19 de Samùn 2235
Ça fait maintenant un mois que je travaille avec père. Il trouve que dix ans est suffisant pour travailler avec lui dans le laboratoire. Il m’a montré comment préparer les herbes, comment m’en occuper. Je vais bientôt commencer à les mélanger. Je ne comprends pas vraiment les formules d’alchimie encore, mais il me fait étudier. C’est pour ça qu’il m’a appris à écrire très jeune. C’est pour ça que je le suis dans ses tâches. Je crois qu’il espère que je prenne éventuellement sa place. Je ne sais pas, cependant… je n’en ai pas vraiment envie. Il cache tellement de choses. À tout le monde je crois. Enfin, je l’aide, et ça m’occupe, mais j’espère vraiment qu’il me laisse intégrer l’académie dans quelques années. Il me trouve trop petit… pas assez costaud. À mon âge c’est normal, en tout cas, je pense, mais il me répète que mon frère était bien plus grand que moi à mon âge. Peu importe, je verrai rendu là. Au moins, je l’accompagne souvent au palais. C’est tellement, tellement beau, tellement grand. J’aimerais vraiment ça y passer plus de temps, mais pour l’instant, je mélange des herbes avec un père alchimiste. Je dois quand même me compter chanceux, au moins j'ai une famille.
22 de Maliér 2238
Je suis rentré à l’académie la semaine passée ! C’est la première fois que j’ai le temps d’écrire, car ils s’assurent de nous garder à demi-morts. Les entraînements sont incessants, sans compter les tâches, et les lectures… au moins ça me tient occupé. Je suis content de sortir toute cette énergie. Je déteste rester assis durant les cours, mais au moins ça permet à mes muscles de relaxer un petit peu. Je suis le plus petit, et je n’ai pas le physique des autres garçons de mon âge… même les quelques filles sont plus grandes. Clairement, les autres me le rappellent tout le temps, mais c’est sans importance, je vais leur prouver que je vaux autant, sinon plus. Je me distingue déjà au tir à L’arc. Mon instructeur m’a dit que j’avais un talent inné. J’ai l’impression que ça me coule dans le sang… vraiment. Peut-être est-ce la Vérité (haha…)
5 de Rosendas 2240
Mon père est allé au palais ce matin. Ma mère est venue me chercher à l’académie parce qu’elle s’inquiète. Je la comprends. Il est bien passé minuit, et il n’est toujours pas de retour. Il y va rarement sans moi, alors j’imagine à peine ce qu’il se passe. Ma mère n’arrête pas de parler d’un spectre, d’une ombre noir sur son cœur. Je ne comprends pas de quoi elle parle, mais pour la première fois, je l’ai sentie se rétracter lorsque j’ai posé ma main sur son dos pour la consoler, je l’ai senti se raidir, mais ce n’était pas … naturel. C’était comme si je ressentais une armure de métal sous mes doigts, et pas de façon figurative. Je m’inquiète pour elle, et pour mon père. Justement je l’entends qui revient, et il semble être pressé !
12 de Virgonès 2240
Nous sommes partis comme des voleurs dans la nuit, il y a déjà deux mois de ça. Je ne sais même plus où on est, mais tout est gris, sombre, il fait froid… pas comme dans les montagnes. C’est un froid qui transperce la peau. J’ai l’impression que mon âme a froid. J’ai vu au loin une forêt et j’entends des hurlements… pas des loups. On dirait des choses bien pires. Je ne sais pas où mes parents m’amènent mais j’ai l’impression qu’ils ont perdu la tête, qu’ils fuient des ombres. Je veux rentrer chez moi, retourner à Ferèsis. J’ai beau essayer de leur soutirer des informations, ils n’en disent pas grand-chose, si ça continue comme ça… non, je préfère ne pas y penser.
16 de Virgonès 2240
J’ai vu au loin une tour se dessiner. Je connais cet endroit. Je ne l’ai jamais vu, mais je sais où nous sommes. C’est la Tour Sombre. Mes parents… ils ont trahi les humains. Ils ont trahi les nôtres. Et ils m’ont traîné avec eux, comme une vulgaire possession ! Je les ai confrontés, et ils ne m’ont rien caché. Trop tard maintenant. Ils ont été approchés pour rejoindre les Réc… (juste écrire ce mot me donne envie de tuer !) Enfin bref, ils sont passés à l’autre camp il y a de ça plus de 5 ans. Ils sont partis maintenant parce qu’ils ont été découverts par je-ne-sais-pas-qui. Ils ont fui la capitale, le monde des humains pour venir… ici. J’écris ces lignes en attendant qu’ils dorment. Ils ont fait leur choix, mais ils ne me l’imposeront pas. Je ne compte certainement pas rester avec eux. Je préfère tenter ma chance pour survivre aux Terres Inexplorées plutôt que de rester avec eux dans ce … dans ce délire.
