Marcus Doyle tira sur sa moustache dont les poils glissèrent entre ses doigts pour reprendre une forme spiralée. Il avait payé dix pièces d’or le barbier afin d’obtenir un tel résultat capillaire, une moustache fine, longue et droite dont les pointes étaient légèrement bouclées vers le haut. Ses cheveux, quand à eux, étaient plaqués en arrières afin qu’aucunes mèches rebelles ne puissent dépasser du haut de forme qui était fixé sur sa tête. C’était le grand jour, il allait montrer une nouvelle fois à tout Madelle qu’il était un des meilleurs, si ce n’est le, meilleur conteur du continent.
Le bruit d’une foule s’impatientant commença à s’élever.
L’Ancien se regarda une dernière fois dans le reflet que montrait un miroir accroché au fond de la pièce. Son costume noir jais allait parfaitement avec son chapeau tandis que la doublure bordeaux lui donnait un air plus distingué, le tailleur qui l’avait confectionné avait fait du très bon travail, en même temps, la tenue lui avait valu une petite fortune. Un sourire amusé apparut sur son visage beaucoup le traiteraient de fou, dépenser autant pour ce genre d’occasion. Mais ils se trompaient, il était un artiste ! Faire une prestation spectaculaire lors de la fête de la vérité, c’était s’assurer de juteux revenus lors des autres représentations de l’année ! Faites briller des étoiles dans les yeux des spectateurs et ceux-ci seront prêts à mettre la main à la bourse afin de vous revoir sur scène ! Le sourire se transforma en rictus de détermination.
Quelques acclamations se firent entendre, une pause, puis petit à petit des voix se levèrent scandant son nom.
Il ne devait pas faire attendre son public. Dans un dernier geste de coquetterie Marcus tira sur ses manches afin d’effacer toutes traces de plis puis se dirigea vers les rideaux qui le séparaient de l’extérieur. Au passage, il attrapa, sa canne fétiche, un joli bâton creusé et taillé dans le cœur d’un Mirlis et fait sur mesure par un artisan de renom. Cependant l’histoire qu’il racontait aux curieux et aux intéressés était tout autre, il affirmait que cet objet était un cadeau de Mère Nature elle-même, que lors d’une de ses pérégrinations, une branche de l’arbre de Vie s’était courbé vers lui avant de prendre cette forme de canne ouvragé. C’était ce genre de fable qui donnait du crédit à ses récits et qui les imposait comme vérité vraie.
Un tonnerre d’applaudissement éclata.
La lueur du jour l’éblouit, néanmoins il devinait aisément l’ampleur de la foule au brouhaha qui s’en dégageait. La masse floue aux teintes multicolores se fit de plus en plus précise et enfin il put distinguer nettement les personnes qui l’entouraient, la plupart portaient des tenues de fête colorées. La scène était rudimentaire, elle se décomposait en deux parties la première était une simple estrade en bois recouvert par un tissu rouge du même ton que son veston et devant elle se trouvait un vaste espace circulaire vide. Marcus le savait, c’était dans ce genre de décors simple que ses créations devenaient le plus impressionnantes. Il tapa trois fois sa canne sur le plancher avant de se racler bruyamment la gorge.
Les voix devinrent de plus en plus faibles jusqu’à s’effacer et le silence s’installa.
Pendant quelques secondes, il ne dit rien, laissant planer la tension dans l’air. Puis quand le moment opportun arriva, il prit la parole d’une voix puissante et grave qui restait toutefois imprégné d’une certaine douceur afin de ne pas faire peur aux plus jeunes. Il accompagna ses paroles de grands gestes des bras tout en se promenant sur l’estrade afin de s’adresser à toute la foule.
" Messires, Mesdames, très cher bambins et autres enfants de tout âge ! Je vous remercie d’être venu assister à mon humble spectacle ! Je me nomme Marcus Doyle, je suis un conteur mais avant tout un grand voyageur ! J’ai visité tous les recoins de Madelle que ce soit les hauteurs des Montagnes de Saphir, les steppes inconnues des terres inexplorées, les dangereuses terres de feu où vivent les démons et même les royaumes aquatiques du peuple Héléos ! J’ai vu plus de choses dans le ciel et sur la terre que n’en rêve votre philosophie ! Et durant ses péripéties, on m’a narré milles histoires, certaines datant de temps immémoriaux durant lesquels le monde n’était pas encore celui que nous connaissons, durant lesquels Mère Nature n’avait pas encore créée les anciens dieux ! Et aujourd’hui c’est un de ces secrets que je vais partager avec vous ! "
Marcus fit une pause dans son monologue tout d’abord pour reprendre son souffle et surtout pour savourer ce moment où tout son public était suspendu à ses lèvres. Il prit une grande inspiration, le spectacle allait vraiment commencer.
" Il y a une éternité, à une époque où le soleil n’était pas charrié par Ciorel et la vie n’était pas fauchée par Uraang ! Un être, serviteur de notre très cher Mère Nature, au nom d’Elend déambulait sur les prémices de notre monde. "
D’un geste de sa canne, une motte de terre commença à se soulever au milieu de la scène. Sous les yeux ébahis des spectateurs celle-ci commença à se déformer pour prendre moult forme. Puis petit à petit, une silhouette se distingua, des bras et des jambes se formèrent donnant à la créature une forme humanoïde. Quand elle eut la taille d’un enfant, celle-ci se mit à se mouvoir, marchant à la limite du cercle afin que tout le monde puisse bien l’observer.
