3 Sorn

Où qu'elle aille, c'était la même histoire: emplie d'intentions louables, en plus de s'essayer à être aimable et courtoise, il survenait toujours un malvenu pour fourvoyer ses nobles desseins. La veille au soir, un marchand l'accusa d'avoir volé une tiare. Alors, qu'il n'en était rien! Non sans émettre un rictus amusé bien que méprisant, la demoiselle offusquée avait platoniquement exposée sa vérité rigoureuse, et graduellement, avait pris un ton revêche puis suffisant pour s'indigner avec ferveur. Or, il ne s'agissait guère des jérémiades plaintives d'une fillette innocente ... Cependant, à force de vociférer en pleine ruelle, la garde de ville avait bien fini par faire son office: et une fois la sauvage jeune fille maitrisée, on l'enferma en prison sans autres artifices, malgré une Onora fiévreuse et intransigeante.

Elle aurait pu être relâchée bien plus vite qu'elle ne l'imaginait si une once de raison avait pointé en son esprit pour lui clouer le bec, le bougre tenancier ayant finalement avorté sa plainte, puisque l'objet en question avait été cédé tantôt par son apprenti qui n'avait eu la rigueur de le noter dans le registre. Néanmoins, les gardes avaient  décidé d'attendre que notre contestataire demoiselle cesse ses injurieuses protestations et autres fumigations savantes. Probablement était-ce divertissant d'observer l'hargneuse mais filiforme jeune fille s'agiter comme un dément. Le lendemain, lorsqu'enfin sa voix se tue, le soir était déjà tombé.

Déambulant dans les rues, elle ressassait sa journée: scander de la sorte lui avait presque fait du bien. Presque. Si sa gorge la démangeait  curieusement...  à l'instant présent, une brève sensation de quiétude s'était emparée d'elle une fois qu'elle eu crachée tout son soul à la figure de ces empotés crasseux.  Une paix, certes imputée à une fatigue naissante et croissante, néanmoins, Onora ne ressentait plus qu'une lointaine mauvaise humeur ... ''Ces Parlèms'' songea t-elle en toussotant faiblement pour se dégager la gorge, "une belle brochette consanguine". Il est vrai qu'elle avait reconnu en ce marchand les manières de son peuple natif, dont elle ne souhaitait ni la compagnie, ni la présence. Leur proximité lui remémorait la hargne qu'elle entretenait envers ces derniers: une  haine méprisante qui se voulait pourtant indifférente ... Seule, la nécessité l'avait poussé à rejoindre cette ville pour y récupérer des vivres, malgré que ses congénères demeurent une minorité relative dans la cité.

Cependant, cette perspective n'entachait en rien sa paisible allégresse. Le calme nocturne, l'obscurité lunaire mais surtout la fraicheur de la nuit en étaient pour quelque chose, mais pire encore, ils amplifiaient cet étrange sentiment de ... légèreté? La nuit avait toujours su adoucir ces mœurs solitaires. En marchand, son pied finit par croiser la chemin d'un caillou, qu'elle frappait négligemment à chacune de ces avancées, alors que les échos des tressautements de la caillasse raisonnaient dans la rue. Sa gorge éreintée lui fit émettre un second toussotement, miaulement qui implorait à sa propriétaire de l'abreuver. Tapant une nouvelle fois dans la caillasse, Onora grimaça, sa gourde asséchée amplifia sa peine. Ces péripéties ne lui avaient effectivement pas offert l'occasion d'aller s'occuper de ses petites frasques ou bien visiter la ville où elle aurait pu d'elle même dénicher un quelconque point d'eau.

Alors que ce besoin se faisait sentir, son regard finit par tomber sur une silhouette isolée sur un banc. Commençant par entrouvrir ses lèvres pour l'interpeller, Onora ne parvint qu'à exprimer une bouffé d'air inaudible. Ne sachant point, si la personne qu'elle cherchait à attirer l'attention avait pris note de son existence, la parlèm exquisa un brève signe de la main dans sa direction en plissant ses amandes vers ce dernier en se rapprochant ...

Alors que son existence demeurait sourde aux perceptions de l'étranger, la Parlèm continua sa marche vers ce dernier. Ayant avorté toute tentative d'attirer son attention, Onora porta sa main à sa gorge assoiffée et tenta de déglutir malgré son aridité. Néanmoins, l'inconnu bondissant de son banc, la demoiselle interrompit d'une traite son avancée pour s'armer d'un sourcil arqué. D'abord perplexe, elle détailla au travers de la nuit  cette silhouette qui se débattait dans l'obscurité. Ce dernier s'étant levé avec tant de hâte, la jeune fille se demandait si sa fureur manifeste s'exprimait à son égard: s'agissait-il d'un malandrin en mal de forfaiture?  Ou bien sa présence était-elle dérangeante? Etait-il avisé de s'approcher davantage?

L'observant à distance, Onora finit par émettre un brève rictus amusé lorsqu'elle l'aperçu malmener le banc et proférer sa hargne profonde envers ce dernier, certes au détriment du sommeil du voisinage. Bien que défiante et hésitante, songeant à l'âpre désir que lui procurait la perspective de se retrouver coincée entre quatre murs étroits et poussiéreux pour un tapage nocturne dont elle n'était responsable, sa soif pris le pas sur son appréhension. Non sans ressentir un sincère sentiment d'empathie pour cette misérable banquette quoiqu'elle est bien pu fomenter envers ce pauvre bougre, la Parlèm haussa des épaules, puis reprit son avancée, soulagée que son aigreur ne soit guère dirigée contre  sa personne.

Pourtant, il fallut attendre que l'étranger s'adresse à notre demoiselle pour qu'elle puisse distinguer clairement l'étendu de son problème et des efforts qu'il lui faudrait entreprendre. Poussant un juron inaudible, mais dont la profondeur du désespoir ne perdaient en rien sa saveur lorsqu'il se mua en soupir, la Parlèm silencieuse se frotta le visage avant de suivre du regard l'homme tanguer d'un côté à l'autre, perplexe et circonspecte. Quoique ... tant d'éloquence lui taquinait la commissure de lèvres, mais elle demeurait stoïque. Percevant une certaine défiance à son égard de la part de l'inconnu, Onora réduisit la distance qui les séparait en avançant doucement, élevant ses mains vides et dénuées d'intentions mielleuse.

Enfin, après une longue inspiration dans la vive intention d'expliquer oralement son dilemme à son interlocuteur éméché, ainsi que l'échec critique de cette vaine mais honorable tentative, un râle lointain parvint à s'élever des profondeurs de sa gorge meurtrie. Chose qui la fit grimacer. Hochant de la tête, elle se demanda s'il ne valait mieux pas mander de l'aide ailleurs dans l'espoir de dénicher une personne dont les facultés de concentration seraient bien moins imbibées d'alcool. Mais qu'avait-elle à perdre? Ainsi, Onora leva sa main au dessus de sa bouche entrouverte, le poing fermé mais le pouce libre incliné vers le sol, espérant bien se faire comprendre ainsi. Puis, elle sortit sa flasque vide, la mise à l'envers, soit tête basse et le couvercle enlevé et commença à l'agiter doucement mais de manière ostentatoire sous le nez de l'étranger.