6 de Ravrök 2241 (je crois…)
J’essaie de garder le compte des jours, mais ce n’est pas facile. Je crois bien être parti en direction nord-ouest, mais mes pas me ramènent sans cesse vers l’est. J’ai l’impression d’entendre un appel, un appel de détresse. Je ne peux pas écrire trop souvent. Je pense bien que mes parents ont perdu ma trace, qu’ils ont poursuivi leur chemin. Grand bien leur fasse. Je n’aime pas penser à ça mais la trahison… ça tue les liens de famille. Si jamais je les recroise… je pense que rien ne me retiendra. De toute façon, ça ne sert à rien de penser à ça présentement, je dois survivre ç cet environnement de merde… il fait froid et gris constamment, c’est vraiment difficile de se repérer, même la nuit n’est pas complètement noire. Au moins… au moins le soleil n’est pas aveuglant. Il faut bien voir le côté positif…
Je viens d’entendre un autre hurlement au loin, mais c’est comme s’il résonnait dans mon corps… je ne comprends pas, mais j’ai l’impression d’un appel à l’aide. Si je suis pour mourir dans cette contrée, aussi bien en avoir le cœur net.
8 de Ravrök 2241 (je crois…)
Je n’ai jamais vu de telle… créature. Une beauté sauvage, indomptée. Pourtant je vois bien qu’elle est blessée. Ça doit bien faire des jours qu’elle se cache dans cette caverne ouverte, défendant farouchement ce qui lui reste. D’ici je vois bien ses blessures. Son œil droit est crevé, et ses cornes aussi. Son aile droite semble avoir été tranchée ou perforée… non plus perforée. Ses blessures sont nombreuses et elle semble à peine capable de bouger. Je pourrais faire demi-tour, mais de voir cette magnifique créature ainsi… ça me fend le cœur. Je n’ai jamais vu de tel dragon dans les livres : noir avec des éclats mauves et tant de cornes que je perds le compte. Enfin, pas de temps à perdre, je vais chasser.
9 de Ravrök 2241 (je crois…)
Je n’ai pas osé mettre le pied dans cette forêt lugubre. Les arbres sont noirs et le vent souffle entre les branches de façon intimidante, mais surtout c’est cette odeur répugnante… J’ai l’impression que peu importe l’animal que j’y chasserai, il sera corrompu, et encore, c’est si j’en sors vivant, car on dirait que les arbres bougent, que leurs branches forment des barricades. Non, j’ai préféré me tourner vers la plaine.
Je ne sais pas ce que j’ai ramené précisément. On dirait un sanglier, avec quatre cornes, à la robe entièrement noire… sauf une grande bande blanche sur son dos. Peu importe ce que c’est, ça semble comestible. Je m’en suis coupé une patte avant de trainer la carcasse jusqu’à l’entrée de la caverne. Même si la créature semblait dormir, je la sentais aux aguets. Elle ne m’a même pas regardé, elle a attendu, m’a laissé m’approcher. Lorsque j’étais suffisamment proche, elle a ouvert son unique œil avant de laisser échapper un rugissement profond qui m’a terrassé de peur… je n’ai même pas honte de l’admettre, mais il aurait probablement pu me croquer d’un coup. Il ne l’a pas fait, il m’a laissé décamper et a attendu que je sois bien caché dans les herbes pour manger le repas que je lui ai amené. J’ai monté un campement plus loin, surtout plus loin de cette forêt qui hante mes rêves.
25 de Ravrök 2241 (environ…)
J’ai un peu perdu le fil des dates, mais les journées se succèdent sans vraiment de nouveau. Je pourrais partir, mais je ne sais même plus où aller. Je me suis donc mis en tête d’aider ce pauvre dragon. Ça me fait penser à autre chose, ça me force à me concentrer sur des problèmes qui ne sont pas les miens. Je le nourris donc chaque jour, et il me laisse maintenant approcher de lui dans notre petit jeu de « je fais semblant de dormir, je fais semblant d’être discret. » Je lui parle, et c’est stupide mais j’ai vraiment l’impression qu’il me comprend. Aujourd’hui j’ai pu l’approcher pour voir ses blessures de plus près. Je ne suis pas un guérisseur, mais je connais suffisamment bien les herbes pour l’aider, et je pourrais probablement recoudre, s’il me laisse approcher davantage. Aujourd’hui, il m’a laissé le toucher c’était… très particulier. Il faut le vivre pour comprendre je suppose, mais c’est comme voir une épée ancienne ayant servie à un grand roi, et de pouvoir la manipuler… d’accord, c’est pas une très bonne analogie, mais ça m’a vraiment … émerveillé.
