« Ah, ce type me faisait froid dans l’dos ! Ce qu’il dégageait c’était si…étrange ! Il était grand et sa carrure était impressionnante, tellement que j’me sentais comme un gringalet à côté de ce gars-là ! Ses vêtements, ils empestaient le sang, mais rien ne semblait pouvoir les transpercer. Il dégageait quelque chose, quelque chose de puissant. Quelque chose de sombre. Quelque chose de dangereux. On sentait une certaine haine émaner de lui. Ou peut-être que je me fais des idées. »
Témoignage d’un inconnu ayant croisé la route du Balafré
« Ah oui, je me souviens du Balafré ! Son hygiène corporelle était impeccable, il semblait mettre un point d’honneur à être propre. Mais, quand on reniflait correctement, une odeur de sang restait incrustée dans ses vêtements. Que pouvait-on attendre d’autre d’un mercenaire ? Il parcourait les routes jour et nuit, la lessive n’était pas dans ses priorités !
Vous savez, j’ai un souvenir agréable de cet homme, malgré tout le mal qu’on en dit. Il se déplaçait avec peu de grâce, sous le poids des muscles épais qui taillaient son corps. De larges épaules et des abdos bien travaillés, voilà le souvenir que j’en ai gardé. Son corps était couvert de blessures et de griffures, j’en ai eu un frisson.
Et puis, ses cheveux prématurément blancs. Le Balafré m’a raconté qu’il était un homme brun, autrefois. La couleur de sa chevelure aurait changé à cause d’une utilisation excessive de Vérité. Je ne sais pas si les dames partagent mon avis, mais je trouve que cette couleur atypique lui donne un certain charme ! »
Témoignage d’une courtisane dans une auberge
« Des yeux étranges, c’est ce qui m’a frappé. Une couleur dorée qui semblait me transpercer. Son regard me faisait peur, c’est peu de le dire. Tout était impassible. Tout comme son visage, ses airs, ses gestes. Neutres. Je ne parvenais pas à lire en lui, et je n’ai pas cherché à le faire, je sentais qu’il y avait en lui quelque chose de sombre et je n’aurais su dire pourquoi.
Il avait une peau un peu desséchée qui était désagréable à toucher. Il avait de fortes cernes sous les yeux et sa balafre… mon dieu, sa balafre ! Elle lui parcourait toute la partie gauche du visage, en passant par l’œil. Sa barbe était blanche, tout aussi blanche que ses cheveux. « Coupez-la courte », voilà ce qu’il me demanda ce jour-là. Une barbe courte. »
Témoignage d’un barbier
« Je m’souviens encore de ce petit bout d’homme que nous avons découvert ce jour-là ! Une véritable surprise, c’est peu de le dire. Ses yeux de couleur étrange me fixaient sans relâche, j’ai tout de suite vu le potentiel de ce gamin, le Balafré comme on le nomme aujourd’hui.
Ah ça oui, je m’en souviens comme si c’était hier. Pourtant, cela fait bien une quarantaine d’années, et c’est à peine si ma vieille caboche parvient à remettre la date exacte. Vous savez, le temps file et du jour au lendemain vous entendez vos vieux os grincer. Quarante-cinq ans ! Voilà l’âge que j’avais quand nous avons trouvé ce gamin. J’étais déjà un homme d’âge mur, et pourtant aucune marmaille à serrer contre moi. P’têt bien que c’est pour cela que ce mioche m’a tant attendri.
Il pleuvait à flot ce jour-là, dans un village près du Marais des Kraveles. Croyez-le ou non mais, dans cette région, même la pluie sent la pisse ! Je ne me serais jamais aventuré là-bas si les gars ne m’avaient pas affirmé qu’on s’ferait un bon paquet de blé. Benêt qu’j’étais je les ai crus, on n’a touché si peu d’argent que c’est à peine si on a pu s’payer l’auberge. On a dormi quelques nuits à la belle étoile, heureusement que le temps était clément avec nous. Puis, du jour au lendemain, on a trouvé du boulot ! Une bande de malfrats avait violé puis tué une femme qui vivait seule. Les gardes cherchaient des mercenaires à engager pour retrouver les bandits, ils nous ont promis une belle récompense si on les retrouvait !
