi, quelque chose rôdait autour de moi, quelque chose qui apporté la mort sur son passage, était-ce une personne ? Plusieurs ? Cela semblait hostile, mais à la fois, c’était apaisant. Comme si cela m’invitait à faire pareil, à me délecter de la vie d’autrui pour mon plaisir. Je regardais autour de moi, me cachant dans des angles morts. Je patientais, des heures durant en attendant de voir un feuillage bougé, je pourrais aussitôt embrocher l’intrus avec ma lance. Elle pourrait à nouveau goûter le sang d’autrui, je suis sûr qu’elle en veut. Mais rien, rien ne se passa. C’était le calme total. Comme ça avait toujours été le cas, mon esprit me jouait-il des tours ?
Cela faisait une semaine que je n’avais quasiment pas dormi, et je sentais mes forces quitter mon corps petit à petit. À l’orée mon approche près de ce lac, alors que j’allais m’y rassasier, je sentis quelqu’un avancer dans ma position. Cette même présence, je l’avais déjà sentie plus tôt. Elle me suivait. Elle ne se cachait pas dans des fougères comme un vulgaire individu. Là était mon erreur d’avoir cru que c’était quelque chose de faible. Elle arpentait le chemin normal, cette terre était son terrain de chasse et j’étais la proie. Sa proie.
Je préparais ma lance et matérialisa ma Verité avec deux tentacules, je les fis plus longues que ce que j’avais l’habitude de faire, mais c’était le prix à payer pour une hypothétique survie. J’étais faible, affamé et la déshydrations n’était peut-être pas loin, je n’avais pas encore pu m’hydrater auprès du lac. J’avais touché au but, j’avais trouvé une source d’eau, mais cette présence était là. Elle s’approchait petit à petit de moi, la nature semblait fuir à son passage. Même les plus féroces animaux des environs fuyaient à son arrivée. Je regardais les alentours, rien ne semblait me permettre une fuite facile, sauf peut-être ce lac.
Mais, ça ne semblait pas une bonne idée, peut-être que sous ma forme d’héléos je pourrais facilement fuir dans l’eau et rejoindre la mer. Mais ce lac ne me semblait pas si calme et inoffensif que cela, il était bien trop sombre. Je n’avais là aucune échappatoire. Était-ce là, le destin que les dieux m’avaient donné pour les avoir insultés ?
C’est là que j’aperçus, celle qui me suivait depuis le début. Elle se montra à moi par le chemin normal, elle marchait d’un pas calme et serein, dans une grâce que je n’avais jamais pu voir de mes yeux. C’était là que je réalisais de ma situation. Elle était devant moi, vêtue d’une robe d’une qualité exquise d’un violet rare, elle possédait ce regard froid, celui qui n’hésitait pas à montrer sa cruauté aux yeux de tous. Un regard d’une profondeur sans fond, un regard à la hauteur de ses désirs macabre.
Je la regardais droit dans les yeux, ce moment restera gravé dans ma mémoire pour toujours, l’espace d’un instant tout semblait figé, nos pupilles étaient fixes. Nous nous regardions droit dans les yeux, comme si le monde autour de nous n’existait pas, à cet instant plus rien ne semblait me venir à l’esprit. Sa pressante. Son aura. De tout ce que ces fichus dieux avaient mis sur mon chemin, je n’aurais jamais cru qu’un tel obstacle puisse exister. Je n’aurais jamais pu gagner face à elle, mais j’étais un Héléos. J’avais ma fierté, et je n’avais rien à perdre, même si mon corps lâché par manque de force, je ne voulais pas baisser le regard face à elle, je me battrais jusqu’à la fin, aussi ridicule soi le combat.
Cette présence rôdant que j’avais sentie, cette odeur de mort, cette sensation qui m’avait incité à prendre plaisir à me délecter de la vie d’autrui. Était-ce elle ? Elle était sublime, comme une rose qui possède des épines, je ne pouvais dévier mon regard d’elle. Je réalisais que les Dieux avaient mis sur mon chemin, l’être le plus parfait que le monde avait pu créer. Je me souviendrais toujours de ce regard froid qui me pénétrait. Si plus d’un homme a dû se sentir effrayé et vidé de toute vie en la voyant, je la trouvais reposante, avenante à la rejoindre, à suivre sa route. Pourquoi n’avais-je pas peur ? Je devrais être terrifié normalement...
Peut-être les dieux avaient-ils testé ma bravoure tout au long de mon voyage sur ces terres inhospitalières, car elle était ma destination. Elle était d’une grâce sans précédent. Je me suis mis à penser :
« Si j’avais été chevalier, ça aurait été la princesse pour qui j’aurais voué ma vie,
Si j’avais été croyant, je l’aurais considéré comme la déesse originelle,
Si j’étais prêtre, j’aurais voué ma vie à elle. »
Oui, j’en suis sûr : de par sa grâce cette déesse commande même les dieux, ça ne fait aucun doute. Elle semblait être parfaite. Alors qu’elle s’approchait de moi, je ne bougeais pas. Mon corps ne voulait pas fuir, ni mon esprit. Je restais figé sur place à la regarder. Je ne pouvais pas fuir, qu’étais-je en train de faire ?
Je ne pouvais plus supporter le poids de mon corps ni cette situation. Mes muscles étaient à bout de force, et mes jambes peinaient à soulever mon corps en entier. Tandis qu’en face, son regard restait le même, il n’y avait aucune haine à l’intérieur de ses yeux quand elle me regardait. Je ne le remarquerais que maintenant. Son regard n’avait pas changé, mais il semblait si familier en l’espace de quelques instants.
Mon corps commença à s’effondrer, et c’est à ce moment-là qu’elle s’élança. Elle était rapide, ça ne faisait aucun doute qu’elle me surpassait. Je craignais qu’elle me tue, qu’elle me plante un coup d’épée, qu’elle m’empoissonne, qu’elle me torture. Était-ce la fin ? je sentis quelque chose toucher mon corps.
Ce n’était ni métallique ni dangereux. C’était elle, elle n’avait sorti aucune arme, elle venait de me rattraper. Mes yeux s’illuminaient, j’étais surpris de cela, était-ce pour me tuer plus facilement ? Je sentais ses bras autour de mon corps, à mesure que je tombais, je sentais ses mains qui me tenaient. Je ne la lâchais pas du regard alors que mon corps perdait ses forces, elle ne semblait pas vouloir me tuer, il n’y avait aucune haine sans ses yeux. Ce regard froid qu’elle avait, il était si reposant.
— « Pourquoi ? Pourquoi ? » Murmurais-je.