— Outch.

Ariane n’avait pas vraiment tendance à être maladroite, mais elle devait bien avouer que le terrain n’était pas des plus faciles. Les ruines de la tour Est s’ébréchaient et formaient des tas de roches assez encombrants. La jeune fille espérait ne pas finir amochée avant d’être arrivée au centre des ruines. Il fallait dire qu’elle aimait cet endroit. On moins elle était seule, sans personne sur le dos pour lui rappeler les règles essentielles, sa Vérité, ce qu’elle deviendrait plus tard.

Au final, peut-être qu’elle espérait que tout changerais. Peut-être qu’elle espérait que quelqu’un était capable de chambouler tout ça ? Après tout, on l’avait habituée trop jeune à devoir devenir ce qu’elle aurait voulu être, il fut un temps, même si maintenant elle n’en avait plus envie. Elle aurait surement du se rebeller avant, se laisser partir, ou se laisser tomber. Elle n’en savait trop rien. Elle se demandait si là où elle en était avait vraiment été ce qu’elle voulait.

Et si on ne vivait que dans un rêve ? Et si un matin, on va croire se réveiller dans le monde que l’on connait, alors  que l’on se réveille dans ce qui est réellement réel ? Peut-être que comme ça elle pourrait tout recommencer, ne pas se laisser aller à ce qu’elle ne veut pas...

Ses pas l’avaient porté en centre des ruines. Son corps s’était plié pour coulisser le long de l’un des murs. Elle était assise sur le sol de pierres froid. A coté d’elle, elle avait posé son arc et ses flèches. Voilà qu’elle ne pensait plus à rien, elle écoutait le silence qui pesait autour d’elle. Quelques fois, le silence pouvait être apaisant.

Il lui avait semblé entendre quelques pas dans le lointain. Il faisait encore jour et le soleil ne semblait pas encore vouloir totalement décliner malgré le vent qui s'était levé sur les frontières des terres désolées. Malgré tout, les vestiges de la Tour Est, s'élevaient encore et parvenaient à garder cette certaine chaleur de la journée. Néanmoins, il faisait lourd dedans, comme si les souvenirs d'une bataille sanglante continuait de se dérouler, et par ailleurs, les roches rouges de sang en démontrait encore la violence des combats. Parfois, lorsqu'elle se baladait lors des tours de garde, Séléne croyait entendre les cris d'agonies et de douleurs qui perçaient les murs, témoins ultimes des désastreux événements pas si anciens que cela. Pourtant, elle ne s'en sentait guère plus touchée qu'un autre. Elle faisait partie de ce camp qui avait décimés ces vies aux quatre vents, et elle ne s'en blessait pas vraiment. En outre, elle n'avait aucune affection particulières pour ces hommes qui avaient péri sous les lames acérés des Récleyès. C'était la guerre après tout, elle ne faisait que débuter, mais aucun combat ne se faisait sans perte. Mais au fond, Séléne n'était pas à ce point sans cœur, et si aucun regrets ne trouvaient place jusqu'à son âme, elle avouait, à certes demi-mots, qu'elle n'appréciait pas particulièrement le sang qui coulait et les qui vies mouraient aux creux des lames. À demi mots oui, car la soif de sang parfois était bien trop forte lors des combats...

Elle avait entendu quelque chose, elle en était certaine. Depuis près d'une heure elle se baladait dans les ruines de la tour sans but véritablement précis. Mais voilà quelques minutes déjà qu'elle entendait quelque chose dans ces vestiges étouffant. Qui d'autre qu'un Récleyès puisse se balader dans le coin ? C'était tout bonnement impossible, aussi la jeune femme ne se pressa pas pour diriger ses propres pas en direction des bruits qui tendaient à désormais environner l'air. Ce n'était pas vraiment le genre de Séléne d'aller au direct d'une rencontre avec quelqu'un, timide comme elle l'était, elle n'aurait sans doute pas osé prononcer deux mots et aurait baissé la tête en signe d'humilité pour avoir à éviter qu'on la regarde comme on le faisait toujours. Par les dieux qu'elle ne supportait pas cela ! Et pourtant, elle allait bien en cette direction, espérant peut être croiser un regard ami comme elle en avait quelques ans dans les soldats Récleyès, malgré la protection de haute stature qui pesait toujours sur elle même quand il n'était pas là.

