Joakim continuait de regarder celui qu'il avait pris pour cible. Alors qu'il courrait si bien pour lui échapper, le voilà complètement hors d'état. C'est en quelque sorte une victoire, mais c'était presque trop simple... et il se sent presque inutile, malgré les belles paroles de Valérica.

« Si vous le dîtes, c'est qu'il a eu ce qu'il méritait. Tant qu'il est en vie, c'est l'essentiel n'est-ce pas ? »

Il tourne ensuite son regard vers la belle créature qui s'est accrochée à son bras, lui donnant une vue imprenable sur son décolleté la mettant magnifiquement en valeur. Telle une succube, son regard le happe, lui faisant oublié un instant la situation dans laquelle il se trouve. Le Conseiller se sent séparé en deux, entre sa raison et son coeur. Son devoir l'incombe de laisser cette femme de charmante compagnie et d'amener le filou aux autres soldats, qu'il doit d'ailleurs retrouver. Que font-ils ? Cela devrait faire un moment qu'ils devaient apparaître. L'inquiétude ne le quitte pas, même lorsque la dame lui fait une telle proposition. Un verre en sa compagnie ? C'est bien tentant, beaucoup trop même... Joakim ne se laisse pas si facilement aller, d'autant plus par cette inconnue au charme indéniable...

« Hum... très bien, je vous suis. Je ne resterai pas longtemps, juste le temps de goûter ce cru en votre compagnie. »

Il a cédé. Même si sa méfiance n'est toujours pas brisée, ses envies commencent à prendre le dessus. Il laisse donc le prisonnier, pensant qu'il ne pourra pas vraiment bouger pendant ce cours laps de temps qu'il se permet à passer avec la Parlèm.

Eden adressa un sourire enjôleur à l’homme tout en le guidant lentement vers l’entrée de la tente dont l’une de ses servantes écartait déjà le rabat. Son regard se faisait chaleureux, bien loin de la joie mauvaise qui l’emplissait à présent, comme une araignée commençant à sentir bouger sur sa toile, elle avait piégé sa proie avec patience et méthodisme et il ne lui restait dès lors qu’à rompre la distance entre eux et tirer ce qu’elle pouvait de cet homme.

Elles se tenaient droites, de chaque côté de l’ouverture, accueillant leur maîtresse avec une révérence maîtrisée. Volubiles, elles arboraient des tenues rappelant étrangement celles des prêtresses namès, de grands drapés blancs dont on avait néanmoins retiré les couches successives pour en laisser apparaître le teint hâlé des habitantes du désert. Pour Eden il s’agissait d’un moyen de moqué son pays de naissance, de s’en détacher en renvoyant l’image qu’elle se faisait de son enfance sur les servantes sur lesquelles elle avait tout pouvoir. Son passé et son présent n’appartenaient plus à la même personne et elle souhaitait représenter ce changement aussi bien symboliquement que physiquement, sa peau ayant depuis longtemps perdu son teint d’origine pour arboré celui plus proche de la nacre de l’aristocratie Parlèm.

Quittant le bras de son compagnon, elle le laissa à l’entrée, souriant à la pensée que même son ton avait changé. L’homme se trouvait suspicieux à l’origine, distant, froid, mais également sûr de lui, fier comme tout arvelès qui se respecte, mais son contact avait visiblement agit dans le meilleur sens possible alors qu’elle se souvenait avec délectation de la soudaine hésitation du fier guerrier. Tout n’était plus franchement affirmé pour lui et il ne lui restait plus qu’à profiter de cette faille laissée dans l’armure mentale et émotive de sa proie.

Elle parcourut rapidement l’intérieur de la tente, le menton haut, l’œil rieur, consciente d’être en territoire conquis et soucieuse de le montrer. L’intérieur se trouvait légèrement plus vaste qu’une tente de soldat, pouvant rappeler à l’homme celle d’un officier de rang inférieur, à peine de quoi y avoir installer une table, deux fauteuils et un lit que laissait entrevoir par transparence un rideau diaphane tendu en plein milieu de la tente.

Prenant place dans son fauteuil, face à l’entrée, elle invita d’un geste presque anodin qui dévoila momentanément son poignet de porcelaine en direction de son jumeau qui lui faisait face avec un sourire gourmand.

