Mathieu qui s'était rapproché de Juliette après l'avoir aidé à remettre son fauteuil à sa place répondit de lui-même :

- Avec plaisir !

Juliette ne s'attendait pas à une telle réaction et le dévisagea un peu, elle aurait voulu rentrer après avoir tout ranger pour se reposer correctement de cette journée. Mathieu lui avait bien l'intention de profiter de cette offre, sachant qu'il aurait à peine de quoi se payer deux choppes de bière avec les heures supplémentaires qu'il avait fait, il n'allait pas dire non et ça que Juliette décide ou non de rentrer. Mais l'héléo n'avait pas envie de faire mauvaise impression à la marchande qui finalement avait été d'une compagnie plus agréable qu'elle ne l'avait pensé en arrivant ce matin :

- Pourquoi pas.

Un regard vers son stand qui était encore bien rempli comparé aux stands du boulanger d'à côté qui était presque vide, Juliette estima qu'il était temps de tout remballer. Si Mathieu et elle voulaient dîner avec la marchande d'herbes et racines, il fallait commencer maintenant à remballer. Mathieu n'attendit pas que Juliette le lui demande pour aller chercher les deux autres matelots afin qu'ils leur prêtent main forte. Juliette quant à elle sortit de sous le stand une boîte rempli de papier et commença à emballer les pièces les plus fragiles avant de les ranger dans la caisse profonde qui était restée derrière le stand.

Mathieu revint avec un homme et une femme, ils transportaient avec eux un chariot vide. Mathieu leur ayant parlé du vol des lunettes, ils saluèrent la marchande du stand d'à côté avant de tous s'affairèrent autour du stand pour aider Juliette à ranger. L'héléo se chargeait avec Mathieu de remplir les caisses tandis que les deux autres chargés le chariot des articles les plus lourds comme l'horloge restée en arrière. Ce petit manège dura près d'un quart d'heure. Une fois la nappe du stand repliée et calée entre deux caisses sur le chariot, les matelots repartirent tandis que Mathieu et Juliette restèrent là où se trouvait avant le stand.

La marchande ne garda sur elle que le strict minimum en terme d'argent et préféra confier la recette de la journée aux matelots. Elle avait tout de même conservé la clef du coffre, sa confiance envers son équipage étant tout de même assez limitée. Même Mathieu qui était d'une compagnie agréable lui était encore à ses yeux un petit nouveau qu'il fallait garder à l’œil. Elle n'était pas rassurée d'avoir dû laisser partir l'argent, mais elle aurait été tendue toute la soirée si elle l'avait conservé après le vol qu'elle avait subi dans l'après-midi. Elle ne voulait pas tenter Uraang.

N'ayant plus rien à faire, Juliette proposa à Mathieu d'aller faire un tour pour laisser le temps à Messalina de terminer sa journée. Elle lui proposa avant de s'aventurer dans les allées :

- Nous allons nous promener, on se retrouve ici d'ici une demi heure ou une heure pour aller dîner ensemble ? Prenez votre temps, nous ne sommes pas pressés !

C'était assez prévisible, mais le matelot refusait sans une once d'hésitation. Je retenais un petit rire étouffé en voyant le visage de sa patronne, qui ne s'attendait sans doute pas à la réaction de son employé. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les deux étaient comme le jour et la nuit : Matthieu, rayonnant, l'air plutôt sympathique bien que maladroit. Et de l'autre côté Madame Célian, haute, douée dans son domaine, mais assurément plus fière. Si les deux doivent effectivement vivre ensemble sur un même bateau pour le transport, je serai curieuse de voir comment ils font pour s'entendre. Enfin, la marchande semblait plus facile à vivre que je ne l'aurai imaginé ce matin. Elle acceptait même mon offre, contre toute attente.

Je les regardais du coin de l'oeil commencer leur long remballage, tout en faisant mes dernières ventes. Je pouvais me permettre de plier bagage un peu plus tard ; d'une part, il pouvait toujours y avoir quelques clients venant prendre au dernier moment des herbes de bases. Et puis, vu le peu de matériel que j'avais, la fermeture serait faite en moins de deux : collecter délicatement les dernières herbes qu'il me restait, plier la nappe, détacher Lalaith. Et une journée de finie, où l'on pouvait profiter jusqu'au dernier instant des lueurs du soir et des clients. J'acceptais donc l'offre de Madame Célian.

