"Si je suis là aujourd'hui, c'est grâce à Mme Vieille peau, sans qui je n'aurais jamais pu bouger mon derrière de la chambre que je lui loue en toute honnêteté."

C'était sur ces belles paroles chargées d'ironie que je m'étirai longuement, sur le palier d'une baraque assez imposante. Cette baraque, c'est celle de la vieille peau que j'ai cité plus tôt. Sur le déclin, elle avait trouvé un moyen astucieux d'entretenir sa propriété en en louant les pièces. Avec mes maigres économies, c'est tout naturellement que j'ai hérité d'un semblant de chambre sous les combles. C'était poussiéreux, rustique et j'en passe, mais ça me dépannait bien et la vieille (jusqu'à aujourd'hui) me laissait tranquille du moment que je payais dans les temps.

Néanmoins... Peut-être s'ennuyait-elle, en ce bel après-midi, peut-être n'avait-elle rien trouvé de mieux à faire que de me déloger de chez elle à grand coups de balai tout en me bassinant les oreilles de noms d'oiseaux divers et variés. Ce que j'en avais retenu ? Qu'il fallait que je me trouve quelque chose de rentable dans la capitale plutôt que d'arpenter le pays tout les quatre matins. Qu'est-ce que ça pouvait lui faire, bordel ? Je mettais pas le bazar dans ses affaires, je lui donnais l'argent en main propre et je ne rechignais pas à l'aider dans les tâches ménagères de temps en temps, là où les autres s'éclipsaient mystérieusement.

Je poussai un soupir excédé en arpentant les rues les plus fréquentées de Karnès. Peut-être que je pouvais trouver un boulot quelque part. Enfin... si je trouvais un volontaire. Une qualité que je voulais bien reconnaître à mon hôte, c'est qu'elle n'était pas du genre à choisir ses clients en fonction de leur trogne. Peu importe la confrérie, peu importe la provenance, elle acceptait sans rien dire quiconque avait de quoi payer. Peut-être qu'elle avait, au fond, son lot de préjugés; cependant elle n'en laissait rien paraître.

Et des gens comme ça, bon dieu ce qu'il en manquait dans le coin. Pas étonnant que je prenne la poudre d'escampette pour aller voir du pays; j'étais visiblement pas le voisin à qui on aimait faire la conversation. Mais ça fait rien mes cocos, moi je viens là juste pour votre beau temps. En fait, il se pourrait bien que j'aille voir ailleurs un jour ou l'autre, mais chaque chose en son temps.

J'atteignais à présent une sorte de marché des plus sommaires. Je n'allai pas m'y attarder; d'une j'étais sans le sou et de deux, ça manquait cruellement de machins intéressants. Je traçais tout droit d'un pas rapide sans demander mon reste lorsque je me heurtai avec force contre un grand gaillard. Le choc me déséquilibra un poil et je fis quelques pas en arrière.

- Ouch...

Je pris alors conscience de ma tendance à marcher les cornes légèrement inclinées et je m'enquis, spontanément, du haut de ma toute bonté, de l'état de l'individu que je venais de bousculer:

- Hum... navré.

Oui bon, le relationnel, ça a jamais été mon fort ceci-dit.