« Myr sert nous deux coupes du vin réservé aux hôtes de marque je te pris. »

Eden n’éleva pas la voix et ne tourna non plus le regard vers sa domestique, certaine d’être obéie au doigt et à l’œil. Ces délicieuses jeunes femmes faisaient partie d’un petit projet qu’elle avait mené dans les années précédant la révélation de son fils au monde de la survie de leur confrérie, l’esprit brisé, elles n’avaient pour seule loyauté que celle envers leur maîtresse.

« Quant à vous messire Flanaghan, me permettriez-vous une question ? J’ai tout à fait conscience de sa potentielle teneur discrète, mais après tout, nous sommes entre nous. »

Elle appuya son regard sur le visage de l’homme, mémorisant ses traits pour pouvoir les retrouver dans une foule à l’avenir, si jamais elle devait le rencontrer de nouveau, sa couverture devrait être la même après tout. Accompagnant son œillade d’un sourire complice.

« Pourquoi courriez-vous après cet homme ? Un simple voleur à la tire ? Ce ne serait pas digne du fier seigneur que j’observe avec délectation. Quelque chose de plus rocambolesque alors ? »

La dame le guide vers ses appartements, enfin tente plus précisément. Mais même pour quelque chose qui semble rustique au premier abord, l'intérieur montre son appartenance à la caste noble. Il y a peu de décoration, mais tout ce qu'il faut pour un confort de luxe y est, même si comparé à une masure il n'en est rien. Mais c'est ce que pense un guerrier loin de ses terres. Cette tente offre tout ce qu'il faut pour passer des moments de repos agréables en des temps difficile. De plus, diverses servantes sont disposées dans la tente, prêtes à servir leur maîtresse. Joakim s'attarde un instant sur elles : des Namès au vu de leur apparat et de leur teint halé. Le Conseiller n'a jamais été pour l'esclavage et il aide le Général à combattre cette pratique dans les Montagnes de Saphir, même s'il n'a pas que ça à faire. Il sait que les nomades Namès sont souvent utilisés pour cette fin dans certaines confrérie : cela le révulse, mais il ne peut rien y faire.

Il prend place dans le siège faisant face à son hôte. Son regard ne lui disait rien de bon, pas même plus sa conscience qui lui disait de partir et de reprendre son travail. Une pensée pour ses hommes qui doivent sûrement le chercher, ou alors ont-t'ils eu des problèmes en chemin ? Mais est-ce bien de laisser une telle invitation en plan ? Le Conseiller ne peut pas reculer tout de suite, par politesse. Valérica lui pose une question. Joakim réfléchit un instant, mais ne perd pas de temps à sortir :

« Un simple voleur à la tire oui, mais qui dérange la tranquillité de la fête. C'est un grand rassemblement, et les Madelliens sont des victimes de choix pour eux. Tous les soldats dépêchés sont donc priés d'empêcher tout méfait... »

Puis il affiche une mine plus sérieuse, plus sombre :

« Mais ça ne s'arrête pas là : peut-être n'allez vous pas me croire, mais je suis persuadé que les Récleyès sont là. Tous disent qu'ils ont disparu avec la dernière guerre, mais cela m'étonnerait fort... »

Il regarde son hôte et montre un visage plus détendu, qui se veut rassurant :

« Enfin, je ne veux pas vous inquiéter : continuez à profiter de la fête, l'heure n'est plus à la désolation de la guerre. Et nous sommes là pour s'assurer que tout se passe bien. »

Ah, s'il savait la vérité, il ne serait pas là en train de converser avec cette dame... Le temps presse et Joakim ne peut se permettre de rester plus longtemps.

Son invité semblait vouloir jouer au difficile. Il n’y avait nulle place chez lui de plaisir à l’écoute des nombreux compliments dont la délicieuse bouche de la Recleyes semblait l’abreuver, ni même d’éclat de concupiscence dans son œil à voir les servantes en tenues vaporeuses évoluées autour de lui. Au contraire, il semblait même les regard avec une forme de mépris liée à un étrange sentiment… De la compassion ?!

