J'étais encore assis, et j'avais toujours cette migraine. En réfléchissant quelques instants, je me rendis compte de la dernière fois que j'ai eu cette crise. Depuis le temps où j'ai vu ma mère dans mes souvenirs, je me rappelai de ce qui s'était passé à l'Académie. Cette migraine était le signe d'un souvenir qui était verrouillé. Cependant, lorsque Clara me demanda ce que je voulais faire des morceaux de bois, je me mis à rire.

"T'es une marrante toi. Si j'arrive à en tailler un sous la forme d'un hameçon et que ça ne me prend pas la journée pour le faire, je t'offrirai les résultats de la pêche... En espérant qu'elle sera bonne."

Tout de suite après, elle me jeta un morceau de bois, mais il était trop gros pour en tirer quelque chose... Lorsque je le pris cependant, une crise de migraine me prit, et je me retins de faire du bruit et crier de douleur. A cet instant, je vis mon père parler... Au Général ?? Une mission confiée par le Général en personne? Ce souvenir se grava dans ma tête, et je repris mes esprits. Bien que ce souvenir durait une éternité, quelques secondes se passèrent. Je n'avais pas compris ce souvenir, mais à mon avis Clara y est impliquée d'une façon ou d'une autre, j'en suis sûr!

D'ailleurs, lorsqu'elle me posa toutes ces questions, je n'avais qu'une envie, c'était les lui poser. Mais je me retins, étant donné que je n'avais pas besoin de le faire. Finalement, j'ai voulu rester honnête avec elle, qui sait, peut-être qu'elle pourra être un compagnon de voyage un jour.

"En fait, je suis un peu comme un loup solitaire. Je voyage assez souvent, et ces derniers temps, disons que je suis revenu pour me recueillir sur l'endroit où mon père a vécu. Quand j'étais encore un gosse, il m'avait appris l'art de la pêche, et du coup je voulais le faire au moins une fois depuis son décès. Ca me ferait vraiment plaisir si tu pouvais m'aider."

Après une légère pause, je repris: "Mis à part ma fronde, j'ai mon arc et mes poings. J'ai pas besoin d'épée pour me battre, comme les autres Arvelès. Et oui, j'étais originaire de Férésis. Mais ça n'a pas duré longtemps, crois moi."

D'ailleurs, maintenant que je me souviens du visage du Général, bien que je ne l'avais jamais vu sauf en peinture à l'Académie, je me demandais si Clara n'était pas tout simplement un membre de sa famille. Si c'était le cas, je me devais d'être bienveillant envers elle. Je suis sûr que tout le monde s'inquiéterait et voudrait la faire revenir chez elle, mais si elle est là, je pense que c'est pour les esquiver. J'espère qu'on passera un bon moment, ça serait vraiment une bonne chose pour nous deux!

" J'ai pas besoin d'une botte trouée ou de poissons. "

Lorsqu'elle lui jette un nouveau regard, elle découvre qu'il doit vraiment avoir bu malgré tout, vu sa mine. Il rit trop. Si l'on cumule cela à ses demandes vraiment trop bizarres, ses bêtises avec sa fronde, l'ivresse parait être l'explication la plus probable. A moins qu'il ne soit juste réellement fou, comme elle le pensait juste avant. Après tout, il ne pue pas l'alcool et parait réussir à tenir son dos droit. Peu désireuse cependant d'obtenir une réponse à cette question essentielle, elle se concentre à nouveau rapidement sur sa recherche.

Son appât en bois risque de flotter sans rentrer dans l'eau, du moins d'après elle et ne va sans doute saisir que du vent. Mais quelle importance ? Autant aller dans son sens, pour se faire oublier. Et puis peut-être peut-il lui offrir plus que des cours de fronde : l'homme a sans doute fait l’académie si il est Arvèles. Elle tente de ne pas songer au fait que plus le temps passe, plus il risque de la reconnaitre si il a bien fait l'armée à la capitale.

La demoiselle continue sa fouille tandis qu'il lui parle encore de lui. Petit chiot mal dressé, Clara lui envoie un second morceau de bois sans vérifier une fois encore qu'il peut servir. Mais d'un autre coté, elle n'est pas franchement experte en pêche.
La fin de ses dires confirme une partie de ses inquiétudes et espoirs : il est bien de leur peuple.

" Donc au corps-à-corps t'as que tes poings ? Et tu gagnes souvent ? "

Trop jeune sans doute, trop naïve, Clara se détend au fur et à mesure de sa fouille suite aux dires de Mada. Comme si le fait qu'il soit bien un guerrier de leur peuple suffisait à faire oublier son coups de folie d'auparavant. A moins que ce ne soit parce qu'il vient d'avouer que les épées et lui ne sont pas franchement amis. Ses coups d’œil se font bien moins fréquents, sa main s'approche bien moins souvent de sa dague.

Un instant seul le bruit de feuillages que l'on bouge s'entend encore. La jeune fille cherche le futur trésor de l'homme d'une manière qui la représente : désordonnée. Elle soulève des feuilles, puis d'autres, repasse aux premières. Sans doute a-t-elle déjà cherché dix fois dans le même coin, mais au moins peut-on être sûrs à présent qu'il n'y a pas de futur hameçon trônant là.

