Je sors de chez moi en soupirant. Voilà encore une heure passée à prier, une heure durant laquelle Père m'a répété les mêmes histoires, religieuses exclusivement. D'habitude, cela ne me dérangeait pas, au contraire, mais aujourd'hui… Impossible de me concentrer par cette chaleur ! Et ce n'est pas mon insomnie de la nuit dernière qui allait m'y aider. Par chance, Père a bien remarqué ma fatigue et ma lassitude, et m'a autorisé à me promener quelques minutes dehors, pour aller me rincer un peu le visage au lavoir. Qui sait ! Peut-être que cela me réveillera un peu, mais j'en doute… J'ai surtout besoin de dormir, mais ça, c'est inenvisageable.

 Espérons au moins que le sommeil me vienne plus facilement, cette nuit… Car hier, je n'avait pas réussi à fermer l’œil, me tourmentant avec des questions sans réponses, et surtout, qui ne devraient même pas être posées. Mais pourtant, ces questions revenaient en boucle, ces derniers temps, et de plus en plus régulièrement… Il n'y a pas à dire, quelque chose clochait avec moi. J'avais beau médité, prier tous les dieux possible et imaginable, chercher dans les livres les réponses à ces divergences, rien, du vent !

 Aussi, je m'y attendais un peu. Comment Père aurait-il pu avoir ce genre de livres dans sa bibliothèque ? Lui qui a toujours été si sûr de lui, si fier de ce qu'il est est, n'a jamais dû se poser ce genre de questions. Non, c'est bien le genre de questions que seul le détraqué que je suis peut se poser. Qui peut douter de ce qu'il est, à part moi ? Personne, on est comme on naît, et d'habitude, on s'en contente et on est reconnaissant. D'habitude.

 J'arrive enfin au lavoir et lâche un long soupir. Très sérieusement, il allait falloir que je m'y fasses, à moins de vouloir voir ma vie devenir un enfer. Je m’assois au bord du lavoir, et prend un peu d'eau dans mes mains pour la porter à mon visage. Un fois, deux fois, trois fois. Ça rafraîchit, certes, mais ça ne change rien à me fatigue, je me sens toujours aussi épuisé. Je secoue la tête, faisant ainsi partir quelques gouttes d'eau, avant de me m'appuyer sur le bord du bassin pour rêvasser un peu. Après tout, j'ai suffisamment de temps devant moi pour m'accorder une pause, il fallait simplement que je sois de retour avant le repas. Je ferme les yeux et essaye de me détendre, mais quelque chose cloche. Un je-ne-sais-quoi, un pressentiment, une présence… Oui, une présence. Je n'ai pas l'impression d'être seul dans cet endroit, malgré l'aspect désert du lieu.

 Je me redresse, et balaye le lieu du regard. Mais non, rien, personne d'autre que moi… Je dois sûrement rêver… Parfois, je me demandes si je ne deviens pas paranoïaque, à voir les gens là où il n'étaient pas. Et puis, rares sont ceux qui osent sortir à ce moment de la journée ! Alors, pourquoi tomberais-je sur quelqu'un ? Non, décidément, aucune chance. Et pourtant… Ouais, ça persiste. Allez, dans le doute…

« Il y a quelqu'un ? »

 Question stupide, mais qu'importe. Je n'attendais pas vraiment de réponse, de toute façon. Sois il n'y a personne, soit celui ou celle qui est là n'a pas de toute façon envie de se montrer. Mais bon, on peut toujours espérer...