Il n’en aurait pas fallu plus pour piquer l’orgueil de la Dame Noire du Recleyes au vif ! Lomme osait rechigner comme un cheval mal dressé à tous les honneurs qu’elle lui prodiguait et plus encore, il ne semblait pas sensible aux nombreux pièges qu’elle dressait à l’attention de sa raison. Il faudrait donc changer de tactique si l’attrait du charnel ne semblait pas vouloir avoir raison de lui. Cela dénotait certes d’une intelligence légèrement supérieure à la moyenne, ce qui n’était pas sans attisé d’avantage la soif de domination de la femme. Elle le briserait comme tant d’autre, mais elle y prendrait encore plus de plaisir. Car elle connaissait les hommes de pouvoir, plus elle côtoyait celui-ci, plus l’idée se faisait en elle qu’il n’était pas ce qu’il prétendait être. Un homme plus jeune aurait pu être un jeune homme prometteur, mais l’âge de son interlocuteur laissait ses plus belles années derrière lui et également ses plus importantes promotions. Or il n’avait pas le caractère d’un simple homme du rang, fusse-t-il officier de carrière. L’individu semblait vouloir se jouer d’elle, un comportement logique si son travail avait été de la démasquer, mais il n’aurait alors pas accepté de la suivre dans la tente, pas au milieu du territoire ennemi sans aucune protection. Il n’agissait donc que par prudence ? Un officier inférieur n’aurait pas agit ainsi, c’est donc que celui-ci avait une identité importante à dissimuler !

Les morceaux du puzzle commencèrent à se rattacher les uns aux autres alors que l’homme répondait enfin à ses questions. Oui, il pourchassait bien son agent comme elle l’avait tout d’abord soupçonné, mais il le faisait visiblement en connaissance de cause.

Soucieuse de conserver sa couverture, elle composa son visage d’une foule d’émotions fugitives, dissimulant l’état déjà avancé de ses réflexions. Ainsi se succédèrent sur le délicieux masque d’ivoire de la demoiselle la frayeur tout d’abord, qui ne dura qu’un instant avant de laisser place à un voile d’incrédulité et enfin, en tout dernier lieu, elle laissa enfin percevoir son véritable intérêt un bref instant avec un regard profond à l’éclat calculateur.

« Messire.. »

Commença-t-elle d’une voix coupée par l’émotion, une frayeur ouvertement composée peinte sur le visage alors qu’une main se dirigeait vers sa propre gorge nue dans un geste impulsif de peur avant de redescendre lentement le long de son buste, ne manquant pas de glisser le long de la chaîne de son médaillon qui semblait vouloir se perdre à la naissance des collines d’albâtres qui semblaient vouloir gonfler sa robe à chaque inspirateur apeurée.

« Je dois avouer que ces nouvelles sont effrayantes… Et difficile à croire… »

Sur ces mots elle posa la main à plat sur le rebord de la table qui les séparait, comme pour puiser une forme de force dans ce contact avant de finalement se relever. Avançant à pas lent dans sa direction.

« Mais vous ne m’avez jusque-là pas donné raison de douter de votre vaillante parole… »

A mesure de sa progression sa voix se faisait moins tremblante, plus agréable à l’oreille.

« Ce qui sous-entendrait que si vous avez raison, alors… Vous êtes le seul homme à percevoir le risque qui nous guette dans l’ombre… »

Elle était à présent arrivée à son niveau, glissant un long regard sur le visage du soldat expérimenté qu’elle avait en face d’elle, mais elle ne s’arrêta pas là, dépassant son côté pour venir se placer derrière-lui, posant ses mains sur ses épaules tout en baissant le buste pour venir chuchoter à son oreille.

« Vous êtes bien seul face à cette menace… Ou peut-être ne l’êtes-vous plus ? Bien involontairement il semblerait que je vous ai rejoint dans cette guerre de l’ombre contre cette immonde confrérie. Il est de votre devoir de suivre votre instinct s’il vous dicte qu’ils de retours jusque sur nos terres, quitte à aller contre l’avis de votre entourage. Mais pour cela… »

Son sourire, toujours dissimulé dans la nuque de l’arvelès se fit celui d’un prédateur alors qu’elle portait l’estocade de son discours.

« Vous aurez besoin de mon appui. »

Ce qu'il ne voulait pas est arrivé, il avait inquiété son hôte. Ou bien le feignait-t'elle ? Quoiqu'il en soit, il se dit qu'il aurait mieux fait de se taire et de partir sagement. Mais la Parlèm l'en empêche, s'approchant de lui et lui susurre des mots à l'oreille. Il l'écoute attentivement, et ne peut pas rester de marbre face à ses dires. Ses sourcils se lèvent, étonné de voir que quelqu'un le croit, et qui plus est, accepte de l'aider ! L'aide qu'il attendait est enfin venue ? C'est presque inespéré. Surtout que cette femme semble être influente et possède des hommes de mains qui se sont avérés plus efficace que les siens.