" Elend n’avait qu’un seul but, s’assurer que la création de la Déesse Originelle soit à son image, c’est-à-dire parfaite ! Le temps n’existant pas encore, il marcha, marcha et marcha encore jusqu’à arriver à un endroit magnifique et verdoyant qui ferait passer la forêt des Mirlis pour un vulgaire jardin. "
Cette fois-ci, il se concentra grandement pour faire sortir une multitude de plante du sol. Toutes étaient de teintes différentes donnant une couleur arc-en-ciel au décor et avaient la forme de petits arbres faisant ainsi passer l’être de terre pour un géant. Cette démonstration provoqua une stupéfaction générale. Marcus apprécia ces réactions, si le contrôle de la terre était quasi inné chez lui, il avait dû s’entrainer pendant plusieurs années pour obtenir un tel résultat au niveau de la forêt miniature.
" Cependant toute lumière apporte son lot de ténèbres. Et ce paysage onirique n’y faisait pas exception, car en son milieu se dressait une immense montagne de roche noire bien plus grande que la plus haute des pointes des montages de Saphir ! "
Une multitude de paires d’yeux se posèrent sur lui, les Madelliens savaient très bien que la Vérité de la roche était un attribut des Liares. Là était toute la magie rendre possible, une chose que les gens croyaient impossible. Marcus tapa du pied et leva les bras au ciel, une dizaine de seconde passa avant qu’un immense monolithe couleur ébène s’éleva. Des cris de surprise fusèrent alors que l’énorme pierre atteint la taille d’un homme adulte.
" Elend ne pouvait laisser en place une telle abomination qui venait balafrer cette si belle région ! Il s’approcha donc de cette montagne qui le surplombait et de ses poings nus commença à le frapper "
Le golem qui était resté immobile jusque-là, se dirigea vers la masse ténébreuse et donna un coup de poing dedans.
" Durant des jours, des mois, des années, des siècles, des millénaire et voir plus, Elend s’afféra à sa tâche ! "
L’être de terre continuait à frapper tandis que des morceaux de roches dégringolaient.
" Il brisa les rochers en roches ! "
Un nouveau coup et d’autres morceaux tombèrent.
" Il brisa les roches en pierres ! "
Un autre coup.
" Il brisa les pierres en cailloux ! "
Un autre.
" Il brisa les cailloux en graviers ! "
Encore un.
"Et brisa le graviers en minuscule grains de poussière !"
La montagne avait disparu seul restait la créature debout au milieu de la scène. Un silence presque religieux s’était installé.
" Il crut sa mission finie ! Mais quand son regard se porta autour de lui, il fut horrifié toute la végétation avait disparu recouverte par une immense couche de sable ! Il se demanda d’où tout cela pouvait venir puis il réalisa avec effroi que tout cela n’était rien d’autre que les restes de la montagne qu’il avait détruite. En voulant aider Mère Nature, il avait détruit son œuvre ! "
Alors qu’il parlait la végétation rentra à nouveau en terre et du sable vint recouvrir toute la scène. La fin de l’histoire s’approchait et les spectateurs semblaient retenir leurs souffles.
" De tristesse, Elend s’allongea sur ce tapis granuleux qu’il avait lui-même créé et se mit en boule pour se punir de son incompétence "
Le golem se mit à terre et forma un cercle creux avec son corps ses mains venant rejoindre ses pieds. Puis il commença à perdre ses formes humaines afin de ne laisser qu’une sorte de mur concentrique de terre durci.
" Oui vous l’avez surement deviné, Elend par son erreur venait de créer le Désert de la Patience ! Et en guise de pénitence, il devint une muraille, celle entourant Karnès afin de protéger pour toujours les créations de sa bien-aimée Mère ! "
Marcus se pencha en avant pour faire un semblant de révérence alors que ses créations se fondirent à nouveau avec la terre afin de laisser le sol intact. Puis les applaudissements arrivèrent de plus en plus nombreux et puissants, parfois même accompagné d’acclamations. C’était une ovation comme il n’en avait jamais reçu. Après une telle représentation, le bouche à oreille fera le tour de Madelle et les gens se bousculeront pour le voir. Alors que les louanges continuaient à fuser, il salua une dernière fois la foule avant de revenir dans ses quartiers
***
La fête battait encore son plein alors que les étoiles pointaient le bout de leur nez. Marcus quant à lui s’attelait à désassembler l’estrade dans son charriot. Après avoir vérifié qu’aucun curieux ne traînait dans le coin, il souleva le drap rouge qui recouvrait la construction en bois. Sous les planches se trouvaient deux cages en métal qui semblaient bien trop petites pour leur contenue. Il donna un violent coup de pied afin de réveiller les créatures qui y somnolaient. Leurs têtes se levèrent vers lui faisant apparaître les cornes qui prolongeaient leurs crânes. D’un air dédaigneux, Marcus leur jeta des morceaux de viandes qu’ils s’empressèrent de dévorer sans un mot. Avec dégoût celui-ci finit par s’adresser à eux.
"Continuez à faire du bon travail et je continuerai à vous nourrir. Et soyez plus en rythme avec l’histoire, j’ai failli passer pour un guignol tout à l’heure quand vous avez tardé pour faire apparaître la montagne. Ne me décevez pas ou je me débarrasserai de vous ! "
par le gagnant du concours #6 Le spectacle doit continuer - Elend Reyes