Lorsqu'elle tourna à un angle, le bruit de ses bottes frappant la pierre dure dans un bruit remarquable sur tous l'étage, Séléne aperçu le long d'un mur une silhouette à la longue chevelure de feu, bouclée et cachant presque la totalité du visage de sa propriétaire dont le regard semblait vaguement perdu dans le lointain. Elle reconnu Ariane Vahndek, noble de la confrérie, et comme la majorité d'entre eux Séléne avait tenté de garder une certaine distance, celle-ci lui étant de toute façon très bien rendue. Elle approcha néanmoins de la jeune femme, connaissant parfaitement bien son statut et sa noblesse, mais malgré tout curieuse de savoir si sa santé n'était pas en danger aux vues de cet arrêt incongru en plein cœur d'une tour en ruine, sinistre scène de violentes batailles.

« Miss Vahndek, tout va bien ? Vous ne devriez pas être ici c'est dangereux, qui sait si cette bâtisse va tenir encore longtemps. Et je doute que l'on apprécie vous savoir ici. »

Bien qu'au fond, Séléne était loin de donner des conseils et de s'intéresser à ceux-ci. Mais elle préférait qu'on lui évite les reproches d'avoir laissé une dame importante dans un endroit où elle n'aurait sans doute pas du se trouver. Plus encore quand celle-ci était destiné à devenir la femme de leur Roi... c'en était curieux de penser cela.

D’où ? Quoi ? Comment ? Ah, tiens, quelqu’un observait la jeune fille. Ah tiens, cette personne venait de lui parler. Et dire qu’Ariane était venue ici pour être seule et tranquille. Ou peut-être pour essayer de se remémorer les batailles d’il y a si peu de temps, elle ne savait plus... Interrompre le cours de ses pensées aussi brusquement l’avait légèrement étourdie. Lorsque l’on brusque un calme apaisant, nos oreilles sifflent toujours, tout comme nos yeux clignent obligatoirement face à la lumière après l’ombre. Ariane avait l’impression d’être dans un de ces états brouillons-là. Et ainsi, elle mit quelques temps avant de se rendre compte et d’enregistrer les paroles de la jeune femme face à elle.

Enfin, elle finit par revenir. Et reprendre ses émotions qu’elle avait relâchées dans cet endroit solitaire. Pas entièrement relâchées, non, juste légèrement délaissées quelques instants.

Avec un léger soupir de fatigue amorcée, elle se releva et se tourna vers son interlocutrice.

— Effectivement, je ne devrais pas me trouver ici. Si jamais ils l’apprenaient je...

Ses yeux se levèrent sur le visage pâle de la jeune mage en face d’elle. Mais qu’avait-elle donc ? Pourquoi Ariane n’avait-elle pas repris son air hautain ? Elle s’en rendit compte, son reflet dans les yeux de la personne en face d’elle. Ses yeux se reprirent, et Ariane eut l’air indifférent à nouveau. Comme si, rien de tout ce qui était autour d’elle ne l’atteignait. Vous auriez pu lui faire tomber le ciel sur la tête, que cela ne se serait pas vu dans ses yeux.

Avec un air hautain, elle se reprit :

— Non, oubliez. De toute façon, tout le monde ignorera que je suis allée ici, ils s’en fichent. Tout ce qu’ils veulent c’est me « protéger » comme ils disent. Aucuns soucis à me faire...

Elle avait ignoré une partie de l’affirmation de la jeune femme, parce qu’elle en était tout à fait consciente, les bâtiments pouvaient à tout moment s’écrouler sur elle.

— Pardonnez-moi, vous ne semblez pas ignorer qui je suis, mais j’ignore qui vous êtes ? Vous devez surement connaître les familles nobles, sinon vous n’auriez pas su mon nom. Mais que suis-je bête ! Tout le monde sait qui je suis...