On n’a pas craché dessus. C’était exactement le genre d’affaire qu’on attendait. On était prêt à leur faire leur fête, leur enseigner les bonnes manières ! Puis empocher l’or.
Honnêtement, on ne tarda pas à trouver la tanière de ces vermines. Ils s’étaient bien planqués dans une grange, mais aucun d’eux n’avait notre maîtrise à l’épée. On les tua tous, sans la moindre pitié pour ceux qui nous suppliaient de les épargner. Ces salauds avaient violé une pauvre femme avant de lui faire sortir les tripes, aujourd’hui encore je jubile en imaginant leur sang gicler sur ma lame.
Ah, je m’souviens de la tronche des gars quand ils ont vu ce qui les attendait au fond d’la pièce. Une petite chose à la peau si pâle que ce n’en était pas permis. Sûrement qu’ils avaient enlevé le fils de cette pauvre dame. Un regard étrange, jaunâtre, se posa sur moi. Sans même en avoir parlé aux gars, je savais déjà que je ne pouvais pas laisser ce gosse pourrir dans un orphelinat. Puis un long débat s’ensuivit. «
Trop d’bouches à nourrir ! » que gueulait la moitié, l’autre rétorquait qu’il était criminel d’abandonner ce mioche.
J’étais leur chef, j’ai tranché. Ce que j’ai choisi ? Eh bien je l’ai gardé, sacrebleu ! »
Roderick, ex-mercenaire et père adoptif du Balafré
« Le Balafré ? Oui je l’ai connu, c’était un sale mioche. Toujours prêt à défier les plus vieux. Il refusait d’admettre qu’on était plus sage et il se croyait plus malin que tout le monde ! Même quand on lui mettait une volée à l’escrime, ce petit prétentieux refusait d’admettre la défaite. Il me dévisageait, l’air suffisant, avec son regard bizarre ! Il me sortait par les yeux, vous n’imaginez même pas.
J’ignore encore pourquoi Roderick a tenu à garder ce mioche, personnellement je faisais partie de ceux qui s’y sont formellement opposé. On n’avait pas les moyens, ce môme nous a foutu dans de beaux draps ! J’ai cru qu’on allait tous crever de faim avant de trouver du boulot à Soana, et puis une vie de mercenaire, ce n’est pas une vie pour un gamin ! J’avais parié qu’il serait perturbé plus tard et je n’ai pas manqué mon coup, regardez-le aujourd’hui ! Le Balafré qu’on l’appelle ! Ah, ce n’est pas étonnant !
Et pourtant, cet idiot de Roderick refusait d’entendre quoi que ce soit à propos de ce mioche. Bien sûr, on n’pouvait rien dire ! C’était le chef ! Il perdait son temps à lui enseigner les lettres, je les ai même surpris un jour à étudier la flore de Madelle et la fabrication de certaines potions. J’suis quasiment sûr que ce petit con se fichait de ses cours - même si je dois bien l’admettre, il a assimilé un bon paquet de choses, Roderick lui bourrait l’crâne.
Seule la bagarre l’intéressait. Ah là, quand monsieur a eu quinze ans et que Roderick lui en a fait cadeau, il y avait du monde pour aller s’entraîner avec ses deux épées. Deux épées ! Comme si une seule ne suffisait pas !