12 de Samùn 2241 (environ…)
Je n’ai jamais autant senti mon sang bouillir. Je n’ai jamais senti une telle liberté ! Pour la première fois j’ai pu monter sur le dos de cette magnifique créature. Il a fallu des semaines de bons traitements avant de réussir à obtenir quoi que ce soit, mais maintenant que ses ailes vont mieux, et que son œil n’est plus infecté, il m’a laissé monter sur son dos et nous avons pris vol. C’était… exaltant. Il a peine à se diriger ç cause de son œil crevé, et il a refusé mon aide, mais tout ça en valait la peine si ce n’est que pour ce sentiment. Je pense qu’il partira bientôt de son côté et que je devrai partir du mien.
15 de Samùn 2241 (environ…)
Il accepte de mieux en mieux mon aide et mes commandes, ça me surprend. Mais après ce qui s’est passé aujourd’hui, je pense qu’il a compris… enfin, commençons depuis le début. Nous étions en train de partager un repas lors que j’ai senti le sol trembler. Je pense qu’il l’a senti avant moi car il m’a poussé de son énorme museau pour que je m’agrippe à lui. Lorsqu’on a pris vol, j’ai vu le sol se soulever et un énorme tentacule s’élancer vers nous. Celui-ci semblait fait de lianes et de plantes fort dangereuses, mais c’était bien le moindre de mes soucis. Je fis signe à mon ami (car je crois que c’est étrangement le bon terme) de tourner à gauche mais n’en fait qu’à sa tête et un tentacule nous happa de plein fouet, me propulsant au sol où j’ai pu voir une énorme gueule s’ouvrir dans l’herbe fraîche. Je reconnaissais ces crocs, ils avaient fait les marques sur le dragon noir qui m’accompagnait. Il avait d’ailleurs pris les airs malgré la nouvelle blessure. Il aurait pu me laisser là et partir, alors que je sortais mon car, dans l’espoir… en fait je ne sais pas à quoi je pensais : ça ne ferait rien contre une telle créature. La flèche éthérée me prit autant par surprise que la créature. Elle la traversa de part en part, mais ce n’était pas suffisant. J’ai dû esquiver un autre coup de tentacule, mais alors que je finissais mon mouvement je me suis senti soulevé et je me suis retrouvé à dos de dragon à nouveau. Déstabilisant. Bref, nous avons combattu la créature pendant ce qui a semblé durer une éternité, pour finalement la terrasser lorsqu’enfin mon ami s’est mis à accepter mon aide, après tout je vois encore des deux yeux ! Je n’ai aucune idée de ce qu’était cette horreur issue de la Forêt Hurlante, et honnêtement, je préfère me concentrer sur le lien que j’ai tissé aujourd’hui.
17 de Samùn 2241 (environ…)
Il m’a révélé son nom… et le fait qu’il pouvait parler… non c’est bien plus que ça. Ce lien, je sais qu’il ne peut être brisé que par la mort. Les deniers mois ont été trop intenses, trop lourds de sens. Akkanharn Nymauth. C’est son nom. De ce que je comprends, c’est un jeune adulte, il a été chassé de la forêt par sa femelle qui est resté avec leurs petits, car il n’était pas digne. Je ne sais trop quoi penser, mais il veut que nous partions ensemble. Je ne vois pas pourquoi je dirais non. C’est donc fort d’un nouvel allié que j’entreprends mon voyage pour retourner à Fèresis.
17 de Sòrn 2247
Ça fait longtemps que j’ai écrit ici. Je suppose que j’ai été trop occupé. Aujourd’hui j’ai eu une promotion, mais avant je devrais mentionner qu’en revenant à Ferèsis, j’ai intégré l’armée. J’étais trop vieux pour réintégrer l’académie, mais je ne peux pas m’en plaindre. Nous sommes peu de dragonniers, et je me sens bien plus près des autres que de ceux que j’ai côtoyés à l’académie. La trahison de mes parents teinte encore mon nom, j’ai décidé de prendre le surnom Ailenoire et de repartir à neuf. Bref, après des débuts tumultueux dans l’armée, j’ai su me forger une place, j’ai été promus aujourd’hui au grade de Lieutenant. J’aimerais que quelqu’un soit fier de moi, c’est sûr, mais peu importe, je refuse de me laisser abattre pour ça. Je suis ma propre personne maintenant. J’ai surclassé des recrues de l’académie et je peux les regarder de haut maintenant (haha…) mais surtout, je sais que je ne serai jamais seul au monde.