Plus elle parlait, plus elle s’embourbait. Même si elle s’obstinait à cacher ses yeux, la jeune femme se trahissait dans sa voix hésitante. Cette conversation n’allait pas être de tout repos...

Spoiler:

L'idée d'avoir parlé avec tant de familiarité à une noble de ce rang sauta à l'esprit de Séléne un peu tard, une fois les paroles sorties de sa bouche. Et fussent-elles aimables et gentilles qu'elles ne correspondaient guère au ton à employer entre gens de société aussi différentes. La Récleyès se sentit presque rougir et voulu masque la gène nouvellement apparente. Par les dieux, elle avait presque donné un ordre à la jeune femme, masqué sous le concert d'un conseil en soumettant l'idée de ne pas rester en ces lieux. Et si la demoiselle le prenait très mal, consciente que dans son bon droit – certes franchement discutable en le cas présent – elle était parfaitement autorisée à se balader dans la tour en ruine ? Séléne doutait de ressortir sans un blâme ou une remarque fort désobligeante qui risquait de ternir son humeur et sa confiance de la journée. Dans sa timidité et son humilité, elle baissa les yeux face à la noble Vahndek, et le soupir que celle-ci lâcha, la pauvre simple soldate, certes protégée du Ténébreux, le prit pour elle comme une marque de dérangement. Ce qu'elle ne doutait en vérité pas. Pourtant, dans ce qu'elle croisa du regard de la jeune femme, elle n'y vit nul trace d'irritation, moins encore d'agressivité face à l'interruption de ses pensées occasionné. Même, il y avait sur le visage de la demoiselle quelque chose que Séléne ne parvint à comprendre totalement. Et n'eut pas vraiment le temps de s'y pencher, car déjà, un brusque masque de froideur vint y cacher les traits de Ariane Vahndek.

Sur le coup des paroles assez amères, Séléne nota que la jeune femme omit sciemment de s'intéresser au danger pourtant bien présent dans les lieux. Et qu'en un sens, elle avait peut-être voulu attirer sur elle l'attention, sous une forme de reconnaissance, d'existence... ce qui était bien loin de ce que la mage désirée pour sa part. Moins l'on connaissait son visage et sa personne, mieux elle se portait. Elle n'avait pas désir de se faire connaître. Et c'était bien un avantage, de la sorte, nul ne pouvait contraindre à sa liberté. Nul sauf un...
Il lui sembla un instant que les paroles de la jeune femme se mêlaient et se perdaient dans un discours à la limite de l'incohérence, entre remarques évidentes et prises de conscience étonnantes. Il fallut quelques secondes pour que ce discours s'assimile aux oreilles de Séléne et qu'elle y trouve quelque chose à répondre. Ce qui n'était pas une mince affaire, car la noblesse de son interlocutrice l'empêchait de s'exprimer dans sa franchise la plus profonde, et d'autre part... elle n'était pas certaine d'avoir grand chose à rajouter. Aussi se surprit-elle de renchérir sur le sujet là où elle aurait tout simplement pu demander à la jeune femme de la suivre jusqu'à la sortie des lieux.

« Tout le monde connait la fiancée de notre Seigneur, Miss Vahndek. Ni votre nom ni votre visage ne sont ignorés. Et il reste toujours bien imprudent de votre part de rester ici, seule et sans protection. »

Elle accordait ses paroles d'un ton respectueux et humble comme à chacun aurait dû s'adresser à elle en connaissant son futur tracé. Elle la plaignait bien, cette enfant destiné à épouser le plus puissant homme de cette Terre, le Ténébreux. Pour le connaître personnellement, Séléne ne l'estimait pas aussi mauvaise personne qu'on le disait, mais elle se rendait compte malheureusement que sa vision était fossé, puisqu'en son cœur elle le tenait en haute estime et aurait donné sa vie pour lui. Mais qu'il était malheureux néanmoins pour une fille comme Ariane de se faire volé aussi tôt sa liberté. Et ce n'était même pas comme on le lui avait laissé le choix.

« Votre absence risque d'être remarqué plus tôt que vous ne le pensez. »

Séléne doutait qu'on laisse une perle rare disparaître plus longtemps que ça n'était déjà le cas.