Pourtant, elle reste une civil, une personne qu'il doit protéger et non impliquer dans cette guerre de l'ombre qu'il mène seul.

« Ce que vous me proposez est très tentant, je vous l'accorde, cependant... »

Il marque une pause, hésitant sur la suite :

« Je ne peux impliquer des gens comme vous. Comme je vous l'ai dit, je veux que vous profitez de la fête sans vous soucier de ce qui peut arriver. C'est notre travail à nous soldats, de nous assurer de votre sécurité. »

Mais Joakim n'est pas satisfait. Il a l'impression que ce qu'il dit sonne faux. Il sait bien que même si les Arvèles sont présents, il est le seul à être sûr que les Recléyès sont à la fête, de retour à semer la zizanie dans l'ordre des confréries. Combattre tout un peuple en solitaire, revient à du suicide.

Il se tourne pour regarder son hôte, avant de se lever :

« Je ne veux pas vous déranger plus longtemps, c'est pourquoi je souhaite prendre congé. Mes collègues doivent s'impatienter. »

Il s'incline poliment pour la saluer.

« Madame, ce fut un plaisir. »

Puis il prend la direction de l'entrée de la tente.

La dame du Recléyès sent son interlocuteur défaillir l’espace d’un instant. Elle le sent au creux de sa main, au travers de l’armure alors que l’homme se relâche un bref instant. Du soulagement ? Elle pouvait presque percevoir les rouages de son esprit se mouvoir au travers de son crâne, les possibilités offertes par l’acquisition d’alliés, mais surtout le fait de se sentir crû. Elle pouvait jouer sur ce facteur pour l’isoler petit à petit, elle le ferait finalement sienne, elle l’avait senti à cet instant, mais l’heure de porter l’estocade n’était visiblement pas encore venu, l’homme avait encore de la réserve.

Son orgueil piqué au vif semblait vouloir petit à petit céder devant une forme ironique d’admiration. L’homme céderait, un jour, une heure, un instant et à ce moment-là elle le tiendrait définitivement, mais il renâclait encore, comme une monture sauvage il refusait encore de se laisser mettre la bride au cou malgré la douceur de l’approche de la dame. Cependant son corps parlait pour lui et petit à petit elle apprenait de ses faiblesses, du défaut de son armure morale. L’homme se sentait seul, comme beaucoup de personnes en ce bas monde, mais il se sentait seul face à un danger. Un prophète, un messager qui, au-dessus du reste du monde, pouvait percevoir le danger invisible aux yeux des ignorants. L’homme se trouvait certes sur le bon chemin pour découvrir la vérité, mais elle se servirait de son entêtement pour l’aveugler sur certaines choses et tourner son attention vers des sujets plus profitables pour elle.

Il se levait, prêt à partir. Elle pouvait certes le laisser faire, mais elle devait le marquer de son sceau avant ça, en faire sa chose puis le libérer, il devait accepter son aide où il ne sortira jamais vivant, telle était la volonté de la mère du ténébreux.

« Des gens comme moi messire ? Je passerais sur l’affront silencieux que vous me faîtes en me comparant au tout un chacun, arguant que l’urgence du danger vous aura fait perdre un instant vos esprits. Mieux encore je m’en vais aller dans votre sens. Si je me trouve bien être le tout-venant, une plébéienne comme tant d’autre, ne suis-je pas moi également concernée par ce soucis ? »

Elle s’approche de lui, posant un bras au creux du coude de l’arvelès, sans forcer, simplement pour lui signifier de rester. Son visage a néanmoins perdu les accents sulfureux dont elle se servait jusqu’à présent pour infléchir sa volonté, l’homme avait résisté suffisamment longtemps à ses arguments triviaux pour qu’elle lui concède un certain intérêt, elle le persuaderait plus qu’elle ne le séduirait, qu’il en soit donc ainsi.

Un éclat dur au fond du regard, ses traits fermés par l’obstination et un air volontaire, elle ne le retenait pas par la force, mais tentait de le faire par son regard le temps qu’elle puisse continuer son petit discours.

