Les couloirs de la Tour des Ombres étaient calmes. Même si la Cinquième Confrérie semblait vivre en deux temps, lorsque les petites heures entre la nuit et le matin frappaient, très peu de gens étaient prompts à se balader dans celle-ci. Même ici, il y avait des heures où les gens préféraient vaquer à leurs occupations : s’occuper de leurs affaires personnelles, s’occuper des affaires de la confrérie, dormir… pourtant à cette heure celui qu’on nommait le Chien de Scythe parcourait les sombres couloirs. L’éclairage était suffisamment faible pour qu’il puisse s’y diriger. Les fils que traçait l’existence même guidaient chacun de ses pas. Les années passées à marcher entre ces murs, à écouter le son de ses pas, à entendre les murmures de l’édifice, les craquements du sol et les fouettements du vent contre les solides murs lui avaient appris à s’y diriger comme n’importe qui d’autre. À le regarder, à voir son assurance, jamais on aurait pu croire qu’il s’agissait là d’un homme aveugle, ou disons sévèrement limité dans sa perception du monde. Il ne connaissait les couleurs des murs, ne pouvaient voir les énormes pavillons qui flottaient au vent, et il n’imaginait pas la splendeur morbide des peintures qui décoraient savamment chacun des étages de l’édifice. Cependant, il reconnaissait le moindre soupir de l’édifice et pouvait s’émerveiller devant l’hymne que chantaient les pavillons et il savourait chacune des émotions que partageaient les petits nobles devant les peintures. Même s’il n’avait aucun attachement émotif à cette Tour, il la connaissait.

Il était tard dans la nuit, ou tôt le matin, car le soleil n’était pas encore levé, on voyait quelque peu cette lueur rosée au-delà de l’horizon, mais il était encore bien trop tôt pour que les gens se réveillent. Kethren n’avait pas dormi de la nuit. Son seigneur avait gardé son attention, lui expliquant ce qu’il attendait de lui durant les prochaines semaines. Encore un voyage. Traverser la plaine d’Accro ne lui plaisait guère. Ce n’était pas parce qu’il ne voyait rien, mais le voyage était long, et s’il le faisait seul, il devrait se nourrir seulement de rations. Des rations sèches et ennuyantes. Comme il les détestait. Mais il avait accepté sans broncher, inclinant simplement de la tête avant de s’éclipser pour finir sa nuit à détruire quelques pantins d’entrainement avant que la lumière n’obstrue sa vision déjà obstruée.

Il se rendit donc sur un des terrains d’entrainement dans une aire ouverte. Il était à l’extérieur, dans la cour, mais bien lové entre les remparts de la tour. Les pantins avaient été remplacés pour la journée, ainsi il se plaça à cette distance où sa vision commençait à se perdre et il retira une de ses dagues de sa centure de cuir passée sur sa cuisse. Il la tira avec précision, mais un bruit sec attira son attention au même moment. Des pas se dirigeaient vers lui. Il ajusta son focus pour voir la forme d’un homme, en santé, le cœur battant, sans aucune surprise. La dague de Kethren s’était logée dans l’épaule du pantin, mais il ne s’en préoccupait pas. Les sourcils froncés derrière l’imposant masque de fer noir, il observait cet inconnu qui l’approchait. Il ne reconnaissait pas son odeur, ni sa posture, ainsi resta-t-il sur ses gardes, ses yeux vides fixés sur cet inconnu.

Je déplace si ça ne te dérange pas, car Tasha nous a quitté.