 A ma plus grande surprise, quelqu'un répondit à mon appel. Un jeune homme aux cheveux longs apparut de derrière un des pilier du lavoir. Et, chose plutôt notable, le jeune homme ne portait rien, ou presque. Juste un caleçon, et un autre vêtement trempé sur son épaule. J'écarquillais un peu les yeux devant cette apparition soudaine, et pour le moins étrange. N'avait-il aucune pudeur, pour être ainsi dans un lieu public ? Et si ce n'avait pas été moi, qui était venu, mais une jeune fille ? … Quoique, c'était peut-être son but. Et, malgré le geste amical qu'il m'adressait, je ne pus m'empêcher de reculer un peu, méfiant. Après tout, j'avais beau avoir l'apparence d'un homme, on ne savait jamais… Certain ne sont pas forcément attiré par le genre opposé, je le savais moi-même. Alors, pourquoi les gens louches feraient exception. Surtout que j'avais largement le loisir de constater que cet homme était bien plus musclé que moi, donc s'il lui prenait l'envie de faire quoi que ce soit, j’étais clairement en désavantage.

« Salut petit, je voulais pas te faire peur… J'ai juste cru que c'était les gardes et ça aurait difficile de m'expliquer. J'ai ma tunique à faire sécher, j'espère que ça te gêne pas que je reste un peu ici en attendant de pouvoir renfiler mon habit… »

 Je restais tout de même sur mes gardes, méfiant. S'il avait quelque chose à laver, il aurait pu porter autre chose en attendant, non ? Mais bon, il semblait tout de même sincère, et allait poser sa tunique un peu plus loin, avant de venir s'asseoir au bord de l'eau. Je restait silencieux, encore surpris par cette apparition soudaine, sans savoir quoi dire de plus. Moi qui avait prévu d'être un peu seul, pour réfléchir… Disons que cela risquait d'être compromis. J'allais finalement me lever pour m'en aller, n'ayant plus la solitude que je désirais ici, mais le jeune homme pris la parole.

« Moi, c'est Elend et toi? Et tu fais quoi ici? Pas que je te vire hein, juste bah tu as l'air de n'avoir rien à laver… »

 Je clignais les yeux, pas bien sûr de comprendre. Il voulait me faire la conversation, comme ça, dans cette tenue ? Enfin, si ça ne le gênait pas… Je lui répondais, bien que je soit toujours aussi méfiant, par politesse. Cependant, j'évitais dans l'idéal de croiser son regard, et surtout, de le regarder plus en général. Ce qui serait extrêmement gênant pour moi, si ça ne l'était pas pour lui…

« Siràjâh… Et je venais juste ici pour me rafraîchir un peu les idées, entre deux leçons… Je n'arrivais pas à me concentrer, avec la chaleur et tout le reste. »

 Je me rendais compte un peu tard du « tout le reste » qui était un peu en trop… Espérons que cet Elend ne soit pas trop curieux ! Quoique, il avait l'air bien bavard, et il risquait de me questionner sur le sujet… Très vite, je continuais, sans lui laisser le temps de parler.

« Pourquoi avoir lavé un habit que vous étiez en train de porter ? Ça  n'aurait pas été plus simple de mettre autre chose avant de venir ici ? Ça vous aurait évité des problèmes, surtout si la garde arrivait... »

 Je sais, ça ne me regardais pas. Mais bon, mieux valait vite changer de sujet. Et puis, peut-être que je serai ainsi plus avancé sur ses intentions, quelles qu'elles soient. Car bon, un homme en caleçon qui parle à un enfant, aussi aimable soit-il, reste quelqu'un d’apparemment étrange. Et quand je pense à Mère, qui me disait toujours de ne pas parler aux inconnus ! Si elle me voyait maintenant, j'étais bon pour un long serment de plusieurs heures. Mais bon, je n'allais pas partir comme ça, tel un rustre...