« Si les Recléyès sont bien revenus comme vous le pensez et vous me donnez suffisamment l’impression d’un air sérieux pour vous aider à le prouver ou au contraire que vous finissiez rassuré par l’absence de preuves, alors cela ne concerne pas seulement les arvelès. Chaque confrérie est en danger, chaque citoyen de notre monde l’est. Vous avez découvert le danger, je puis aisément comprendre que vous souhaitiez continuer vous-même cette lutte, votre finesse d’esprit capable de percer le voile dont ces effroyables personnages ce sont entourés vous rend légitime pour cette cause, mais de grâce… ne laissez pas votre orgueil vous dicter de poursuivre cette quête seul. Il en va de l’avenir du monde… »

Elle s’approchait à présent, baissant le ton pour adopter celui de la confidence.

« Vous êtes le rempart qui se dresse entre nous et la sauvagerie de cette confrérie pourvoyée, mais si vous vous dressait seul face à l’ombre, vous finirez par ployer. Laissez-moi au moins vous aider de mes maigres moyens. Seul vous apporterez la ruine au monde, mais avec moi à vos côté, vous serez le vaillant champion de la lumière face aux ténèbres dévorantes… »

Il n'allait pas partir. Du moins, la dame l'en empêcha. Son bras l'empêcha d'avancer plus loin, et il se tourne vers elle, croisant son regard dur et obstiné, déterminé a le convaincre. Il écouta attentivement ses dires, ne pouvant que les croire. Elle lui disait clairement la vérité, ce qu'il essayait de cacher, de se cacher. Il ne pouvait pas arriver à combattre cette menace, seul ou accompagné des Récleyès. Il ne voulait pas impliquer ceux qui ne combattent pas, mais est-ce vraiment une bonne chose ? Les prévenir pour qu'ils se défendent ne serait-t'il pas plus prévoyant, plus sécuritaire ? Comme elle lui dit clairement, c'est son orgueil qui lui dicte ce qu'il doit faire. Il est peut-être temps de passer à autre chose, d'accepter de ne plus être seul dans cette guerre de l'ombre qui se prépare à nouveau... Et d'être celui qui jouera un grand rôle dans l'éradication de cette menace. Il a bu ses paroles comme un grand cru, ne passant à côté de rien. Il a été envoûté, et son côté borné se laisse séduire...

Il affiche un air sérieux :

« Vous avez entièrement raison. Il faut croire que je tentais de me voiler face à cette vérité. »

Il la regarde, une lueur plus déterminée que jamais dans ses yeux :

« Vous m'avez éclairé, et j'accepte votre aide. »

Il marque une pause avant de continuer :

« Qu'avez vous à me proposer ? »

Il voulait connaître ses moyens, ses forces. S'il ne s'agit que d'une riche avec des cochers, elle ne lui serait pas d'une grande aide en forces armées. Mais elle est sûrement influente dans son milieu, et rallier les Parlèms à sa cause ne serait pas négligeable...

Le sourire de la dame s’élargit pour prendre un air complaisant, celui d’une personne qui a enfin réussi à faire entendre raison à un enfant obstiné. Le prenant délicatement par le bras, elle le ramène vers la table tout en ordonnant d’un geste à ses servantes de déplacer son fauteuil aux côtés de celui de son invité. Elles durent se mettre à deux pour déplacer le lourd support, mais la tâche fut accomplie sans une plainte et bientôt Eden siégeait à proximité de son nouvel allié.

« Ne soyez pas si dur avec vous-même, il est normal de souhaiter protéger ce à quoi l’on tient. Et cela en dit beaucoup sur votre grandeur d’âme que cela s’étende sur l’ensemble des confréries. Face à pareil parangons les Recleyès n’auront bientôt plus nulle part où se cacher. »

Elle entretenait la conversation sur un ton badin, laissant glisser sa main gantée comme par inadvertance sur celle de l’arvelès, penchée vers lui pour capter son attention alors que les domestiques apportaient une nouvelle bouteille et une coupe pour leur maîtresse, se saisissant de celle de leur hôte pour la vider dehors avant de la rapporter et de servir à l’intérieur un vin aux reflets pourpres.

Eden capta un sourire de connivences sur les lèvres de sa suivante alors qu’elle versait le liquide carmin dans les coupes. Celui-ci avait été préparé pour ce genre d’occasion. Entêtant, fruité, il se laissait boire sans soif et minait petit à petit la volonté de son consommateur.

