Eïleen se promenait dans la ville en pleine après midi. Le temps était maussade, la pluie fine et permanente venait humidifier son visage pâle. Les nuages cachaient les rayons de soleil qui tentaient de les transpercer.
Elle s'en fichait, le temps n'avait aucun effet sur elle. Au contraire, vêtue de sa cape d'un sombre noir, elle laissait la capuche tomber le long de son dos, afin de profiter de ce temps frai, un sourire aux lèvres. Elle avait pensé à prendre sa besace ce matin, en quittant son auberge, cependant, très pressée, elle n'avait pas trouvé ses armes au pied de son lit. Elle avait passé la journée à ronchonner, persuadée de les avoir oubliés à la Taverne la veille. Cette attitude n'était vraiment pas digne d'elle, mais bien d'une personne très très alcoolisée...

Elle s'aventurait à travers les ruelles, plus petites et étroites les unes des autres . Elle aimait marcher en contemplant l'architecture des lieux, datant d'une époque où les Liares semblaient heureux, sereins, unis, aimant et aimés.
Elle ne se baladait juste pour le plaisir de sentir ses cheveux humides, une douche aurait suffit pour ça … Non, à vrai dire, Eïleen étudiait le mystère qui pesait sur les têtes de ce village. Déjà 3 jeunes avaient été enlevés, égorgés puis abandonnés au bord d'un chemin cette dernière semaine. Tous avaient à peine la majorité, tous avaient son âge.... Mais eux, semblaient venir de famille financièrement confortable. Elle savait que l'assassin allait frapper aujourd'hui, ici, non loin de là... Son odeur... La présence d'une âme noire en quête de la mort se rapprochait d'elle pas à pas.

Une des demeures attira son regard. La façade semblait tomber en ruine, de nombreuses fissures témoignaient de la douleur et de la souffrance de ces lieux. Elle s'approcha à pas lent, et posa sa main sur la porte qui contrastait avec le paysage. Elle était grande, d''un marron qui tirait au bistre, entièrement lisse et sécurisée. Seul un heurtoir, représentant certainement les armoiries de la famille, trônait au centre de cette imposant porte. Elle pensait au foyer de son père, de cette simplicité décorée de richesse....
Soudain, elle fut arrachée à ce bon vieux souvenir par deux cris sourds, dont celui d'une femme, d'une mère. Il a frappé... Est-il trop tard ? La porte était impossible d'accès par l’extérieur, hormis avec un clé. Elle leva les yeux, et aperçut une fenêtre entre-ouverte à l'étage du dessus. Ses doigts se crispèrent, et son regard se fit de braise. Elle n'avait pas fait ça depuis longtemps, s'introduire chez autrui sans son accord... Elle glissa sa main gauche dans l'une des fissures ainsi que sa main droite, un peu plus haut, puis grimpa avec vivacité et aisance la façade jusqu'à entrer dans la demeure. Elle rejoignait rapidement le rez-de-chaussée, où une mère, assise à même le sol, haletante et emplie de chagrin, s'était cramponnée à son fils allongé lui aussi, blessé à la tête , visiblement choqué. Un homme était debout, armé d'une dague dont la lame portait le sang de l'agresseur, essoufflé et transpirant.

L'Homme debout se retourna en entendant arriver l'Alchimiste. Il se mit sur ses gardes et leva son arme au dessus de sa tête, lame contre Eïleen.
«Qui êtes vous ? Je viens de blesser un homme, je n'aurais aucun scrupule à vous ôter la vie, si votre ambition est de nous nuire». Tout en finissant sa phrase, il se mit à charger sur la jeune femme en poussant un cri de colère. La mère qui était au sol se mit à hurler, une seconde fois.
Excédée, Eïleen immobilisa précisément la charge de son interlocuteur d'un coup de pied au ventre, en hurlant quelques mots qui ressemblaient à « C'est quoi ton problème à toi ? ». Ce choc imposa un silence dans la pièce. Elle l'attrapa au col et se mit à le traîner jusqu'à sa femme. Elle se retourna alors, puis alla s'asseoir confortablement dans le fauteuil , centré au milieu de la pièce. Elle se racla la gorge, et posa sur les hôtes un regard obscure, agacé.
«Veuillez m'excusez pour cette violence, sachez que ce n'est pas dans mes habitudes. Comme il n'est pas dans mes habitudes de me faire attaquer en tentant d'aider mon prochain...  Ora Pro Simius... dit elle en secouant la tête.
Quoi qu'il en soit vous n'êtes pas seuls dans cette situation, mais bien les premiers à garder leur enfant en vie. Madame, lâchez votre fils, apportez lui un verre d'eau, et à moi une gamelle d'eau bouillante. Monsieur, je vous en pris, vous n'êtes pas en position de me menacer, posez cette arme Bon Dieu ! ».

Choqués, les parents exécutèrent les ordres. Eïleen sortit de sa besace une pochette en cuir, de la taille de ses deux mains réunies,  et de trois pouces de largeur. Dedans se trouvait tout un tas de potion, de plantes, quelques outils...
Tout en appliquant un liquide visqueux sur le crâne du jeune homme, Eïleen leur expliqua la situation, expliqua aussi qu'elle était à la recherche de cet assassin.  Elle sut alors qu'il était du genre mâle, 1m75, les cheveux sombres, un regard de braise, et une longue cape, un peu comme la sienne...
Après quelques longues minutes de silence, le père confia à la jeune Alchimiste qu'un rassemblement avait lieux ce soir, à la Taverne du coin où les parents des jeunes cibles avaient l'intention de mettre au point un plan afin d’arrêter le bandit.
« Je m'y rendrais. Soyez prudents, si tous les parents sont au courant de cette réunion, l'assassin le sera aussi. Il frappera à nouveau. Maintenant, il faut savoir où. À la taverne, ou chez l'un d'entre vous....
Je vous conseille vous, de rester ici. Barricadez votre demeure, et par pitié, fermez les fenêtres! Prenez soin de lui, et appliquez lui ceci sur sa blessure deux fois par jours. Je passerai la récupérer quand il sera guérit. »

Ils n'eurent le temps de lui dire au revoir qu'elle s'était volatilisée, profitant de l'accès à la cour pour s'échapper, tel un mercenaire... Elle reviendrait bien assez tôt, cette histoire était loin d'être finit...