On se plaint souvent des enfants, irresponsables, étourdis, sans aucun bon sens et plein d'autres adjectifs du même genre. Et bien, j'avais devant moi la preuve que les adultes ne valaient pas mieux ! Cet homme devant moi semblait être un grand enfant, vu la réponse qu'il apportait à ma suite de questions ;

« Et bien en fait, j'ai piqué une petite sieste près du temple d'Uraang et j'ai taché ma tunique donc j'ai pensé à venir le laver ici, après j'ai été un peu étourdi et donc je n'ai pas pensé à prendre de change et je me suis retrouvé comme ça… »

Et, à la fin de cela, il éclatait d'un petit rire, peut-être pour cacher un peu sa gêne. Je restais un instant surpris devant un détail ; faire la sieste devant le temple ? Il devait être sacrément bien caché, alors, car connaissant les prêtres d'Uraang, ils ne l'auraient certainement pas laissé faire s'ils l'avaient pris sur le fait. Une fois, alors que je m'étais assoupi contre un des murs en attendant mon père, un vieux fidèle m'avait même donné un coup de canne sur le crâne pour me réveiller, avant de se lancer dans un de ces ennuyeux discours moralisateurs dont seuls les anciens avaient le secret.

Pendant ce temps, Elend se redirigeait vers sa tunique. Je me demandais ce qu'il allait faire, mais am méfiance avait tout de même baissé un peu. Après tout, ce jeune homme ne me paraissait plus vraiment complètement adulte, et puis, son naturel me plaisait. J'avais envie de lui faire confiance, ne serait-ce que pour faire cesser cette ambiance gênante qu'il y avait dans le lavoir depuis le début de notre rencontre. Même si bon, je n'osais toujours pas vraiment le regarder.

"Bon, si je me rhabille, ça peut toujours sécher sur moi…"

Hein ? Là, je relevais la tête, surpris. Il allait vraiment remettre ses vêtements alors que ceux-ci étaient trempés ? Et bien oui, Elend était réellement en train de renfiler sa tunique, encore dégoulinante, et qui, à mon avis, devait être glacée. S'ensuit alors tout un moment ou il essaya de faire sécher son habit, ce que je trouvais plutôt comique. D'abord quelques petits sauts, ce qui semblait plus ridicule qu'utile. Ensuite, il essaya de tordre sa tunique pour en vider l'eau, et là, de nombreuses gouttes tombèrent. Décidément, le pauvre devait être trempé là-dessous. Et, à mon avis, il n'avait plus qu'à attendre sagement que le soleil daigne bien vouloir le sécher, ce qui risquait d'être plutôt long. Mais je me demandais, pourquoi avoir rempli son vêtement, dans ce cas ? Un élan de pudeur soudaine ? Mais alors, Elend repris la parole.

« Désolé si je t'ai choqué et évite de crier sur tous les toits que je me balade en sous-vêtement en public, ce serait sympa… Bon allez, je te laisse te reconcentr… »

Oh, ce sera donc pour moi qu'il se serait rhabillé ? J'allais lui sourire pour le rassurer, mais là, je doute que le Namès soit prêt à m'écouter. Il était en train de tomber, je ne savais trop pourquoi d'ailleurs, mais je me dépêchais de me mettre face à lui pour tenter de le rattraper. Ce que je n'aurais pas dû faire. Elend avait beau avoir réussi à s'accrocher à moi, il restait tout de même beaucoup trop lourd pour le jeune garçon que j'étais. Je trébuchais en arrière, lui continuait de tomber, et ce n'est pas un seul, mais deux idiots qui allaient voir d'un peu trop près la surface du bassin. Bon, au moins, pour la coup, j'étais rafraîchi et réveillé.

Elend sortait la tête de l'eau, complètement trempé, ses cheveux flottant à la surface, et surtout avec un air tellement penaud sur son visage ! Cette fois-ci, je ne pus retenir un éclat de rire, qui s'intensifiait au fur et à mesure que je regardais Elend, ainsi que mes propres vêtements, qui étaient maintenant aussi trempés que les siens. Je lui lançais, tout en continuant de rire.

« Décidément ! T'as vraiment pas de chance, toi, aujourd'hui, hein ? »

Je me relevais, lui tendant la main au passage pour l'aider à faire de même.