Plus le temps passait et plus je m’inquiétais. Le chef répétait souvent que le petit nous suivrait bientôt dans nos missions. Le problème ? Il était incompétent, tonnerre ! »
Ramsay, un ex-mercenaire de Roderick
« J’ai connu le Balafré alors qu’il était encore un jeune gaillard, vous savez. Il a passé un bon bout d’temps dans notre bande de mercenaires, je l’ai connu tout môme ! Peut-être l’ignorez-vous mais ce garçon avait créé deux clans parmi notre bande ; ceux qui l’acceptaient et ceux qui ne l’appréciaient décidément pas, plus par rage de ne pas avoir été écoutés par le chef. Je faisais partie de ceux qui l’appréciaient.
Ce petit gars commençait à nous suivre dans nos missions, il apprenait à satisfaire ses clients et à gagner de l’or, tout en tâchant de ne pas trop détériorer sa santé. Aussi loin que ma mémoire défectueuse se souvienne, le petit ne s’est jamais blessé lors d’une mission. Ah, ça ! Roderick veillait au grain. Le petit était un peu comme son fils. Le chef mettait un point d’honneur à ce qu’il ne lui arrive rien, il ne plaisantait pas là-dessus. C’était simple, quiconque ne le protégeait pas ne touchait pas sa prime. Efficace, non ?
On le protégeait, certes, et les reproches commençaient à fluer comme quoi il était un poids dans nos missions. J’ai toujours démenti et je le ferai à jamais, ce garçon était très doué avec ses deux épées et les alternait à la perfection. Aujourd’hui, son talent ne fait plus de doute mais à l’époque déjà, le fait d’être élevé en compagnie d’hommes d’arme l’a bien aidé !
Puis nous avons quitté la forêt des Mirlis pour marcher au nord, si ma mémoire est bonne. Le gamin avait toujours vécu dans ces environs, il était un peu perdu au début mais il était déjà presque un homme bien qu’il était un enfant dans mon cœur ; il s’adapta vite au changement et, au grand étonnement de tous, il prit goût au voyage. Vagabonder sur le continent semblait le ravir !
Le temps passait, nous allions de ville en ville et il semblait se rendre compte que l’image des mercenaires n’était pas la plus glorieuse qui soit.
Il ne se dégonfla pas. Bien au contraire, je découvris à travers lui un jeune homme particulièrement cinglant qui répondait avec répartie. Certains y voyaient de l’insolence, moi j’y voyais de l’intelligence. Décidément, ce gamin me passionnait. S’il me passionne aujourd’hui ? Plus que jamais ! »
Annabelle, ex-mercenaire de Roderick
« Le Balafré nous a suivi jusqu’à Karnès où il est resté avec un nous pendant un long moment. Huit ans ? Ça doit être ça. Il était notre meilleur mercenaire, la crème de la crème ; il avait vingt ans. Dans notre bande, tous le respectaient ; à part quelques anciens qui s’permettaient de le taquiner. Nous, les jeunes recrues, on n’osait pas. Le Balafré était un peu comme notre chef depuis que Roderick ne voulait plus s’battre à cause de l’âge.
La ville de Karnès était un lieu parfait pour des gens d’notre profession ; les monstres grouillaient dans le désert, on imaginait déjà le nombre incalculable d’or qu’on pouvait s’faire en proposant des contrats pour tuer les monstres.
Tout semblait aller pour le mieux avant que l’Balafré n’en fasse des siennes. «
J’veux voyager ! » répétait-il sans cesse. Il disait être incapable d’rester cloîtré dans c’trou, peu importe le pognon que cela lui rapportait. Personne ne l’prenait au sérieux avant qu’il ne parle de son départ à Roderick. J’me souviens que leur séparation fut particulièrement difficile, ils ne semblaient pas vouloir s’quitter.
Mais il est parti quand même, disant vouloir respirer un air neuf et être son propre chef. Si je le connaissais personnellement ? Pas du tout ! Je ne lui ai quasiment jamais parlé, il ne s’adressait que peu aux jeunes recrues… »
Pierre, ex-mercenaire de Roderick
« Je m’souviens du Balafré ! Un brave salaud, voleur de femme ! A peine ce foutu mercenaire a-t-il posé un pied à Ferèsis qu’il se croyait déjà tout permis. En bon garde que j’étais, j’gardais un œil sur ce sale type. J’ai jamais fait confiance à ces pestes de mercenaires ! J’aurais dû lui casser la gueule à l’instant même où il a posé les pattes sur le territoire Arvèles.