" Tu t'es déjà battu contre plein de monde ? "

La question enfantine traverse finalement ses lèvres malgré elle à un moment ou un autre. Un jour, sa foutue curiosité la perdra, elle le sait, même si ce ne sera peut-être pas dans cinq minutes. Il fait trop beau, trop bon, pour se battre aux alentours du lac sans peur. Même s'entrainer lui semble de moins en moins important au fur et à mesure que le temps s'écoule.

Alors qu'elle me distribuait des bouts de bois, j'en trouvai un qui pouvait être taillé assez facilement pour servir de hameçon. Je la laissai continuer de chercher, ne sait-on jamais, si celui-ci casse...

Après qu'elle m'ait refusé les produits de pêche, je me mis à sourire. Elle m'fait bien rire cette Clara. Si c'est bien la fille du Général, j'serais curieux de savoir quelle était la relation qu'entretenait Seth avec lui. Ceci dit, je me mis à tailler le bout de bois en question, en prenant une profonde inspiration pour profiter de l'air frais ici. C'est vrai que c'est le temps idéal pour aller pêcher!

Pendant que je taillai le bout de bois, la jeune fille me posa plusieurs questions. J'étais concentré à tailler le bois, puis je marquai une pause avant de lui répondre:

"Au corps à corps, je n'utilise que mes poings, mes jambes ou ma fronde de la façon que je t'ai montrée. J'ai découvert la puissance de mes poings il y a un certain temps, et c'est l'un des seuls héritages que mon père m'a légué avant sa mort. Ceci dit, depuis que je m'en sers, j'arrive à cogner pas mal de monde et à les surprendre. La plupart du temps, ils se demandent pourquoi je n'ai pas d'épée, ou d'arme au corps à corps, et je les surprends avec mes poings."

Je marquai une pause pour jeter un coup d'oeil à Clara, puis repris:

"Par contre, les combats en 5 contre 1, ça m'est rarement arrivé. Mais j'arrive à me débrouiller pour leur faire manger la poussière ceci dit. Et la 1re fois que j'utilisai mes poings en combat, j'étais en 1 contre 2. C'était un combat vraiment drôle, étant donné que je venais de tester cet héritage."

En effet, rien que d'y penser je me mis à rire. Sacrés Zack & Marissa, j'espère les recroiser un jour!
En attendant, je finissais de tailler l'hameçon et m'installai à côté du lac pour terminer les préparatifs de la pêche. Je pense en profiter pour apprendre à Clara l'art de la fronde, ça risque d'être aussi drôle que ce fameux combat!

" Mais alors, tu dois te faire blesser souvent, non ? Je veux dire par rapport à quelqu'un qui possède une bonne épée par exemple et qui sait comment tu combats. "

Elle arrête sa fouille, parait réfléchir à toute vitesse en rajoutant :

" Je veux bien que t'aies alors une plus grande vitesse, vu qu'tu portes rien, mais ta portée est moindre, si j'me trompe pas. "

A l'époque, la jeune fille se plonge bien trop souvent dans le carnet de soldat qu'elle a emprunté pour une durée indéterminée, dans les cours qui se déroulent sous ses fenêtres qu'elle tente de suivre discrètement, de loin. Son penchant pour la théorie est loin d'être épuisé : elle croit pouvoir apprendre seule tout et plus encore si elle sait manier ces termes qu'utilisent les soldats. Même si elle ne les comprend pas vraiment : ses seuls vrais combats ont été faits contre des bouts de bois et on ne peut pas dire qu'ils soient réellement réactifs ou armés. Comment alors percevoir les lois divulguées par ses ainés ou leurs exceptions ? C'est impossible et surtout explique pourquoi elle oublie de parler de maniabilité ou de circonstances de corps-à-corps par exemple. En gros pourquoi elle dit n'importe quoi.

" Si ? "

S'attendant sans doute à ce qu'il dise non et vante son art, elle hausse les épaules. La gosse se redresse après un énième coup d’œil à son interlocuteur. Si elle ne voit que son dos, les petites particules de poussière qui se dégagent des gestes de ses mains et le bruit de frottement qu'il produit trahissent son activité et Clara décide alors qu'elle n'a plus besoin de chercher.
Ne sachant plus que faire, elle glisse ses mains dans ses poches, hésite un peu, puis finit par s'assoir à quelques pas de Mada. Instinctivement, la demoiselle s'est placée assez loin pour qu'il ne puisse pas la toucher à bout de bras, mais assez proche pour réagir si il fait un nouveau truc encore vraiment trop bizarre.

Elle le mire finir de tailler l'hameçon, curieuse de savoir si il sait faire des figurines dans le bois comme certains artisans en ville. Le regard fixé sur la lame, un bref moment, elle se demande aussi si elle pourrait l'apprendre, ça de même, mais oublie l'idée bien vite : ça a l'air chiant et long à faire. Alors, n'y tenant plus, elle interroge l'homme qui lui semble fou simplement :

" Tu comptes pêcher longtemps ? "

La patience n'est visiblement pas son fort du tout...