« Finalement, je crois que tu n'es plus le seul à devoir sécher… »

Je lui adressais un petit sourire, que je voulais plutôt agréable, car on dirait bien qu'on allait devoir passer un peu de temps ensemble. Père risquerait de grogner un peu à cause de mon retard, mais tant pis, je n'allais pas rentrer comme ça, pour mouiller tout sur mon passage. Et puis, j'appréciais de plus en plus l'idée de rester avec Elend qui, bien qu'il m'est paru franchement étrange au premier abord, me semblait maintenant plutôt sympathique.

Je me dirigeais vers la sortie du lavoir, pour m'arrêter juste devant l'entrée, sous les rayons du soleil. Heureusement, il tapait encore suffisamment pour pouvoir nous sécher un peu. Je tendais les bras pour tendre un peu le tissu de ma tunique, et attendait, penaud, de sécher. Je devais avoir bien ridicule, mais la seule personne dans les parages était Elend, alors peu importe !

Finalement, je devais bien avoir l'air ridicule, car j'entendis un petit rire dans mon dos. Je me retournais, vis son air amusé, et me retenais de faire une remarque sur ses techniques de séchage précédente. Car, à défaut d'être légèrement ridicule, la mienne fonctionnait ! Et puis, se faire ainsi sécher par le soleil, c'était plutôt agréable. La chaleur ne semblait plus si étouffante, et même, je me sentais plutôt bien. Je fermais les yeux pour ne pas être ébloui par la lumière, et sentais  non sans un certain bien-être le soleil chauffer doucement mon visage. Presque, je sentais l'eau sur ma peau s'évaporer, mon corps sécher, et je lâchais un soupir de satisfaction, tandis qu'Elend prenait la parole.

"Toi qui te plaignait d'avoir chaud, tu dois être content maintenant non?"

 J'eus un petit rire, là, c'est sûr que j'étais rafraîchi ! Au final, j'avais bien eu ce que je voulais… Même si c'était de façon bien peu conventionnelle. J'aurai peut-être du y songer plus tôt, mais si quelqu'un m'avait attrapé, à me baigner ainsi dans le lavoir, j'aurai passé un très mauvais quart d'heure, et peut-être même que Père ne m'aurait plus laissé y aller. Enfin bref. Je lançais un sourire amusé à Elend, et lui répondre, mais voila qu'il enchaînait :

"Sinon comment se passe tes classes de religion ? A ton âge, on me bassinait encore avec les différents attributs de Cioriel et le pourquoi des différentes fêtes à son honneur"

 Arf, là, ça me faisait moins rire. Je grimaçais au souvenir de ces cours, que j'avais plus ou moins volontairement fuit cet après-midi. Même si ce coup de chaleur et de fatigue n'avait pas été volontaire, je dois dire qu'il m'avait bien arrangé. On me bassinait encore avec l'histoire d'Uraang, qui, en plus de me mettre légèrement mal à l'aise, m'ennuyait à mourir. Sans mauvais jeu de mots.

« Et bien, je crois que ça n'a pas beaucoup changé… La seule différence, c'est peut-être que j'en ai des plus… Intensifs. »

 Effectivement, moi, des cours de religion, j'en avais en quasi-permanence.

 Le matin, on commençait avec une prière. Puis un premier cours de religion, un pause, puis une heure de méditation. C'était probablement cette dernière que je détestais le plus. Ensuite, une prière avant le repas, et un nouveau cours de religion. Avant la prière du dîner et la prière du soir. Ma vie, mon existence entière n'était rythmée que par la religion.

« En fait, je suis le fils d'un des membres du Cercle de la Lumière… Alors ouais, j'en ai pas mal. Même si je trouve ça relativement ennuyeux et répétitif. »

 C'est vrai, j'avais parfois l'impression que chaque cours n'était qu'une imitation du précédent, en changeant simplement de Dieu. On apprenait d'abord son histoire, puis ses attributs, puis les fêtes qui lui sont consacrées, puis les différentes façons de le prier, à quel moment de la journée, pour quelle occasion, et plein, plein d'autres informations du même genre. Trop, à mon goût.

