La journée promettait d'être longue et... pénible. Non pas qu'elle ait quoique ce soit de particulier. Le deuxième jour des festivités s'annonçait tout aussi animée et bon enfant que le premier. Seulement, disons... que je ne l'avais pas bien débuté.
Après un réveil houleux dans une chambre d'auberge aux côtés d'un Liare dont le visage m'était tout juste familier, il ne m'avait pas fallu longtemps pour me prendre la tête à deux mains. Parce que dans mon crâne s'était logé un mal de tête fulgurant. J'avais rassemblé mes affaires, cherché pendant de longues minutes (et dans le silence complet, pour ne pas réveiller l'autre Liare somnolant) mes bottes et habits curieusement disséminés aux quatre coins de la pièce et quitté la bâtisse.
Sitôt en pleine rue, je fus aveuglé par un soleil plutôt radieux, quand bien même il faisait
un peu frisquet. La clameur de la foule qui m'entourait m'était tout juste supportable et j'aurais donné cher à cet instant pour être à Karnès, plus au calme. Je n'avais nulle part où aller et je n'étais décidément pas en état de suivre les fêtards. Sans compter que la simple odeur de l'alcool me soulevait l'estomac.
Errant paresseusement parmi les badauds, les paupières lourdes, je fus contraint d'ouvrir un peu plus les yeux quand je me cognai soudainement contre quelqu'un. Une jeune femme, humaine, certainement considérée comme divinement jolie dans le milieu. Quoique, le regard un peu vitreux, comme s'il n'y avait rien de très réactif sous cet amas de cheveux longs. Comme elle ne s'écartait pas, et que le courant des passants ne me permettait pas de m'écarter sans me cogner contre quelqu'un d'autre, je restai droit devant elle, à la fixer tandis qu'elle faisait de même. Plutôt triste à voir, j'imagine.
Finalement, le contact visuel fut rompu lorsqu'elle porta ses mains à mon visage, poussée par une raison mystérieuse. Très bien. La voilà qui déjà m'emportait avec elle par le bras, comme si c'était tout à fait naturel. Je n'avais pas la force de résister, ni même l'envie. Une aide envoyée par les cieux, pour me guider à travers un espace carrément trop vaste pour un type paumé comme je l'étais. Certes, il y avait des questions à se poser quant au sens de l'humour des tout-puissants. Parce que bon, cette fille n'avait pas l'air d'avoir la tête sur les épaules. Mais je respecte.
***
Après une heure, ou deux, ou j'en sais rien de balade au sein des festivités (j'avais refusé, bien entendu, toute consommation se rapprochant de près ou de loin à de l'alcool), ma compagnonne se laissa tomber lourdement auprès d'un feu. J'approuvai l'idée en m'asseyant à ses côtés, histoire de me reposer un peu les jambes. Sans trop réfléchir, malgré une passée vigilance admirable, j'acceptai le narguilé qu'on me tendait, me souvenant avoir été tenté la veille. La sensation de flottement mais paradoxalement, également celle de lourdeur, je l'avais déjà expérimentée dès ma première année en terre humaine. Néanmoins, une petite bouffée seulement. Cela suffisait amplement à mon esprit déjà pas bien vaillant à vaquer au loin. Ma voisine ne fut pas aussi... Huh ? Je la regardai, dans un état second, respirer à plein poumons la fumée. Lorsqu'elle laissa le contenant totalement vidé, ses mots résonnèrent dans un coin de ma boîte crânienne.
- C’est ce monsieur qui va raquer !Je laissai échapper un ricanement, tandis que la jeune femme se relevait avec difficulté. L'homme attendait son dû, un air sévère sur le visage comme il me tendait une main ouverte. Je la saisis et me mit debout à mon tour. Mais, pour une raison que je ne compris pas, il me tendit de nouveau la main, avec au passage un ou deux mots pas vraiment polis. Je me frottai les yeux et lui serrai la pince, espérant avoir répondu à ses attentes. Après quoi, je m'éloignai d'une démarche hésitante, comme si je n'arrivais pas à coordonner ma tête et le reste.
L'humaine, dont je n'avais pas encore jugé utile de savoir le nom, était quelques pas plus loin, parlant d'aller danser, même si j'en doutais fort puisqu'elle éprouvait encore plus de difficultés à tenir sur ses jambes que moi. Je m’esclaffai de nouveau devant sa démarche hasardeuse, me tenant les côtes en raison de courbatures inexpliquées. Je la rattrapai rapidement et posai une main sur son épaule, toujours courbé en deux par un rire irrationnel.
- Attends, attends…Mes mots restèrent en suspens. Je fronçai les sourcils un instant et fixais son visage avant de rire de plus belle. Finalement, j’avisai du coin de l’œil un attroupement près de quelques musiciens. Des danseurs, parfois seuls et parfois à plusieurs allaient exécuter quelques pas au centre de la foule, pour être ensuite applaudis par le petit public enthousiaste. Je désignai ces derniers du menton et orientai la jeune femme dans la bonne direction.
- Allez ! Épate-nous..!Je me rapprochai de l'amas de fêtards, toujours un peu secoué.