« Pas de soucis, je ne devrais pas non plus tarder à plier bagage. Je vous rends votre coussin, d'ailleurs, merci encore pour ça! »

En lui tendant l'objet, je regardais brièvement sa qualité que je n'avais pas pu voir plus tôt. Si le coussin n'était pas fait en tissus précieux, on pouvait tout de même voir que c'était des coutures robustes, et des finitions de qualité. Il n'y avait pas à dire, cette marchande soignait sa réputation jusque dans les moindres détails. L'avoir dans mes contacts serait définitivement un plus.

Les regardant partir au loin, je me rasseyais sur le sol, et faisais mes premiers comptes. J'avais pu gagner pas mal, et mes herbes les plus communes s'étaient finalement vendues. Seules me restaient quelques espèces plus rares ; mais les clients de ces produits se trouvent rarement dans une foire. En bref, ça avait été une bonne journée, et je pouvais commencer à me préparer.

J'attendais sur les lieux, mon sac sur l'épaule et ma chèvre à mes côtés. J'avais déjà commencé à faire un tour du coin pour repérer un endroit où manger. Une petite taverne en coin de rue me semblait très accueillante, et parfaite pour une soirée de fin de foire. Le genre d'endroit d'où sortait de bonnes odeurs et des éclats de rire, et où l'on savait que la bière coulait à flot. Seul bémol : autant cela conviendrait parfaitement au matelot, autant j'avais des doutes sur Madame Célian. J'avais du mal à imaginer une marchande si distinguée dans un tel endroit, même si l'idée m'arrachait un léger sourire des lèvres. Enfin, on verrait bien : peut-être que les deux auront d'autres suggestions à me proposer. Je les voyais s'approcher, et les saluais.

« Le chargement s'est bien passé ? »

- Sans soucis. Répondit Juliette.

Mathieu portait un sac qu'il tendit en l'ouvrant :

- Madame Célian a trouvé une sacrée affaire sur la foire pendant notre promenade. Quelqu'un vendait ça pour rien du tout alors que c'est une pièce ancienne du peuple de l'eau. Quand on la plonge dans l'eau elle révèle sa beauté.

Au fond du sac il y avait une petite statuette représentant une pieuvre. Les traits étaient assez grossiers et la bête était si légère qu'on aurait dit du bois creux, rien qui ne soit très précieux. L'objet était terne et au premier coup d'œil avait l'air des plus banals. Juliette coupa court en demandant à Messalina si elle avait une adresse à recommander pour passer la soirée. Elle proposa un établissement assez modeste, mais dont la cuisine faisait envier tous les passants. Mathieu poussa la porte avec entrain et se dirigea vers la meilleure table libre.

Habituée aux économies lors de ses voyages, Juliette appréciait ce genre d'endroit bon marché où l'on servait des plats traditionnels. La taverne était bruyante. Les marchands et visiteurs de la foire étaient nombreux à être restés en ville. Les véritables gagnants dans l'histoire, c'étaient les tavernes et auberges de Terna à n'en pas douter ! Un serveur vient à leur table pour prendre leur commande, le choix sur la carte était assez limité, deux plats et deux desserts du jour. Par contre les alcools eux ne manquaient pas.

Mathieu et Juliette prirent le plat de poulet accompagné de son riz parfumé, accompagné pour l'un d'un jus de fruit et pour l'une d'un vin à bulles de la plaine isolée. Le serveur évita de justesse la chèvre de Messalina en repartant et lui tapota la tête. De sa poche sortit une petite souris qui montra à peine le bout de son museau avant de disparaître dans le tablier. La taverne était remplie de personnes de tous horizons. Sur la petite scène dans l'angle, une liare monta et fit silence dans l'assemblée. Elle fut suivie de trois musiciens liares et humains.

Les bavardages devinrent plus léger, une partie des gens se taisant pour l'écouter chanter. Sa chanson était profonde, telle une plainte agonisante, elle était remplie de tristesse et à la fois combative. Juliette n'écouta que quelques secondes, elle était ici pour tisser des liens avec une future amie marchande avant tout, le concert pourrait attendre. Mathieu lui était envoûté par la chanteuse et avait tourné sa chaise vers la scène pour mieux apprécier le spectacle.

Juliette le laissa dans sa contemplation et s'adressa à Messaline d'une voix ferme pour être entendue, mais suffisamment basse pour ne pas trop déranger les tables alentours :

- Encore merci pour tout à l'heure, vous avez de sacrés réflexes ! Et surtout vous avez fait preuve d'une gentillesse désintéressée, on ne croise pas souvent des gens comme vous dans le métier. Qu'est-ce qui vous a poussé à devenir marchande ? Si ce n'est pas indiscret.