« Parfois, je me demande même l'utilité de tout ça… C'est vrai, je pense que, si les Dieux nous ont mis ici, ce n'est pas juste pour qu'on passe des heures enfermés dans une pièce à parler d'eux, si ? Enfin, je n'en sais rien... »

 Mince, peut-être que je déviais trop. Après tout, Elend n'était encore qu'un inconnu, et je ne connaissais pas vraiment sa façon de penser ! Même s'il ne semblait pas apprécier les cours de religion, peut-être les jugeait-il nécessaire. Après tout, c'était le cas de la plupart des Namès, et avancer ce genre de chose, comme ça, ça ne se faisait pas. Surtout lorsque cela concernait les Dieux. Père m'avait dit de nombreuses fois que l'esprit divin était insondable, et qu'il ne servait à rien d'essayer de les comprendre. Que, de toute façon, tout ce qu'ils faisaient était bien trop sage pour que des mortels tels que nous puissent les comprendre. Alors, s'il était du même genre que Père, Elend commencerait sans doute à me faire la leçon, voir même de se plaindre que je blasphème, ou d'autres petites bêtises que les religieux avaient le don de transformer en crime. Vite, j'enchaînais.

« … Mais je dois sûrement me tromper ! Oui, je divague sûrement… Dis moi plutôt, ça fait longtemps que tu as arrêté les cours de religion ? Tu as quel âge ? »

 Il y avait mieux, comme changement de sujet, et sans doute il ne s'attarderait pas là-dessus. Je me mordais un peu la lèvre, regrettant de ne pas lui avoir demandé autre chose. Là, d'une part, ça pouvait paraître indiscret, et de l'autre, au vu de ce que j'avais dit auparavant, ça ne le retiendrait pas assez, et il risquait de repartir sur le sujet de la religion. Je dissimulais ma légère gêne en bougeant un peu, faisant mine d'essorer ma tunique comme il l'avait fait quelques minutes plus tôt.

Mince, on dirait bien qu'il avait repéré ma tentative maladroite pour changer de sujet. Car, au moment où j'avais tant divergé, il avait haussé un sourcil, comme s'il était choqué par mes propos… Je m'en voulais, j'aurais dû réfléchir avant de parler, maintenant, sans doute pensait-il du mal de moi… A première vue, je ne l'aurai pourtant pas cru ainsi… Mais bon, les premières impressions sont souvent trompeuses, hein ? Mais malgré tout, il se remit à sourire, avant de répondre à ma question comme si ne rien n'était. J'aurai presque cru qu'il était passé à autre chose, mais voila qu' : enchaînait, sans doute à cause de ma réflexion de tout à l'heure.

« Tu sais, je crois qu'à un moment notre peuple devait se trouver dans un sacré pétrin et ils se sont tournés vers les dieux. Et ceux-ci leur ont répondus et les ont aidés… »

Hein ? Je le regardais, un peu surpris. Effectivement, c'était probable, très probable… Mais je n'avais vraiment réfléchi au pourquoi de notre religion excessive. Personne ne le faisais vraiment. On naissait avec, et puis c'était tout. Alors que pourtant…

« Pourtant, j'ai l'impression qu'on est resté bloqué dans le passé…  On a juste à regarder nos mœurs, quand tu regardes le nombre d'interdits qui existent dans notre société, tu as juste l'impression qu'être différent est un crime. Pour ma part, je compte bien quitter Karnès un jour, afin d'explorer le monde et peut-être qu'un jour, je reviendrais et essaierais de changer un tant soit peu la politique de notre confrérie. »

