Elvire profita de cet instant de tranquillité pour entamer son récit. L’enfant l’écoutait avec une attention toute particulière.

« Tu l’ignorais peut-être, mais moi aussi, je suis née ici, dans les Montagnes de Saphir. Mes parents vivaient dans un petit village reculé dans la montagne, à quelques kilomètres d’ici.

Pour être honnête, cette vie ne m’était pas agréable. Je n’étais pas à l’aise. Tout le monde se connaissait. J’esquivais les autres. Le village entier savait que j’étais une enfant réservée, que ce soit avec les adultes ou les petits de mon âge.

Mais dans la vie, ma chérie, mieux vaut s’ouvrir aux autres. En grandissant, je me suis liée d’amitié avec les habitants du village. Les commerçants me faisaient souvent travailler. Quoique travailler est un bien grand mot. Ils ne m’accablaient jamais de corvées trop lourdes, ils acceptaient mon aide par générosité.

J’aidais mes parents à la boulangerie, mais je passais également beaucoup de temps en compagnie du boucher et de sa femme Ils m’ont appris beaucoup de choses qui me sont dorénavant utiles.»

Elvire ne précisa pas qu’il lui enseigna notamment la façon de dépecer un animal.

« Et puis, j’ai eu treize ans. Ma mère a accouché de mon petit-frère, et j’ai été contrainte de quitter le hameau dont je n’étais jamais sortie pour me rendre à Féresis. Mes boulangers de parents ne maîtrisaient ni l’art du combat, ni celui de la plume. Ils n’avaient pas eu l’opportunité de se rendre à l’académie, étant plus jeunes. Ils ne m’ont donc pas laissé le choix.

Mes parents m’ont accompagnée le premier jour. J’étais effrayée. Mais finalement, je me suis accoutumée à cette ville qui me paraissait démesurément grande, et je me suis rapidement fait des amis à l’académie. Je rechignais même à rentrer au village durant les vacances scolaires ! Je me voyais déjà passer le restant de mes jours à Férésis, en tant que garde.

Je n’avais pas beaucoup d’ambition et c’était une erreur. Je n’étais ni une excellente élève, ni un cancre. Mes résultats étaient corrects et satisfaisaient mes parents. Par la suite, j’ai pris la décision d’effectuer les deux années d’étude supplémentaires pour rentrer dans l’armée Arvèles. C’est là que j’ai rencontré ton père et que nous t’avons eue. Et puis, ton papa a été contraint de se rendre à l’autre bout du continent en tant que soldat.

Voilà pour le moment. Je te raconterai le reste quand tu auras grandi de quelques années. »

L’enfant gémit en priant sa mère de lui raconter la suite de cette histoire. Elvire ne céda pas et maintint sa position.

Elvire avait menti sur ce dernier point. Elle tomba enceinte à l’âge de 19 ans, ne pouvant achever son cycle de deux ans au sein de l’académie. Elle fut contrainte de quitter l’école et d’abandonner l’idée de rejoindre l’armée. Elle ne pouvait participer aux entraînements de l’académie, risquant de perdre l’enfant au moindre coup qu’on lui portait.

Elle rentra au village pour retrouver ses parents. Quand elle accoucha, le père de l’enfant refusa de reconnaître ce bébé et disparut du jour au lendemain. La pente fut difficile à remonter. A l’âge de 20 ans, Elvire devint garde du village pour gagner de quoi nourrir sa fille. Elle avait perdu toute ambition et s’était résignée à rester ici, pour toujours. Une année s’écoula de cette façon.

Puis un beau jour, tandis qu’elle était partie chasser en laissant sa famille derrière elle, un drame se produisit.

Le village avait été pillé. Les gardes avaient été tués. Elvire ne reconnaissait plus tous ces visages qui lui avaient autrefois été familiers. Elle se rua en direction de la cabane de ses parents. Comme elle s’y attendait, l’horreur était la même. Ils avaient tous été exécutés de sang-froid
Puis s’ensuivirent des pleurs qui provenaient de la chambre parentale. Les pleurs d’un bébé. Sans réfléchir davantage, Elvire s’y rua pour retrouver sa fille dans les bras d’un jeune garçon qui n’excédait visiblement pas les six ans. Alexander, le fils du boucher. En pleurs, il lui expliqua que des bandits s’étaient infiltrés dans le village. Sa petite taille lui avait permis de se cacher durant le massacre, emmenant avec lui le nourrisson, que ses parents gardaient à ce moment-là.

Suite à cet événement, écœurée par les humains et ayant besoin de renouveau, Elvire prit la décision de partir en compagnie d’Alexander et de sa fille en direction des terres du feu, le territoire liare.

La famille s’installa à Galea. Elvire avait été embauchée par un forgeron liare à la personnalité taciturne. Leur habitation se trouvait en centre-ville ; elle était chaleureuse et confortable. La petite famille s’y sentait bien.

Elvire voyait en les liares des personnes plus franches et plus honnêtes que les humains. Elle se chargeait elle-même de l’éducation d’Alexander et de Marlie ; elle considérait le fils du boucher comme son propre enfant. La famille faisait lentement son deuil.

Alexander s’épanouit en terres du feu. Avant même que sa Vérité ne s’éveille, il s’intéressait déjà au monde qui l’entourait et à l’alchimie.

Un beau jour, alors qu’Elvire accompagnait son fils cueillir des iradies, des petits gémissements au milieu du champ attirèrent son attention. Elle écarta les plantes pour y découvrir une toute petite créature qui somnolait paisiblement. Naïvement, elle caressa le crâne de l’animal : elle le regretta très amèrement. La bête s’éveilla et cracha des flammes qui lui brûlèrent l’avant-bras.

Une fois soignée, sans réelle raison, Elvire retourna dans ce champ pour aller trouver la bête, transportant plusieurs kilogrammes de viande. Elle ignorait pourquoi, mais elle se sentait étrangement liée à cette créature.

La bête était méfiante, mais elle dévora tout ce qu’Elvire lui avait apporté avant de retourner se cacher dans les iradies. Ces entrevues étaient devenues des rituels, et Elvire voyait le dragon grandir au fil des mois.

Elle ne pouvait plus le surnommer « la bête ». D’un commun accord, ils décidèrent du nom de « Zyniss ». Un lien fort s’était créé entre eux. Ils étaient devenus inséparables, s’aimant et se respectant mutuellement.

Quand Elvire décida de quitter le pays du feu pour que son fils puisse s’épanouir en tant qu’alchimiste, le dragon les suivit, avec la volonté de les protéger tous les trois. Zyniss était à son tour devenu un membre de la famille.