Alors mon pied vient s'écraser sans douceur sur le visage de la nymphe. L'eau retient tout juste mes mouvements incontrôlés, et je me sens rempli d'une force dont je ne me serais jamais cru capable, la force presque animale que nous amène notre instinct de survie. A cet instant, je ne pense plus, je ne réfléchis plus, je ne suis même plus sûr d'être humain.

Un cri de rage se détache, peut-être ais-je touché l’œil. Ses griffes mordent ma peau, m'arrachant un gémissement de douleur, mais mon pied est enfin libéré. Sous le choc, il cogne un roche, m'arrachant un cri de douleur. Mais je ne m'y attarde pas, me précipite hors de l'eau, ma seule priorité pour le moment. Je vois la rive, qui s'est grandement éloignée. Alors je me débat, bouge comme je peux, réussissant par miracle à avancer de quelques mètres. Je peux le faire, je dois le faire. Car je ne veux pas mourir ce soir.

Je fixe la terre ferme, essayant d'accorder mon corps dans des mouvements saccadés de nage. Mon souffle est erratique, sifflant, mais au moins, je respire. Mes orteils frôle le sol, j'ai enfin pied, enfin un point de repère. J'ai beau sentir la nymphe proche de moi, ses griffes effleurant parfois mon dos, déchirant mes vêtements et ma chaire, je sens une vague d'espoir, à l'idée de, peut-être, sortir vivant de cette nuit.

Jusqu'à ce que je me sente tirée en arrière. Loïda venait d'agripper ma robe, et tentait à nouveau de m'attirer vers les abymes.

La nymphe arrive à se saisir de la robe de sa proie. Elle resserre sa prise et compte bien cette fois l'emporter dans les tréfonds. Cependant, l'eau se fait plus rare à cet endroit du lac. Loïda n'a pas le temps de se donner une impulsion en arrière que l'humaine arrive à la traîner derrière elle. Bientôt, la nymphe est à moitié hors de l'eau, assise sur le sol vaseux du lac, l'eau atteint à peine son buste.

Elle aimerait ne rien lâcher, mais rien n'y fait. L'humaine continue de s'approcher inexorablement du bord alors que la nymphe se retrouve presque hors de l'eau.

C'est insupportable. Elle lâcherait presque un cri de douleur. Sa malédiction la rattrape. Prisonnière de ces eaux, elle se voit contraint de laisser repartir l'humaine pour retourner s'immerger dans le lac. Loïda a disparu. La surface de l'étendu d'eau a retrouvé sa quiétude, plus rien ne laisse présager que quelques minutes auparavant une tempête s'était abattue en ces lieux.

L'endroit est plongé dans le silence, la nymphe est retournée au fond des abysses et ne réapparaîtra que lorsqu'un nouveau mortel osera entrer dans son domaine.

Le reflet de la lune est encore visible sur le lac. Libre à vous de profiter de ce spectacle ou de fuir loin de cet endroit de malheur. Une chose est sûre, vous venez de faire une rencontre qui vous marquera à jamais, en revanche pour la nymphe, il y a fort à parier qu'elle finira par vous oublier. Quoi que sa rancune est tenace.

Alors mieux vaut pour vous ne jamais retenter l'enfant d'Eliosa, car si vous veniez à recroiser son chemin, elle pourrait ne pas vous laisser la chance de l'impressionner et tenterait de vous noyer dès qu'elle vous apercevra.

Je suis en vie.

C'était la première chose à laquelle j'ai pensé en sentant la pression sur ma robe disparaître, tandis que cette nymphe de malheur lâche ma robe. Alors que j'ai presque perdu espoir, mes pieds foulent enfin la terre ferme, et très vite, mes jambes se retrouvent hors de l'eau du lac. Je suis libre, j'ai survécu à cette nuit. Et je survivrai sans doute à beaucoup d'autres.

Je reprends mon souffle et mes affaires, bien décidée à ne pas m'attarder dans les lieux. Cette nuit est décidément une continuité de suites, et, cette fois si, j'espère que ce sera la dernière. Je n'aspire qu'à une chose, rejoindre un village, sécher mes vêtements et me glisser dans un lit chaud. Pour ne plus jamais retourner dans l'eau, je m'en fais la promesse.

J'essore frénétiquement ma robe, malgré mes mains tremblantes, comme par envie de me débarrasser de cette eau qui a failli causer ma perte. Chez les Namès, on adorait Eliosa, on la suppliait de bien venir faire tomber son eau sur nos terres. Mais aujourd'hui, je ne peux m'empêcher de la haïr. Pour la première fois, j'avais découvert que l'eau n'était pas que synonyme de vie, mais également un danger qui pouvait être mortel. Et j'allais retenir cette leçon.

Je reprends mes affaires, lançait un dernier regard sur l'onde désormais paisible. Si mes pieds n'étaient pas couverts d'égratignures, j'aurai même cru avoir rêvé. Mais je ne me méprend pas ; il ne faut mieux pas rester dans le coin. Je commence à courir, toujours courir, sans me retourner. Et je continuerai ma course jusqu'à trouver, sur ma route, un village qui pourra m'accueillir. Pour pouvoir enfin me reposer, et me remettre un jour de cette nuit infernale.