Ce coup-ci, j'écarquillais franchement les yeux. J'étais complètement ahuri par ses propos, qui auraient choqué n'importe quel Namès… Enfin, sauf moi. Car au fond, j'approuvais tout ce qu'il disait, sans la moindre exception. Même, ces pensées, je les avaient eu moi-même, lors de certaines de mes insomnies. Mais ce qui me choquait, c'était qu'il en parle ainsi. Le nombre de Namès à accepter ce genre de réflexion était minime. A vrai dire, avant de rencontrer Elend, je croyais même être le seul de Karnès à penser comme ça. Quand j'avais essayé de discuter avec Père à ce sujet, j'ai eu le droit à des heures de morale supplémentaire. Quant à mon vieux gouverneur, il m'a giflé, avant de me dire qu'un enfant ne devait pas penser ainsi. Alors j'avais arrêté d'en parler, mais voila que cette discussion refaisait surface, par un parfait hasard. En un sens… Cela me rendait franchement heureux. Oui, parler avec quelqu'un qui partage mes opinions était quelque chose qui me mettait complètement à l'aise. Même si Elend n'étais encore qu'un inconnu pour moi, ironiquement, je me sentais plus proche de lui que mes compagnons de classe, qui eux pensaient de manière… Disons « droit » ou « normal ». Ouais, il fallait l'admettre, notre façon de penser n'était ni droite ni normale, du moins, dans notre ville.

Je réfléchissais aussi au rêve d'Elend, pendant que celui-ci lâchait un petit rire nerveux, comme s'il ne se rendait compte que maintenant des propos qu'il venait de tenir. Effectivement, partir, quitter cette ville… Je n'y avais jamais pensé, et pourtant, ça semblait si simple ! Juste fuir, oublier toute mon histoire, repartir sur de nouvelles bases… Ce serait possible, mais… Non, ça ne fonctionnerait pas. Père ne me laisserait jamais partir, il ne le tolérerais pas. Une fugue, alors ? Non, ce serait faire preuve d'une telle ingratitude envers ceux qui m'ont élevés… Arf. En un sens, j’admirais Elend pour ce rêve. Avoir le courage de faire une chose pareille… Oui, j'espérais vraiment qu'il pourrait l'accomplir un jour. Je lui adressait un petit sourire, tandis qu'il continuais.

« Et toi Sira, je peux t'appeler Sira? Si on te donnait le pouvoir de changer quelque chose dans notre système actuel qu'est-ce que ça serait ? »

Je le regardais, clignait des yeux plusieurs fois, avant de me mordre la lèvre, hésitant. Changer quelque chose ? Mais tout ou presque était à changer ! J'hésitais, me demandant aussi ce que je pouvais lui dire ou non. Au bout de quelques moment de réflexion, je finissais par lui lancer ;

« Je dirais…. L'ouverture d'esprit. »

Oui, vraiment, ça, c'était quelque chose à changer. Autant, leur religion excessive, leurs prières et cours strictes, et tout ce qui suivaient, ça ne me dérangeait pas tant que ça. Mais cette fermeture de tout le monde face à la différence, c'était une vraie plaie. Je précisais un peu ma pensée, ayant bien conscience que ma réponse était un peu juste, un peu évasive.

« Ce que tu disais toute à l'heure par rapport à la différence… Ouais, c'est ça le plus gros problème des Namès. Tu n'as qu'une seule façon de penser, et si tu ne t'y tiens pas, tu deviens un mouton noir, on te juge, voir même, on te châtie même si c'est trop… « grave ». »

J'hésitais un instant, venant de me rendre compte à quel point ma phrase pouvait être personnelle. Allais-je trop loin ? Même si Elend semblait partager certaines de mes idées, il n'en restait pas moins un inconnu dont j'ignorais tout ou presque. Et puis, même pour quelqu'un d'ouvert, mon cas restait tout de même très… Particulier. Je décidais de m'en tenir à quelque chose de plus vague.

« Ce que je veux dire, c'est que là, j'ai juste l'impression que chaque personne est la même… Alors que, plein de façons de penser différentes, ça pourrait être tellement plus intéressant… Tu ne penses pas ? »