Je courtisais une damoiselle du nom de Lena. Elle était belle comme le jour, et l’mercenaire n’a pas perdu le nord. Il l’a rencontrée et l’a courtisée à son tour ! Et moi qui avais l’intention de lui demander sa main, elle n’avait plus d’admiration qu’pour ce type ! Elle gloussait comme une pintade à chacune de ses plaisanteries, j’étais enragé !
Mais j’ai fait mon deuil, même si j’continuais de lui envoyer des courriers de temps à autre. Puis, un beau jour, le sale type s’est pointé en demandant si on n’avait pas du boulot pour lui. Dès qu’j’l’ai vu, j’ai eu envie de lui cracher dessus, mais au lieu de ça j’ai dégainé mon épée. Il été pris de court ; j’ai eu l’temps de lui asséner un coup au visage qui lui valut par la suite son surnom du Balafré ; j’entends son cri de douleur et vois encore son sang pourri couler le long d’ma lame. Une chance pour lui qu’elle n’lui ait pas crevé l’œil.
Ensuite, je ne m’rappelle plus bien. Le Balafré a sorti son épée et m’a porté un violent coup au ventre, avant de me laisser gisant par terre et d’se barrer. Quand j’me suis réveillé, j’étais chez moi et, quelques jours plus tard, on me releva d’mes fonctions de garde. J’ai juré de le tuer puis, avec le temps, ma haine s’est dissipée. Maintenant, il porte la balafre que j’lui ai faite, à vie.
On raconte de lui que sa balafre provient d’un haut fait. Ah, s’ils savaient, tous ces abrutis. Je détesterai éternellement ce type. J’espère qu’à chaque fois qu’il voit sa sale gueule dans une glace, il pense à moi. »
Nillen, ex-garde de Ferèsis
« Le Balafré ? J’avais lié une amitié avec lui, c’est vrai. Il venait souvent à la taverne que j’tenais pour discuter de tout comme de rien, de ses missions en partie. Mais ça, c’était avant le départ des deux êtres qui lui étaient le plus chers.
Lena, il est resté seize ans avec cette femme. Seize ans ! Vous imaginez c’que ça représente dans la vie d’un homme ? Il lui a fait une gosse, à cette dame. Une charmante petite fille qu’ils ont appelée Claire. Un véritable rayon de soleil, et sa beauté s’accentua encore plus quand elle devint une jeune femme. Il les aimait plus que tout au monde, ça j’en mettrais ma main au feu ! Mais que croyez-vous ? C’était un mercenaire depuis toujours, il avait appris à se renfermer et puis, il était sans cesse sur la route, le bougre !
Un jour quand il rentra, il ne découvrit qu’une maison vide et un mot. « Nous partons », et c’est tout, m’a-t-il dit. Il me confia que la première idée qui lui traversa l’esprit était d’acheter une corde et de trouver un arbre robuste. Mais il changea bien vite d’avis, j’le connais, il aime la vie. Il a décidé de tout abandonner. Son foyer, son identité. Aujourd’hui, on n’le connait plus que sous le nom du Balafré. Du jour au lendemain, il était parti, laissant en plan toutes ses affaires si ce n’est ses deux épées.
Ce qu’il devient ? J’n’en sais rien. Voilà dix ans qu’il est parti. Le bougre doit bien avoir quarante-cinq ans, maintenant. Certaines rumeurs racontent qu’il ère dans le continent en quête d’aventure et des deux femmes. Reste à savoir si tout ce que l’on dit est vrai… »
Harmonie, tavernière à Ferèsis