« Je pense que vous conviendrez avec moi que le principal atout de ces vils individus est actuellement le mystère dans lequel ils ont réussi à se draper. Dissimulés à la vue et à la suspicion de tous ils peuvent agir sans être inquiétés et avancer cachés pour poursuivre leurs sombres machinations. De même ne trouvez-vous pas quelque peu étrange que personne au sein des Arvelès n’ait ne serait-ce que prêter oreille à vos avertissements ? Se pourrait-il que…»

Elle laissa à dessein sa phrase sans conclusion, quoi qu’elle fasse, elle ne serait jamais aussi convainquante que l’esprit même de son interlocuteur. Elle laisserait son ego jouait à son profit, après tout, comment un homme pourrait accepter que sa voix ne soit pas entendue ? Alors que s’il s’agissait d’une politique de désinformation de l’ennemi…

« Je n’ose croire que cela puisse être déjà arrivé jusque-là, mais il s’agit du type de doute dont il faut réussir à se débarrasser avant de pouvoir entamer une lutte de front. C’est tout d’abord dans l’ombre que nous devrons les vaincre pour pouvoir les traîner en pleine lumière. Je dispose d’entrées dans les cercles Parlèms influents, des cercles qu’ils chercheront vraisemblablement à infiltrer pour se rapprocher au plus du pouvoir et si je puis vous offrir un appui financier mes ressources en hommes se révèlent limitées à ma domesticité… »

Se rapprochant de lui avec douceur, elle adopta un ton plus bas, légèrement implorant tout en serrant sa main dans la sienne.

« Il nous faudrait agir chacun dans notre confrérie respective et ce de manière simultanée afin de traquer et d’éliminer les Recléyès infiltrés avant qu’ils ne puissent étendre leur réseau plus loin encore. Et si je ne doute pas que vous soyez capable de prendre des décisions difficiles quoi qu’ils vous en coûtent, je n’ai pas pour moi les moyens physiques de lutter contre eux.. Peut-être que si vous pouviez adjoindre certains de vos hommes à mon escorte… ? »

Même si le conseiller paraissait calme et d'un grand sérieux, il ne remarque même pas que tout dans l'attitude de son hôte l'envoûtait. Ses mots et divers gestes étaient très bien choisis, ébranlant le côté têtu de Joakim. Néanmoins, une part au fond de lui le tenait éveillé et concentré, ne l'abandonnant pas aux bras de la dame. De plus, son intelligence cherche toujours le mot de travers qui pourra tout faire basculer. Mais cela s'avère compliqué.

Les dires de la Parlèm le fait réflechir. Effectivement, pourquoi est-t'il le seul dans sa confrérie à être aussi concerné par l'existence de cette cinquième confrérie ? Ses suppositions sont loin d'être issues de la superstition, elles sont même probables. Mais pourra-t'il douter de ses compagnons ? Des alliés du Général ? Même s'il va devoir être discret, cette mission n'annonce difficile : les Arvelès forment une confrérie soudée... du moins en apparence. Comme elle l'a soulevé, les hommes de l'ombre peuvent se dissimuler de la vue de tous. Même avec les moyens financier qu'elle propose de lui offrir, ce ne sera pas suffisant. Il va devoir se trouver des alliés dans son propre clan, des individus en qui il aura pleinement confiance, humainement comme au combat. Des gens doués et fidèles.

Alors qu'il réfléchit à ses plans futurs, il daigne enfin répondre à Valérica :

« Ce que vous me proposez est alléchant. Un soutien financier est non négligeable. Je pourrais effectivement vous apporter une aide en hommes en échange. »

Il marque une pause, reprenant un air pensif.

« Néanmoins, je ne veux pas laisser de simples soldats avec vous. Il faudra que je déniche des personnes en qui j'ai vraiment confiance. De plus, j'ai bien peur de ne pas pouvoir vous fournir l'aide tout de suite : tout les soldats sont mobilisés pour la fête, si bien qu'il faudra attendre la fin des festivités avant tout changement de poste. Aussi, je ne peux pas prendre une telle décision seul... »

En réalité, il hésite. Doit-t'il en informer le général ou bien déployer une poignée d'hommes secrètement pour éliminer les Récleyès infiltrés chez les Parlèms ? Le Conseiller a pour idée de créer une petite unité dans l'ombre pour dénicher la cinquième confrérie dans la sienne. Doit-t'il faire de même concernant l'extérieur des Montagnes de Saphir ? Il prendra le temps d'y réfléchir à froid, il se laisse ainsi un peu de temps avant de se lancer dans quoique ce soit.